C'était peu de temps après qu'on ait signé le contrat avec Timmy, avec le groupe. Tout le monde était super heureux, on avait finalement eu ce dont on rêvait depuis si longtemps... Une chance de vivre de notre musique, de nos instruments, de nos rêves.

Mais j'avais toujours été le gars un peu plus réaliste du groupe, ou était-ce pessimiste? Comme je n'étais pas sûr que BleedingHeart puisse vraiment un jour passer pro, j'avais dès mon arrivée à LA chercher un boulot comme comptable. Ce que je faisais déjà avant, dans le Nevada. Et comme j'avais déjà de l'expérience, ça n'a pas été trop dure de trouver quelque chose. Je m'étais même lancé comme indépendant. Dans le pire des cas, je pourrais même continuer même en ayant décroché un contrat. Maintenant, comme on allait commencer à bosser pour sortir notre premier album, ça allait être plus dure de combiner les deux. Je ne savais pas si j'arrêterai complètement ou si je ne m'occuperai que d'un ou deux «clients».

L'une des boîtes qui m'a embauché comme comptable indépendant, c'était le Golden Nipples Club. Un club qui fait dans le style des années 20, un club burlesque. Complètement effarant les clubs ici, à Los Angeles comparé à ma petite ville au Nevada. Mais on s'y faisait. Et tant que ça payait, je refusais pas le boulot.

Malheureusement, après avoir effectué minutieusement les comptes annuels, les temps étaient graves. Le club n'avait pas fait un chiffre d'affaires suffisant pour rééquilibrer ses charges. En gros, le club commençait à s'endetter et avoir du mal à entrer dans ses frais. Ça sentait pas bon pour eux.

Aujourd'hui, vers 18h puisque le club n'ouvrait qu'assez tard et qu'il m'avait fallu terminer un autre dossier, je rentrais dans le Golden Nipples avec ses comptes annuels. J'avais l'intention de voir Viny San James, de lui donner les comptes annuels puis de lui en faire une traduction. Lui expliquait qu'il faisait faillite quoi.

J'ouvrais la porte du club, je comptais directement me diriger vers un coin de la salle où je trouverai quelqu'un pour quémander Viny, ou le trouver directement ce qui serait encore mieux. Mais à part un bar vide et une petite musique d'ambiance en fond, je ne trouvais rien. Je regardais autour de moi, le dossier du club en main.

« Il y a quelqu'un? » demandais-je d'une voix hésitante, entre parler normalement ou hausser la voix pour me faire entendre plus loin.

Je me retournais en entendant des bruits de pas dans mon dos et découvrir une fille qui, il fallait l'avouer, était très jolie en son genre.

@ Billy Lighter

En me retournant, je faisais face une magnifique femme. Je ne sais même pas si ce terme n'était déjà pas avilissant pour la sublime créature qui se trouvait devant moi. Sublime créature, encore un euphémisme.

« Bonjour » disais-je en la voyant arriver même si je ne savais toujours pas à qui j'avais affaires.

« Bonjour ! Vous devez être Monsieur Anson ? On m’avait prévenu de votre visite… Suivez-moi, nous pourrons parler plus aisément dans le bureau. Monsieur San James vous avait avertit qu’il serait absent et que vous traiteriez avec moi ? »

Bon, voilà qui était fait. Elle m'avait à peu près tout dit d'une traite et je n'avais eu le temps que d'acquiéscer lorsqu'elle m'avait identifiée comme monsieur Anson et de m'humecter les lèvres avant de la suivre vers son bureau tant elle me semblait speedée.

Je rentrais alors dans le bureau de Viny que j'avais déjà pu voir par deux fois avant. On avait déjà eu l'occasion de se voir quelques fois pour diverses raisons, comme pour un problème d'amortissements sur un bien meuble qui avait été mal fait... Enfin, j'avais bien compris que l'ancien comptable avait voulu contourner une règle pour faire des économies... Mais tant qu'à tricher, autant le faire dans les règles de l'art et ne pas se faire coincer. J'avais donc demandé des éclaircissements là-dessus et réussi à, tout en le faisant de manière correcte, lui faire gagner quelques dollars d'économies supplémentaires.

« Il ne m'a rien dit du tout... » répondais-je à propos de Mr San James qui aurait dû me prévenir. En plus, je détestais les surprises de ce genre. J'avais l'impression de perdre mes moyens le temps de me faire à cette nouvelle situation. Mais je finirai bien par m'y faire.

Je m'asseyais sur la chaise en face du bureau comme me l'avait proposé la jeune femme d'un signe de main, mon dossier toujours en main. Je lâchais un soupir, le temps que l'on s'installe tous les deux. J'avoue ne pas trop oser la regarder dans les yeux. Il y avait quelque chose d'hypnotique dans cette femme. Je préférais éviter tout contact visuel avec elle, le temps d'avoir une certaine contenance.

Mais je faillis m'étrangler en l'entendant sortir une phrase si désinvolte même si elle me fit sourire, une fois la surprise passée. Sa question était un peu osée et surtout... Très spéciale.

« Malheureusement, je n'aime pas trop les lapins... Et je n'ai aucun attrait pour la magie... » J'avais toujours un sourire aux lèvres et je risquais un bref regard vers elle.

Je reprenais mon sérieux et déposais le dossier devant elle.

« Voici les comptes annuels, je vous laisse regarder... » Et vous faire votre propre avis.

J'attendais quelques minutes, le temps qu'elle ouvre le dossier, feuillette les pages qui ne comportaient pratiquement que des chiffres et des titres qui devaient avoir l'air tout aussi chinois.

« Vous avez quelques notions de comptabilité... ? Madame euh... ? » Je ne connaissais toujours pas son nom, du coup, je laissais ma question en suspens. Si elle ne connaissait rien à rien à ce que voulait dire tous ces chiffres dans les comptes annuels, j'allais lui faire un petit topo de ce que traversait désormais le Golden Nipples Club.

@ Billy Lighter

La jeune femme ferma les comptes annuels et le repoussa dans ma direction. Ses doigts soigneusement manucurés tapotaient la surface plane du bureau avec rythme. Elle me semblait être une véritable pile électrique, même après seulement 2 minutes en sa présence.

On se regardait comme ça quelques secondes, seul le bruit de ses ongles contre le bois du bureau contrastait avec le silence qui s'était installé.

« Bon… Et avec la soirée de ce soir qui tombe à l’eau, j’imagine que je peux déjà mettre la clé sous la porte ?  Que me suggérez-vous maintenant ? On abandonne le Burlesque et on donne dans le striptease, vulgaire mais vendeur ? »

Je me laissais partir en arrière, mon dos se posant contre le dossier de la chaise. Je réfléchissais un moment. Je ne savais pas vraiment quoi dire. Mon boulot était de tenir à jour les chiffres dans la comptabilités suite aux différents documents administratifs et factures... Pas de faire un plan managérial pour le Golden Nipples Club.

« C'est une bonne question... »

Je jetais un regard sur le bureau, laissant le silence revenir quelques secondes.

« Il va falloir trouver quelque chose... Je ne pense pas que faire dans le strip est une bonne idée pour le club. Le Golden Nipples a quand même une bonne réputation... Mais reste à trouver des idées innovantes pour ramener de nouveau plus de monde... Ou alors revendre le club à quelqu'un que cela pourrait intéresser et qui continuerait ou pourrait investir... Un associé éventuellement. »

Je me creusais les méninges mais je ne trouvais aucune bonne idée à exploiter... Franchement, les bars burlesques n'étaient vraiment pas mon genre non plus. Ça ne m'aidait donc pas plus que ça.

« Il faudrait peut-être que monsieur San James tente de trouver de nouveaux investisseurs pour remonter votre fond de caisse. Et effectivement, essayer de trouver des nouveautés qui pourraient plaire à plus de monde... »

Crystale avait parlé d'une soirée juste avant...

« Vous avez une soirée qui tombe à l'eau? De quoi s'agissait-il? »

@ Billy Lighter

Sonne répondit à ma question, vendant la soirée comme une parfaite publicitaire avant de tomber dans les sombres détails qui feront probablement de cette soirée un fiasco monumental pour le Golden Nipples. Je pinçais les lèvres à l’entendre, mal à l’aise pour Sonne qui allait très probablement finir sans emploi à travers cette terrible histoire. Je me sentais juste désolé pour cette jeune femme qui semblait pourtant avoir du répondant et un charme certain pour pouvoir aller de l’avant.

De mon point de vue, le club aurait tout gagné à être dirigé par une femme comme elle, pleine d’entrain et de dynamisme. Sa tête semblait pleine d’idées et de projets aussi fous qu’ils ne pouvaient qu’être bons s’ils étaient rondement menés. Mais malheureusement, nul doute ici que le club serait fermé d’ici quelques semaines voire quelques mois. Viny semblait tellement mal avoir géré cela que malgré mes quelques conseils arrivés tardivement (puisque que je n’avais ce job que depuis quelques mois aussi). Une fois qu’on était sur la pente raide, il était difficile de la remonter la pente. Surtout que le Golden Nipples Club avait déjà entamé sa descente et qu’elle avait pris de la vitesse, il serait encore plus dure de l’arrêter. Sans doute le club avait-il fait son temps.

Sonne me demandait si je ne pouvais pas lui filer un coup de main pour préparer des feuillets pour annoncer à tout ce beau monde que la soirée était annulée, ou du moins, modifiée. Peut-être que les gens resteront et viendront boire un verre supplémentaire, seul l’avenir nous le dira. Il ne fallait pas être défaitiste et je tentais de le montrer à Sonne qui pourtant, semblait bien avoir les pieds sur terre. Elle gardait sa force de caractère, œuvrait avec minutie pour tenter de sauver la soirée comme elle le pouvait ou, en tout cas, pouvoir s’excuser auprès des clients au nom du club. Mais dans ses yeux, on voyait qu’elle ne se faisait pas d’illusions. Pour elle, le club semblait maintenant définitivement mort. Il ne faisait qu’expirer son dernier souffle. Même si l’espoir fait vivre.

Je lâchais un soupir une fois que cette tâche fut derrière nous. Je pensais ne pas prendre autant de temps ici. Pour moi, je comptais voir Viny, lui annoncer la très probable faillite, lui montrer les comptes annuels, donner éventuellement deux-trois détails supplémentaires et m’en aller aussi simplement que je n’étais venu.

« Sinon, on vous à déjà dit que vous étiez franchement mignon vous ? »

Je relevais ma tête vers Sonne et souris à mon tour. Pourquoi n’étais-je pas étonné ? Je venais de passer peut-être deux heures en sa présence et sa franchise ne me surprenait même plus, mais elle me mettait encore à mal car je ne savais jamais vraiment comment réagir.

« Jamais aussi franchement je dois dire. » Je jouais donc le jeu.

Elle me tendis un verre que je pris, me levant à mon tour pour trinquer avec elle.

« Au Golden Nipples Club ! »

Qu’il fasse faillite ou qu’il remonte la pente…

@ Billy Lighter