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- Qu’est-ce que tu fous, sale flic ?! Dégage de là ou j’te crève !
Ça fait déjà un petit moment que les menaces et les insultes ne me font plus rien, mais je prends tout de même une seconde pour me tourner en direction du visage furieux du Hell’s Angel qui serre déjà les poings prêt à se battre. L’homme est énorme. C’est un colosse, un géant presque, il fait deux bons mètres de haut et bien deux fois ma largeur et j’imagine que je suis censée avoir peur de lui ; mais je n’ai peur de rien. Enfin, c’est ce que j’essaie de faire croire car je me dis sans cesse que je dois représenter une sorte d’idéal pour les gens – l’image de la flic un peu froide mais avenante, brave à la limite de la témérité, qui ne craint rien ni personne, dévouée, parfaite d’une certaine façon.
Et même si je suis loin d’être parfaite, j’essaie de me conforter à cette image, à ce fantasme.
- T’as entendu, chicana ? Fous l’camp !
Le biker a fait un pas vers moi – instinctivement, j’ai fait un pas pour le côté pour éviter de me retrouver collée à lui ou coincée entre lui et sa bécane mal garée. Comme ça, je peux toujours m’enfuir si jamais la situation dégénère sans avoir à lui tourner le dos et risquer de me faire planter – même si je ne considère jamais la fuite comme une option valable car moi, je suis plutôt le genre de femme à affronter tous mes problèmes, quels qu’ils soient. C’est comme ça que j’ai toujours agi, au boulot comme dans la vie ; je suis du genre à penser que ça ne sert à rien de fuir ce qui nous fait peur, les mots qu’on craint d’entendre, les situations compliquées, car on doit s’y frotter à un moment ou à un autre – alors autant faire en sorte que ce soit le plus tôt possible, hein ?
Enfin … ça c’est ce que je me dis pour me rassurer et me persuader que je suis meilleure que je ne le suis réellement. En réalité, il y a quand même des choses qui me font douter, d’autres qui me font peur, des vérités que je redoute de révéler et d’autres que je n’ai pas envie d’entendre. Mais … c’est le genre de choses auxquelles je n’aime pas penser, et j’imagine que c’est pareil pour tout le monde.
- Je ne fais que mon travail monsieur, finis-je par dire au biker d’un ton calme mais ferme.
Comme si ça allait changer quelque chose … ce type m’a pris en grippe et je ne peux pas changer ça, sauf si je retire la contravention pour stationnement illégal, ce que je ne compte pas faire même si les Hell’s Angels ne les payent jamais. Je suis comme ça … quand je me mets quelque chose en tête, impossible de me l’en enlever. Même si c’est une mauvaise idée et que je dois en assumer les conséquences après. Tant pis. C’est arrivé souvent et je ne doute pas que ça arrivera encore. Ça ne me fait pas peur.
- Qu’est-ce j’en ai à foutre, moi ? me répond le biker, cette bécane est aux Angels, personne a le droit de la toucher à part nous. Ça inclut les flics, puta ! Dégage !
Dégager ? Hum, non … même si je risque que ça se termine mal pour moi, je ne lui ferai pas ce plaisir. Je n’ai pas froid aux yeux, certains diraient même que je suis inconsciente, mais c’est comme ça, j’aime l’adrénaline, prendre des risques. On me le reproche parfois – non, on me le reproche souvent, en fait, car en tant que flic on ne doit pas prendre de risques inutiles, mais les protocoles et les règlements ne doivent pas toujours être suivis à la lettre, si ? Tant qu’on est sûr de ce qu’on fait et qu’on est prêt à assumer les conséquences de ses actes … suivre bêtement le protocole, même si c’est quand même ce que je fais la plupart du temps, ce n’est pas forcément pour le mieux. Ce qu’il faut c’est se fier à son instinct et à son intuition ; je crois - ce n'est peut-être pas une bonne façon de voir les choses.
Et ici, mon instinct me dicte de faire un pas vers le biker et de le dévisager malgré l’énorme différence de carrure entre nous deux. Alors je m’exécute, me poste en face du géant, le fixe de mes yeux noirs, les bras croisés.
- T’es … putain t’es sérieuse, là ? Tu tiens vraiment à crever pour quelques dollars ? - Vous ne me faites pas peur, monsieur.
En vrai, si ; car cet homme pourrait me réduire en miettes s’il le voulait, me casser un bras en deux coups de poings, m’étouffer entre ses deux énormes mains, m’éclater le nez d’un revers de main ou autre joyeuseté sanguinolente, même si je sais me battre et que je l’ai prouvé plusieurs fois quand j’étais adolescente, plus impulsive que maintenant et un peu rebelle. Alors il faut que je réussisse à garder le contrôle de la situation. Si c’est vraiment moi qui l’ait – je n’en suis vraiment pas sûre pour le coup.
- Ben merde alors, t’en as des couilles, toi, pour une gonzesse ! Marrant ça … c’est ce que je graverais sur ta tombe, j’pense.
Le biker me regarde toujours aussi durement, mais il esquisse désormais un léger sourire – est-il amusé de mon impertinence ou est-ce simplement un rictus de satisfaction alors qu’il pense à la manière dont il va me tuer, de la manière la plus douloureuse possible ? Je ne sais pas, mais j’espère vraiment qu’il s’agit de la première possibilité car sinon notre confrontation trouverait une issue fatale pour l’un d’entre nous – si il levait la main sur moi je serais obligée de me défendre et, Etats-Unis oblige, de sortir mon arme ; je m’éloignerais de lui d’un bond en arrière, viserais sa poitrine alors qu’il court vers moi, tirerais deux fois et le tuerais à coup sûr – parce qu’à cette distance il me serait difficile de le rater, qu’il ne penserait pas à se protéger et que je ne rate jamais ma cible. C’est un peu effrayant, d’ailleurs, mais j’ai un don avec les armes. J’ai déjà tué, plusieurs fois, et même si je n’y ai pris aucun plaisir parce qu’à chaque fois c’était ma propre vie ou celle d’un innocent qui était menacée, je le referais à nouveau si je n’avais pas le choix. Or, là j’avais encore le choix ; sans compter que le tuer, au-delà d'être assez inutile au final, serait un vrai cauchemar au niveau de la paperasse.
- Oh et puis merde ! lâche le biker, fais ce que tu veux, je m’en fous. Tu vas me donner mal à la tête avec tes conneries.
Ouf ! Il s’éloigne, l’incident est terminé. Autour de nous, un attroupement s’est formé, qu’il faudra que je disperse rapidement. Certains me regardent un peu médusés, d’autres sont clairement déçus qu’il n’y ait eu aucune goutte de sang versée, d’autres encore se marrent pour je ne sais quelle raison. Merde … c’était assez éprouvant, en fait. Heureusement que cela ne se passe pas toujours comme ça et que je laisse retomber toute la pression accumulée lorsque je rentre chez moi et retire mon uniforme.
Une autre facette de moi apparaît alors, mais ça c’est quelque chose qu'on doit découvrir par soi-même. |