Behind the screen [Facultatif]

Chapitre 1 : Welcome to Tijuana

Je suis née à Tijuana, au Mexique, ville chaudasse qui borde la frontière américaine que ses habitants reluquent avec envie. Envie de passer de l'autre côté. Je n'ai presque aucun souvenir de ma ville natale. En fait, j'en garde uniquement des impressions, des odeurs, des contacts. Je me souviens de ces gouttes de sueurs glissant de long de mon dos de petite fille, assise tout contre ma mère dans notre petit appartement au troisième étage d'un immeuble qui n'avait pas fière allure. Je partageais cet appartement avec mes parents et mes deux grands frères. Je me rappelle l'odeur de poulet grillé qui nous parvenait du petit restaurant d'en face par une fenêtre laissée constamment ouverte.
J'ai presque tout oublié de Tijuana. En fait, j'ai presque tout renié de Tijuana.
Mon père est d'origine américaine. Lors d'un de ses voyages du côté maudit de la frontière, il a rencontré cette belle femme couleur caramel. C'est de cette rencontre que mes frères et moi sommes nés. A mes 4 ans, mes parents décident de repasser de l'autre côté, pensant ainsi assurer un meilleur avenir à leurs enfants. C'est ainsi que je quitte pour de bon Tijuana et que nous nous installons à San Diego en Californie. Une petite heure de trajet sépare les deux villes. Une heure et toute une vie il me semble.
Je grandis donc à San Diego comme une bonne petite américaine. Selon mes parents, ce changement de pays a été un tel choc pour moi que j'en ai complètement oublié mon espagnol. Ils avaient beau continuer à me parler dans ma langue maternelle, je me bornais à répondre en anglais. Comme si j'avais honte de mon passé. Je n'ai pas la moindre idée de ce qui s'est passé dans ma petite tête de gamine à ce moment-là. Tout ce que je peux vous dire c'est qu'il m'est toujours absolument impossible de communiquer en espagnol. Je crois que c'est pour cette raison que ma mère a décidé de s'éloigner de moi. Je restais sa fille mais elle montrait une large préférence pour mes deux frères. J'ai décidé de lui donner une véritable raison d'avoir honte de moi.

Chapitre 2 : One of these nights

A partir de mes 15 ans, j'intègre une bande de jeunes pas vraiment fréquentables, selon les dires des adultes. En ce qui me concerne, c'est grâce à eux que j'ai tout appris. Ils étaient tous à fond dans la musique. Chacun avait un groupe préféré dont il récitait les chansons jusqu'à pas d'heure, jusqu'à tard, tard dans la nuit. On formait une drôle de bande. Petit à petit, cette bande est devenue un vrai groupe de musique. Personnellement, le seul truc artistique dont j'étais capable était de faire l'amour. Alors on m'avait coller l'étiquette « groupie » mais il m'arrivait aussi de cogner un peu sur la batterie de mon copain d'alors. C'était chez lui que j'avais officieusement emménagé. J'avais bien compris que mes parents ne voulaient plus vraiment de moi. Mes deux frères étaient déjà partis depuis un certain temps. Ils avaient leur job, leur nana. Ils avaient réussi quoi. Moi ? Je peinais à terminer le lycée, beaucoup trop occupée à écumer mes journées dans la musique et ses créateurs. Je me donnais corps et âme dans les créations de mes amis. Je me nourrissais de leur art comme d'une drogue. Elle me permettait de rester en vie, de donner du sens à mon existence. En échange, j'étais un peu comme une muse pour eux. Ils disaient que j'avais un truc, une petite flamme dans les yeux qui les faisait rêver. J'ai eu beau passer des heures à me regarder dans un putain de miroir, je n'ai jamais vraiment bien compris de quoi ils parlaient. Mais je les laissais dire et, surtout, je les laissais me submerger de leurs chansons.
Ces années passées dans la chaleur de la musique californienne m'ont permise de donner un sens à ma vie. Et, surtout, elles m'ont fait réaliser qu'il fallait absolument que je parte de San Diego. Depuis un petit moment déjà, je ne faisais que regarder toujours plus haut. Non, je ne regardais pas les étoiles du ciel américain. Ma tête était tournée vers l'horizon de la ville des étoiles. La grande Los Angeles.
Cette fois-ci, je n'ai pas oublié mes souvenirs de ma deuxième ville. Je les ai délicatement emballés et emportés avec moi. Ils étaient mes guides, mon mode d'emploi pour l'avenir que je m'apprêtais à rejoindre.

Chapitre 3 : Welcome to the Jungle

J'ai 19 ans quand je foule enfin le sol de Los Angeles. Lors d'un beau mardi ensoleillé. Le rêve ne se transforme cependant pas en réalité. Avec à peine mon bac sous le bras et comme seule activité professionnelle le fait d'avoir été la groupie d'une bande de musiciens amateurs, je peine à trouver un vrai emploi. J'enchaîne les boulots ingrats, comme me promener en jolie petite tenue sur les grands boulevards en brandissant une pancarte ventant les mérites d'une quelconque agence de voyage. Petit à petit, je me rends compte que c'est pendant la nuit que je suis la plus à l'aise. La chaleur étouffante de la ville des stars diminue à la tombée du jour et les anges nocturnes s'éveillent. Je gagne ma vie comme serveuse dans de nombreux bars, combinant parfois un emploi nocturne avec un emploi durant la journée. Petit à petit, j'arrive à mettre un peu d'argent de côté et à me trouver un petit studio dans l'Eastside dans la ville. Il n'est pas des plus glamour mais il me suffit. Je gagne également en expérience et j'apprécie tellement la vie nocturne que je décide de m'y consacrer entièrement. C'est ainsi que je décroche un boulot au Dizzy Warhol et que j'y gagne ma place. Ce bar est devenu ma deuxième maison. Cela fait maintenant 3 ans que j'y travaille et, en plus de mon job de serveuse, je suis également devenu co-assistante dans la programmation des concerts. En gros, je dois aller repérer les groupes qui ont du potentiel et leur arranger une ou plusieurs dates au Dizzy. J'ai également repris goût à la douce et ardente chaleur des musiciens. Entre deux verres servis et dates fixées, il m'arrive de passer un bon moment dans la loge des artistes. A force de les côtoyer, j'ai l'impression de me rapprocher toujours plus de la seule personne qui m'ait gardée en vie jusqu'à présent. La seule personne qui ait toujours compté pour moi. La seule putain de personne qui me donne la force d'avancer : la musique.