La terre avait tremblée et s’était ouvert sous nos pieds.

Ward avait gagné son procès contre Jordan et pas plus tard qu’hier soir, Grant était partit vivre chez son père et sa femme, Sky. Ça donnait un goût amer dans la gorge, d’être forcé d’accepter l’inacceptable et de voir Jordan complètement brisé par en dedans ravaler sa peine. Je ne sentais impuissante et ne pouvais m’empêcher de passer devant la chambre vide.

Au fond de moi, je me sentais coupable. Pendant les rencontre avec la psychologue, je n’avais pas été capable de me ranger complètement derrière mon petit ami parce que je suis ainsi faite. Je n’avais pas été capable de faire ressortir le mauvais chez Ward parce que je ne vois pas que ses mauvais côtés. Pour une fois, LA fois où mon petit ami avait besoin de moi, j’était demeurer fidèle à mes croyances et quelque part, je me doutais que Jordan m’en voulait pour ça. Il n’avait pas voulu que je l’accompagne pendant le procès, fort probablement parce qu’il avait peur que je serve la cause de Ward plutôt que la sienne.

Je passais ma main sur le mur de la chambre de Grant pour en fermer la lumière m ais je ne refermais pas la porte avant de me diriger vers la cuisine. Il se faisait tard et nous n’avions pas encore manger. Je me doutais que Jordan allait me dire qu’il n’avait pas très faim mais pour le principe, je commençais tout de même à éplucher des pommes de terre et apprêter des carottes.

Grant détestait mon ragoût, il aurait refusé de manger et après une longue argumentation, il aurait fini par se servir un bol de céréales, il l’aurait laissé trainer sur la table en prétextant qu’il n’avait pas à faire la vaisselle n’ayant pas mangé le repas servit et qu’il avait dû se débrouiller pour se nourrir. Nos heures de repas n’allaient plus être les mêmes sans le petit pour les animer.

J’essuyais furtivement une larmes du revers de la main alors que je plaçais mon chaudron sur le rond de la cuisinière puis j’y ajoutais un peu de sel et de poivre puis je plaçais le couvercle sur la marmite en calculant le temps que cela prendrait à cuire. Je rinçais mon couteau et ma planche à découper et, par la fenêtre au-dessus de l’évier de la cuisine, je vis Jordan installé dehors, fumant cigarette par-dessus cigarette. Mon cœur se serra en le voyant, presque dans le noir, seul. Le téléphone derrière moi sonna et me fit sursauter. J’allais répondre. C’était Leia qui prenait de nos nouvelles. La discussion fut brève, il n’y avait pas grand-chose de nouveau à ajouter si ce n’était qu’elle réitéra qu’elle et Duncan étaient là pour nous et qu’ils viendraient demain soir faire un tour à la maison pour changer les idées de Jordan.

En gros, l’ambiance était autant lourde que si nous étions en plein deuil. Ce que nous vivions n’était pas tant loin de ça, en réalité. Nous devions faire le deuil de la présence de Grant sans pour autant le faire puisqu’il n’était pas mort. Le plus gros soucis était qu’à partir de maintenant, nous serions toujours inquiets pour lui, il nous serait impossible de nous questionner sur comment il va, s’il mange bien, comment il s’en sort à l’école et malgré ce qu’avait dit Ward à Jordan, nous ne le reverrions pas aussi souvent que nous le souhaiterions. En fait, je craignais que mon ex petit ami ne se fasse une joie de nous accorder un quinze minutes de visite à Grant en s’installant tout prêt de nous comme nous l’avions fait avec Sky.

- Hey…

Je passais par la porte moustiquaire et je m’installais près de Jordan, une bière pour lui et un thé, pour moi.

- Il commence à faire un peu froid, non ? Tu aurais envie qu’on rentre s’installer devant un film ?

@ Billy Lighter

Je ne savais pas depuis combien de temps j’étais là…

Ma maison disposait d’un tout petit jardin, tout juste assez grand pour y installer quelques chaises et une table et pour que Grant puisse s’allonger dans l’herbe avec son carnet à dessin et ses crayons.

Mais Grant n’était plus là. Ward me l’avait arraché hier.

Où était la justice, là-dedans ?

Je fumais clope sur clope… Je savais que la perte de Grant faisait aussi mal à Nell mais je n’osais pas la croiser ou rester avec elle parce qu’à tout moment, mon cœur et ma gorge se serraient et j’étais prêt à chialer…

La dernière fois que j’avais pleuré, c’était au Vietnam, après une mission hautement stressante où on avait perdu des hommes, de bons gars, mais pire encore, on avait tué des civiles, des femmes, des vieux, des gens qui subissaient cette guerre autant que nous… Une sale guerre que c’était…

Jusqu’ici, aucune larme n’avait coulé malgré tout…

Je fus pris d’une quinte de toux… J’en étais à mon troisième paquet de cigarettes sur la journée. Même pour mes poumons habitués à être enfumés, c’était beaucoup trop.

Et je ne pouvais m’empêcher de penser à Grant. Est-ce qu’il était en sécurité ? Est-ce que Ward allait le frapper malgré la présence de Sky ? Et quand Sky ne serait pas là ? Car je savais la jeune babysitter, malgré tout ce que je pensais d’elle, incapable de faire du mal à Grant.

Mais Ward… Je ne lui faisais pas confiance.

J’entendais Nell s’affairer à l’intérieur. Je n’avais pas beaucoup parlé depuis hier soir, quand Ward était venu chercher Grant. C’était à peine si j’avais répondu par « oui » ou par « non » aux tentatives de Nell de démarrer une conversation.

Et j’avais peu dormi, imaginant Ward obliger Grant à dormir dans la cave avec les rats, l’imaginant lui mettre des claques à la moindre contrariété… Tous des trucs comme ça.

Puis d’un coup, le bruit dans la cuisine s’arrêta et c’est là que je réalisais qu’il faisait noir. J’avais pris congé aujourd’hui, incapable que j’aurais été de travailler dans ces conditions. J’avais dit que j’étais malade…

Et je l’étais… J’étais malade de trouille pour Grant.

C’est là que Nell apparut et mis une bière dans mon champ de vision. J’écrasai ma cigarette, en pris une gorgée…

Puis je craquai… Les larmes se mirent à couler et les sanglots suivirent… Je me laissai aller en avant sur la table pour pleurer sur mes bras croisés.

-C’est ma faute ! C’est ma faute ! J’aurais du enquêter mieux ! Maintenant Grant est entre les mains de Ward et Dieu seul sait ce qu’il va devenir à son contact ! J’aurais du faire mieux !

Ma tête toujours cachée par un bras, je tendis une main et attrapai celle de Nell que je serrai.

@ Billy Lighter

Je m’en voulais terriblement pour l’issue du procès. Je ne pouvais faire autrement que de me blâmer en me répétant que si je n’avais pas parlé pendant les entretiens avec la psychologue, ou plutôt si j’avais dit comme Jordan, les choses ne se seraient fort probablement pas passée de la même manière et Grant serait toujours avec nous. Au lieu de ça, il avait souper à la table de son père et de Sky, il dormirait dans son nouveau lit pendant qu’ici, sa chambre était vide et triste. Chaque fois que je passais devant, d’ailleurs, j’avais le cœur qui se serrait et mes yeux s’emplissaient de larmes.

L’ambiance à la maison était inévitablement très lourde, je ne savais plus où me place ni même comment agir. J’avais honte et je culpabilisais et de voir Jordan dans cet état m’était insupportable. Nous n’avions peu parlé depuis la tombée du verdict pour ne pas dire que nous n’en avions pas parlé du tout. J’avais su que Ward avait gagné et qu’il obtenait la garde de Grant immédiatement. Nous n’avions même pas pu terminer la semaine avec lui pour prendre le temps de se dire au revoir convenablement.

Tout avait été beaucoup trop vite, comme si le sol s’était ouvert subitement sous nos pieds et que nous étions depuis, dans une chute infini. Je redoutais le moment où nous allions percuter le sol. L’atterrissage serait encore plus douloureux.

Malgré ça, il fallait continuer de vivre, bien que nous en ayons pas le goût et à peu près pas la force. Je cuisinais tout de même le repas et je donnais des nouvelles à Leia quand elle téléphona mais à mon ton, elle se doutait que nous avions besoin de temps avant de s’ouvrir aux autres. Il faudrait un jour où l’autre faire un pas vers l’avant. Leia et Duncan s’étaient eux aussi attachés à Grant et il y avait Conrad, le binôme et ami de Jordan qui serait lui aussi triste d’apprendre ce qui se passait pour nous en ce moment.

Je pris ce qui me restait courage d’une main et une bière de l’autre et je rejoignis Jordan dehors et d’une petite voix, je lui proposais de rentrer pour qu’on s’installe devant un film. Il n’aurait pas besoin de parler sil en avait pas envie mais ce serait mieux que de rester dehors alors qu’il commençait à faire froid. Je m’attendais presque à ce qu’il me dise de le laisser seul mais au lieu de ça, il s’effondra sur la table et pleura à chaudes larmes.

- Oh, Jordan…

Je me levais pour m’agenouiller au côté de sa chaise et je passais mon bras par-dessus lui et lui caressais le dos de haut en bas. De l’entendre pleurer me fis pleurer moi aussi. Il s’en voulait de ne pas avoir su mener l’enquête sur Ward et trouve quelque chose d’assez consistant pour l’incriminer, en plus de s’inquiéter pour l’avenir de Grant.

- Ce n’est pas ta faute, Jordan. Tu as fait ce que tu pouvais, ce que tu croyais être juste. Si j’avais dit comme toi chez la psy, tout aurait été différent. C’est de ma faute à moi, parce que je n’ai pas été capable de parler contre lui.

Maintenant, je devais vivre avec ce poids sur ma conscience. Les belles valeurs que je défendais depuis toujours venaient de nous éclater au visage, à Jordan et à moi et elles avaient détruits la vie de mon amoureux.

- Je ne sais pas comment tu pourras me pardonner pour ça… mais je suis désolée Jordan !

@ Billy Lighter

Je tenais toujours la main de Nell quand celle-ci se leva de sa chaise pour s’accroupir tout près de moi alors que je craquais littéralement. J’en voyais, des choses pas cool dans mon travail : la misère, la violence, la Mort… Mais là, perdre Grant, c’était la goutte qui faisait déborder le vase…

J’aimais Nell comme un fou, je voulais, un jour, fonder une famille avec elle. Mais je m’étais attaché au garçon comme si c’était mon propre fils. Et en plus, en perdant le petit, j’avais aussi failli à tenir le serment que j’avais fait à sa mère décédée.

Et puis… même pour Grant, c’était injuste. Il avait dit au juge qu’il voulait une garde partagée entre moi et Ward, ce qui m’aurait permis de savoir si Grant se plaisait bien chez son père et Sky… J’aurais pu voir s’il était maltraité, battu ou pire… J’aurais pu surveiller et surtout, passer du temps avec Grant, continuer à lui inculquer mes valeurs.

Parce que Ward, lui, n’avait aucune valeur, aucune morale. Il m’avait suffi de voir son sourire mauvais tout au long du procès ! Le juge n’avait pas vu ça ?! Il n’avait pas vu que c’était une véritable mascarade ??

Nell s’en voulait, elle pensait que c’était sa faute si on avait perdu Grant alors que je pensais que c’était la mienne.

En fait, ce n’était notre faute ni à l’un, ni à l’autre.

Je me repris un peu et me redressai pour, les yeux toujours emplis de larmes, prendre le visage de ma bien-aimée entre mes mains. Je tremblais un peu…

Je crois que jamais je n’avais été aussi triste…

Je crois que jamais je n’aurais cru que la perte de Grant me ferait autant de mal.

-Ce n’est pas ta faute, mon amour… Son avocat était trop fort, un des meilleurs de sa catégorie… Et le pire, c’est qu’il l’a eu pour quasi rien ! Il a juste eu de la chance ! La chance de tomber sur Maître Louis en pro bono…

La tristesse faisait tout doucement place à la colère alors que je voyais encore Ward et son sale petit sourire de vainqueur.

-S’il n’avait pas réussi à faire tomber l’évaluation psychiatrique de Ward, ils auraient constaté que c’est un véritable psychopathe et on aurait pas perdu Grant.

Une grosse larme roula sur ma joue déjà mouillée par toutes celles qui avaient coulé avant celle-là.

-Je n’ai rien à te pardonner. Parce que tu n’as rien à te reprocher. Parce que je t’aime. Et je veux que tu sois la mère de mes enfants.

Je la regardai dans les yeux et réussi à sourire un peu…

-Tout ce que j’espère, c’est que Grant sera heureux, où qu’il soit… Mais ce dont j’ai peur, c’est que Ward le maltraite ou en fasse… quelqu’un comme lui… Ça, ça me fait très peur.

@ Billy Lighter

Voir Jordan me crevait le cœur d’autant plus que je me savais responsable en grande partie de son malheur. J’avais cru à tord que la justice verrait les intérêts de Grant au travers des yeux de Jordan et qu’elle n’avait pas besoin que je trahisse mes valeurs en accablant Ward davantage que sa réputation ne le faisait elle-même. J’aurais pourtant dû me douter qu’il faudrait plus que le testament de Daisy pour valider ses dernières volontés et que les bonnes intentions de mon petit ami ne pesaient pas lourd dans la balance quand sur l’autre plateau, se tenait le lien biologique de Ward. C’est ce que Maitre Louis avait mis de l’avant et c’est ce que je juge avait retenu, balayant du revers de la main la demande de Grant.

Si la poire avait été coupée en deux, est-ce que la situation aurait été plus facile à accepter ? Je croyais bien que oui. Du moins, Jordan et moi aurions pu continuer de prendre soin et d’aimer le petit plutôt que de s’inquiéter pour lui et de l’aimer de loin. C’était crève-cœur que de se lever chaque jour en se demandant s’il allait être déposer en classe et d’aller au lit le soir sans lui avoir souhaiter bonne nuit tout en sachant qu’il allait attendre de ne plus entendre de bruit pour se relever et allumer sa petite lumière de chevet pour lire clandestinement quelques comics.

Notre vie avait été amputé d’un morceau inestimable et c’était de ma faute, c’était une évidence que je ne pourrais jamais porter sur mes frêles épaules. Voir la tristesse dans le regard de Jordan était la pire des punitions. Alors, quand il s’effondra sur la table pour pleurer à chaude larmes, je ne pu me retenir que de m’élancer vers lui, de m’agenouiller sur le sol couvert de petits cailloux et de lui demander pardon. Que pouvais-je faire d’autre ? S’il y avait une façon pour qu’il me pardonne, il n’avait qu’à la dire et je le ferais.

Jordan, entre ses sanglots à peine étouffés, voulu me rassurer en disant que je n’y étais pour rien, que l’avocat de Ward avait été trop fort. J’avais effectivement entendu dire que Maitre Louis était un véritable requin qui n’hésitait pas à frapper bas pour faire briller ses clients. Il avait pris Ward à sa charge, bénévolement qui plus est alors que Jordan avait dû gratter dans ses économies pour payer sa défense. Si maitre Louis avait été notre avocat, est-ce que le verdict aurait été le même ?

Il y avait aussi eu le rejet de l’évaluation psychiatrique qui avait fait mal à la défense de Jordan et de son avocate. Je ne savais pas ce qui avait fait que le juge l’avait jugé non recevable mais comme le disait mon amoureux, si elle avait été mise comme preuve, les choses auraient été différentes.

Puis Jordan me regarda, son visage mouillé de ses larmes et réitéra que je n’avais rien à me reprocher et qu’il n’avait donc rien à me pardonner. Il m’aimait et voulait que je sois la mère de ses enfants. C’était la première fois qu’il le disait franchement. La première fois depuis notre toute première nuit ensemble et qu’au lendemain, Gant nous avait fermement exprimé son désaccord.

- Tu feras un excellent père pour nos enfants.

Je ne trouvais pas mieux à dire tout en lui caressant la joue pour essuyer délicatement ses larmes avant de poursuivre la caresse jusque dans ses cheveux alors qu’il ajouta qu’il espérait que Grant serait heureux bien qu’il craignait que Ward ne le transforme en… Ward.

- Il faut espérer que ce que tu auras eu le temps de transmettre à Grant soit plus fort que tout le reste. Jordan, il faut continuer d’y croire, tous les deux.

Il était trop tôt pour en discuter mais peut-être que d’ici quelques semaines, Jordan pourrait envisager d’en appeler de la décision du juge et que cette fois, le vent tourne en notre faveur.

- Viens, entrons dans la maison, veux-tu ? Il y a Leia qui a sonné avant que je ne sorte. Elle et Duncan sont de tout cœur avec nous.

Ce n’était qu’un mince réconfort mais ils étaient tous bons à prendre en ce moment.

@ Billy Lighter

Je souris faiblement entre mes larmes brûlantes et j’avais maintenant mes mains entre celles de Nell, agenouillée devant moi, quand elle me dit que je serais un excellent père pour nos enfants. Quelque chose se détendit en moi, comme si j’étais soulagé qu’elle veuille bien fonder une famille avec moi. Il était peut-être encore un peu tôt mais au moins, elle ne fermait pas cette porte-là.

Elle me caressa la joue et parcourut le trajet jusqu’à mes cheveux toujours un peu en bataille et ça me fis du bien. Les sanglots arrêtèrent de secouer mon corps, même si les larmes continuaient de couler.

-Je serai heureux de fonder une famille avec toi. Mais il restera toujours ici une place pour Grant. Ward a dit qu’on pourrait le voir. Mais je ne sais pas quand, je ne sais pas combien de temps… Tu aurais vu son sourire, Nell… Cet homme, c’est le Diable en personne.

Je frottai mes yeux de mon avant-bras.

-Et j’ai l’impression qu’il n’y a que moi qui le voit.

Nell, elle, me disait d’espérer que le peu que j’avais réussi à inculquer à Grant comme valeurs serait plus fort que tout. Plus fort que l’influence de Ward… J’étais sûr que Sky l’aimerait. Elle pouvait mentir sur beaucoup de choses mais pas sur ses sentiments pour l’enfant. Mais est-ce qu’elle saurait faire bouclier pour Grant ? Est-ce qu’elle saurait voir si Ward ne maltraitait pas Grant ? Ou serait-elle aveuglée par l’amour qu’elle vouait à ce criminel notoire ?

Nell voulait qu’on rentre et je ne me rendis compte qu’en voyant la peau hérissée de ses bras qu’il commençait à faire vraiment froid alors que le soleil, lui, était maintenant complètement couché et qu’on était plongés dans le noir…

Je me levai, pris la main de Nell et me laissai guider à l’intérieur. Leia avait téléphoné pour nous témoigner leur soutien, à elle et Duncan…

-Ce sont des personnes merveilleuses… On peut toujours compter sur eux…

Une fois dans la cuisine, je fis couler du café… Je carburais à ça et à la cigarette plus que je ne mangeais. C’était déjà comme ça d’habitude mais encore plus depuis que Grant était parti.

Puis, pendant que le café coulait, je m’appuyai dos contre le meuble et pinçai les lèvres en regardant mon aimée…

-Dis-moi, toi qui connais Ward plus « intimement »… Tu crois que Grant sera heureux avec lui ? Tu crois que Ward est capable de taper dessus ?

Je soupirai et appuyai d’une main sur mes yeux fatigués.

-J’ai peur de ça… Que Ward le batte.

@ Billy Lighter

Le chagrin de Jordan était inquantifiable et à raison. Il avait perdu la garde de Grant de qui il s’était grandement attaché et moi aussi. Notre maison autant que nos cœurs, se trouvait bien vide sans la présence du jeune garçon. La douleur de l’avoir vu partir avec ses valises était comparable à celle d’un deuil. Peut-être même que c’était pire qu’un deuil. De le savoir vivant quelque part sans pouvoir le voir était encore plus pénible à supporter.

Jordan m’assura que je n’avais pas à me sentir coupable pour le dénouement du procès et même, il souhaitait qu’un jour, je sois la mère de ses enfants tout comme j’espérais faire de lui un père que je savais aimant. Il serait un merveilleux père, ça ne faisait aucun doute.

- Grant aura évidement toujours sa place ici. Il faut garder espoir, Jordan. Je suis certaine que ce n’est pas terminé.

Je voulais sincèrement y croire, il n’y avait pas de raison que cette décision ne soit pas irréversible. Je soupirais alors que Jordan, désespéré, ne comprenait pas pourquoi lui seul semblait voir la réincarnation du Diable en Ward Fleming. Mon ex petit ami n’était pas un ange, ça, je ne pouvais pas dire le contraire, mais avec moi et devant moi, il n’avait jamais eu de gestes discutables et répréhensibles. Il n’y avait eu que cette altercation avec son ex-copine qui avait fragilisé notre relation qui ne tenait pas à grand-chose. Ward et moi étions trop différents, tout simplement.

- Un jour, tout fini par se savoir. Ward n’échappera pas à cette règle.

Il commençait à faire froid, mine de rien, dans le jardin plongé dans le noir et je suggérais à Jordan de rentrer pour que nous puissions nous blottir devant un film ou n’importe quoi qui ne demande aucun effort cérébral. Il se leva et, prenant ma main, nous dirigea à l’intérieur de la maison. Ça faisait toujours drôle de ne plus voir Grant installé avec ses cahiers à dessin à la table de la cuisine ou entrain d’essayer de lancer un film d’horreur en douce au salon, comme si nous le verrions pas depuis la cuisine.

Jordan alla préparer du café. La quantité qu’il ingurgitait en plus du nombre incalculable de cigarettes qu’il grillait m’inquiétait. Je ne voulais pas lui faire la morale, pas maintenant. Il avait droit à son moment au fond du baril, avant de rebondir et de reprendre du poil de la bête.

- Je…

Est-ce que Grant pouvait être heureux avec son père et Sky ? Et est-ce que Ward pourrait être violent envers son propre fils ? Je baissais les yeux avant de replacer mes cheveux derrières mes oreilles, puis je m’installais à la table et je regardais la chaise vide de Grant avant de répondre à Jordan.

- Ward est possessif. Il s’est approprié Grant et il le protégera parce qu’il ‘’lui appartient’’. Est-ce qu’il fera mal à Grant ? J’en doute. Mais est-ce qu’il l’aimera comme toi tu l’aime, j’en doute aussi. Il… Il… Ward ne sait pas aimer, il sait posséder.

Je ne savais pas si ma réponse éclairait Jordan, moi-même je m’y perdais un peu mais pour le peu que j’avais partagé de ma vie avec Ward, c’est la conclusion la plus concrète que je pouvais formuler.

- Il faut persévérer et garder notre lien avec Grant. J’irai le voir Ward et je lui demanderai de continuer de permettre à Grant de venir passer ses samedis avec moi à la mission. Il ne me le refusera pas.

Ward croyait que nous étions liés l’un à l’autre, qu’il ressentait le besoin de veiller sur moi. Si ce lien était aussi fort qu’il le disait, il ne pourrait pas me refuser cette faveur.

@ Billy Lighter

Nell disait qu’il fallait garder espoir, que tout n’était pas fini. Pourtant, je voyais Grant comme si j’avais l’impression de le voir disparaître au loin. Comme s’il allait m’échapper dans le sens où il perdrait petite à petit toutes les valeurs que je lui avais inculquées avec force d’efforts !

Je hochai la tête pour, malgré tout, donner raison à Nell.

Il ne fallait pas perdre espoir.

De plus, elle ajouta que Ward finirait par montrer son vrai visage, qu’il ne pourrait pas cacher qui il était vraiment bien longtemps.

Je ricanai, le visage encore mouillé de larmes, même si Nell avait réussi à calmer mes sanglots.

-Ouais… personne ne peut garder un secret à Los Angeles.

Je ne savais plus où j’avais entendu ça… Peut-être au commissariat où on lisait L.A. People…

On rentra dans la maison, parce que je m’étais rendu compte que Nell avait froid alors que je ne ressentais plus que mon propre chagrin. Mais ce n’était pas une raison pour forcer Nell à rester dehors par cette température inconfortable. Et peut-être qu’un film me ferait effectivement du bien.

Mais avant, je me fis du café avant de me retourner vers elle tandis qu’il coulait.

Et je formulai mes craintes tout haut.

Nell hésita, avant de se lancer et moi, je rallumai une cigarette maintenant que je pouvais à nouveau fumer à l’intérieur.

Nell m’expliqua que normalement, Ward ne devrait pas faire du mal à Grant, parce que c’était désormais sa possession. Mais il ne l’aimerait jamais comme nous on l’aimait.

-Je vois.

Je grimaçai, il n’y avait rien de réjouissant là-dedans. Je soupirai…

-Au moins, il y a Sky qui lui donnera de l’amour. Je ne l’aime pas du tout, mais je ne peux douter de son amour pour Grant et les enfants en générale.

Nell voulait aller voir Ward pour qu’il autorise Grant à garder ses activités à St-John’s…

Je secouai la tête.

-Non, ON ira le voir pour ça… Hors de question que tu y ailles seule. Je n’ai aucune confiance en Ward.

Une fois le café coulé, je m’en servis un grand mug à l’effigie du L.A.P.D. puis m’approchai de Nell pour lui voler un baiser et lui caresser le dos…

-Choisis un film… Je me sentirai mieux quand tu seras dans mes bras.

@ Billy Lighter

J’avais convaincu Jordan de rentrer à l’intérieur, nous y serions plus confortables pour discuter en toute intimité et puis il commençait à faire froid, dehors. Jordan était trop triste pour s’en rendre compte et ce n’était pas non plus le moment pour qu’il attrape un rhume d’homme.

Une fois dans la cuisine, Jordan se fit couler du café et moi, je m’installais à la table de la cuisine, cherchant m es mots pour bien répondre à sa question. Je ne pouvais pas affirmer que Grant ne serait pas heureux dans sa nouvelle famille mais je ne pensais pas que Ward serait capable de l’aimer autant que nous, nous l’aimions. Cela, cependant, ne voulait pas dore non plus que je croyais le père incapable d’aimer son fils. Non, en fait, Ward avait un drôle d’amour, comme de l’adoration, de la possession. Il refusait de se départir de qui ou de quoi que ce soit qui soit à lui pouvant aller très loin pour se l’approprier définitivement.

Ce devait être ça qu’il avait voulu exprimer avec ce procès de merde et ce lien qu’il qualifiait de très fort qui subsistait entre lui et moi.

J’expliquais donc, à ma façon et certes maladroitement à Jordan, ce que je pensais des intentions de Ward et si ça ne le rassurait pas tout à fait, nous étions d’Accord que Grant bénéficierait de l’amour inconditionnel de Sky. Elle l’aimait vraiment très, peut-être même trop fort.  Et Ward était fou de Sky donc… Moi je voyais ça comme une sorte d’assurance que Grant serait bien traité.

- Et Ward est fou de Sky alors… Je crois qu’il fera n’importe quoi pour la garder auprès de lui, comme nous reprendre Grant et le traiter comme il se doit de le faire.

Était-ce suffisant pour nous rassurer ?  En fait, je croyais que tant que nous n’aurions pas la chance de revoir Grant et de s’en assurer par nous-même, nous serions continuellement très inquiets.

Je proposais d’aller voir Ward et de lui demander de continuer de permettre à Grant de faire son bénévolat avec moi à la Mission St-John’s mais Jordan refusait que je rencontre Ward seule. Je pouvais comprendre qu’il ne faisait pas confiance du tout à mon ancien petit ami mais à moi, il pouvait me faire confiance, non ? Probablement pas vu comment c’était déroulé les entretiens avec la psychiatre.

- D’accord alors nous irons tous les deux.

Jordan était d’accord pour que nous nous installions devant un film. C’était plutôt un bon prétexte pour se blottir l’un contre l’autre. J’hochais de la tête en souriant avant de me lever et de l’embrasser. À la télé, maintenant que nous étions installés sur le divan, passait le dernier film dans lequel avait joué Betty Loops. Ce serait parfait pour cette soirée pour laquelle nous avions besoin de faire le vide, se nous reposer et d’éviter de trop penser.

@ Billy Lighter