-Mais c’était censé être notre soirée film…

De la déception ! C’est ce qu’on pouvait entendre dans la voix de Carrie. Une grande déception ! Sauf que, là toute suite, je n’avais aucune envie de rentrer. Pas après ce que je venais de vivre dans ce foutu Canter’s Deli ! Surtout que je crevais toujours la dalle et je n’avais aucune envie de rentrer voir Carrie s’extasier devant un film mièvre ! Je voulais me foutre une mine ! Voilà ce que je voulais !

-Chérie, j’ai eu une très mauvaise journée. Je n’ai pas encore mangé et j’ai VRAIMENT besoin de décompresser. Tu sais comment je suis dans ce cas-là, non ?

Elle soupira.

-Oui… Tu es imbuvable… Ok… Va manger, va décompressé un peu mais ne rentre pas trop tard, d’accord ? J’ai envie de passer le reste de la soirée avec toi.

Encore heureux que tu acceptes, la vieille ! Parce que je ne comptais pas céder de toute façon.

-D’accord, chérie. Je mange, je bois un coup et je reviens. A tout à l’heure.

Je raccrochai le téléphone de cette foutue cabine téléphonique alors que j’avais toujours en tête Jake qui me plaque contre le mur. Il m’avait sorti du Canter’s Deli de cette manière devant tout le monde. Il me le payera !

J’étais frustré au plus haut point et la faim n’aidait pas. Alors c’est au Rainbow que je me rendis pour atténuer cette faim. Là, j’avais bouffé un VRAI et BON cheeseburger extra-fromage.

Pas cette merde que ces juifs avaient essayé de me faire bouffer.

Après quoi, je m’étais installé au bar et j’avais bus. C’était Jenny qui faisait le service. Jenny a un beau cul mais qu’est-ce qu’elle est débile. Heureusement qu’il y avait le barman pour remonter légèrement le niveau intellectuel.  Il m’avait servi whisky sur whisky alors que je faisais mes commentaires sur les groupes qui passaient sur la petite scène du Rainbow. Ils étaient tous nul !

Tout était nul aujourd’hui !

Je ne savais pas depuis combien de temps j’étais là. Une heure ? Deux ? Trois ? Plus ? Quoi qu’il en soit, j’avais descendu pas mal de verre au point où je parlais toujours mais avec une voix plus pâteuse bien que toujours remplie d’une certaine assurance.

Jusqu’à-ce que Kyle Davis s’installe à mes côté et se mettre à parler. Pas a moi, hein… Au barman. Il racontait sa vie le Davis. Sa vie d’acteur de merde de série B. Putain, il était complètement jeté. Je l’étais aussi mais je crois que Kyle dépassait mon stade. Il avait les yeux complètement éclaté par la drogue.

-Tu devrais te mettre eu porno Kyle !

C’est ce que je lançais à un moment alors que Kyle parla de ses déboires à trouver des films de série Z… Il se tourna vers moi avec ses yeux de merlan fris.

-Oh boh, tu crois que j’y ai pas déjà pensé, Vic ? Je l’ai fait d’ailleurs ! J’ai tourné la semaine dernière dans un porno.

Putain, je suis sûr qu’il ment cet abruti. Je suis sûr que même pour un film porno, les gens le pensent pas à la hauteur.

-Putain, Kyle, t’es un gros mytho ! T’es le pire acteur de cette foutue ville. Personne voudrait t’engager même pas le réalisateur du pire film porno de la planète.

Je dis ça en ricanant avant de boire mon… Heu… Bon, j’ai arrêté de compté le nombre de whisky. Et de regarder l’heure aussi.

-Non ! Demande à Giordano, je joue dans son film!

Giordano ?

Mes yeux s’écarquillèrent. Je crois que, d’un coup, je suis devenu tout blanc. J’avais la tête qui tournait.

-Vic, on dirait que tu vas mourir. Tu veux de la coke pour te remettre en forme ?

Non… Il pouvait pas faire des films. Reed l’a effacé. Pour toujours. Pas possible ! Pas possible du tout !!!

Ce que je ne me rendais pas compte c’était que Kyle ne parlait pas de Dario mais de son petit frère, Rino.

Je ne dis rien me levant d’un coup tellement j’étais nauséeux. Je me dirigeai alors, rapidement, vers la sortie de secours qui était NETTEMENT plus près que les toilettes. Et, une fois dehors, je vomis tout ce que j’avais bu sur la soirée.  

Je respirais fort avant de me reculer un peu. Je titubais vachement. Il faut dire que j’étais resté assis toute la soirée et que me lever si violemment n’était pas recommandé.

Je sentais que j’allais franchement m’écrouler là alors je m’assis à terre non loin de la sortie de secours respirant fort pour me reprendre. Je n’avais pas l’esprit claire du tout. Sinon, j’aurais pu faire A+B en causant avec Kyle. C’était vraiment une foutue journée de merde !

J’avais récupéré mon appartement. Et il était temps !

Pas que la vie avec Mackenzie et Nathan ait été mauvaise. J’avais été logé, nourri et blanchi pendant tout le temps que ça m’avait pris pour récupérer mes biens. Mon agent, Henri Finley avait fait des pieds et des mains pour tout retrouver : appartements, affaires et autres. Je pensais bien qu’il avait tout fait en tremblant et je le soupçonnais d’avoir été soulagé de penser que j’aurais pu rester interné à vie.

C’était mal me connaître.

Bref, je vivais à nouveau seul… Ce qui ne me dérangeais pas le moins du monde. Je n’étais pas un être particulièrement sociable. Et je pensais bien que je n’aurais pu supporter de vivre avec quelqu’un. J’avais mes repères, mes rituels… Ces derniers m’étaient indispensables.

Parce que j’avais toujours, dans le fond de mon esprit, des idées obsédantes… Envahissantes..

Et particulièrement excitantes.

Il me fallait du travail ! Si possible un film d’horreur avec beaucoup de fausse hémoglobine. Quelque chose pour tempérer mes ardeurs et mes envies, au moins pendant un temps.

J’avais mis Henri sur le coup, mais ça ne m’empêchait pas d’aller voir par moi-même ce qui se passait en ville, comme n’importe quelle personne normale.

Ouais, voilà…

Il fallait que j’agisse normalement. Que je me montre… Et les producteurs et réalisateurs reviendraient forcément vers moi à un moment donné.

Si je me comportais comme tout le monde. Si je montrais bien que j’étais sain d’esprit et digne de confiance.

C’était un exercice difficile… mais je m’y plierais. Il le fallait, sinon j’allais faire quelque chose de mal… Très mal.

J’étais donc sorti au Rainbow… J’avais mangé une énorme entrecôte sur le grill, m’amusant à presser dessus avec ma fourchette pour en faire suinter le sang qui avait un goût salé délicieux. Je savourais chaque bouchée, suçant le sang d’abord, mâchant la chair après.

Puis, je m’étais installé au bar, légèrement en retrait, mais suffisamment près pour capter les conversations des gens malgré la musique. Et je sus alors que j’étais au bon endroit pour trouver ce que je cherchais, à savoir du travail. Parce qu’au bar, il y avait Kyle Davis qui était un très mauvais acteur qui apparemment s’était lancé dans le porno… Ce que son interlocuteur, que je ne connaissais pas, trouvait assez invraisemblable.

Bref, je n’étais pas le seul acteur ici, mais je devais être dans les meilleurs de ma catégorie.

Le nom de Giordano fut lancé dans la conversation. Je savais que Dario Giordano était hors service depuis des années, même avant que j’arrive à L.A. Mais son petit frère faisait effectivement dans le porno.

Je fis la moue. Je devais trouver mieux que du porno… Je n’étais pas fait pour le porno.

Mais mes réflexions furent interrompues quand le dénommé Vic sortis en titubant, blanc comme un linge.

Non, tu ne dois pas y aller River !

Mais c’était trop tentant.

J’achevai mon verre de coca d’un trait et m’engouffrai dans le sillage de Vic qui sortit par l’issue de secours. Quand j’arrivai dehors moi aussi, il était assis à côté de sa flaque de vomi.

-L’alcool ce n’est pas bon pour ce que tu as, Vic…

Je souris, mon crucifix inversé brillant sous l’éclairage public merdique de la ruelle.

-Qu’est-ce qui te fait aussi peur ?

Le trajet jusqu’à dehors me parut durer une éternité. J’ai cru que j’allais vomir au beau milieu du Rainbow mais je réussi, tout de même, à atteindre l’extérieur. C’est là que je vomis absolument tout. J’étais blanc, je respirais vite, je tremblais au point où je ne trouvais absolument pas la force de revenir à l’intérieur. C’était comme si je pouvais me faire transpercé par le fantôme de Giordano. Si je n’avais pas était aussi imbibé d’alcool, j’aurais pu faire la part des choses mais là, c’était comme si un tas de souvenir voulaient se frayer un chemin jusqu’à la surface.

Je dus m’asseoir à terre au risque de m’écrouler à terre. Je n’avais pas remarqué, au cours de la soirée, que j’avais largement trop abusé de l’alcool. J’avais largement dépassé ma propre limite me rendant incapable de la moindre lucidité.

Je gémis les mains tremblante mais les yeux tout de même grande ouvert. Car je venais de comprendre que les fermer allait me faire avoir de sales flashback.

L’alcool ce n’est pas bon pour ce que tu as, Vic…

Je sursautai en entendant la voix d’un homme. Un homme qui connaissait mon foutu surnom. Encore une fois, je n’avais pas assez de jugement pour faire le lien avec le fait que Kyle n’avait pas arrêté de m’appeler comme ça.

Je levai la tête tombant sur le visage de Kraken.

Putain ! Kraken !

-Kraken ?

C’est ce que je soufflais les yeux écarquiller avant de me rendre compte que ce n’était pas Kraken mais bien l’acteur qui faisait Kraken. River Moriarty. Celui qui avait été interné. Il était dehors ? Depuis quand il était dehors ?

J’avais dû raté un épisode.

-Ce que j’ai ? Je n’ai rien !

Je dis ça sur un ton que je voulais assuré mais ma voix tremblait à cause de l’abus d’alcool et d’un simple nom.

Je fixai l’acteur qui me demanda de quoi j’avais peur. Sa question telle qu’il la posait me fit frissonner. Surtout que... Vous devriez voir ses yeux. Ceux de Jake était bleu comme la glace mais ceux de River... C'était un bleu encore plus glacial. Y'avait un truc pas net dans ce regard.

-De rien ! De rien du tout, bordel ! Qu’est-ce que tu fous là, toi ? T’es pas censé être enfermé chez les fous ?

J’avais encore envie de vomir. Je fermai d’un coup les yeux serrant mon ventre mais je me retins me mordant la lèvre.

« Mais c’est que tu aimes ça en plus ! »

C’était la voix de Dario et ça me fit rouvrir les yeux d’un coup. Je respirais encore plus vite. Je replaçais mon regard sur Moriarty comprenant alors un truc.

-Tu m’as suivi ? Putain, pourquoi ? Qu’est-ce que tu veux ?

J’étais à la fois sur la défensive et en même temps paniqué pas ce qu’il se passait dans ma tête. Tout ça me faisait respirer plus vite et plus fort. Et plus je respirais ainsi, plus j’avais la tête qui tourne.

Kraken ? Ouais… ouais, j’étais Kraken… Et en même temps, non, pas vraiment. Je n’étais que l’acteur qui faisait Kraken. J’avais tué bien des fois dans la peau de Kraken, assouvissant mes pulsions les plus sombres. J’avais aimé ça.

-Ouais… Kraken… Ou River, c’est comme tu veux…

Vivement la prochaine saison de Keeping Our Lands… Parce que je n’étais pas encore mort dans ce feuilleton. Pas comme le roi Damon. Je pouvais encore interpréter mon rôle et me repaitre de la peur simulée des autres.

Mais celle de Vic était encore meilleure, parce qu’elle n’était pas simulée. Il avait atrocement peur de quelque chose qui semblait ne pas être là… Ou n’être que dans sa tête. J’en avais vu, des peur comme ça, quand j’étais interné.

Il s’indigna, protestant qu’il n’avait rien.

Mais je sentais sa peur aussi sûrement que Sniper devait empester le Spicebomb de Carrie Hughes.

Et j’aimais ça. J’aimais cette odeur si particulière… Propre à chacun et en même temps reconnaissable. Celle de Victor avait une odeur de sueur mêlée d’alcool.

-Tu es assis dans une ruelle sombre, à vomir tout ce que ton estomac peut contenir.

Je souris, carnassier.

-Quelque chose ne va pas.

Je voulais savoir de quoi il avait peur. Je voulais connaître son histoire et m’imprégner de sa terreur. Une terreur que, je le sentais, je contribuais à faire vivre encore un peu plus longtemps qu’elle ne l’aurait probablement fait si je n’étais pas intervenu.

Vic avait bien suivi les actualités… Enfin, jusqu’à un certain point. Parce que s’il savait que j’avais été interné, il ne savait pas que j’avais été libéré en toute légalité.

-les fous ne voulaient plus de moi.

Je ne me départissais pas de mon sourire.

-Il faut croire que ma place n’était pas parmi eux.

Je m’accroupis près de l’homme, les avant-bras posés sur les genoux, pour l’observer de plus près. Je ne voulais pas manquer une seule miette de sa terreur. Il fermait parfois les yeux mais les rouvrait tout aussi vite comme s’il s’extirpait à chaque fois d’un cauchemar éveillé.

Il voulait savoir ce que je voulais.

Je tendis doucement une main vers son visage et allai cueillir une goutte de sueur sur sa tempe que j’écrasai entre mes doigts avec un air fasciné.

-Je veux… Je veux qu’il ne t’arrive rien de fâcheux.  Tu pourrais tomber sur n’importe quel malfrat dans ce genre de ruelle…

Ou sur un psychopathe… C’est pire qu’un sociopathe, non ?

-Tu rêves éveillé… Raconte-moi ton cauchemar…

Kraken était face à moi… Ou River… Celui qui avait tué le roi Damon. Je devais avoué avoir adoré quand Kraken avait démoli la tronche à ce sale petit morveux de Damon. Je n’aimais pas le roi Damon… C’était une véritable petite merde.

Je réussis à me concentrer là-dessus quelques petites secondes mais l’angoisse remonta rapidement et je fus à nouveau pris dans cette série de souvenirs qui revenaient à la surface tout comme mon repas et tout le whisky était ressorti de mon corps.

J’essayais de ne pas trop fermé les yeux mais m’emballai un peu quand Kraken insinua que quelque chose n’allait pas. Je niai mais l’acteur n’était pas prêt à me croire alors même qu’il m’avait vu vomir mes trips sur le sol de cette ruelle merdique.

-J’ai bu, voilà ce qui ne va pas !

C’est ce que je lançais angoissé et sur la défensive. Surtout que je me rappelais que River Moriarty était censé être interné chez les fous. Qu’est-ce qu’il foutait là ? Je délire ou quoi ? Ouais… Tu délire, Victor… Tu délires… Reprends-toi !

Mais non, je ne délirais pas apparemment. River déclara que les fous ne voulaient plus de lui. Qu’il n’avait pas sa place parmi eux. Je ne savais pas quoi penser de ça. Je ne connaissais absolument pas River Moriarty.

-Putain, c’est sûrement parce que tu en as l’air qu’ils ont un moment voulu de toi…

Je dis ça avant que je ne m’emballe en remarquant que, en fait, Moriarty m’avait suivi ici. Plus l’angoisse augmentait, plus les flashs me torturaient chaque fois que je faisais l’erreur de fermer les yeux. J’entendais même distinctement Giordano. J’en tremblais. Ça me donnait envie de vomir encore même si je ne devais plus avoir grand-chose dans l’estomac.

River s’était mis à ma hauteur et quand il avança sa main vers moi je fermai d’un coup les yeux.

-Non ! Me touche pas !

C’est ce que je lançai mais je sentis à peine son contact avant qu’il ne retire sa main. Ça me fit respirer encore plus vite. Je rouvris les yeux. Le regard de River me fixait alors qu’il expliquait être là pour qu’il ne m’arrive rien de fâcheux.

Rien de fâcheux ?

Je regardai furtivement autour de nous avec un air angoissé.

-Putain, non… Il peut pas être là ! Il peut pas !

J’avais du mal à me focalisé sur River. J’avais du mal à réfléchir comme il faut. River disait que je rêvais éveillé. Il voulait que je lui raconte mon cauchemar.

Je fermai d’un coup les yeux.

-Non ! Je peux pas te raconter ! Je VEUX pas !

Des larmes coulaient le long de mes joues sans que je ne puisse rien faire. Je crevais de trouille.

« De toute façon, il est évident que je n’ai pas les atouts que voudrait Victor contrairement à Giordano. »

-Ta gueule, Kate !

Je rouvris les yeux sur River n’arrivant clairement plus à faire la distinction entre mes pensées et la réalité. Je ne pouvais pas clairement identifié que c’était l’alcool et l’angoisse qui créait ce délire.

-Je suis pas de ce bord, ok ?! T’as compris ? C’est Dario la foutue pédale, pas moi !

C’est ce que je lançais à River. Je secouais la tête.

-Putain, je me sens super mal.

Je me sentais incapable de me relever. Et je respirais toujours trop vite. J’entendais mon cœur battre dans mes oreilles.

Pour avoir bu, il avait effectivement bu ! Il empestait l’alcool et le vomi à cent mètres… Mais il y avait une odeur beaucoup plus attirante qui faisait que je restais là, à le regarder, fasciné.

Il fleurait bon la terreur ! A un point que j’avais rarement eu l’occasion de voir. Il était complètement flippé et je voulais connaître l’histoire de cette peur. M’en nourrir et repartir repu, comme un vampire !

Il avait assez les idées claires, cependant, pour réaliser que j’avais été interné. Je me défendis et sa réaction me fit marrer. Alors comme ça, j’avais l’air fou ? Ouais, je le savais. J’avais un regard dérangeant bien malgré moi.

Mais…

-C’est ce qui a fait mon succès, Vic.

C’était pour ce regard, pour cette tendance à créer un effet délicieusement malsain que les réalisateurs m’adoraient. C’était pour ça que j’étais Kraken. C’était pour ça que j’étais le tueur de plusieurs autres films.

Des rôles qui m’avaient sauvé d’un destin bien pire que celui d’être interné.

Je m’étais accroupis près de lui et avais cueilli une goutte de sueur sur sa tempe. Il s’était recroquevillé un peu plus et m’avait presque hurlé de ne pas le toucher.

-Qui t’as touché alors que tu ne voulais pas ?

Il délirait clairement, me rappelant assez bien pourquoi j’évitais de boire de l’alcool ou de prendre des drogues. Qui sait ce que je serais capable de faire si je perdais le contrôle ? Vic avait peur de quelqu’un, mais de qui ?

« Il »… un homme…

J’avais vu ce genre de crise assez régulièrement à l’asile. Ce n’était pas vraiment une crise psychotique… C’était une crise d’angoisse poussée à l’extrême. Cependant, ce gars semblait entendre des voix quand même, celle de Kate.

Et par-dessus tout, il ne voulait pas raconter son histoire.

J’avais parfois des souvenirs intenses qui me faisaient tiquer. Simplement un coin de la bouche qui remonte et un œil qui cligne… Des souvenirs qu’un simple secouage de tête suffisait à faire passer. Mais avec l’alcool, ce phénomène était beaucoup plus prenant chez Vic.

-Chhhhhut chut chut chut… Tout va bien…

Je m’approchai encore, jusqu’à m’asseoir à côté de lui. Plus près j’étais, plus je prenais mon pied. Parce que je pouvais le sentir trembler.

Dario ? Une pédale… Mmm… ok…

-Dario ?

Je fis le lien avec ce que j’avais entendu un peu plus tôt au bar.

-Dario Giordano ? Il est encore capable de la lever ?

Je passai ma langue sur mes lèvres avec gourmandise alors que Vic disait se sentir super mal. Plus il allait mal, plus tout ça me plaisait.

-Tu as été violé ? Hein… Pas vrai ? Dario Giordano t’a fait des choses…

La présence de River était oppressante… Il déclara que c’était sa tronche de cinglé qui avait fait son succès. Ouais… Kraken… Kraken était cinglé… River l’était aussi ?

J’arrivais plus à vraiment réfléchir à ça alors que la réalité se mêlait à mes pires souvenirs. J’avais des flashs, mon corps était en total état de stress. Je respirais tellement vite et fort que j’en avais la tête qui tournait et plus elle tournait pour je perdais pieds dans la réalité. Un réalité que je voyais à travers le filtre de l’alcool et de la peur. Une foutue peur irrationnel déclenchée par un seul nom.

Quand River avant sa main pour toucher légèrement ma tempe, je lui criai de ne pas me toucher. Je m’étais tasser un peu plus contre le mur. Et l’acteur y alla d’une question qui me fit déglutir avant que je ne me mette, à nouveau, sur la défensive.

-Personne, putain !!

Les questions de River… La voix de Kate… Autant de chose qui contribuait à m’enfoncer encore plus dans ce délire. Au point où je commençais à répondre à mes propres souvenir. Tout haut. Sans me rendre compte que j’avais, à côté de moi, des oreilles plus qu’indiscrètes.

La voix de River atteignit mon cerveau. Il me disait que tout allait bien.

Tout va bien, Victor.

La voix de Reed… Le seul qui m’avait aidé. Le seul qui pouvait m’aider. Sauf que, aujourd’hui, ce n’était pas lui qui était là à me voir recroquevillé sur moi-même mais River Moriarty.

-Tu mens !

Tout n’allait pas bien. Rien n’avait jamais été depuis ce jour-là.

Je clamai alors que je n’étais pas comme Dario. Ni comme Ryan ! Ni comme toutes ces pédales. Non !

River fit les liens… Demandant si Dario savait encore la lever. Je fermais les yeux brutalement.

-Non ! Il saurait pas ! C’est pas possible !

Je n’en savais rien, en fait. J’avais fait en sorte de ne plus entendre parlé de lui avant aujourd’hui.

Je me sentais mal. J’avais l’impression que mon cœur allait explosé.

Mais la suite des questions de River furent de trop.

Je me tournai brutalement vers lui planquant, sans ménagement, ma main sur sa bouche.

-NON ! Je ne l’ai rien laissé faire ! Ok ?! Rien !

Je l’ai laissé tout faire… Putain…

Je fermai d’un coup les yeux appuyant très fort ma main contre la bouche de River.

-Ferme-là, ok ?! Sinon, je te démoli la figure, c’est compris ? Il n’a rien fait… Il… A disparu pour toujours ! Tu captes ?

Alors pourquoi Kyle en a parlé ?

-Kyle est un mytho !

Je dis ça en regardant River droit dans les yeux avant qu’une crampe me prenne au ventre et que je relâche la presse de ma main sur sa bouche pour enserrer mon ventre.

-Je vais crever, bordel ! Faut que… Que je rentre chez moi… Je… Sais même plus où est ma bagnole…

Les larmes coulaient sur mes jours. J’avais l’air pathétique.

C’était grisant, c’était délicieux. Vic était clairement en proie à la partie la plus sombre de son esprit. L’abus d’alcool avait réveillé les monstres qui sommeillaient en lui. L’abus d’alcool… Et probablement quelques mots clés que, sans les informations adéquates, je n’avais pu identifier dans sa conversation avec Kyle.

Mais je comptais bien ne pas le laisser redescendre.

J’allais nourrir ces monstres aussi sûrement qu’un enfant désobéissant au zoo devant la pancarte qui disait de ne pas donner à manger aux animaux.

Il était sur la défensive… Il ne voulait pas se laisser faire.

Mais je savais y faire. Attiser la peur, c’était mon métier à l’écran. Kraken avait donné des cauchemars à bien des gens.

Ici, j’avais l’aide de quelqu’un, d’un fantôme que seul Vic connaissait.

Et à nous deux, on pouvait faire complètement péter les plombs à ce pauvre gars. Il me suffisait d’appuyer là où ça faisait mal.

J’essayais de l’appâter… De lui dire que tout allait bien… Pour qu’il me fasse confiance, pour qu’il me parle. Pour que j’aie le fin mot de l’histoire.

Vic était presque complètement recroquevillé sur le sol. Il pleurait, parlait de temps en temps à moi, de temps en temps à des personnes qui n’étaient pas là.

Mais il était certain que ça n’allait pas aller.

Tant mieux, je ne voulais pas que ça aille.

En complétant l’équation avec ce qu’il disait, j’arrivai plus ou moins à comprendre ce qui le torturait. Il ne voulait pas être touché, il avait donc été touché par quelqu’un qui le dégoûtait. Il parla de Dario. Dario Giordano ? Une pédale.

Ooh…

Une part encore un peu raisonnable de son esprit se rappelait que Dario Giordano avait perdu toute sensation en dessous de la ceinture. Alors quoi qu’il ait fait, ça ne datait pas d’hier et ce n’était pas près de se reproduire.

-Qui sait ? Personne n’a plus revu Giordano depuis des lustres… Personne ne sait de quoi il est capable.

J’approchai ma bouche de son oreille et susurrai.

-Il est peut-être ici, ce soir… Et m’est avis que tu es une proie plus juteuse que Kyle.

Vic avait été violé, j’en étais sûr. Mais dans mon état d’extase, je ne faisais pas attention que j’étais vraiment très près d’un homme a deux doigts de péter les plombs. Il se retourna brusquement vers moi et me plaqua la main sur la bouche, m’intimant de me taire.

Je souris contre la paume de sa main. Il était prêt à me casser la figure. Mais je n’avais pas peur. Non. Non, j’étais surexcité, au contraire.

Je hochai la tête pour qu’il me laisse parler. La pression sur ma bouche disparut alors qu’il se pliait en deux pour se tenir le ventre.

-Il a disparu… Ouais. Mais il peut peut-être revenir.

Je rigolai…

-Kyle parlait de Rino. Pas de Dario. Mais écoute un homme qui a lui aussi disparu pour la plupart des gens, enfermé à l’asile. Et pourtant…. Je suis là, non ?

Alors Dario pouvait être n’importe où.

Vic pensait qu’il allait crever. Quel magnifique spectacle ça aurait été. Il voulait sa voiture. Oh ! Il allait reprendre sa voiture dans son état ? Et demain dans les journaux, je verrais des photos de l’accident ?

-Laisse-moi t’aider à retrouver ta voiture.

Je l’aidai à se redressai et écrasai ses larmes d’une main…

-Voilà… Ne pleure pas…

Jimmy avait fait disparaitre Giordiana. Il ne pouvait plus me faire du mal… Il ne pouvait plus.

Mon esprit essayait de rationnalisé mais l’alcool ainsi que les paroles de River me faisait douter.

Qui sait ? Personne n’a plus revu Giordano depuis des lustres… Personne ne sait de quoi il est capable.

Mon cœur avait des ratés en entendant ça. Je tremblais un peu plus. Il ne peut plus rien me faire ! Il ne peut plus ! Jimmy était fiable. Personne ne peut revivre quand il décidait d’écarter quelqu’un. Personne ! Pas même Giordano !

-Non…

C’est ce que je soufflai mais j’entendis alors River susurrant à mon oreille que Dario était peut-être ici, ce soir… Et que je faisais une meilleure proie que Kyle. Je frissonnai d’un grand frisson d’effroi. Non ! Je sais me défendre ! S’il approche, je le tue !

Je regardais furtivement autour de nous l’air inquiet. Comment pouvait-il être ici ? Il ne sait plus marcher, putain ! Il ne sait plus conduire !

Et je ne suis pas une foutue proie.

-S’il approche, je le tue ! Je suis pas une proie !

Je n’en suis plus une… Parce que je l’avais été, ce soir-là… J’entendais encore Kate sous-entendre que c’était ma faute. Que je n’avais rien n’à faire là. Que je n’étais qu’un gamin.

-Je suis plus un gamin ! Il peut pas être là…

Ma voix variait entre l’angoisse, la colère et le foutu désespoir. Je ne savais plus quoi faire et je n’arrivais plus à décoller du sol tellement j’étais tétanisé.

La voix de River m’oppressait… Elle transperçait mon âme. Elle entretenait ma peur irrationnelle. Et quand il dit tout haut ce qu’il m’était arrivé, j’eus le réflexe de plaquer ma main contre sa bouche.

Je clamai que Dario avait disparu après avoir lâché la bouche de River pour enserrer mon ventre. Mais d’après l’acteur, Dario pouvait revenir.

-Non… On ne revient pas de ça…

On ne résiste pas à Reed ! Quant il vous détruit, c’est pour toujours !

Je lançai alors que Kyle était un mytho mais River déclara que c’était de Rino que Kyle parlait…

C’est sérieux ?

Je secouai la tête.

-Rino… Le frère…

Celui qui fait dans le porno…

Mais d’après River ça ne voulait pas dire que Dario n’était pas là quelque part. Que les gens pouvaient revenir.

-Non ! La ferme !

J’avais l’impression que j’allais crever et, maintenant que l’ombre de Dario planait sur le Rainbow, je voulais partir d’ici.

River voulait m’aider à trouver ma voiture. Il m’aida à me relever. Ma tête tournait ce qui ne me rendait pas très stable et m’obligeait à me tenir à River qui était un peu plus petit que moi.

Il me fit légèrement sursauter quand il sécha mes larmes.

-Je chiale pas !

Si je chialais… Mais je ne voulais pas l’admettre. On avança alors tant bien que mal vers la rue.

-Il faut partir… Vite…

Mais on allait pas très vite parce que j’avais du mal à marcher sans me laisser aller. Je regardais autour de moi jusqu’à trouver ma voiture.

-Elle est là !

On s’approcha de mon Aston Martin et je sortis mes clés de ma poche d’une main tremblante. Je tremblais tellement que je n’arrivais pas à viser la serrure et mes clés finirent par m’échapper ce qui m’énerva.

-Putain ! J’y arrive pas ! Il faut que je parte, bordel !

Je m’appuyais à la voiture ma main sur mon torse alors que je grimaçais. J’avais l’impression de manquer d’air.

-Faut partir… J’arrive pas à respirer ici.

Vic avait peur de Dario Giordano… Un estropié qui était tombé au 36ième dessous depuis un accident de voiture il y avait longtemps de ça. Mais l’homme était tellement pris dans son délire que c’était extrêmement facile de lui faire croire n’importe quoi.  

Comme que Giordano pouvait revenir.

Il y croyait… Tout en rejetant l’idée de toutes ses forces.

Et tout en chialant, il protestait n’être pas un gamin, pas une proie. Pas un gamin ? Quoi que lui ait fait l’acteur déchu, ça ne datait pas d’hier… Vic était jeune mais, en effet, ce n’était plus un gamin.

Je le laissais nourrir sa propre peur, soufflant seulement de temps en temps sur les braises incandescentes de la terreur.

Puis je le faisais tourner en bourrique… Lui disant que Dario pouvait se terrer quelque part dans cette ruelle, alors même que c’était de son petit frère que Kyle avait parlé un peu plus tôt.

Du coup, Vic fut momentanément perdu.

Un coup Dario était là, un coup il n’y était plus.

Cela me fit rire d’une façon incontrôlée… Sorte d’orgasme hystérique devant la situation que j’avais un peu provoquée. Ou en tout cas, que j’avais attisée.

Il m’avait plaqué sa main sur la bouche, mais pas longtemps. J’avais ensuite essuyé les larmes qu’il n’ait, le faisant sursauter.

Il ne pouvait pas rester là. Il voulait prendre la fuite, poursuivi qu’il était par l’ombre de Giordano. Je l’aidai à se relever, souriant de le sentir trembler de tout son corps.

-Vite… Vite… Il va nous rattraper…

J’avais dit ça en ne sachant m’empêcher de rire. Comme un enfant poursuivi par son père voulant lui donner une fessée mais qui ne pouvait pas s’empêcher de rire.

On trouva la voiture de Vic, une belle Aston Martin. Qui qu’il soit, il devait être issu de la jet-set d’une manière ou d’une autre. En tout cas, il n’était pas dépourvu de moyens et s’il avait un jour croisé la route d’un acteur connu comme Giordano, il devait faire partie de ce monde. Un monde où je n’avais encore jamais réussi à m’intégrer malgré ma propre petite notoriété.

Vic laissa échapper ses clés entre ses mains tremblantes. Je me penchai, les lui ramassai et les fourrai de nouveau dans ses mains avant de le guider presque sensuellement pour mettre la clé dans la serrure de la voiture.

Une fois la portière ouverte, je le laissai s’installer. Il n’était clairement pas en état de conduire. Et c’était d’autant plus grisant.

-Maintenant file ! Roule le plus vite possible. Vas-t-en loin d’ici.

La voix de River qui me pressait augmentait encore mon rythme cardiaque. Il fallait fuir. Fuir Dario. Fuir tous les flashs que j’avais en tête. Fuir cette angoisse qui me donnait littéralement envie de vomir.

Les rires de River s’ajoutaient à tout ça. Un rire à la fois moqueur et froid. Un rire qui me faisait frissonner d’effroi. Rien n’allait… Je voyais bien que River se foutait de ma gueule mais il semblait être ma seule bouée de sauvetage.

Comme Reed ce soir-là.

On marchait le plus vite possible alors que je ne pouvais avancer sans me retenir à River. Je finis par, enfin, retrouver mon Aston Martin. Il fallait que je parte loin de cet endroit. Sans me rendre compte que je n’avais même pas payé mes consommations au Rainbow.

Je sortis mes clés mais je tremblais tellement qu’elles tombèrent au sol. Je gémis angoissant encore plus. La crise ne semblait pas vouloir passer et je ne me rappelais pas avoir déjà vécu ce genre de truc. C’était la première fois. C’était aussi la première, depuis très longtemps, que je m’enfilais autant d’alcool.

River ramassa les clés et il m’aida à déverrouiller la voiture guidant mon geste d’une façon qui me dérangea. Mais j’étais bien trop stressé que pour réagir. D’habitude, je réagissais à ce genre de geste de façon plutôt brutale.

Là… Je me laissais faire.

Comme ce soir-là.

La portière ouverte, je m’engouffrai dans ma voiture. River me somma de filer. Je démarrai le moteur et, sans un autre mot et après avoir fermé la portière, je démarrai en trombe laissant River sur le trottoir.