Hier soir… Le monde s’est encore écroulé…

L’était déjà en ruine… Y’avait pas une seule minute ou j’pensais pas à Peyton. Pas une seule foutue seconde. Mais hier, j’pensais pas qu’en plus de tout ça, Ward Fleming sortirait totalement blanchi de toutes les accusations qui pesaient sur lui.

C’était injuste…

C’est la télé qui avait rapporté ça hier soir. Malgré les témoignages et preuves contre lui, il s’en était sorti.

C’est ta faute Howard…

C’est ce que j’me disais. Si j’avais parlé… Si j’avais eu les couilles de le faire… Est-ce qu’il s’en serait sorti ? J’en savais rien.

Vraiment rien.

Tout ce que j’pouvais me dire c’était que, comme j’avais pas parlé, Fleming me fera rien. Il fera rien à mes enfants non plus. Parce que j’avais perdu Peyton mais j’avais encore plein d’gens à qui j’tenais et j’avais aucune envie qu’il vivent ce que j’avais vécu.

Voir pire.

Parce que j’cauchemardais toujours… Sauf que mes cauchemars étaient un mélange de ce que m’avait fait Ward et de la mort tragique de ma femme.

Ce qui faisais que mes nuits étaient de plus en plus agitées… De plus en plus courtes…

Fallait que j’change d’air… Ainsi, le lendemain, j’avais décidé d’aller en studio.

Parce que c’était l’seul moyen d’expulser toutes les émotions qui m’torturaient.

J’avais pris Phénix… J’sortais rarement c’est dernier temps… Mais quand j’le faisais, j’prenais chaque fois un enfant à la fois.

C’était plus simple. J’avais Faith, de toute façon… Et comme j’avais pris souvent Pen c’est dernier temps et que j’savais que Faith avait un p’tit faible pour la fille qu’elle avait porté, ce que j’pouvais comprendre, c’est le p’tit que j’avais pris avec moi aujourd’hui.

L’était calme, le p’tit… Il dormait souvent… J’avais pas spécialement à m’plaindre…

Et j’conduis jusqu’aux studios de BSC… Chez MTI, y’avait trop d’gens que j’connaissais très bien. Trop d’gens qui allaient être attiré par Phénix comme si c’était un foutu aimant. Puis, j’risquais de voir Zack et j’en avais pas la force. Et si j’avais pas pris David c’est que j’voulais être relativement seul.

Sauf que j’avais oublié que chez BSC, y’avait Masters.

-Tu as perdus l’autre en chemin, Stone ?

M’avait pas raté… L’était dans les couloirs des studios devant un portrait de Jimmy Reed… P’tain, l’image était tellement drôle que j’aurais ri si j’avais pas envie de gerber depuis hier soir. C’était un hasard qu’il s’était arrêté là. Parce qu’il s’était arrêté que parce qu’il m’avait vu au bout du couloir avec mon maxi-cosy en main.

-J’suis pas vraiment d’humeur à causer au type le plus con de l’univers, Masters…

Semblait pas aimer ma répartie… Qu’est-ce que ce type pouvait être susceptible.

Il grommela m’insultant dans sa barbe mais j’l’ignorai pour entrer dans mon studio et fermé la porte. J’voulais être seul, ok ? Seul !

J’déposai le p’tit à terre. L’avait ouvert les yeux. Il regardait autour de lui. J’souris un p’tit peu.

-On va faire de la musique ?

J’crois qu’il a souri. J’regardai autour de moi. Y’avait ma batterie… C’était pas Aria. Aria est chez moi dans mon studio à la cave. Mais j’sentais pas que j’avais la force de taper.

Parce que malgré tout ce que j’avais entendu, j’arrivais pas à être en colère tellement j’étais… Mort à l’intérieur ? Oui… J’crois que c’est ça.

J’pris un coup de vodka. Y’a toujours de la vodka ici.

Et c’est au piano de David que j’installai. Les pianos ça me rappelait Peyton… J’tapai quelques notes du bout des doigts… J’avais demandé aucun ingénieur son… J’savais pas si j’voulais vraiment enregistrer, en fait…

J’étais pas un bon pianiste… Mais j’étais pas mauvais non plus. Depuis que j’avais démarré Fireworks, j’avais remarqué que j’avais des facilités pour certains instruments que j’avais jamais essayé. Si j’étais un mauvais guitariste, j’me débrouillais à la basse, au chant et au piano. C’est à force d’entendre et de voir les gens faire. Et j’me suis toujours demandé de qui j’tenais ça…

J’me mis alors à jouer une mélodie… J’avais des paroles que j’avais déjà écrites il y a quelques jours… Alors, j’me mis à la chanter m’accompagnant vaguement au piano.


Les larmes coulaient le long de mes joues mais ma voix restait claires.

J’voyais aucun autre moyen d’me sentir mieux. Aucun autre que celui de chanter.

Sydney avait une émission importante à enregistrer aujourd’hui. Je pouvais très bien rester à la maison avec Billie Blue, mais au bout de quelques heures, je commençai à m’ennuyer. Et Billie Blue me regardait faire les cent pas dans la maison depuis son parc en mâchonnant un de ses jouets préférés.

-Qu’est-ce qu’on va faire, hein, Billie ?

Aller promener au parc ? Le long de la digue de Santa Monica ?

Non. Ce qu’il me fallait, c’était de la musique.

Fort heureusement, j’avais racheté une voiture il y avait de ça quelques temps, une fois mes finances renflouées grâce à mes derniers albums. J’avais donc la liberté d’aller un peu plus loin que Santa Monica sans me faire aborder tout le temps par des fans.

Pas que je n’aimais pas ça, j’adorais mes fans et la plupart étaient plutôt du genre respectueux et calmes.

Mais la voiture, c’est quand même mieux que les transports en commun.

J’avais donc habillé ma fille, lui changeant sa couche mouillée au passage, puis l’avait installée bien confortablement dans son maxi-cosy… Sur le chemin, elle battit des mains au rythme de la musique… Puis, quand l’émission de sa mère commença, elle ouvris des yeux ronds et se mit à regarder dans tous les sens, cherchant après.

-Maman est dans la radio, chérie.

Elle me regarda, interloquée puis sembla se concentrer uniquement sur la voix de Syd. Seigneur ! Même moi quand je chantais, je n’avais pas droit à autant d’attention !

On arriva à San Fernando Valley, aux studios BSC. Je ne savais pas encore si j’avais envie de faire de la musique moi-même ou juste d’écouter les autres créer, s’il y avait là quelqu’un d’assez gentil pour me laisser m’incruster.

Je saluai la réceptionniste puis allai dans l’allée des studios. Je croisai Ben Masters et son air arrogant et l’ignorai autant qu’il m’ignora. Tous les artistes ne pouvaient pas avoir un cœur d’or, fallait-il croire.

Puis j’entendis un piano… Je rajustai mon appareil auditif. La voix, c’était celle d’Howard Stone, je l’aurai reconnue entre mille. Mais qui jouait du piano ? Je ne reconnaissais pas la subtilité des notes de David McAvoy.

J’entrai tout doucement dans le studio d’où venait la musique, vu que la lampe rouge signalant un enregistrement n’était pas allumée. Howard ne me vit pas. Il chantait, les yeux plein de larmes qui coulaient sur ses joues. Et ses paroles étaient éloquentes. J’avais devant moi un homme, un artiste brisé.

Je remarquai alors le maxi-cosy… Et je posai celui de Billie Blue à côté de celui du fils d’Howard. Puis je mis mon index en travers de mes lèvres pour signifier aux deux bébés de ne pas faire de bruit. Et j’écoutai religieusement Howard. Et j’en eu la gorge serrée.

Quand il eut fini, je me mordis la lèvre… Et quand je parlai, ma voix se fit rauque d’émotion.

-Salut Howard… C’était magnifique. Tu… J’ai… Je suis désolé de m’incrusté, j’ai été curieux.

Je pinçai les lèvres puis désignai les deux bébés.

-J’ai apporté Billie Blue avec moi… Elle pourrait devenir amie avec… Phénix, c’est ça ?

Je pensais bien avoir lu ça dans le dernier article de Sørensen qui annonçait la mort tragique de Lola.

-Mes sincères condoléances, Howard… Je crois que personne ne peut savoir ce que tu vis en ce moment.

Je tapais les note sur le piano de David. Sans enregistrer. J'avais juste besoin de sortir ça. Parce que j'avais presque pas dormir. Parce que Peyton me manquait. Parce que sa mort était injuste. Parce que la libération de Fleming était injuste. Parce que le monde était injuste.

Plus rien n'avait de sens. Ce monde, l'était fait pour les gens comme Reed et Fleming... L'était pas fait pour moi et Peyton. C'est la vie qui venait de m'apprendre ça d'une façon un p’tit peu trop rude.

J’pleurais silencieusement tout en chantant. J'étais tellement dedans que j'avais même pas entendu que quelqu'un était entré.

J’le remarquai qu’une fois la dernière note jouée... J’relevai la tête vers Phénix. Mais j’vis deux maxi-cosy et Sniper.

L'avait écouté.

L'avait aimé.

J'l'entendais dans sa voix.

Il s'excusa d'être entré. J’dis alors d'une voix rauque.

-C'est pas grave... Merci...

Il montra les deux p’tit bébé. La p’tite fille, c'était celle de Sniper. Billie Blue. J'avais lu ça dans L.A. People. L'était toute mignonne. Phénix était maintenant bien réveillé. Il cherchai à voir Billie Blue et Sniper.

Sniper qui voyait déjà les deux p’tits devenir ami. J’esquissai un très maigre sourire.

-Oui, c'est Phénix... L'aura besoin d’amis... Tout l'monde en a besoin...

J'en avais plein. Et heureusement, sinon, j’sais pas si j'serais sorti d’ma chambre à New York. Peyton avait pas eu beaucoup d'amis... L'en avait souffert toute sa vie.

-L’est toute jolie ta fille.

Sniper en vint aux traditionnelles condoléances. J'entendais ça souvent... Et j’me rendais compte que c'était pas prêt d'être fini... J’avais une boule dans ma gorge quand il dit que personne pourrais savoir ce que j’ressentais.

J’savais que bien des gens avaient vécu des trucs similaires ou pire... Pourtant, ouais, j'avais l'impression que personne pouvait comprendre...

-J’vis un cauchemar...

C'est ce que j’lachai d'une voix tintée d'émotion. J’bus un coup de vodka pour faire passer ça.

-Peyton aurait pas voulu que j’sois triste... Que j'arrive pas à passer à autre chose mais... J’la vois partout. Je l'entends tout le temps... J’rêve d'elle... J’me dis que c'est méga injuste.

Phénix s'agitait dans son maxi-cosy. J’bus un autre coup de vodka. J’déposai la bouteille. J’pris le p’tit avant de me rasseoir devant le piano, le p’tit dans mes bras.

-Comment t’as fait?

Ma question était destinée à Sniper... L'avait vécu son lot de deuil. Tout son groupe. J’savais qu'il était proche d'eux..  J’voulais savoir comment il avait fait.

-Comment t’as fait pour être comme t’es aujourd'hui alors que tu as perdus tes meilleurs amis?

Devait y avoir un secret.

Howard ne m’en voulait pas d’être entré à l’improviste dans son studio. J’avais découvert du même coup qu’il savait aussi très bien jouer du piano. Je lui souris.

-Tu devrais l’enregistrer, cette chanson. Pour ceux qui croient que t’es bon qu’à taper sur des tambours.

Ça avait été à la fois magique et… profondément triste. Mais qu’est-ce qu’Howard pourrait faire pour l’instant si ce n’était se réfugier dans la musique ?

Je désignai les deux bébés que je voyais déjà destinés à être amis. Pourquoi pas, hein ? J’étais bien ami avec Howard, il n’y avait pas de raison. Howard réussit à sourire, un tout petit peu, mais c’était déjà ça de pris.

Il me présenta son fils, qui était donc bien Phénix… Et il ajouta que le petit aurait besoin d’amis.

-Tout le monde a besoin d’amis, Howard. N’oublie pas que tu en a aussi.

Je lui souris encore.

-Je suis là pour toi, si tu as besoin.

Il avait certainement plein d’amis en dehors de moi, mais c’était important qu’il sache qu’il avait un maximum de gens de son côté. Je comprenais qu’il ait eu besoin d’un peu d’isolement, qu’il avait trouvé ici, dans son studio. Mais il fallait trouver un juste équilibre entre une nécessaire solitude et une vie sociale qui ne le laissera pas oublié que si Peyton était morte, lui était toujours vivant.

Il affirma que Billie Blue était toute jolie.

-Elle ressemble à sa mère.

Je trouvais qu’elle ressemblait à sa mère… Mais comme on était tous les deux blonds aux yeux bleus, ce qui faisait que dans un sens, même Syd et moi, on se ressemblait, la petite pouvait très bien être un bon mélange de ses deux parents.

Je donnai mes condoléances à Howard… Qui déclara qu’il vivait un cauchemar. Je pouvais comprendre, même si je n’avais pas vécu la même chose que lui et que je ne pouvais donc pas savoir ce qu’il vivait.

Il buvait de la vodka à grandes gorgées… Je grimaçai un peu. Je savais les ravages que pouvait faire l’alcool… J’étais passé par là. Mais loin de moi la prétention de lui faire la morale là-dessus. Il était trop tôt.

Il disait qu’il voyait Peyton partout, qu’il en rêvait  et tout. Il prit Phénix et se réinstalla au piano. Je me penchai alors à mon tour pour prendre Bille Blue dans mes bras et allai m’assoir à côté de lui sur le banc étroit du piano. Billie Blue, intéressée, toucha une touche blanche du bout du doigt sans encore oser vraiment appuyer.

Howard me demanda comment j’avais fait. Je le regardai, un sourcil levé, me demandant pendant un instant de quoi il parlait… Du deuil ou d’élever un enfant ? Mais c’était bel et bien du deuil qu’il voulait parler.

-Tu sais… on ne guérit jamais vraiment de ce genre de perte. Je pense encore à mes amis chaque jour que Dieu fait.

Je haussai les épaules.

-Ce qu’il faut surtout, c’est du temps. Ça m’a pris onze ans… Parce que j’ai oublié que si les autres étaient morts, moi, j’étais toujours vivant.

Je pinçai les lèvres, cherchant mes mots.

-C’est dur. Ça fait mal. T’as l’impression d’être détruit de l’intérieur. Mais si tu vis, Howard, c’est pour que Peyton continue à vivre à travers toi. N’oublie jamais ça.

Je lui souris.

-Et surtout, il faut laisser tes amis t’aider. Même si je comprends que souvent, on a envie de se replier sur soi-même.

Sniper disait que j’devrais enregistrer la chanson que j’venais de faire… C’est qu’il avait trouvé mon jeu de piano pas si mauvais. Mais j’haussai des épaules.

-Ça serait une insulte à David… Il joue beaucoup mieux que moi… J’tape mieux sur des tambours. Les gens ont pas tort même si, c’est vrai, j’sais pas faire que ça…

Et j’voulais, quand j’enregistrais, que tout soit parfait. La musique c’est l’seul truc que j’faisais pas à moitié.

-Et ceux qui pensent que j’sais que taper sur des tambours, comprenne rien à la musique. Alors, j’vois pas l’intérêt d’essayer d’leur faire comprendre. S’ils le savaient pas après tout ce que j’ai fait jusqu’ici, c’est qu’ils en valent pas la peine.

De mon enfance dans l’Eastside, j’avais appris qu’il fallait pas s’formaliser sur ce que les gens pensaient.

Sniper avait dit que sa p’tite fille sera, p’t-être, un jour, l’amie de Phénix. J’pouvais que l’espérer. Le p’tit aura besoin d’amis. Sniper disait que tout l’monde en avait besoin… Et que j’en savais.

-J’sais…

Il disait être là aussi. J’affichai un maigre sourire.

-Merci, vieux…

La p’tite Billie Blue était jolie et j’le dis à son père. Il disait qu’elle ressemblait à sa mère. Ça m’fit penser à Pen qui était l’portrait craché de Peyton… C’est sans doute pour que j’aimais bien l’emmener partout avec moi.

-Pen, ma p’tite fille… Elle ressemble aussi à sa mère…

J’baissai les yeux en disant ça ma voix teintée d’émotion. J’en revenais toujours pas que j’verrais jamais plus Peyton.

J’entendis des condoléances et j’pus que constater que j’vivais un cauchemar. Que j’voyais Peyton partout… J’pris Phénix dans mes bras pour pas qu’il s’agite trop et j’retournai m’asseoir sur le banc du piano. Snip’ prit place près de moi avec sa p’tite fille.

J’tournai la tête vers lui, lui précisant ma question.

Il disait qu’on guérissait jamais vraiment. J’déglutis essayant de faire partir la boule d’émotion. Il disait toujours penser à ses amis… Tous les jours…

J’savais pas quoi dire… J’allais être triste toute ma vie ? C’était ce que j’ressentais à l’instant présent.

Même si… Snip’ disait que c’était le temps qu’il me fallait. Pour lui, ça a pris 11 ans… J’jetai un œil à Phénix qui était blottis contre moi et fermais doucement ses yeux luttant contre le sommeil. Dans 11 ans, il sera grand… Plus grand que ne l’était Jesse actuellement.

C’était trop long.

-J’ai l’impression d’être mort…

J’ai plus envie de rien… Sauf p’t-être de faire de la musique. J’ai plus envie d’aller à la salle de boxe frimer un peu… J’ai plus envie d’aller voir les courses de Sonny… J’ai plus envie d’aller m’trainer au bar… Tout ce qui m’sauvait, c’était la musique. Rien que ça… Au point où j’me demandais si j’allais pas aller supplier Jack de m’donner des concerts tous les soir. Ça m’tuera parce que ça sera pas tenable mais, en dedans, j’étais tellement mort que ça sera comme une délivrance.

Snip’ disait que c’était dur… Que ça faisait mal. Il décrivait exactement ce que j’ressentais. Mais il mit en avant que j’étais pas mort. Que Peyton continuait de vivre à travers moi.

-Non… A travers eux…

J’dis ça en posant mon regard sur Phénix. Elle vivait à travers eux. Pas forcément à travers moi…

Snip’ disait que j’devais laisser mes amis m’aider. J’baissai les yeux. C’est vrai que j’leur parlais peu mais… J’savais pas quoi dire. J’avais l’impression qu’ils me regardaient tous avec pitié.

-Ouais…

J’soupirai.

-Le problème c’est que je n’ai plus envie de rien faire… En plus, les parents de Peyton me mettent des bâtons dans les roues… Ils veulent me rendre responsable de la mort de Peyton. Z’ont demandé à des avocats d’essayer d’obtenir une autopsie… Ils pensent qu’elle s’est suicidée à cause de moi… Font tout pour que j’puisse pas l’enterrer. Pourtant, j’aimerais qu’on puisse l’enterrer. J’veux avoir un endroit où aller la voir. J’veux qu’elle puisse enfin s’reposer. Tant que ça sera pas fait, j’ai l’impression que j’peux pas vivre.

Et après, j’le pourrais ? J’en savais rien.

-La vie est méga injuste… J’ai fait quoi ? J’dois avoir fait quelque chose de mal pour que tout ça arrive…

Puis, j'ris d'un rire jaune, ironique et désabusé.

-Ou alors, j'suis trop gentil et c'est ça le crime... Parce que les gens qui font des choses horribles, ils s'en sortent.

J'l'avais encore vu hier soir...

Howard venait de faire une superbe chanson… Mais il était morose, ce que je pouvais comprendre. Il ne voulait pas faire insulte à son claviériste, David… Et il n’avait pas non plus l’intention de refermer le clapet des mauvaises langues qui le sous estimaient. Il disait que ces gens-là ne comprenaient rien à la musique.

Je haussai les épaules.

-Tu as probablement raison. Ils n’en valent pas la peine.

Ce qui en valait la peine, par contre, c’était nos petits, pour le moment installés l’un à côté de l’autre dans leurs maxi-cosy respectifs. Je les voyais bien amis. Tout le monde avait besoin d’amis. Cela fit sourire timidement Howard qui saisit le message sous-jacent qui était que lui aussi avait besoin de ses proches.

Les gens pouvaient bien prendre le batteur pour le dernier des imbéciles, il était loin de l’être. On se ressemblait beaucoup, dans un sens. Notre amour pour la musique était une des choses qui nous rapprochaient, mais c’était aussi la façon dont les gens nous voyaient. On était trop gentils… Donc les gens étaient méchants avec nous.

On compara les ressemblances de nos bébés avec leurs mères. Et je vis… comme un mélange d’ombre et de lumière passer sur le visage d’Howard. De l’ombre à l’évocation de Peyton… De la lumière à celle de Pénélope.

On s’installa au piano, chacun avec notre enfant sur les genoux. Phénix était encore trop petit pour s’intéresser vraiment au piano. Mais Billie Blue touchait doucement les touches, cherchant à savoir ce que ça ferait… Cherchant aussi peut-être à savoir si ça lui serait interdit ou pas.

Pendant que Billie Blue hésitait à jouer une note, je répondis aux interrogations d’Howard qui se demandait comment je m’en étais sorti. Je ne lui mentis pas. Je ne lui dis pas que c’était facile, ni que ça passerait vite. Je jouai franc jeu.

Quand il affirma avoir l’impression d’être mort, je maintins Billie Blue d’une main et posai l’autre sur l’épaule d’Howard.

-Je pense que c’est normal. Moi aussi, je me suis cru mort. J’ai même voulu aller jusqu’à mourir vraiment par moment. Mais…

Je pinçai les lèvres et haussai les épaules.

-Il y avait Jess. Je crois qu’au final, c’est ça qui m’a tenu en vie. Même si j’ai été comme mort pendant onze ans.

Je lui assurai que Peyton vivait à travers lui, mais il affirma que c’était à travers ses enfants qu’elle vivait.

-Aussi. Mais à travers toi aussi. Elle était artiste, musicienne et chanteuse, comme l’étaient mes amis. A travers notre musique, c’est parfois eux qu’on peut invoquer.

Je cherchai son regard.

-Tu vois ce que je veux dire ?

Mais le pauvre Howard n’avait pas que ça sur le cœur. C’était déjà très difficile de perdre celle qui l’aimait, mais en plus, les parents de celle-ci voulaient lui faire payer la mort de leur fille. Et pendant tout ce temps, Howard ne pouvait pas enterrer Peyton et donc ne pouvait pas faire son deuil.

Je grimaçai.

-Ça c’est juste dégueulasse. J’ai lu qu’elle était morte en couches. De toute façon, tu auras gain de cause au final parce que les médecins confirmeront. Alors quoi ? C’est juste pour te faire souffrir ?

Non seulement, il ne pouvait pas enterrer sa femme. Mais je m’imaginais à sa place et il devait sûrement, bien malgré lui, imaginer qu’on profane le corps de sa défunte épouse, comme si ce n’était pas déjà assez dur comme ça.

Je passai mon bras carrément autour des épaules d’Howard, l’attirant à moi. Il se demandait ce qu’il avait fait au bon Dieu pour mériter ça.

-Je me suis aussi souvent poser la question. Je ne pense pas avoir fait du mal à quelqu’un, sauf peut-être à Barbara mais elle me le rendait bien… Et pourtant, j’ai eu mon lot de deuil aussi.

Je soupirai.

-Alors ouais, je crois qu’on est trop gentils pour ce monde…

Ding !

Billie Blue avait trouvé comment sortir une note. Ça l’avait fait sursauter et Phénix cherchait d’où venait le bruit.

-Tu fais de la musique, Billie Blue ?

Je pris sa petite main et l’accompagnai pour taper deux ou trois notes qui la fit rigoler.

-Tu vois, c’est pour ce rire qu’il faut continuer à vivre. Malgré tout ce qui peut nous tomber dessus.

Non… Z’en valaient pas la peine… T’façon, j’savais pas si j’avais réellement la force de faire taire tout ses gens incapables de comprendre que j’valais plus que ce qu’ils croyaient… Toute la force que j’avais eue dans mon combat contre Reed, j’l’avais perdu quand Peyton avait fermé les yeux en donnant naissance à Phénix.

Phénix que j’avais fini par prendre dans mes bras après que Snip’ et moi on ait décrété que nos filles ressemblaient à leur mère. J’voyais encore les expressions de Peyton chez Pen… Ça m’rendait à la fois triste et heureux. C’était méga bizarre. Mais comme j’voyais Peyton partout, c’était pas tellement étonnant.

Snip’ vint s’asseoir à mes côtés avec sa p’tite fille sur les genoux qui sembla vite intéressée par le piano. Mais moi, c’était sur ce que me disait Snip’ que j’étais concentré. Me parlait de Peyton… Du fait qu’il était désolé pour ce qui lui était arrivé. Mais moi, j’voulais savoir comment lui avait fait pour être comme il est aujourd’hui alors qu’il avait perdu des êtres chers. Avant Peyton, à part mon frère, j’avais perdu personne qui était vraiment un pilier dans ma vie. Et encore… Je n’étais pas aussi proche de mon frère que j’aurais dû l’être pour un tas de raisons.

Snip’ disait que c’était dur mais que j’étais toujours vivant. Sauf que j’avais l’impression d’être mort. Il disait avoir eu l’même sentiment. Qu’il avait même voulu mourir par moment. J’déglutis avant de souffler :

-Moi aussi…

Pas concrètement… Mais j’y avais pensé d’une façon ou d’une autre. Quand j’étais dans ma chambre d’hôtel à New York, j’pensais bien qu’à un moment donné, mon cocktail alcool-médocs’ ou ma bronchite allait m’tuer.

Mais j’étais toujours vivant.

Mais Snip’ n’était pas allé au bout parce qu’il y avait sa fille. J’baissais les yeux sur Phénix. J’avais eu la même pensée que lui. J’pouvais pas abandonné mes enfants. J’le savais.

-J’comprends… Moi aussi, j’me dis que j’dois être là pour les p’tits. C’est ce que Peyton aurait voulu aussi. Elle était prête à arrêter sa carrière pour les élever.

Et c’était pas rien.

Comme Peyton vivait à travers mes enfants, ça m’faisait que les aimer plus. Mais Snip’ disait qu’elle vivait aussi à travers moi. Il disait que j’pouvais la faire vivre à travers ma musique. J’hochai de la tête. L’avait p’t-être raison.

-J’vois, oui…

Sauf que j’arrivais pas à passer au-dessus de son décès parce que des gens, ses parents, essayaient de m’tirer vers le bas. Ils m’empêchaient d’enterrer ma femme… Ils voulaient que la presse me voit comme le responsable de la mort de Peyton. J’avais fait un tas de connerie dans ma vie. Mais pas ça.

Snip’ trouvait ça dégueulasse. J’hochai de la tête.

-J’pense qu’ils pensent vraiment gagner… Ce qu’ils veulent, c’est des thunes. Ils ont toujours voulu ça. Z’ont exploité Peyton depuis qu’elle est toute p’tite pour vivre sur ses thunes à elle. Quand elle a coupé les ponts, ils ont sûrement pas été content. C’est leur façon d’continuer à essayer de l’exploiter maintenant qu’elle a plus son mot à dire. C’est des enfoirés. Veulent même essayer d’me prendre mes enfants. Sûrement pour les exploiter aussi. Savent faire que ça.

J’serrai un p’tit peu plus Phénix contre moi. Maitre Louis était confiant… Kirkman aussi… J’savais que j’avais pas à m’en faire. Mais j’serais soulagé que quand ça sera terminé.

Snip’ passa son bras sur mes épaules. Ça m’fit du bien.

Et j’pus pas m’empêcher d’me dire que j’avais dû faire quelque chose de mal pour que tout ça m’arrive. Ou l’inverse… Parce que les enfoirés, eux, ils ont de la chance. Suffit de voir les Ricci, les Reed et les Fleming.

Snip’ s’était déjà posé la question. Parce qu’il avait vécu la même chose. Alors il pensait bien que c’était parce qu’on était trop gentil.

-La vie a pas de sens.

C’est une pute, la vie…

Le piano chanta alors. Une note qui fit sursauté Phénix qui était sur le point de s’endormir. Maintenant, l’était bien réveillé et semblait chercher d’où venait le bruit. C’était la p’tite qui avait tapé sur une des touches.

Snip’ fit faire quelques notes à sa fille. J’souris légèrement parce que la p’tite rigolait.

Sniper disait que c’était pour ça qu’il fallait vivre. Pour le rire de nos enfants.

Malgré tout.

J’le fixai. Si j’tenais pas… Si j’me laissais aller… Les p’tits allaient devoir grandir sans leur mère et sans moi. J’savais ce que c’était de grandir légèrement abandonné. Pas que j’avais pas de parents. Mais mon père travaillait beaucoup et ma mère ne savait pas me voir en peinture. J’avais été malheureux par rapport à ça. Et sans mes amis à l’extérieur et un je sais pas quoi que j’avais en moi, j’étais pas tombé trop bas. Mais j’pouvais pas jouer l’avenir de mes enfants sur un coup de dés en m’disant que l’destin les aidera mieux que moi.

J’pouvais pas.

-T’as raison…

Et si être gentil était mon seul crime… J’allais en faire ma force.

-Faut que j’me batte…

Contre les parents de Peyton, en premier… Après ça, j’avais encore des combats à mener, non ?

Oui. Un tas… Parce que y’avait, justement, bien trop d’enfoirés dans ce monde.

J’levai les yeux vers Snip’.

-Merci, vieux… T’es un vrai pote.

Et j’en avais beaucoup. J’devais pas l’oublier.

Je souris à Howard qui avait bien compris que, quelque part, même s’il avait le droit de se sentir très mal, le droit d’avoir le temps de faire son deuil, de pleurer, de se morfondre, il fallait qu’au final, il soit là pour ses enfants. C’était ce que Peyton aurait voulu, disait-il. Peyton qui aurait probablement arrêté sa carrière pour élever lesdits enfants.

J’essayai de lui expliquer pourquoi Peyton vivait à travers lui. Je savais que je ne m’exprimais vraiment bien qu’en chanson, mais il comprit ce que je voulais dire. Peut-être parce qu’il fallait vivre ce genre d’horreur pour comprendre.

Mais le pire, c’était qu’Howard ne pouvait pas vraiment entamer son deuil. Parce qu’il ne pouvait pas enterrer sa femme à cause des parents de celle-ci qui voulait le rendre responsable de la mort de leur fille. Je trouvais ça vraiment dégueulasse.

Et je fus encore plus atterré quand le batteur m’expliqua que tout ça, ils le faisaient pour l’argent. Je savais que la diva avait été une enfant star. Un peu comme le petit Jesse. Sauf que Jack Perry et sa femme ne poussaient pas Jesse à la performance. C’était plutôt le contraire. Quand Jesse avait voulu quitter la tournée, il n’avait pas fallu le dire deux fois à Jack qui avait tout fait pour protéger son enfant.

Je soupirai en secouant la tête, dépité.

-Je te souhaite de pouvoir bientôt faire ton deuil. Il n’y a rien de pire que d’être coincé dans une incertitude.

Je sentis Howard se détendre un peu quand je passai mon bras autour de ses épaules. C’était de ça qu’il avait besoin. De marques de soutien, même silencieuses.

Je confirmai qu’on était probablement bien trop gentil pour ce monde. Et que donc, la vie nous en faisait chier.

Pour lui, ça n’avait pas de sens.

-Mais ça finit toujours par tourner. Faut savoir chercher un peu le bonheur. A croire que ça se mérite.

Billie Blue avait tapé sur une touche du piano. Je l’avais encouragée à jouer d’autres notes, ça l’avait fait rire. Puis Howard avait compris qu’il fallait vivre, pour le rire de nos enfants.

Il voulait se battre.

-C’est bien. Mais un combat à la fois.

Il me remercia et je pris Billie Blue pour l’inviter à tenir les deux enfants, le sien et le mien.

-A moi de te jouer une chanson.

Je me levai, pris la guitare et chantai une chanson de mon dernier album… Pour qu’Howard sache que je serais toujours là pour lui.