Toute sa vie, Wolfgang se savait destiné à la danse. Vibrer sur une musique, contrôler son corps à la perfection. L'admiration du public, la fierté d'être spécial. Sa mère, ancienne danseuse étoile de Berlin, lui avait tout appris. Elle lui avait transmis la passion pour cet art si noble, lui avait injecté ce rêve dans les veines.

Et c'est tout naturellement qu'à quatre ans, le petit garçon fit ses premiers pas au conservatoire. Les années passèrent, sous les encouragements de sa mère, de ses professeurs, poussé par le fait de savoir qu'il avait sa place ici. Que c'était chez lui. Jamais il ne douta, pas une fois. La danse était son chemin de vie, il était né pour cela. C'était une certitude que sa mère lui murmurait doucement à l'oreille depuis son plus jeune âge, jusqu'à ce qu'il y croit dur comme fer. Quelle ne fut pas la fierté de cette chère mère, Brumhilda, lorsque Wolfgang passa avec succès le concours d'entrée du ballet de Los Angeles.  Le destin lui souriait, la danse était toute sa vie. Wolfgang ne jurait que par cela, ne brillait que par cela, et ne vivait que pour cela.

Les années passant, il brillait ; jusqu'à être presque certain de son succès pour être enfin nommé danseur étoile au jeune âge de vingt-trois ans. La représentation du Lac des Cygnes aurait lieu le soir même, et le coeur de Wolfgang battait régulièrement, sans ciller une seule seconde, sans jamais douter de ses chances de succès. Wolfgang Geffen, danseur étoile du ballet américain. Un sourire illuminait son visage dès que cette pensée traversait son esprit. Le destin lui souriait, la danse était toute sa vie. Wolfgang ne jurait que par cela, ne brillait que par cela, et ne vivait que pour cela.

À 16h35 en ce jour fatidique, Wolfgang sortit de chez lui, se dirigeant vers le métro pour aller jusqu'à l'opéra de Los Angeles. Quelques répétitions de dernière minute ne font de mal à personne, s'était-il dit. Et atteindre la perfection nécessitait autant d'entraînement qu'il était possible.
À 16h47 en ce jour fatidique, Wolfgang monta finalement dans son métro. Il souriait, perdu dans ses pensées, une fierté et une joie insolente émanent de lui. Il allait enfin briller, et devenir une étoile. Sa mère allait être si fière de lui...
À 17h01 en ce jour fatidique, Wolfgang sortit du métro à la station qui était juste en face de l'opéra où se tenait la Première de ce soir. Il lui suffisait de traverser la rue, comme il le faisait tous les jours depuis quelques mois. La même routine, la même chose répétée des centaines de fois.
À 17h03 en ce jour fatidique, Wolfgang, perdu dans ses pensées, s'avança sur la route sans vraiment regarder. Que pouvait-il lui arriver, à lui, l'enfant béni, Wolfgang la future étoile, Wolfgang à qui le destin souriait depuis toujours ? Il était immortel.

À 17h05 en ce jour fatidique, une douleur insupportable éclata dans tout son corps. Sa tête cogna le sol et puis plus rien. Le noir, le noir intense et profond des abysses.

À 21h22 en ce jour fatidique, après une opération d'urgence, Wolfgang appris qu'il ne danserai jamais plus. L'une de ses jambes avait pris trop de dégâts, ainsi que son épaule et tout son bras droit. Fracture ouverte à la jambe, plusieurs côtes brisées, tout comme son bras.

À 21h23, Wolfgang comprit que le destin ne lui souriait plus. Et que les abysses dans lesquels sa douleur l'avait plongé, il ne pourrait plus jamais en ressortir. Le rêve d'être une étoile s'était éteint, évanoui, le laissant seul dans le noir. Tué avec sa jambe.

Comment faire pour repartir de zéro, pareil à un nouveau-né ?

Les quelques années qui suivirent lui permirent de répondre à cette question. Il n'y avait pas d'autre vie pour lui. Il n'y avait pas d'autre vie pour Wolfgang, non ; Wolfgang était mort dans ce carambolage, mort devant cet opéra. Il ne restait rien de lui, Wolfgang s'était éteint avec son étoile.  Un sourire amer déformait ses lèvres à chaque fois que cette pensée traversait son esprit.

Mais la douleur devint plus supportable, tant bien que mal, alors que les années passaient. Après être resté cloîtré, solitaire, pendant des mois et des mois... L'ancien danseur décida de reprendre sa nouvelle vie en mains. S'il ne pouvait plus être Wolfgang, il devait se recréer, se réinventer, devenir quelqu'un d'autre pour supporter la douleur d'avoir perdu le rêve d'une vie entière, détruit en quelques secondes. Siegfried, voilà qui il serait à partir de maintenant. Siegfried.

Et Siegfried avait besoin d'aider les autres à guérir, pour pouvoir guérir avec eux. Ce fut deux ans et demi plus tard, à l'âge de vingt-cinq ans, que Siegfried prit le chemin des bancs de l'université. Aider les autres pour s'aider lui-même, voilà qui lui semblait être l'embryon d'un joli rêve à nourrir et à choyer, tout comme le dernier.

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