Trois jours c’étaient écoulés depuis qu’un voleur s’était introduit chez nous et que Grant lui avait tiré dessus. Je n’avais pas assisté à la scène, du moins pas en entier pourtant, je pouvais la voir en boucle dans ma tête et je ne pouvais m’empêcher de me questionner sur ce que j’aurais pu ou dû faire pour éviter ça. Pourtant, je savais que je n’aurais pu intervenir, du moins jamais à temps.

Chaque fois qu’un craquement se faisait entendre, c’était plu fort que moi, je sursautais. Pire encore, je ne pouvais aller au lit sans avoir vérifié chaque fenêtres de la maison, chaque verrous de portes au moins trois ou quatre fois. C’était tout juste si je ne dormais pas avec la lumière ouverte quand Jordan n’était pas là et, quand il était à la maison la nuit, je dormais toute blottie contre lui à un point tel qu’il devait se demander si je n’essayais pas de fusionner avec lui de corps et d’âme.

Mais c’était plus fort que moi !

Depuis ce fameux soir, je vivais avec un poids sur les épaules sans savoir si c’était un traumatisme ou un sentiment de culpabilité.

Depuis le début, Jordan tentait de me mettre en garde contre Ward Fleming et moi, je continuais de dire qu’en chaque individu se cachait un bon fond. Avec moi, Ward ne s’était jamais montré aussi monstrueux qu’on le disait. J’avais été élevée ainsi, c’était en moi j’étais faite comme ça ce n’était donc pas facile d’aller contre ma philosophie de vie.

Avec le recul, je ne pouvais faire autrement que de tout remettre en question en me disant que le monde était beaucoup plus laid et terne que ce que j’avais toujours cru. Je n’était plus à l’aise avec mes pensées qui s’entrechoquaient et s’entremêlaient.

Avec tout ça, s’ajoutait le fait que, quand Jordan était en processus contre Ward, je ne lui avais pas démontré l’appuie qu’il aurait dû obtenir de moi en contredisant systématiquement ses impressions sur le comportement de Ward. En voyant le comportement de Grant depuis son retour chez nous, il était clair qu’il y avait de grosses lacunes dans les capacités parental de Ward et de Sky. Qui est-ce qui permet à son gamin de se servir d’un vrai fusil et qui en laisse à porté de main dans des tiroirs ? J’imaginais la petite Heaven, quand elle aura trois ans, en trouver un en cherchant des bonbon et tirer sur son frère ou sa mère, par accident !

Je ne savais vraiment plus quoi penser de tout ça.

Il était clair que je n’allais pas bien mais je ne savais pas si c’était du au sentiment de culpabilité ou si je vivais un choc post traumatique.

La nuit était tombée et il était temps d’aller dormir. Je venait de vérifier chaque fenêtre pour la énième fois, tout autant pour les portes puis j’avais rejoins Jordan dans notre chambre et je me glissais sous les draps après avoir fermé la lumière. Comme je l’avais fait ces dernières nuits, je me blottissais tout contre Jordan tant et si bien qu’il devait dormir en équilibre sur le bord du lit
!
- Tu as entendu ?  Je… Je crois qu’il y a eu un bruit provenant du salon ! Est-ce qu’on a verrouillé la porte ?

J’étais prête à bondir hors du lit pour aller vérifier et, tant qu’à faire, j’irais vérifier toutes les fenêtres !

@ Billy Lighter

Il s’était passé trois jours depuis que Grant avait fait feu sur quelqu’un. Fort heureusement, le voleur n’avait été que blessé et son procès pour vol ne devrait plus tarder. Grant devrais y témoigner, en ma présence étant donné qu’il était mineur. Mais je n’étais pas inquiet pour Grant… pas dans le sens où il risquait quelque chose. Son implication avait déjà été déterminée comme étant de la légitime défense et ce serait sans suite.

Mais je me demandais… Si le voleur était condamné comme il semblait que ça allait être le cas… Si ça ne conforterait pas Grant dans le fait qu’il avait bien agi.

Est-ce qu’il avait vraiment mal agi ? Non, pas vraiment. Mais je ne trouvais pas ça normal que Grant ait autant de facilité avec une arme et, surtout, qu’il ait tiré sur quelqu’un comme ça, sans hésiter.

Plutôt que de le punir, je lui avais promis de l’emmener une fois par semaine au stand de tir… Et de lui apprendre vraiment ce que signifiait porter une arme. C’était toute une philosophie et je doutais que Ward et moi ayons la même.

Cela avait semblé convenir à Grant qui m’en voulait un peu moins de ne pas l’avoir félicité pour avoir agi comme Batman l’aurait fait.

Par contre, depuis trois jours, c’était Nell qui n’allait pas bien… Surtout la nuit.

Elle avait développé une sorte de rituel totalement inutile : celui de faire tout le tour de la maison pour tout verrouiller.

Quand elle était seule à la maison, je pouvais comprendre. Mais quand j’étais là, je me chargeais déjà, tôt dans la soirée, de tout vérifier et verrouiller… Comme je le faisais déjà bien avant qu’on ne soit victimes de ce cambriolage raté.

Elle avait le sommeil léger aussi. Limite encore plus léger que le mien, donc, il ne fallait pas demander ! Le moindre craquement de parquet la faisait sursauter et se précipiter hors du lit pour refaire tout le tour de la maison…

Cette nuit encore, je dormais dans un équilibre précaire au bord du lit où elle m’avait retranché à force de vouloir se blottir contre moi. Pas que je ne voulais pas qu’elle soit dans mes bras, que du contraire… Mais elle avait tendance à me pousser.

J’étais doucement en train de sombrer quand elle sursauta à cause d’un bruit que je n’avais même pas attendu…

-Hein ? Quoi ? Ça va ?

Je grommelai et fermai les yeux…

-Non, je n’ai rien entendu…

La sentant prête à sortir du lit, je la rattrapai fermement par le poignet et l’attirai à moi.

-Tout est verrouillé. J’ai vérifié. Puis tu as vérifié après moi. En plus, j’ai regardé dans tous les tiroirs et toutes les armoires. Mon arme est dans son coffre, Grant ne saura pas l’ouvrir.

Je passai une main dans ses longs cheveux et regardai ses yeux brillants dans la pénombre.

-Il faut que tu te détendes, Nell. Ta peur est en train de te bouffer toute crue. Ce n’est pas parce qu’une chose se produit une fois à un endroit que ça va automatiquement se reproduire au même endroit.

C’était ce que je pensais… Parce que dans mon métier, je savais d’expérience que quand il arrivait quelque chose de grave quelque part, on augmentait automatiquement la sécurité exactement au même endroit. De mon point de vue, ça tenait plus de la superstition que du bon sens.  

Je l’embrassai doucement.

-Ecoute… C’est la maison qui respire… Grant dort ou lit des comics en cachette et en dehors de lui, il n’y a que toi et moi. Et nous sommes en sécurité.

@ Billy Lighter

Un craquement m’avait tiré abruptement d’un début de sommeil et j’avais sursauté, réveillant Jordan pour qu’il écoute avec moi, attentivement. J’étais prête à bondir du lit même si je crevais de trouille à l’idée de tomber face à face avec un intru  ou pire, sur le même genre de drame que l’autre nuit.

Jordan me ramena fermement à lui en m’expliquant qu’il avait lui aussi tout vérifié, que Grant dormait paisiblement ou alors lisait un comics dans sa chambre et que la seule arme présente dans la maison était dans un coffre de sureté et que personne sauf lui ne saurait l’en sortir.

Malgré ça, mon cœur battait toujours très vite et je n’étais pas rassurée. Depuis cette fameuse nuit, je nourrissais malgré moi une peur déraisonnable provenant d’un sentiment de culpabilité beaucoup trop lourd à porter et d’un choc post traumatique d’une scène que je n’aurais jamais voulu voir, surtout pas chez moi.

Je tremblais de la tête aux pieds, sous les couvertures, contre le corps de Jordan qui m’expliquait calmement que ce n’était pas parce qu’une chose s’était produite une fois quelque part qu’elle allait systématiquement se reproduire au même endroit à nouveau. Je fermais les yeux, comme si je me faisais gronder, honteuse, essayant de calmer le tsunami d’émotions que je ressentais.

- Je… Je… Mais je sais…

Je savais qu’il avait raison mais je ne contrôlais plus rien de ce que je ressentais et de tout balayer sous le tapis n’allait absolument pas m’aider. Ne sachant pas comment gérer le problème, je ne parvenais pas à l’extérioriser, même alors que Jordan me serra contre lui pour m’embrasser avant de me dire que la maison respirait et que par conséquent, c’était tout à fait normal d’entendre des craquements.

- Tu as raison…

Je devais me calmer, me raisonner mais c’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Chaque fois que je fermais les yeux, je me sentais submergée à nouveau.

- Mais je n’y arrive pas Jordan !

Je me redressais dans le lit, assise et tenant mes genoux contre ma poitrine. C’était une spirale infernale qui allait et venait dans ma tête sans que je puisse la stopper. J’étais traumatisé par ce qui c’était passé l’autre nuit et je culpabilisais parce que je croyais fermement que j’en étais la seule responsable. De savoir que Grant avait eu en sa possession une arme de laquelle il n’avait pas hésité à se servir me tétanisais. J’étais capable de comprendre ce qui l’avait poussé à le faire, je ne remettais pas ses bonnes intentions en question, loin de là.

- Je me sens comme si j’avais provoqué tout ça !

En disant cela, en réussissant à extérioriser un morceau de ce qui m’écrasait depuis quelques jours je me mis à pleurer à chaude larmes. Ça faisait tellement de bien de pouvoir enfin le dire même si ça allait douloureusement me confronter aux valeurs que j’avais chéri toute ma vie.

@ Billy Lighter

Nell s’était mise à trembler comme si elle grelottait de froid… Pour moi qui avais vécu le Viêtnam et ses horreurs, ce qu’avait fait Grant n’était qu’une broutille dans le sens où il en fallait bien plus pour me traumatiser.

Bien sûr que j’étais inquiet, surtout vis-à-vis de Grant qui allait entrer dans l’adolescence et qui serait encore plus complexe à gérer. Mais je n’en devenais pas paranoïaque non plus.

Pour Nell, par contre, qui n’avait sûrement vu des armes à feu en action qu’à la télévision et encore, quand elle ne fermait pas les yeux pendant les parties les plus trash, cette expérience lui avait causé un choc.

Du coup, elle crevait de trouille. Je pensais qu’elle avait peur qu’un intrus entre dans la maison pas tellement de peur qu’on nous vole quelque chose, mais d’être à nouveau confrontée à la facette la plus sombre de notre petit pupille. Parce que Nell n’était pas vraiment attachée aux choses… Par contre, elle avait un respect presque obsessionnel pour la vie humaine.

Nell semblait bien comprendre que sa réaction était complètement disproportionnée par rapport à ce qu’il s’était passé trois jours plus tôt mais elle n’arrivait pas à se calmer.

Je frottai doucement son dos, essayai de lui expliquer que les bruits étaient normaux et qu’il ne se produirait pas deux fois le même incident au même endroit…

J’avais raison, qu’elle disait… Bien. On peut essayer de dormir maintenant ?

Puis elle me fit limite sursauter en s’exclamant qu’elle n’y arrivait pas et en se redressant sur le lit.

Moi, je m’affalai sur le dos et frottai mon visage à deux mains…

Puis la regardai avec de grands yeux quand elle se mit à pleurer avant de soupirer.

-Han, c’est pas vrai…

Ce n’était qu’un voleur ! Il n’était même pas mort ! Quant à Grant, je me donnais pour mission de m’en charger.

Le  fait était que je ne savais gérer aucune explosion d’émotion… Pas chez les autres. Les miennes, je les gérais si bien que je pouvais souvent paraître sans cœur. Mais consoler les pleurs de quelqu’un qui n’était pas un enfant, j’étais pas formé pour ça.

Je me redressai assis dans le lit et enlaçai Nell. Je gardai pour moi que je pensais qu’elle exagérait vraiment. A mon avis, lui mettre le nez dans ses faiblesses n’était pas la bonne solution.

Je lui embrassai l’arrière de l’épaule, elle était secouée de sanglots.

-Tu n’as rien provoqué du tout. C’est débile de penser ça.

Ok, pour la psychologie, on repasserait. Mais ça me donnait une idée.

-Tu sais, à la police, on a un service d’aide aux victimes, avec des psys et des assistants sociaux. Si tu veux, je les appelle demain. Tu pourras leur parler de tes angoisses, à eux.

@ Billy Lighter

J’avais bien conscience que depuis cette fameuse nuit, j’avais développée une peur paranoïaque de revivre le même genre d’évènement. C’était plus fort que moi, je vérifiais encore et encore chaque portes et fenêtres pour être bien certaine que personne ne puisse à nouveau entrer dans notre demeure. Ainsi, Grant ne ressentirait pas le besoin de nous protéger et bien qu’il n’avait plus le pistolet de Ward et que l’arme de Jordan était hors de sa portée, il ne serait pas tenté de prendre un couteau !

Devrais-je cacher les couteaux de cuisine ?

Peut-être que je devrais…

Jordan était confronté à ce genre de chose régulièrement, peut-être pas dans sa vie personnelle mais au travail et avec son passé dans l’armé, il avait une carapace plus solide que moi pour faire face à tout cela. Sa réaction avec été plus posée et méthodique que moi qui tait complètement entrain de craquer.

Je devais me confier à mon petit ami pour me sentir mieux. À deux nous étions plus fort et si j’étais là quand il avait des nuits troublées par de vieux démons, il allait être là pour m’écouter et m’aider à aller de l’avant.

Malheureusement pour moi, Jordan avait bien plus envie de dormir que pour m’écouter mais j’avais amorcé quelque chose et les mots n’allaient pas se refouler aussi facilement que je le voudrais. Ça me fit même mal de l’entendre ronchonne un ‘’Han, c’est pas vrai…’’ alors que je venais de flancher. Ça ne faisait que trois nuit que je revivais tout ça pour moi et que je me torturais l’esprit.

J’avouais que je me sentais responsable de tout ce qui s’était passé. Si j’avais mieux appuyé Jordan dans ses démarches contre Ward plutôt que d’essayer de faire ressortir le bon chez un individu qui en est totalement dépourvu, Grant n’aurait pas été forcé de retourner vivre chez son père et ce dernier ne lui aurait pas donné de mauvais plis.

Jordan se redressa dans le lit et me serra dans ses bras. Cela me fit du bien, j’avais mal décodé sa réaction et je fermais les yeux pour reprendre un peu de contrôle pour poursuivre mais mon petit ami m’enfonça davantage en disant que ce que je pensais était débile. Je n’avais même pas pu expliquer pourquoi je me sentais responsable qu’il débilisait la situation.

- Oh…

Il me proposait un service de psychologue qu’offrait son commissariat ce qui me fit comprendre que ça ne servait absolument à rien de discuter avec lui si ça ne le concernait pas directement. Je serais certainement mieux épaulée par un professionnel et il retrouverait une petite amie qui ne s’effrite pas au moindre petit craquement dans la maison.

- D’accord. C’est une bonne idée, tu peux te renseigner.

J’essuyais mes larmes avec la paume de ma main et poussais un peu sur Jordan pour qu’il puisse s’allonger et que je fasse de même.

- Bonne nuit mon amour.

@ Billy Lighter

Nell craquait complètement et moi, je n’avais aucune idée de comment réagir… Si ce n’est conformément à ce qu’on m’avait appris à faire face à une victime qui n’arrivait pas à passer au-dessus d’un événement traumatisant.

Pas que je minimisais le traumatisme qu’avait vécu Nell. Loin de moi cette idée. Même si je trouvais, personnellement, que le fait qu’elle se sente coupable était totalement débile. Pour moi, ce qui s’était passé n’était rien d’autre que le fruit d’un malheureux hasard contre lequel personne ne pouvait rien.

Elle n’était pas coupable. Grant n’était pas coupable.

Le seul qui devait vraiment se reprocher quelque chose, c’était le cambrioleur qui avait eu le malheur de se retrouver dans la mauvaise baraque au mauvais moment.

Et fallait rester les deux pieds sur terre !

Ce n’était pas parce que c’était arrivé une fois que ça allait forcément arriver encore.

Mais, compatissant pour Nell, je la serrai dans mes bras.

Elle sembla se détendre un peu dans mes bras à ce moment-là. Puis, gentiment, je lui avais proposé l’aide de mes collègues du commissariat qui étaient spécialement formés pour ce genre de cas.

Parce que moi, je savais que je ferais pire que mieux… Et le fait que je trouve déjà débile le ressenti de Nell en était la preuve flagrante.

Je préférais de loin la laisser entre des mains expertes qui sauraient trouver les mots. Qui sauraient la rassurer…

Je passai une main dans ses cheveux, l’embrassai dans le cou pour la détendre encore un petit peu, ravi qu’elle accepte ma solution.

-Ok, je les contacterai demain…

Elle essuya ses larmes puis on s’allongea à nouveau tous les deux. Je l’enlaçai, lui embrassai le sommet de la tête tout en la serrant contre moi pour lui offrir un cocon aussi confortable que possible, de même qu’une chaleur rassurante.

-Je n’ai pas les mots, Nell… Mais sache que je suis là pour te protéger, quoi qu’il arrive.

Je posai mon front contre le sien et fermai les yeux.

-Bonne nuit, ma belle…

@ Billy Lighter