Remontant l’allée centrale de l’amphithéâtre vers la sortie, sans me presser, mais sans traîner non plus, sans surtout regarder en arrière en direction de Maritza, j’aperçus une autre silhouette familière… Une autre silhouette qui, comme Maritza, était tout droit sortie de mon passé à courir les rues de l’Eastside.

Delfino Alvarez.

Il était moins surprenant de le voir ici puisque je l’avait personnellement chargé de garder un œil sur la jeune Olivia Cortez. Cependant, cela restait tout de même étonnant à mes yeux : le latino devait s’être considérablement rapproché de ma fille… Sans que je ne le sache pour autant.

Les rencontres entre lui et moi étaient extrêmement difficiles à organiser et ce pour plusieurs raisons. Je l’avais placé chez MTI aussi sûrement que je ne l’avais proclamé protecteur d’Olivia et… il n’était qu’un roadie… Pourquoi irais-je voir un roadie ? D’autant qu’Olivia semblait en excellente santé et épanouie… attachée à son manager plus que je ne voulais bien l’accepter.

Pourquoi serais-je amoureux d’une fille de l’Eastside ?

Je marchai jusqu’à me retrouver côte à côte avec Alvarez qui se dirigeait également vers la sortie, sans le regarder… Comme si nous nous étions retrouvés dans cette position simplement par hasard.

Pas besoin de le frôler, de me manifester par un léger coup de coude ou autre. Non… Delfino et moi, on se connaissait depuis que le latino avait 15 ans et qu’il en était encore à s’entraîner à déterminer quel était le meilleur public cible pour vendre la dope du chef des Los Diablos de l’époque.

Nous aurions été dans l’Eatsside, j’aurais passé mon bras autour de ses épaules. Nous aurions été dans l’Eastside, je lui aurais proposé une cigarette ou une bouteille de ce vin qu’il appréciait.

Mais nous n’étions pas dans l’Eastide. Désormais, nous marchions sur le fil tendu entre mon passé et mon présent, entre la vraie vie et l’apparence d’existence de la jet-set.

Un pas de travers et je risquais d’emporter Maritza et Olivia avec moi dans ses recoins les plus sombres… Sous les paillettes.

Je parlai, toujours sans regarder le latino, les yeux se posant naturellement devant moi.

-Delfino… Réponds-tu toi aussi à une invitation d’Olivia Cortez ?

Je ralentis le pas, forçant par-là mon vieil associé à faire de même. Il fallait que nous parlions peu, mais que nous parlions bien.

@ Billy Lighter

Le spectacle avait été éblouissant et je n’avais qu’une seule envie, c’était de féliciter Olivia et ses camarades pour le travail qu’ils avaient fait. J’avais dans l’idée d’aller chercher quelques chips avant de rejoindre les coulisses pour les félicitations et le démontage des éléments de la scène.

Les chips étant dans le couloir en dehors de l’amphithéâtre, je m’étais dirigé vers la sortie avec un sourire aux lèvres. J’étais content pour Olivia et j’espérais qu’elle se soit bien amusée pendant toute la pièce. Peut-être que Fairfax fera une autre pièce l’année prochaine et que je pourrais, à nouveau, voir Olivia se produire. Ce n’était pas à exclure.  

J’étais heureux et dans mon monde, c’est pour ça que je n’avais pas vu, tout de suite, que Jimmy Reed marchait presque à mes côtés. Je ne l’avais pas rencontré depuis qu’il m’avait donné comme mission de veiller sur Olivia. Je ne l’avais même pas mis au courant de la mésaventure de sa fille dans l’Eastside. Je savais, seulement, qu’il veillait sur sa fille en quelques sortes. Il me l’avait prouvé en venant ce soir et en commanditant l’agression d’Howard Stone. Sa puissance et son influence était énorme mais il était, aussi, très surveillé par la presse people. Dans ces conditions, c’était difficiles pour nous de se rencontrer à l’abri des regards. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était se téléphoner et c’était assez pour lui passer les informations importantes. Pourtant, je ne l’avais pas fait quand Olivia avait pris de la drogue car je me voyais mal le faire… Je n’étais pas un mouchard et Jimmy Reed le savait. Je veillais sur Olivia pour Jimmy, je n’étais pas une taupe pour Jimmy.

Le boss de BSC ne m’avait pas regardé mais il me parlait. Je regardais le sol.

-Oui. Elle m’a invité comme bénévole et m’a fourni des places. Nous sommes amis.

J’avais ralenti le pas quand il l’avait fait. Jimmy Reed savait être discret quand il le fallait.

-Elle va très bien. Elle est heureuse. C’est une jeune femme épanouie et talentueuse.

Il avait pu voir son talent ce soir. Tout père aurait été fier de voir sa fille se produire ainsi sur scène. Jimmy Reed n’imaginait pas la chance qu’il avait d’avoir Olivia Cortez comme fille.

-Je suis étonné de te voir ici…

J’étais content aussi. J’espérais qu’il réponde à l’appelle de sa fille que tout le monde avait pu entendre sur son single.

@ Billy Lighter

Delfino baissa les yeux, comme pour être sûr de ne pas les tourner vers moi. Nous avions l’habitude de ce genre de conversation où les regards ne se croisaient jamais. Les meilleurs dealers employaient cette technique avec leurs clients car une patrouille de police passant même à vitesse réduite en voiture n’y voyait alors que du feu. C’était tout aussi efficace pour tromper les objectifs des paparazzi bien que je doute qu’il y en ait ici, ce soir.

Je demandai à mon associé de longue date si, lui aussi, répondait à une invitation de ma fille. Ce à quoi il répondit bien au-delà de mes espérances. Delfino avait une façon de fonctionner bien à lui, un mélange de ce qu’il avait appris auprès des Los Diablos et de ce qu’il avait pu retirer, bien que tardivement, de l’éducation que sa mère lui avait donnée et qui portait également le doux nom de Maritza.

Pour faire simple, il avait tiré le meilleur parti de ses expériences et de la bonté naturelle qu’il avait en lui. C’était pour ça que je l’avais choisi comme protecteur de Livia. Jamais je n’aurais confié une telle mission à quelqu’un comme Alonso. Il fallait savoir choisir les bonnes personnes pour la bonne mission.

Delfino m’avoua avoir réussi à faire de ma fille une amie. Je hochai la tête. Voilà pourquoi il était le bon choix : Delfino faisait sa mission naturellement… Il ne la faisait plus pour moi, mais pour Olivia.

Il était mon premier héritage envers ma fille.

J’avais fait ralentir notre progression et mon silence força le latino, comme c’était le cas avec la majorité des gens, à parler pour combler le blanc. Il m’annonça qu’Olivia allait bien, qu’elle était heureuse et épanouie en plus d’être talentueuse. Je souris. J’avais pu voir ça de mes propres yeux ce soir : Howard Stone n’avait même pas réussi à égratigner la jeune fille.

Mon sourire devait être pris par Delfino comme une récompense. J’étais satisfait de lui, il menait sa mission à bien et de la plus belle des façons : avec l’accord encore inconscient d’Olivia.

Je réprimai encore une fois l’envie de poser une main amicale sur l’épaule de Delfino lorsqu’il dit, sans poser de question, qu’il était étonné de me voir ici. Il savait que les questions n’étaient pas forcément le meilleur moyen d’obtenir des réponses. Bien au contraire…

-Ne le sois pas, mon ami… Los Angeles tout entier à entendu l’appel de Livia sans en comprendre un traitre mot.

Je souris et, maintenant que la majorité du public était parti devant nous, nous dépassant sans presque nous prêter attention, je le regardai dans les yeux une seule seconde avant de river à nouveau mon regard vers la sortie, les mains dans les poches.

-Mais toi et moi savons que je me dois d’honorer les talents de cryptographe de la jeune chanteuse.

Je laissai tomber brusquement mon ton amical pour reprendre celui du leader né que j’étais :

-Trouve Livia. Emmène-là dans la salle d’attente de l’infirmerie et dis-lui d’attendre.

Il n’y aurait personne là-bas à cette heure-ci. Je regardai encore une fois Delfino.

-Il est temps.

Puis, je repris une vitesse de marche normale, dépassant Delfino pour sortir de l’amphithéâtre.

@ Billy Lighter

Je savais que Jimmy Reed s’était approché de moi pour avoir des nouvelles d’Olivia, sa fille. Olivia avait bien grandi depuis notre toute première rencontre. Certains évènements de sa vie l’avait fait grandir un peu plus vite. J’aurais voulu lui éviter ça mais je n’avais pas pu. Je n’avais pas été assez attentifs aux signes pourtant visibles dans la presse en ce qui concernait Stone. Olivia avait réussi à se relever de ça sans mon aide. Elle était bien entourée, ce qui contribuait à sa réussite.

Jimmy était souriant. Il était content de mon travail, je le voyais dans son regard. Je n’osais pas lui parler des derniers détails comme celui de la prise de drogue d’Olivia et de Stone. Je pense que c’était inutile et de plus, sans l’accord d’Olivia, je me voyais très mal en parler.

Ce qui m’étonnait, par-dessus tout, c’était la présence de Jimmy Reed. J’espérais qu’il soit là pour Olivia et Olivia seule. Pas seulement pour cette histoire de mécénat. Olivia méritait que son père s’intéresse à elle. Jimmy devrait être fier de l’avoir comme fille.

Jimmy était là parce qu’il avait entendu l’appel d’Olivia que bien d’autres n’avaient pas vraiment compris parce qu’ils ne connaissaient pas la fille. J’entendais que Jimmy était fier d’Olivia et de ses talents.

-Elle est douée, en effet. C’est une jeune femme exceptionnelle.

Je n’avais que des bons mots pour Olivia. J’étais heureux d’entendre de la fierté dans la voix de Jimmy qui, soudain, avait pris un tout autre ton pour me demander d’isoler Olivia. C’était une demande qui m’avait surpris et qui me mettait dans une position délicate.

-D’accord…

C’est tout ce que j’avais eu le temps de dire avant que Jimmy ne reprenne une cadence normale de marche pour me planter ici. Je m’étais arrêté de marcher. Si j’isolais Olivia et que Jimmy apparaissait devant elle, elle allait faire le lien entre moi et son père. Elle allait se douter que je lui avais menti. C’était difficile mais avais-je vraiment le choix ? C’était l’occasion pour Olivia de rencontrer son père. Je ne pouvais pas faire capoter cette rencontre pour que ma relation avec elle soit préservée. C’était un sacrifice pour la bonne cause mais un sacrifice quand même. J’étais amer à cette idée.

Je devais faire un choix rapidement et ce choix me paraissait évident. Olivia devait rencontrer son père. Son single criait qu’elle désirait cette rencontre.

Je n’avais pas le choix.

@ Billy Lighter