Je ne sais pas combien de temps j’ai regardé Heaven après le départ du chirurgien et des deux flics… Pas longtemps, je pense parce que ma montre indiquait déjà une heure très matinale. Or, des enquêteurs allaient débarquer chez moi dans la matinée…

Il fallait que je mette mon plan à exécution. Pour ça, je dus quitter Heaven pour me rendre à une cabine téléphonique dehors. Aucune envie de téléphoner à partir de l’hôpital où il pourrait il y avoir des oreilles indiscrètes.

Je pris le combiné et entrai le numéro de Yang. Il devait être chez lui à cette heure-ci et ce fut le cas parce qu’il décrocha assez vite.

-Oui, patron ?

Il parlait de sa voix calme et dénuée de toute émotion. Un peu comme la mienne… Même si elle ne fut pas totalement dénuée d’émotion quand je lui racontai tout ce qu’il s’était passé. Chaque fois qu’elle vacillait, ma voix, ça réveillait, à l’intérieur de moi, une rage sans nom. Je détestais perdre le contrôle. Et, ce soir, je l’avais perdu bien trop de fois.

Yang, après mon récit, reprit la parole.

-Vous voulez que je tue Finan Quinn ?

Il croyait que je le téléphonais pour une simple mission d’exécution. En réalité, j’engageais souvent Yang pour ça ou pour me remplacer quand je n’étais pas là pour coordonner les dealers. Mais, ce soir, c’est de l’intimidation que je voulais qu’il fasse.

-Non. Si Sky meurt, je m’occuperais personnellement de Quinn. Ce que je veux, c’est que tu aille chez Otis Washington, que tu le menace de tuer sa famille si jamais il ne va pas chez moi avec de l’eau de javel et un flingue. Il doit casser la fenêtre qui donne sur l’escalier de secours, il doit laver le sol jusqu’à l’arrivée des enquêteurs et, quand ils arriveront il devra être pris de remords et avouer qu’il a tiré sur Sky par vengeance.

Otis Washington était un client des New Soldados. Il avait une grosse dette envers nous mais, aussi et surtout, une femme et deux enfants. Il était une proie facile.

-Dis-lui que quelques années de prisons, c’est mieux que de vivre avec la mort de sa femme et ses enfants sur la conscience.

Yang semblait approuver l’idée. Mais il remarque un trou dans mon plan.

-Par vengeance pour quoi ?

Je fronçais les sourcils réfléchissant à quelque chose qui ne me ferait pas passer pour l’agresseur. Il fallait que je passe entièrement pour la victime. Et j’eus une idée inspirée tout droit de ce looser de Stone.

-Pour ne pas l’avoir payé alors que je lui devais de l’argent pour des paris sur des matchs de boxes. Une grosse somme.  

Yang approuva l’idée. J’étais certain que mon plan allait marcher. Les enquêteurs n’iront pas chercher plus loin. Surtout que la couleur de peau d’Otis allait jouer en ma faveur. Sans compter son passé de South Panthers.

-Vous voulez que je m’assure qu’il y sera bien ?

Non. Ça j’allais le faire.

-Non. Je fais ça.

Et une fois mon plan mis en place, je raccrochai avant de rejoindre Heaven. D’ici, je n’étais pas spécialement loin de chez moi. Je n’avais pas besoin de partir tout de suite. Otis lui, j’en étais sûr, décollera rapidement de chez lui pour finir chez moi. Je savais qu’il tenait à sa famille plus que tout.

C’était sa faiblesse.

Et cette pensée me fit tiquée alors que mon regard était, à nouveau sur Heaven. Je pouvais peut-être aller voir Sky. Mais l’idée de la voir accrocher à une machine ne me plaisait pas.

Il fallait que je garde les idées claires jusqu’à-ce que la menace des flics soit totalement écartée.

Et, une fois qu’assez de temps furent passés, je sortis de l’hôpital pour reprendre ma voiture et me diriger vers chez moi. Une fois arrivé, je vérifiais qu’aucune voiture suspecte n’était dans le coin. Les voitures banalisée de flics, j’avais appris à les reconnaitre avec le temps. Mais aucune n’était dans le coin.

Je grimpai à l’étage et ouvrit la porte pour découvrir Otis, un grand noir tout maigre, en train de laver le sol propre à l’eau de javel.

Il leva son regard sur moi et je refermai la porte à clé derrière moi. Il était entré par la fenêtre désormais brisée. Yang avait dû lui dire d’entrer par là. Il leva la tête vers moi. Je voyais qu’il avait la haine mais il tentait de la contenir.

-Je prendrais combien ?

C’était sa première question. Preuve qu’il était résolu à suivre le plan. Il faut dire qu’il était plus qu’au courant de ce que j’étais capable et qu’il savait aussi que le service de protection de la police avait ses failles.

J’haussai des épaules, le fixant d’un regard neutre.

-Tentative de meurtre sur une femme enceinte… Le jury ne va pas te rater. Trente ans, si tu as de la chance… Mais si Sky meurt, je pense que tu pourras finir dans le couloir de la mort. D’ailleurs, l’un de mes jumeaux est mort. Donc, même si elle ne meurt pas, tu auras peut-être la perpétuité.

Il se figea sur place et ravala sa salive. Je continuai.

-Mais ta famille sera sauve. Je peux même t’assurer que personne ne leur fera de mal. Je m’en assurerais personnellement.

Ça sembla calmer la haine qu’il avait dans le regard. Otis n’avait aucune chance de s’en tirer avec une peine de prison modeste. Ils vont s’acharner sur lui pour son passé de South Panthers, pour sa couleur de peau et pour le fait que Sky était enceinte de jumeaux et qu’un est mort… Il était mon bouc-émissaire parfait.

Et il savait qu’il était coincé. Il soupira.

-Tu as intérêt, Ward. Si quelque chose leur arrive par toi ou quelqu’un d’autre, je déballe tout.

J’hochai de la tête.

-Raison de plus pour moi de tout faire pour que ta famille soit en sécurité et ne manque de rien. Je ne suis pas stupide. Je respecterais notre engagement.

Un engagement auquel je l’avais, en quelque sorte, contraint de suivre.

Il continuait de nettoyer. La pièce puait l’eau de javel mais, avec ça, la police comprendra pourquoi il n’y a pas une seule trace de sang.

Je m’avançai alors de la fenêtre brisée par laquelle Otis était entrée. Je regardai à travers elle sans pour autant m’avancer trop. C’est là que je fronçai les sourcils.

-L’escalier de secours est à deux mètres et demi en dessous ! J’avais dit une fenêtre qui donne directement sur l’escalier de secours !

Otis leva un sourcil.

-Aucune de tes fenêtres ne donne directement sur l’escalier de secours, Ward. L'immeuble est mal foutu. J’ai dû lever les bras pour me hisser mais je fais deux mètres alors ça aide. Ça restera crédible ne t’en fais pas. J’ai déjà escaladé des trucs bien pires que ça.

Mon expression afficha une mine clairement contrariée alors que, à travers la fenêtre, je vis une bagnole de flic qui ralentissait.

Elle allait se garer…

Les enquêteurs…

Déjà ?

Je serrai des dents.

-Et merde !

Otis me fixa.

-Quoi ?

Je me tournai vers lui.

-Les flics sont déjà là !

Pour lui ça ne changeait strictement rien. Il devait être là. Moi, par contre… Il fallait que je sorte et je ne pouvais pas le faire par la porte d’entrée… J’allais tomber sur les flics, sinon !

-Il faut que je sorte.

Otis me regarda d’un air perplexe et… Amusé ? Ouais, amusé. Ce petit enfoiré s’amusait de cette situation.

-Sors par la fenêtre, Ward. L’escalier est juste en dessous.

J’avisai la fenêtre et…

Je n’y arriverais pas. Je le sentais déjà, en mois. Ce sentiment désagréable. Je crachai entre mes dents.

-Je ne peux pas.

Otis leva un sourcil et avait toujours son air amusé.

-Pourquoi ?

Je ne sais pas. Mais Otis m’anticipa.

-Tu as le vertige ? Le terrible Ward Fleming a le vertige ?

Il rigola un peu profitant de cette minuscule vengeance qui était à portée de sa main.

Je le foudroyai du regard et il se tut avant d’enchainer.

-Tu n’as pas vraiment le choix.

Non… J’entendais déjà les flics dans les escaliers principaux. Il fallait que je me lance.

Je m’approchai de la fenêtre d’un pas prudent. Je grimpai sur le rebord alors qu’une nausée me prit. Mon ventre était retourné. Mon cœur battait vite alors que l’escalier, un peu plus bas, me paraissait être à dix mètres plus bas.

Je serrai les dents…

Je n’y arriverais pas…

Mais je n’eus pas le temps de renoncer que je sentis qu’on mon poussai.

Je crus, un moment, que mon cœur allait lâcher… Et le temps que je me rende compte qu’Otis m’avait poussé, j’étais déjà à en bas, sur l’escalier de secours après m’être repris de justesse pour ne pas tomber.

J’ouvris grand les yeux me tenant fermement à la rampe de l’escalier.

Je tremblais…

Je détestais ça…

Mais il ne fallait pas que je reste là…

Alors, j’utilisais ce que ma chute m’avait donné comme adrénaline pour descendre par l’escalier et me retrouver, enfin, les deux pieds au sol. J’avançai… J’avançai longtemps jusqu’à atteindre une autre ruelle vide…

Et là, je me penchai pour vomir tout ce que j’avais dans les tripes.

Je respirais vite alors que mon cœur ne voulait pas se calmer. Je fermai brutalement les yeux alors que ma chute, pourtant ni longue ni douloureuse, me repassait en tête… Et ses images furent bien vite remplacées par Sean qui tombe de la falaise… Sean dans une mare de sang. Je posai mon front contre le mur.

-Stop…

Je murmurais ça avant de taper, un bon coup, ma tête contre le mur m’ouvrant un rien le front.

Je secouai la tête alors que ma respiration se régulait un peu. Mais il fallut au moins trente minutes avant que je me reprenne totalement.

Otis avait déjà dû être embarqué…

Il fallait que je parte…

Il fallait que je retourne voir Heaven.

@ Billy Lighter