The End. ft. Duncan Keller

Ça arrivait rarement, mais il avait fait un temps de merde toute la journée à L.A. On avait patrouillé pendant 12 heures sous la pluie, Conrad et moi, espérant que le temps allait s'arranger d'ici le soir. Malgré tout, ça n'avait pas entamé notre bonne humeur. Et, la pluie amenait avec elle au moins une bonne chose : un calme plat dans les rues. Les habitants de Los Angeles y étaient tellement peu habitués que lors de journées comme ça, peu de gens sortaient de leur maison ou de leurs bureau. Nous même, on s'arrangeait pour faire le moins possible de patrouilles pédestres, privilégiant la voiture.

Et malgré tout, on passa une bonne journée. On passait toujours de bonnes journées de toute façon. Parce qu'on était ensemble, comme deux frères, toujours à déconner, à partir dans des délires que nous seuls pouvions comprendre. On aimait aussi s'arrêter de temps en temps dans une pompe à essence pour boire un café. Le pompiste adorait nous voir. Parce qu'on s'intéressait à sa sécurité et qu'on n'était pas les moins sympas du LAPD. Ça s'appelait joindre l'utile à l'agréable.

Rien ne semblait donc pouvoir rendre cette journée merdique, pas même la pluie qui ne s'arrêta pas de la journée. Et à 23 heures, fin de service. Et retour à la maison.

Comme on était venus avec ma voiture aujourd'hui, je déposai Conrad devant le pub de ses parents, The Green Goat. Il me proposa de venir boire une bière à l'intérieur, comme on le faisait souvent... Quoiqu'un peu moins régulièrement depuis que j'étais en couple avec Roxxy, la chanteuse du groupe de Duncan, The Bleeding Hearts.

-Non, merci, mon pote... Ce serait avec plaisir, mais je vais aller voir si les petits sont à la maison.

Il me fit un clin d’œil.

-Ouais ouais... Allez, cours, Keller... Va retrouver Roxxy...

Je rigolai et moulinai pour refermer la fenêtre de la Ford. Puis, fis un dernier signe de la main à mon binôme avant de démarrer. Direction, la maison, un bain... Et avec un peu de chance, Roxxy.

Et puis les petits aussi... Histoire de savoir comment ça avançait au niveau du groupe, s'ils s'en sortaient. Je ne pouvais pas vraiment les aider, en dehors de leur offrir le gîte et le couvert. Parce que je n'avais pas moi-même la fibre artistique et ne connaissais que très peu ce monde et comment il fallait faire pour avoir des contacts utiles...

J'appelais les garçons de The Bleeding Hearts les « petits » simplement parce que comparé à Roxxy et moi, ils étaient plus jeunes et puis, comme j'étais l'aîné de ma fratrie, mes quatre petits frères avaient toujours été « les petits », parce que ma mère les appelaient comme ça.

Je garai la Ford devant la maison. Je n'avais pas de garage car la maison était mitoyenne, étroite. Je descendis de mon véhicule et cherchai mes clés dans la poche latérale de mon pantalon d'uniforme. J'étais content de pouvoir voir tout le monde. Parce qu'en dehors des jours où j'étais en repos, je ne faisais que les croiser, Roxxy y compris.

Mais je fus un peu déçu quand, rentrant à l'intérieur, il faisait un calme plat, signe qu'il n'y avait personne à la maison. Ma foi, le groupe était certainement parti à la recherche de scènes ou simplement de bars où ils pourraient jouer ne serait-ce que quelques chansons. Je ne pouvais pas leur en vouloir.

Tant pis, j'allais prendre un bain, seul... Me détendre. Peut-être dormir un peu en attendant leur retour.
Je me débarrassai, dans la cuisine, de mes clés et de mon couteau. Mon ceinturon avec mon arme, je les laissaient à l'unité. Je n'aurais pas voulu qu'en me faisant cambrioler, mon arme soit elle aussi volée et se retrouve dans de mauvaises mains... Et puis je savais passablement me défendre sans arme...

Je m'étirai, allumai la télé comme à mon habitude, pour avoir un bruit de fond. J'avais du mal à supporter le silence. Parce que dans le silence, c'était mon cerveau qui y palliait... Des souvenirs sonores du Vietnam, que je n'avais aucune envie d'entendre.

Bien que le son du journal télévisé, qui passait actuellement, n'était pas bien différent, au moins, il ne venait pas de moi-même...

Je me dirigeai ensuite vers la salle de bain... Et en arrivant dans le couloirs, mon estomac se serra... Il y avait un truc pas normal, c'était ce que me disait mon instinct. Et ce dernier ne m'avait jamais trahis.

La lumière qui passai sous la porte fermée de la salle de bain n'était pas normale. La chaleur non plus... Comme si quelqu'un était en train de prendre un bain... N'était pas normale. Je frappai à la porte assailli par les souvenirs de la première tentative de suicide de Roxxy. Tentative que j'avais avortée.

-Roxxy ?...

Rien.

-Duncan ?... Roxxy ?! HEY !

Je jouais maintenant avec la poignée, mais la porte était verrouillée. Ni une ni deux, je la défonçai d'un coup d'épaule. Et m'arrêtai net. Une seconde. Juste une.

Roxxy était allongée dans la baignoire, les yeux plongés dans le vide, immobile... Et l'eau était rouge.

Je m'approchai et appuyai de mon majeur et mon index sur la peau douce du coup de la chanteuse, de ma petite amie, rien. Pas plus que je n'avais eu de réponse à mes appels. Bien qu'en apparence, je restais calme, ma respiration était rapide, forte et profonde, et la tête commençait à me tourner. Je plongeai un bras dans l'eau ensanglantée et attrapai le bras de Roxxy que je remontai délicatement à la surface, comme si j'avais peur de lui faire mal.

Elle s'était entaillé le poignet, peut-être même les deux. La première fois, elle avait essayé de se noyer, je l'en avais empêchée. Cette fois-ci, elle avait pris ses précaution, pour que ça ne se reproduise pas.

Respirant toujours très fort, à deux doigts de perdre l'équilibre à cause de l'hyperventilation que je m'infligeait, j'allais jusqu'à la cuisine et décrochai, comme un robot, le combiné du téléphone et tapai le seul numéro que j'étais encore capable de mémoriser. Celui du commissariat.

-Chef... C'est Jordan... Pour vous signaler un suicide à mon adresse, je vous la rappelle ?...... Non ?..... Ok.... Ouais... Ouais... Ça va aller....

*Mais grouillez-vous... *

-Non... C'est pas mon frère......... Ma petite amie.......... Roxane Love........ Ok.... Ok... Je vous attend...

Je raccrochai et sorti de la maison en m'aidant des murs. Il me fallait de l'air. Je terminai les derniers mètres en courant, sortit et claquai la porte derrière moi. Je fus trempé en deux secondes. Je me laissai aller contre le mur de brique sali par la pollution de la maison et me retrouvai accroupis, en uniforme, en t-shirt d'uniforme, et à la pluie qui me dégoulinai sur le visage se mêlèrent bientôt mes larmes... Ouf.... Il était temps... Encore un peu et j'explosais de l'intérieur.

J'allumai une clope qui fut aussi vite trempée que le reste et éclatai enfin en sanglot.

J'étais toujours humain.

The End. ft. Jordan Keller

C’était un matin comme tous les matins sauf qu’aujourd’hui le soleil ne perçait pas.  La pluie tombait sans discontinuer mouillant le sol bitumé de l’Eastside. Et pourtant, moi je n’étais pas comme le soleil et j’avais envie de percer dans le monde de la musique. Il fallait donc que je sorte de mon lit, que je motive les troupes, que je prenne ma guitare et qu’ensemble on sorte arpenter les bars et clubs de cette grande ville.

Une fois hors de mon lit et habillé, je rejoignis mes potes à la cuisine. Roxxy était là, elle souriait. Elle avait l’air particulièrement heureuse. Cela faisait longtemps que je ne l’avais plus vu sourire ainsi et d’un coup, je me sentis encore plus motivé à affronter cette journée pluvieuse. J’arrivais par derrière elle, elle était en train de faire la vaisselle.

-Aujourd’hui, on va faire le tour des clubs. Je le sens bien cette fois. Tu viens avec nous ?

Aucune réponse orale, juste son sourire et un hochement de tête négatif. Peut-être avait-elle envie de profiter de son bonheur. Peut-être que la pluie la rebutait. En tout cas, je n’avais pas envie de la voir se justifier. Son sourire était tellement présent que je ne voulais rien dire qu’il pourrait le gâcher.

Je la laissais donc et moi et mes potes en s’en alla prenant le bus jusqu’à Hollywood pour une escale au Rainbow. Arrivé là-bas on était déjà trempé. Mes cheveux blonds étaient tout raplatis par la pluie battante de cette journée maussade. Là-bas, on chercha quelques contacts, quelques possibilités. On fit la même chose dans tous les autres clubs et ça toute la journée. Au fur et à mesure, une boule se forma dans mon ventre. Comme des crampes provoquées par le stress. Sauf que je n’avais aucune raison d’être stressé. La journée ce passait plutôt bien mais j’avais comme un très mauvais pressentiment.

Les autres avaient fin et voulaient aller manger quelque part avant de continuer à chercher des contacts. La boule d’en mon ventre m’empêchais de ressentir la même chose. J’avais envie de voir mon frère… D’un coup, comme ça. Et Roxxy aussi. J’avais envie de voir Roxxy. L’angoisse inexpliquée était de plus en plus forte je congédiais alors mes amis leur disant que je les rejoindrais plus tard et qu’ils pouvaient aller manger sans moi. Ils ne m’ont pas demandé d’explication. Ils avaient bien vu que je n’allais pas bien.

Une fois hors de leur vue, je me mis à courir jusqu’à l’arrêt de bus le plus proche. Heureusement, j’eus quasiment un bus directement. Ma guitare était de plus en plus lourde sans explication plausible. Il fallait que je vois si Roxxy et Jordan allait bien juste pour me rassurer.

L’arrêt de l’Eastside, je n’étais qu’à quelques mètres de la maison. J’y descendis et continuais ma course sous la drache incessante. Et ce n’est qu’en voyant Jordan accroupis contre le mur de la maison que je m’arrêtais de courir et que mon visage se décomposa. Mon frère fumait, mon frère était presque à terre et… Mon frère pleurait. Je ne pouvais pas le percevoir à cause de la pluie mais je l’entendais. Quelque chose n’allait pas… Et pour que mon frère pleurs ça devait être quelque chose de très grave. D’une gravité sans borne même. Je m’approchais doucement de mon frère. J’avais l’image de Roxxy en tête et c’est comme si j’avais déjà tout compris. Les larmes coulaient déjà sur mes joues alors même que je ne savais rien. Mais la tristesse de Jordan était contagieuse. Très contagieuse. Voir quelqu’un d’aussi fort que mon frère pleurer était dramatique. Effrayant, même.

Je restais debout planter devant lui, ma main accroché à la bretelle de la housse de ma guitare. Ma main qui temblait.

-Jordan…

Ma voix était déjà cassée… Je pensais toujours à Roxxy…

-Qu’est-ce… Qu’est-ce qui ce passe…

Je n’osais pas rentrer à l’intérieur. Sur le t-shirt de police deJordan je pouvais voir des tâche rouge-rose… De l’eau et du sang… Une vision horrifiante qui me faisait frémir encore plus.

The End. ft. Duncan Keller

Appuyé sur le mur de la maison, sanglotant comme un gosse qui a perdu sa mère, je ne pouvais même pas prétendre être responsable du geste de Roxxy. J'aurais pu, vu que j'étais pas mal absent à cause du travail, vu que Roxxy et moi, on ne pouvait que ce croiser. Mais non, bien que trouver une cause à son geste aurait été, quelque part, réconfortant. Parce qu'au moins, ça aurait été logique, il y aurait eu un lien de cause à effet.

Mais non. Je savais que ce n'était la faute de personne. Roxxy avait toujours été perdue dans ce monde. Notre rencontre elle-même avait pour origine une de ses tentatives pour fuir ce monde. Bref, ça n'avait pas plus de logique que la mort de tous ces frère d'arme qui déconnaient, rigolaient, essayaient de détendre l'atmosphère et qui, la minute d'après, étaient réduit à une bouille informe rouge-rose après avoir marché sur une mine.

C'était comme ça. C'était écrit. C'est tout.

Mais ces réflexions fatalistes, loin de calmer ma rage mêlée de tristesse, l'empirait. Pour la simple et bonne raison que, bordel !, j'étais revenu dans le cocon protecteur des USA, j'étais rentré la maison. Et je pensais avoir laissé la Mort dans l'humidité étouffante de la jungle vietnamienne. Et maintenant, je tombais de haut, me rendant compte qu'elle m'avait suivi, et qu'elle était toujours aussi impitoyable.

Et puis, je rageais aussi parce que, bien plus que certain, Roxxy, elle, méritait de respirer. Elle méritait d'avoir une vie, son visage méritait d'être connu, sa voix aussi. Mais elle avait dédaigné tout ça, elle avait rejeté jusqu'à mon affection, celle de The Bleeding Hearts. Pour prendre cette décision égoïste. Pour prendre la solution de facilité. Sa première tentative lui avait d'ailleurs valu de ma part une piètre estime, avant que mon côté protecteur ne prenne le dessus. Mais la protéger ne l'avait pas endurcie.

Des pas pressés, une respiration haletante, me fis relever la tête alors que je chialais toujours. La pluie ruisselait sur ma nuque, me faisant frissonner. Et pourtant, il ne faisait pas froid. Mais cette pluie me donnait l'impression d'avoir des sueurs froides, que j'avais peut-être, finalement.

Mon regard croisa son frère jumeaux, les yeux de Duncan. Il venait d'arriver, sa guitare en bandoulière sur son épaule. Il pleurait déjà. Je savais mon frère hypersensible, mais je savais aussi que je devais donner un spectacle pitoyable, accroupis au sol, à pleurer, avec une clope tellement trempée que je n'aurais même plus su la fumer. Et puis, Duncan connaissait Roxxy aussi bien que moi... Et fallait croire qu'on s'y attendait un peu, sans vouloir l'accepter...

Et pourtant, il semblait qu'il lui fallait l'entendre tout de même pour y croire.

Je ne pouvais plus pleurer, pas en présence de mon frère. Il allait avoir besoin de quelqu'un de fort pour lui annoncer la nouvelle qu'il connaissait déjà en son for intérieur. Je me redressai, jetant ma clope trempée et inutilisable dans le caniveau. Je passai mon bras sur mes yeux, essuyant mes larmes. J'avais arrêté de pleurer, sur commande. Parce que j'avais été entraîné la faire. Ce qui n'empêchait pas les faits de me bousiller le cerveau.

Je pris Duncan par l'épaule, je fonctionnais à nouveau par priorité, par drill. Et ma priorité, c'était un périmètre... Et empêcher Duncan de voir ça. Je voulais que la dernière chose qu'il retienne de Roxxy soit la jeune femme vivante et pleine d'espoir de se reconstruire, même si c'était un mensonge. Parfois, mieux vaut un agréable mensonge qu'une réalité de merde.

-Reste ici, n'entre pas.

Me je ne pouvais pas mentir énormément. Les faits étaient là, immuables.

-Roxxy s'est suicidée... Dans la salle de bain...

Je respirai un grand cou pour ravaler mes larmes qui revenaient à l'attaque.

-Elle souriait ce matin...

Ouais, avant que je ne parte travailler, avant que Duncan ne se lève, elle souriait.

Et alors que mon monde était sur le point de s’effondrer, le bruit d'un moteur, celui d'une voiture roulant très vite, l'en empêcha. J'aurais reconnu ce bruit de moteur entre mille, c'était celui de la voiture de Conrad. Le chef l'avait mis au courant, certainement, et le voilà qu'il débarquait, fidèle, comme toujours.

Il freina juste à côté de nous et sorti de sa voiture. Pas besoin de nous demander si ça allait, il voyaient bien et savait bien que ça n'allait pas. La première chose qu'il fit, ce fut prendre Duncan dans ses bras. Duncan qui pleurait. Il savait que mon frère en avait plus besoin que moi, qu'il était plus sensible et plus fragile.

Il serrait encore mon frère dans ses bras quand j'entendis au loin les sirène salvatrice. Mon monde redevenait logique, et j'allais être entouré de ce qu'il fallait. Des gens qu'il fallait. Ils allaient rendre tout ça à la fois plus réel et plus supportable.

The End. ft. Jordan Keller

La pluie battante était comme un écho à nos larmes respectives. Pour l’instant, seul Jordan savait l’origine de ses larmes, moi je pleurais parce que mon frère pleurait et que je savais que quelque chose de grave était arrivé. Mon frère avait vu des horreurs au Vietnam. Il avait vu la guerre… Et n’y a-t-il par pire horreur que celle de la guerre ? Morts, souffrances, traumatismes… Il y avait survécu. Ca l’avait affecté mais il avait réussi à passer à autre chose sans oublier le passé. Il avait avancé pour moi, mes frères, ma mère, pour nous tous. Et là, il pleurait. Il avait comme craqué.

Et le pire c’est qu’au fond, je savais pourquoi. Mais je m’exhortais à le nier me raccrochant à l’espoir qu’il s’agissait d’autre chose. Car l’espoir avait toujours été ma dernière lueur, celle qui nourrissait mon optimisme sans bornes. Je m’y raccrochais comme si j’étais agrippé au bord d’une falaise, prêt à tomber.

Les yeux mouillés de tristesses de mon frère croisèrent les mien et il se redressa. Ses larmes cessèrent de couler, il avait repris sa posture habituelle. Ma seule présence l’avait remis sur pied comme s’il était sur un mode automatique. Mon frère avait toujours été comme ça. Il avait toujours su refouler ses émotions pour n’affecter personne et pour prendre les choses en main. Etait-ce pour ça que j’étais si sensible ? Parce que lui s’efforçais à ne pas l’être ?

Moi je n’arrivais pas à arrêter de pleurer. J’en étais incapable. Jordan me pris par l’épaule et m’ordonna de ne pas entrer dans la maison. L’horreur était dans la maison… Je le sentais… Et le scénario qui trainait en moi semblait se confirmer et fini par être totalement réel quand mon frère le verbalisa. Un suicide… Roxxy…

-Non…

Un nom plaintif mêlé d’étonnement et de résignation. Roxxy, pourquoi avait-elle fait ça ? Et une tonne de questions virent se bousculer les unes après les autres dans ma tête alors que j’enfuis ma figure dans les mains éclatant complètement en sanglot. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Mainte fois elle avait fait des tentatives, mainte fois j’avais essayé de la raisonné, mainte fois j’avais essayé d’égayer sa vie, de lui trouver un but. Et en voyant son sourire au matin j’étais persuadé d’y être arrivé. Mon frère l’avait remarqué aussi. Il avait vu son dernier sourire. Celui de l’apaisement. En me levant jamais je n’aurais imaginé que c’était la dernière fois que je lui parlais. La dernière fois que je la voyais. J’essayais de ravaler mes sanglots alors qu’une question me brisait complètement à l’intérieur de moi : aurais-je pu l’en empêcher ? Une bonne vieille culpabilité, inévitable à ce moment précis.

-Pourquoi elle a fait ça ? Elle ne méritait pas de mourir.

Ma voix était cassée et mes questions virent s’écraser contre la dure réalité. S’écraser parce qu’il n’y avait aucune réponse satisfaisant. Si réponse il y avait…

Je m’accrochais à mon frère comme si ma vie en dépendait. Mon visage trouva le réconfort sur l’épaule de Jordan mes larmes se mêlant à la pluie qui tombait sur sa veste. Puis le bruit des voitures virent embrouiller un peu plus mon esprit. D’abord celle de Conrad. Je relevais le regard pour voir le fidèle ami de mon frère. Un vrai ami, celui qui était là même dans des moments pareils. Il me prit dans ses bras alors que je pleurais toujours cette situation inexplicable. Je restais accrocher à Conrad qui était comme un frère supplémentaire pour moi.

-Non… Je veux voir Roxxy.

Je voulais la voir, mais vivante. Pour lui demander pourquoi. C’était impossible. Des sirènes virent s’ajouter au bruit de la pluie. Des policiers sortirent de leur voiture venant aux nouvelles. Ils parlaient à mon frère avant d’entrer à l’intérieur. Je me défis de l’étreinte de Conrad pour intercepter mon frère.

-Jordan… Dit moi qu’elle a laissé une lettre… Dit moi qu’elle explique tout…

J’avais besoin de réponse. Mais je connaissais Roxxy et les lettres d’adieux, ce n’était pas son genre. Je tenais fermement Jordan par le bras pour ne pas qu’ils suivent ses collègues à l’intérieur. Car s’il rentrait, je voulais rentrer aussi. Je ne voulais pas qu’il supporte ça seul.

The End. ft. Duncan Keller

Je savais que le pire, c'était l'Espoir. Tout le monde le savait, mais peu de gens en étaient conscients. Tout le monde, jeune ou vieux, avait déjà eu des espoirs déçu, à différents niveaux : un fils brise l'espoir de son père lorsqu'il choisi une autre carrière que celle imaginée pas son géniteur ; une femme se rend compte que l'homme avec lequel elle a rêvé de passé sa vie se tape une autre ; un enfant qui, depuis trois jours, rêve d'avoir un nouveau vélo sous le sapin et se retrouve avec un nouveau pull ; l'Espoir que cette foutue guerre s'arrête et qu'on rentre à la maison... Et chaque jour se retrouver dans le boue quand même... Bref, c'était un sentiment que tout le monde connaissait, mais sans se rendre compte que ce n'est pas la déception en elle même, qui fait mal, c'est l'Espoir qui l'a précédée.

C'est pour ça que je cassai directement celui de mon frère, que je l'amenai directement à la réalité quand j'eus retrouvé assez de force pour me relever et lui faire face, mettant fin à mes larmes. De toute façon, qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Planquer le corps de Roxxy et lui faire croire qu'elle était juste partie ? Mauvaise idée... D'autant qu'en fait, ça ne changerait pas grand chose. Partie sans laisser de trace ou morte, quelle était la différence, hormis, de nouveau, ce foutu Espoir ? Celui qu'elle revienne.

Mais Roxxy ne reviendrait pas.

Alors je laissai mon frère retomber lourdement et douloureusement sur terre. Je le laissai pleurer. Il en avait tout à fait le droit. Il venait de perdre une de ses meilleures amies, une fille qui avait partagé, pendant quelque mois, chacun de ses repas, chacune de ses paroles, chacune de ses inspirations. Celle qui le comprenait, sur un plan artistique, bien mieux que je ne pourrais jamais le faire.

Alors vint la question, la seule et unique question qui venait dans ces cas-là : pourquoi ?

Duncan s’accrocha à moi comme si sa vie en dépendait. Je distinguais ses larmes de la pluie quand elles tombaient sur mon t-shirt. Ses larmes étaient chaudes. Et je remerciais quiconque pouvait s'occuper de là quelque part. Parce que mon frère pleurait à chaudes larmes, ce qui signifiait que lui était vivant. Et pour moi, c'était la seule chose qui importait, qui avait fini par importer.

J'avais 6 piliers dans ma vie : mes quatre frères, ma mère et Conrad. Tant qu'eux restaient en sécurité, tout le monde pouvait mourir. C'était ce que le Vietnam m'avait fait découvrir : il ne fallait pas s'attacher à tout le monde, ne pas faire de n'importe qui des piliers. Sinon, j'aurais perdu l'esprit depuis longtemps, comme bien d'autres vétérans.

Je n'avais pas de réponse à la question de mon frère.

-Elle a choisi. Elle seule sait pourquoi.

C'est là que Conrad arriva, suivi de près par les voiture de patrouilles. Deux au total, notre chef avait pris place dans l'une des deux. Et mon monde se reconstruit de lui-même. Tout redevint logique, accessible. Entouré par mes collègue, je n'étais plus appelant, mais intervenant. Le situation semblait ne plus me toucher directement.

Ils éteignirent les sirènes, ainsi que les bleus. Deux voitures de flics allaient déjà assez attirer l'attention, il était inutile d'en plus faire un remake des fêtes de Noël. Les collègues sortirent, et le chef le premier vint me serrer la main, avec un regard amical de soutient. Présenter ses condoléances, c'était avec les civils qu'on le faisait. Entre nous, c'était différent. Et ça ne se traduisait pas par des mots, mais je savais que dans les jours qui viendraient, toute l'unité veillerait sur moi. Ne serait-ce que pour être sûr que je ne me foute pas en l'air. Ce qui n'avait jamais été mon intention. Le suicide était pour moi quelque chose d'inadmissible. J'en avais voulu à Roxxy la première fois. Je lui en voulais aussi cette fois-ci. Et ça m'aidait à tenir le coup.

Les collègues entrèrent et j'allais leur emboîter le pas quand Duncan s'accrocha à moi. Je ne savais de nouveau plus où donner de la tête du coup. Si j'étais intervenant, je ne devais pas rester là. Mais si j'étais un bon frère, je devais rester là.

Conrad me donna la réponse d'un regard. Tandis que Duncan criait qu'il voulait voir Roxxy. Ma place était prêt de lui. Elle, elle était morte. Ça ne servait plus à rien. Conrad était en civil, mais lui avait le choix. C'est pourtant avec nous qu'il resta.

Et puis, ça nous permettait de garder Duncan dehors.

Je repris mon frère dans mes bras. J'étais légèrement plus grand que lui et lui caressai la nuque et ses cheveux trempés.

-Elle n'a rien laissé. Sauf si je ne l'ai pas vue. Mais en générale, ils laissent ça en évidence, pour être sûr que quelqu'un tombe dessus. Il n'y avait rien, Duncan. Parce qu'il n'y a pas d'explication.

Duncan savait très bien que je considérais le suicide comme un acte irrationnel et égoïste. Une solution de facilité, une fuite. Et dans ma voix maintenant stabilisée, dépourvue de sanglot, mes reproches envers Roxxy perçaient légèrement. Reproches qui m'aidaient à ne pas sombrer dans la tristesse.

J'écartai un peu mon frère de moi.

-La voir morte ne t'apportera rien. Tu ne crois pas ?

S'il me disait le contraire, j'étais près à le faire entrer. A l'aider à supporter ça.

-Conrad et moi, on en a vu des centaines, des milliers. Un cadavre n'a pas de réponse. C'est une coquille vide.

Je repris mon frère contre moi. Je maniait mal le tact, mais Duncan me pardonnerait, je le savais.

The End. ft. Jordan Keller

Je n’aurai pas de réponses à la question du pourquoi. Je le savais au plus profond de moi que personne n’avait la réponse. Mais je la cherchais quand même car je croyais au miracle que les choses qui n’avaient pas de sens pourraient en avoir un. Alors j’avais tenté, j’avais posé la question à mon frère alors que je m’accrochais à lui comme si, si je brisais ce contact, j’allais sombrer sur le sol mouillé de la rue. Mais mon frère savait la réalité. Il n’était pas du genre à s’accrocher à du vent. Alors encore une fois il répondit, sans détour, à ma question. Seule elle le savait pourquoi et la réponse qui aurait pu m’apaiser ou me rendre totalement coupable était morte avec elle. Cela amplifia mes sanglots. Je n’avais plus pleuré comme ça depuis mon enfance.

Bientôt, on fut entourée de Conrad et d’autres collègues de mon frère. On n’était plus seul... Je me réfugiai dans les bras de Conrad alors que mon frère saluait ses collègues. Il ne pleurait plus depuis un moment déjà, il avait retrouvé toute sa logique. Mais moi, les sirènes, les policiers, la pluie et la mort n’avait pas de logique pour moi… Parce que Roxxy était morte pour rien… Et que l’annonce de sa mort résonnait encore en moi. Je ne pouvais toujours pas l’accepter.

Conrad n’avais pas besoin de me parler pour me réconforter, sa seule présence suffisait à ce que je ressente son soutien. Mais il ne put me retenir quand je me défis de son étreinte pour rattraper mon frère qui allait rentrer à l’intérieur. Je voulais savoir si Roxxy avait laissé une lettre. Encore cet espoir… Un mince espoir car ce n’était pas le genre de Roxanne. Mon frère me repris dans ses bras et je le serrais très fort. Sa main froide dans ma nuque me décontracta alors qu’il me confirma qu’elle n’avait rien laissé. Roxxy s’était tué et elle m’avait empêché de comprendre. Pourquoi me torturait-elle ? Pourquoi ?! Je sentais que mon frère condamnait l’acte de Roxxy. Il méprisait le suicide. Parce qu’il considérait que la vie de certains suicidaires était bien meilleure que d’autres ? Parce qu’il trouvait que c’était un acte totalement égoïste ? Sûrement pour ces deux raisons et encore bien d’autres.

Je ne savais quoi dire à part sangloter encore et encore alors que mon frère défis son étreinte. Il me posa une question et j’approuvais d’un signe franc de tête. Non, ça n’allait rien m’apporter. Ça n’allait ni m’apaiser, ni répondre à mes questions. Et mon frère argumenta encore et fini par totalement me convaincre.

-La Roxxy que je connaissais était vivante. Elle avait une voix, elle avait un cœur. Il était trop fragile, c’est tout. Elle ne s’est jamais remise…

Remise de la mort de son ex-petit-ami, Leonard. J’avais arrêté ma phrase en chemin parce que c’était la vérité fatale. Ni moi, ni Jordan n’avions réussi à lui faire oublier ou bien accepté son passé. On avait tout fait, sans succès. Et c’était dur pour moi, mais ça devait l’être encore plus pour mon frère. Il avait essayé de lui redonner de l’amour à sa manière mais rien n’y a fait.

-Elle n’avait pas le droit de te faire ça…

Je ne pleurais plus vraiment pour Roxxy mais plutôt pour les dégâts que ça mort était en train de provoquer.

The End. ft. Duncan Keller

J'avais déjà accepté la mort de Roxxy, j'étais résigné. Elle avait fait son choix. Et je ne pouvais pas la juger, même si c'était difficile. Même si je pensais que l'amour ne pouvais pas mener à de tels actes. Parce qu'il y avait d'autres formes d'amour auxquels elle aurait pu s'accrocher. Et je ne pensais pas au mien. L'amour que j'avais essayé de lui procuré avait été maladroit et j'avais été trop peu présent. Par contre, The Bleeding Hearts lui avait donné une famille, un but et une amitié sincère. Je lui en voulais d'être partie comme ça, les laissant avec le même vide que son petit ami lui avait laissé.

Les pleurs de mon frère me donnaient des frissons et empiraient l'intolérance que j'avais face au suicide de Roxxy. La dernière fois que je l'avais vu pleurer comme ça, c'était encore un gosse. Et je m'étais agenouillé devant lui, mon barda sur le dos, pour lui expliquer que quoi qu'il arrive, je reviendrais. Que je partais pour le protéger, lui, nos frère et notre mère. Et que je lui rapporterais un de ces chapeaux bizarres qu'ils portent au Vietnam.

Mais moi-même à l'époque, je ne savais pas que je serais parti si longtemps... Ni que ce serait aussi horrible... Ni qu'on perdrait et qu'on serait loin d'être des héros... Ni que beaucoup d'entre nous ne reviendraient jamais, pas même dans une boîte en sapin. Bien des pères et des mères n'avaient hérité de cette guerre que d'un drapeau et d'une médaille... Ce qui leur faisait une belle jambe...

Mais Duncan, lui, même à l'époque, qui pleurait dans mes bras, semblait déjà savoir ce qui m'attendait là-bas.

Je revins brusquement au moment présent, mais les pleurs restaient. Un peu plus graves, car Duncan avait eu le temps de muer, depuis.

J'avais réussi à le convaincre que ça ne servait à rien de voir le corps de Roxxy. Les morts ne parlent pas, ils ne parlent jamais. Sauf dans nos cauchemars.

Mes collègues étaient entrés dans la maison et je les laissai faire. J'avais oublié l'idée de faire partie des intervenants. Là n'était pas ma place. Le chef ne m'aurait pas laissé prendre part à la mission, de toute façon... Et puis j'allais être en repos forcé, du coups... Au moins jusqu'au lendemain de l'enterrement.

Duncan se rappelait de ce que Roxxy était, lorsqu'elle était en vie. Je m'en rappelais également. Elle n'était qu'émotions incarnées. Et c'était pour ça qu'elle allait si bien avec The Bleeding Hearts. Et malgré que je méprisais le geste de la jeune femme, je devais avouer une chose :

-Roxxy n'est pas partie sans rien te laisser, Duncan...

Je pris la tête de mon frère entre mes mains pour regarder droit dans ses yeux humides.

-Elle t'as laissé une nouvelle cicatrice sur le cœur, une nouvelle raison de te révolter.

Merde... Mes larmes rattaquaient. Je marquai une pause le temps de les réprimer et y réussi.

-Et une mission : chante, hurle, gueule tant que tu le peux. Parce qu'un jour, on doit tous crever.