Je tapais sur le gros sac dans la petite salle de sport de la pas si petite que ça maison de Ricardo, mon nouveau beau-père. Ça faisait un an que ma mère filait le parfait amour avec le chef des Los Diablos. Il avait au moins 15 ans de plus qu’elle et dix centimètres en moins mais je crois que son désespoir était tel qu’elle s’accrocherait à n’importe quel homme tant elle détestait vivre seule avec moi.
Et j’étais loin d’être contre ça… Parce que contrairement aux autres relations de ma mère, celle-ci m’apportait quelque chose. J’avais une grande maison mais aussi un job. Ricardo m’employait dans son gang pour intimider des rivaux. Dès les premiers jours où j’avais vécu ici, il avait décrété que je ferais très bien ce job-là.
Je le faisais bien. Et Ricardo me payait en conséquence. J’aimais cette nouvelle vie.
-Tu t’entraine encore à cette heure-ci ?
C’était la voix d’Oscar… C’était le second de Ricardo. Tout le monde avait peur d’Oscar. Tous les Los Diablos mais aussi tous ceux des gangs rivaux. Normal… Oscar était celui que Ricardo envoyait quand il voulait supprimer quelqu’un. Il était craint par tous.
Pas par moi.
Parce qu’Oscar, pour moi, était celui dont Ricardo avait donné la mission de m’entrainer.
« Je veux en faire un soldat dans ton genre. Il a déjà le regard de tueur mais c’est tout...»C’est ce que Ricardo avait dit à Oscar. Pour le « c’est tout » il parlait de ma carrure, je pense. J’avais 14 ans… Mais Ricardo n’avait pas de patience.
Tout ça pour dire que si pour tout le monde Oscar était un tueur dépourvu du moindre sentiment, moi, dont il était l’entraineur, je savais qu’il n’en était rien. Il tuait parce que c’était sa mission mais il disait qu’il n’aimait pas ça. Qu’il le faisait parce qu’il avait une bonne place ici et qu’il gagnait largement assez que pour bien vivre avec sa femme et sa fille de 19 ans.
Les latinos crèveraient pour faire bien vivre leur famille…
J’arrêtai de frapper sur le sac et me retournai vers Oscar.
-Ouais… Je n’ai que ça à faire.En vrai, j’y avais pris goût. Frapper sur des sacs, j’aimais ça… Frapper sur des gens, j’aimais encore plus ça. Et mieux je frappais sur les sacs, mieux je frappais sur les gens.
Il sourit et s’installa sur une chaise les bras croisés à me regarder faire. Je me remis à frapper sur le sac sachant très bien qu’il allait démarrer une conversation. Ce type aimait parler. En fait, il se prenait pour un véritable mentor. Comme si cette nouvelle mission que lui avais donné Ricardo valait plus que toutes les autres. J’ai très vite compris ça… Mais j’ai aussi très vite compris qu’Oscar pouvait m’apprendre beaucoup de choses. Comment frapper pour que ça fasse mal était sûrement la meilleure leçon qu’il soit. Comment encaisser aussi… Parce qu’en entrainement, c’était loin d’être un tendre.
Du coup, je jouais à l’élève attentif et appliqué. Je mimais tout un panel d’émotions pour montrer tout mon intérêt dans tout ce qu’il disait jusqu’à rire à ses blagues quand il en faisait.
Je savais tout de l’homme qu’il était… Mais pour lui, j’étais qu’un petit gamin avec du potentiel pour devenir un bon Los Diablos rallié à la cause.
Même si… Même s’il avait noté une gosse lacune :
-Tu as fait ce que je t’ai dit ? Tu es allé t’amuser avec les autres aujourd’hui ? Les autres Los Diablos…C’était ça la lacune… Il me trouvait déconnecté des autres membres du gang. Il croyait que c’était parce que je n’étais pas un latino et que je n’étais pas « né » dans le gang.
En réalité, c’est parce que je ne les aimais pas. Ils étaient stupides. Alonso le premier.
Je fis une moue et frappait une fois sur le sac en disant :
-Non…Non, je n’avais pas fait ce qu’il m’a dit. Je n’en avais pas envie. J’avais bien trainé autour des Los Diablos aujourd’hui… Ils étaient tous en train d’écouter causer un type aussi blanc que moi. Je ne connaissais pas ce type. C’était pas un Los Diablos. Mais Alonso et compagnie semblait s’amuser avec lui.
Oscar soupira.
-Ward… Tu travailles pour ce gang… Mais il faut aussi en faire partie. Un gang c’est comme une famille…
Ouais… Non… Un gang, c’est juste une organisation qui permet à celui qui en est le chef de s’en mettre plein les poches en vendant des trucs qu’on ne peut pas acheter au magasin. Toutes ces histoires de codes, c’était juste pour rallier les paumés et les abrutis. Je n’étais ni l’un, ni l’autre.
-Sinon, ils ne te respecteront jamais. Pour eux, tu ne seras que le beau-fils du boss qui se tape des thunes juste pour ça. Si tu ne leur parle jamais, tu ne seras jamais réellement un Los Diablos.
Et alors ? Ils pouvaient croire ce qu’ils veulent. Je ne les aimais pas. Ils ne m’aimaient pas. Et ils ne m’aimaient déjà pas avant ça.
Mais ça n’était pas ce qu’Oscar voulait entendre… Alors je soupirai et baissai la tête avant de dire :
-D’accord… Je ferais un effort.
Il sourit satisfait et je me remis à frapper sur le sac. Il me regardait, me conseillait et après une demi-heure, je finis par m’arrêter pour boire un coup d’eau. Je bus avant de me retourner vers Oscar.
-Oscar… Je peux te poser une question ?Il me regarda, croisa les bras et sourit.
-Vas-y…
Je bus un coup d’eau et le fixai droit dans les yeux.
-Ça fait quoi de tuer ?Je voulais savoir ce que ça lui faisait. Je voulais savoir si c’était ce que j’imaginais dans ma tête. Parce que je n’avais jamais tué. Pas d’humains, en tout cas.
Son visage perdit son sourire. Il soupira.
-C’est désagréable. Mais c’est une façon de survivre ici. J’ai appris à tuer mais je n’en retire jamais de plaisir. Mais il le faisait quand même. Pourquoi ? Pour les thunes et garder sa famille à l’abri. Comme quoi, ses remords avaient des limites.
-Parfois, tu n’as pas le choix. Il faut le faire… Si tu hésites, ça risque d’être toi qui finiras au cimetière. Alors si jamais un jour tu es dans cette situation de vie ou de mort : n’hésite pas.J’hochai la tête… J’avais bien compris. J’avais tout bien compris.
***
J’étais debout en peu en retrait alors que Ricardo, lui, avait son air les plus sévère. Devant lui et attaché à une chaise se trouvait Oscar… Et à ses côtés, la fille d’Oscar, elle aussi attachée et qui pleurait toutes les larmes de son corps.
Oscar, le grand ami de Ricardo depuis leur enfance, l’avait trahi. Il avait commencé à rallier autour des lui des Los Diablos en vue de faire un coup d’état. Si j’avais bien compris Oscar en avait marre de la façon de gérer de Ricardo et avait essayé de le renverser en douce… Mais Ricardo avait ses alliés fidèles… Et ces ceux-là qui ont vendu Oscar.
Ricardo n’avait pas aimé se faire trahir… Et nous voilà… Ici… Dans une des planques des Los Diablos devant Oscar et sa fille.
Pourquoi je suis là, déjà ? Pourquoi je ne suis pas resté à la maison ?
Parce que Ricardo ne m’avait pas laissé le choix.
Et vous savez quoi ? Tant mieux. Parce que j’avais envie de voir la suite…
-Tu sais le prix de la trahison, Oscar. Tu sais ce qu’il va t’arriver.Ricardo était ferme et fixait son ancien ami. Il avait un pistolet en main. Certainement celui qu’il allait utiliser pour descendre Oscar et sa fille. En commençant par la fille si je comprenais bien la logique de Ricardo. Sinon, je ne voyais pas bien l’intérêt de l’avoir capturée.
Elle pleurait d’ailleurs… Et je détestais le vacarme qu’elle faisait en pleurant.
-Oui, je le connais ! Mais s’il te plait, laisse ma fille en dehors de ça !En colère et angoissé, c’était ce qu’était Oscar qui venait de cracher cette réplique entre ses dents.
-Non. Ta fille, payera aussi. Tu croyais pouvoir tout avoir… Et bien tu vas tout perdre. Avant de mourir, tu vas la voir mourir.
Oscar gesticula et cracha encore entre ses dents :
-Espèce d’enfoiré ! Tu ne vas quand même pas tuer ma fille ?! Tu l’as vue grandir ! On était ami, Ricardo !
Oui, ils étaient amis… Avant qu’Oscar ne fasse des trucs dans le dos de Ricardo…
Ricardo eut un sourire en coin.
-Mais je ne vais pas la tuer…Il s’approcha alors de moi et me mis son pistolet dans la main. Je regardai le pistolet… Puis, je regardais Ricardo. Avant de regarder encore le pistolet.
Ce n’était pas la première fois que j’en tenais un.
Ricardo se retourna vers son ancien ami.
-Mais lui, il va le faire. Ricardo en était persuadé. Ça s’entendait dans sa voix. Moi, je regardais toujours le pistolet. Je le regardais sous toutes ses coutures sentent montrer en moins quelque chose que je n’avais pas encore ressenti distinctement jusqu’ici.
-Quoi ?! Tu vas laisser le gosse faire ça ?! C’est moi qui aie élevé ce gamin ! Tu me l’as confié ! C’est moi qui l’ai entrainé ! Moi qui lui aie donné des conseils ! Tu n’as rien fait pour lui ! Il a confiance en moi ! Il ne fera pas ça. C’est qu’un gosse. Il ne le fera pas !
« Tu ne le feras pas… »J’entendais Oscar… J’entendais mon père… La confusion me fit cligner des yeux.
-Ward… Tu n’es pas obligé de le faire. Si tu le fais, tu vas trainer ça sur ta conscience tout ta vie. Et la fille continuait de pleurer.
Ricardo, lui, riait et fixa Oscar.
-Mon pauvre Oscar. Je crois que tu t’es tellement pris d’affection pour ce gosse que tu n’as pas voulu voir ce que moi j’ai vu les premiers jours où il a vécu chez moi.
Oscar s’arrêta de parler, les yeux écarquillés. Ricardo s’approcha de moi et mis ses deux mains sur mes épaules sa figure près de mon oreille alors qu’il regardait toujours Oscar.
-Vas-y, Ward. Tu peux descendre la fille. Et puis tu descendras Oscar. Ne me déçois pas.
J’entendais la respiration d’Oscar s’accélérer alors que les pleurs de la fille étaient plus forts.
Ils devenaient insupportables.
Je tendis les flingues et alors qu’Oscar semblait s’attendre à ce que j’hésite pour en placer une, je tirais trois fois sur la fille qui cessa immédiatement de pleurer.
-Non ! Pourquoi ?! Non !Oscar criait. Quant à moi… Moi, j’avais toujours le même regard impassible. Par contre, à l’intérieur de moi, je sentis un truc. Un truc que je n’avais déjà sentis en faisant taire à tout jamais Chuck.
Le même truc… En plus fort… Et c’était tellement fort que ça m’arracha un sourire malgré moi.
-Non ! Ma petite fille ! Ward ! Qu’est-ce que tu as fait ?!Il était en colère ? Il pleurait ? Il n’en revenait pas ? Oscar dégageait tout ça en même temps…
Je devais le finir lui aussi. Ricardo l’avait dit… Et de toute façon, j’avais envie de le faire.
Et je le fis. Je tirais sur Oscar trois fois aussi. Mes battements de cœur ne s’étaient pas emballés… Mais je me sentais bien.
Ricardo mis une main sur mon épaule et me reprit le flingue alors que je le tendais toujours vers Ricardo. Je le laissais faire regardant toujours avec une satisfaction sur le visage le corps d’Oscar et celui de la fille.
-Bien Ward… Je crois que je n’ai pas besoin de chercher trop loin pour trouver mon nouveau second.C’était moi son nouveau second. Moi qui serais maintenant celui que tout le monde craindra.