Selon Pamela, la représentation de ce soir avait été un désastre. Je l’écoutais descendre en flèche la performance de Candy, celle qui prenait ma place pour quelques temps et je pouvais en déduire que les deux femmes ne seraient pas meilleures amies de sitôt. Je rigolais non sans éprouver plein de sympathie pour ma remplaçante qui avait dû se glisser dans la peau de Sandy à quelques heures d’avis ce qui n’avait pas plus ni à Pamela, ni à Gregory, le metteur en scène.

- Tu fais encore de la fièvre ? Laisse-moi vérifier, tu ne semble même pas en faire !

- Ce n’est pas parce que je ne ferais pas cuire un œuf sur mon front que ça veut dire que je me sens assez bien pour monter sur scène, Pam !


- Ouais, Paaaaaam ! Laisse-la un peu tranquille !

Shane venait à ma rescousse tout en se décapsulant une bière et en lançant le bouchon par-dessus son épaule, comme si le plancher du petit appartement que l’on louait Pamela et moi en colocation était un dépotoir. Il se ravisa cependant sous le regard noir de Pamela et prit le bouchon au sol pour le mettre dans la poubelle.

- Blague à part, il a dit quoi le médecin ? Tu pourras être sur scène demain ?

- Il a dit… Euh… Je… En fait… Il a dit…


- Il a dit qu’elle devait se reposer pour la semaine et se tenir tranquille. Laisse-là, enfin, Pam ! Tu es lourde à la fin !

Pamela roula des yeux et alla se chercher une bière elle aussi, ragea en tentant de la décapsuler et évita Shane en se tournant dos à lui pour l’empêcher de lui venir en aide. Quand elle décidait qu’elle n’en faisait qu’à sa tête, celle-là !

-  Je suis certaine que Candy a fait de son mieux et qu’elle sera encore meilleure demain. Donne-lui sa chance, Pamela. Ce n’est que pour une toute petite semaine…

Roulant des yeux, ma colocataire qui avait eu le dessus sur sa bière en prit une longue gorgée avant de faire non de la tête. Je sentais que je n’avais pas fini de me faire parler de cette pauvre Candy et non pas en de termes très élogieux.

- Parlant de lui donner sa chance, je vais aller voir si je peux tenter la mienne avec elle. Ne le prend pas mal Nell mais elle remplissait mieux le pantalon de cuir de Sandy. Je me suis pris les pieds pendant We Go Together parce que je pouvais pas cesser de lui matter le cul !

Je rigolais doucement en ramenant ma couverture sur moi alors que Shane m’embrassait sur la tête avant de foutre le bordel d’une main franche, dans mes cheveux. Il termina sa bière d’un trait puis ouvrit la porte de l’appartement avant de s’exclamer.

- Ward, mon pote ! J’savais pas que tu étais en ville ! Bonne chance, Pamela est en mode chien de garde et Nell comate sur le divan !

Je m’étais redressée et vite replacé les cheveux en entendant Shane saluer Ward alors qu’il quittait chasser la femelle. Ward ne m’avait pas prévenu de sa venue à New York mais il fallait dire que je ne lui avais donné aucune nouvelle depuis que j’avais quitté son… notre appartement. Pamela me fit un regard qui ne mentait pas sur ce qu’elle pensait de la visite surprise de Ward mais je n’y pouvais rien.

- Shane ! Attend moi, j’ai subitement besoin d’air ! Ça sent les chiottes de San Quentin soudainement ! Bonne soirée, Nell !

Ward entra alors que Pamela prenait soin de bien claquer la porte pour que l’on comprenne tout le dramatique de son départ.

- Chacun n..no…notre tour de surprendre l’autre… Tu… Tu ne… Je ne m’attendais pas à ce que tu viennes ce weekend.

Un désastre… C’est ce qu’était la nouvelle Sandy qui, sur chaque chanson, était aussi performante qu’une goret qu’on égorge. A part trémousser son petit cul bien roulé, elle ne savait pas faire grand-chose.

Je m’étais pointé à Broadway dans l’espoir de surprendre Nell à nouveau. Quand elle avait rejoint sa troupe après notre semaine passée ensemble, je n’avais pas pu la suivre étant donné que le Wild ne pouvait pas éternellement tourner tout seul. Je devais être là pour éviter que les souris ne dansent trop… Je devais aussi m’assurer que l’argent de Reed tournait bien, lui aussi, le Wild étant devenu l’une de ses blanchisseuses. Donc, je n’avais pas vraiment eu le temps de faire le voyage jusqu’à New York.

Pas avant aujourd’hui où je constatait que Nell n’était même pas sur scène. Elle devait avoir été dans l’incapacité de monter pour se faire remplacer de la sorte. Je ne voyais pas bien d’autres raisons. Si elle s’était fait virée, elle serait rentrée à Los Angeles.

Après la représentation, j’avais été manger avant de me rendre à l’appartement que louait Nell avait Pamela… Je détestais Pamela. Elle me détestait. Et l’envie de la foutre six pieds sous terre m’avait de nombreuses fois traversé l’esprit. Sauf que je ne pouvais pas… Pas sans que je sois le principal suspect. Mais ça me démangeait chaque fois que je voyais sa petite tronche de pimbêche.

J’allais toquer à la porte quand Shane l’ouvrit avant même que je n’ai eu le temps de toquer. Il me salua… Contrairement à bien d’autres, Shane me voyait comme son ami… Il avait une certaine fascination par rapport à mon pédigré ce qui… Ne me donnait pas envie de le tuer.

-Salut, Shane…

Il confirma que Nell comatait dans le divan. Donc, ça confirmait ma théorie comme quoi elle était malade ce qui explique pourquoi elle s’était fait remplacé par cette fille qui ne sait même pas chanter.

J’entrai dans l’appartement alors que Shane en sortit suivi de près par Pamela qui ne semblait pas apprécier ma venue et le fit comprendre en m’insultant au passage. Je l’avais fixer de mon air neutre et froid. Un jour, ma belle, tu vas finir au fond d’un trou, je te le garantis.

Elle s’en alla claquant la porte pour bien montrer qu’elle s’en allait. Bon débarras. Je m’avançai alors vers Nell qui s’était redressée. Elle ne semblait pas aller bien, effectivement. Et elle ne tarda pas à me faire part de ses légendaires bégayement.

-J’ai trouvé du temps… Alors, je suis venu. Toujours aussi charmante cette Pamela…

Je vins m’asseoir non loin de Nell passant un main dans ses cheveux.

-J’étais à la représentation de ce soir… Ta remplaçante ne vaut rien… Tu es malade ?

Je passai une main sur son front. Elle ne semblait pas avoir de fièvre. Je penchai légèrement la tête sur le côté.

Shane et Pamela avaient quittés alors que Ward lui, arrivait. C’était mieux que ma coloc’ et Ward ne se retrouvent pas trop longtemps ensemble dans la même pièce. Je craignais qu’ils n’en viennent aux mains tant la tension entre eux était palpable. Cependant, je n’étais pas très, très à l’aise de me retrouver seule avec Ward. La semaine passée avec lui à Los Angeles avait été intense pour un tas de raisons. Elle avait surtout remuée beaucoup de choses et fait naître un tas de questions que je ne pensais pas avoir à me poser ou plutôt reposer de sitôt.

J’avouais à Ward ma surprise de le voir. Il ne m’avait pas prévenu de sa visite mais force était d’admettre qu’il ne m’avait jamais prévenu à aucune de ses visites et que j’avais fait la même chose lors de mon court séjour à Los Angeles.

- On ne la réinventera pas… Mais je te promets qu’elle gagne à être connue.

Si Ward faisait un petit effort pour la connaître et que Pamela levait le pied sur les insultes et le roulement d’yeux intempestifs chaque fois qu’elle le voyait, ça serait chouette ! Il passa sa main ans mes cheveux après s’être assit près de moi dans le divan, puis il me parla de ma remplaçante. Apparemment, elle n’avait pas fait l’unanimité, la pauvre !

- Elle n’a pas eu beaucoup de temps pour se préparer, la pauvre fille ! Si elle n’avait pas pu le faire, la production aurait dû rembourser les billets. Ça aurait été un enfer à gérer et je m’en serais encore plus voulu de ne pas monter sur scène.

Évidement, ça ne rata pas ! Ward voulu savoir si j’étais malade, il fallait bien que je le sois pour ne pas monter sur scène. Je soupirais avant de me pencher vers l’avant pour attraper ma tisane à la cannelle et au gingembre que m’avait préparé Pamela. Apparemment, cela faisait des miracles pour chasser le rhume, même celui que je m’étais inventé !

- Je ne suis pas vraiment malade.

Je regardais le liquide encore fumant dans ma tasse que je tenais bien serrée entre mes deux mains. Je soufflais dessus avant d’en reprendre une gorgée et d’aller la reposer sur la petite table devant nous, au travers des pilles de magazines de mode de Pamela.

- Tu… Tu… M…Moi… Moi je rêve de me marier et d’avoir un…une m…maison avec un g…g…grand jardin pour y faire jouer mes enfants. Je veux faire des gâteaux pour les activités de l’école et regarder mon m…m…mari repeinturer la clôture tout autour de la maison.  

C’était la vie que je voulais, ce genre de rêve que je pensais vivre avec Jordan, un rêve qui s’était envolé en fumé avant que je ne vois l’incendie. De son côté Ward avait deux enfants mais n’en avait pas la garde et un divorce à sa solde, je doutais qu’il veuille remettre ça, puis je ne me voilais pas la face ! Je savais qu’il n’avait pas du tout la fibre paternel et qu’il ne l’aurait probablement jamais !

- Je… Je sais que ce que je dis ne fais pas de sens mais… J… Je… Shane est venu avec moi parce que je… Tu… En fait…

Je cherchais mes mots, ça me rendais dingue de ne pouvoir cracher le morceau tout simplement mais je n’y pouvais rien, ils restaient coincés dans ma gorge à un point tel que je pensais finir par les vomir !

- J’ai… Je n’avais pas remarqué… Ce n’était pas un si gros retard et puis le stress et le travail, ça joue sur le corps. Tout ça ensemble… J’ai fait une fausse couche et…et…et… Shane a dormi ici. C’est pour ça que… Ben tu sais ?  Il est venu avec moi.

Nell venait de dire que Pamela gagnait à être connue. Mouais… Je n’ai aucune envie de mieux connaitre cette pimbêche bien trop sûre d’elle. Du coup, j’haussai des épaules sans répliquer à ça. Pamela n’avait pas d’importance. Dès que Nell en aura terminé avec son contrat ici, elles finiront par se perdre de vue de toute façon.

J’avais déclara que la remplaçante de Nell était complètement nulle. C’était vrai. Elle n’avait pas le niveau de chant de Nell et ne savait, au finale, que trémousser son cul sur le rythme de la musique. Rien comparé au talent de Nell. Mais, fidèle à elle-même, elle défendit sa remplaçante disant qu’elle avait eu très peu le temps de se préparer.

-Il y a certain talent qu’on a ou qu’on a pas, Nell… Elle est en dessous de ton niveau. Mais, oui, j’imagine que c’était mieux ça que de tout annuler.

Mais si Nell avait eu besoin d’une remplaçante c’est certainement parce qu’elle avait attrapé quelque chose. A vrai dire, je ne m’en inquiétait pas vraiment. Un rhume, ça arrive à tout le monde. Sauf que Nell avoua ne pas être malade. Je levai un sourcil…

-Alors pourquoi tu es allongée ici ?

Elle regardait le fond de sa tasse alors que, moi, c’est elle que je regardais. Elle était fatigué alors ? Elle en avait marre de jouer encore et encore ce même spectacle ? Non… Il y avait autre chose. Et les bégayement de Nell reprirent de plus belle alors qu’elle me fit part de la vie qu’elle désirait pour elle à l’avenir. La vie de famille clichée parfaite… Une propriété, des enfants, une foutue clôture, un mariage… Elle n’avait pas l’ambition d’une carrière ou autre chose du genre. Non. Elle voulait une vie de famille comme Sky l’avait désiré avant elle.

Je ne dis rien me contentant de la regarder cherchant à savoir où elle voulait en venir avec ça. Elle déclara que ce qu’elle disait n’avait pas de sens. Ça en aurait plus si tu bégayait moins, chérie…

Et elle en vint au fait… Elle parla de retard et je crus, l’espace d’un instant être reparti pour un tour. Mais non. Nell avait, en réalité, fait une fausse couche.

Alors où est le problème ?

Tout n’était pas très clair… Surtout au niveau du rôle de Shane dans l’histoire. Ok, il l’avait accompagné. Ok, il avait dormi ici… Je m’en fiche un peu de Shane.

Je fixai Nell…

-Donc, tu étais enceinte mais, maintenant, tu ne l’es plus, c’est ça ?

Ça arrive. Et ça m’arrange.

-Et Shane est allé avec toi parce que… Je n’étais pas là, c’est ça que tu veux dire ?

J’essaye de décoder. Nell n’était pas simple à décoder quand elle bégayait.

-C’est pour ça que tu n’as pas fait la représentation. Parce que tu te remets de la fausse couche, c’est ça ?

Je passai une main dans son dos.

-Tout va bien, Nell… Tu sais… Tu pouvais m’appeler. J’aurais pris le premier avion pour te soutenir.

J’essayais toujours de faire le lien avec son introduction. C’était plus simple de faire une joute verbale avec Jimmy Reed, à vrai dire… Je fixai toujours Nell caressant son dos. Et j’eus un tilt.

-A moins que… Tu n’avais pas besoin de moi. Parce que tu sais qu’avec moi, tu ne pourras pas avoir ta vie rêvé c’est ça ?

Mon visage se fit plus sombre d’un seul coup.

La pauvre Candy était vertement critiquée pour sa performance. Ma remplaçante n’avait eu que très peu de temps pour me remplacer, la pauvre ! Cela dit, Ward et Pamela étaient tous les deux d’accord sur le talent ou plutôt le mais de talent de Candy. Si je n’avais pas eu quelque chose de bien plu lourd à discuter avec Ward, je le lui aurais fait remarquer et je me serais fait un malin plaisir à le faire !

Il semblait lui aussi douter que je ne sois vraiment malade. Il fallait avouer que j’avais prétexté un rhume avec tous les maux venant avec mais je n’étais ni fiévreuse tout comme je ne toussais pas, je n’éternuais pas, je n’avais pas les yeux vitreux non plus et je ne parlais pas du fond de ma gorge comme si je m’apprêtais à cracher quelque chose de bien horrible.

Il me fallu plonger dans ma tisane pour trouver un peu de courage, assez pour aborder le sujet avec Ward non sans passer par un résumé de ce que je voulais pour ma vie future. Je me voyais mariée et heureuse avec une ribambelle d’enfant, un ou deux chien, un potager, ce genre de truc extrêmement cliché mais où en était le mal ? C’était mon rêve et j’y tenais !

Les mots sortaient difficilement, comme si chaque fois que je tentais d’aller droit au but, je me sentais forcée de dévier soit en bégayant, soit en voulant trouver la meilleure façon de tout lui confier sans y parvenir. Il faut dire que lorsqu’on s’est fait rabaisser dans une précédente relation en essayant de parler à cœur ouvert, ça devient difficile de faire confiance par la suite et de se confier.

- C’est… Oui, c’est ça.

Ward avait bien compris que j’avais fait une fausse couche et que, par conséquent, il n’avait pas à s’inquiéter d’avoir un troisième marmot non désiré entre les jambes.

- Bah… Shane… Sh… Shane dort ici depuis d…deux nuit parce qu’il s’est fait mette dehors du motel où il logeait.

Apparemment, il n’aurait pas payé une seule nuitée depuis le début de l’aventure Grease et le propriétaire du motel en aurait eu assez d’attendre son fric en plus d’endurer les fêtes que faisait Shane, soir après soir.

Ward passa une main dans mon dos ce qui me fit frissonner. Il voulait me réconforter en disant que tout allait bien et que si je l’avais prévenu, il aurait prit le premier avion pour me soutenir mais, tout était arrivé si vite…

- Mais… C’est que je me fiais à notre lien unique pour te ramener à moi et tu vois ? Ça a fonctionné puisque tu es ici ce soir…

Je lui souris doucement avant de caresser sa joue du bout de mes doigts.

- C’est surtout que je pensais faire une crise de foie ou une appendicite. Shane m’a amené à l’hôpital et c’est seulement là-bas que j’ai su ce qui m’arrivais. Tout est allé si vite. Ça ne fait que…

Je regardais l’horloge et je calculais rapidement, ayant perdue toute notion du temps à partir du moment où Shane m’avait fait monter de force dans un taxi.

- Ouai bon… Ça f…f…fait huit heures que je suis rentrée mais j’en ai dormis au moins quatre.

Ward tira ensuite sa propre conclusion expliquant la raison pour laquelle je ne l’avais pas prévenue de mon hospitalisation et de ma fausse couche. Je le regardais longtemps avant d’hausser des épaules.

D’un côté, il avait raison et ça faisait mal de l’admettre. C’était à croire que tous les hommes avec qui je vivais un truc ne pouvaient ou ne voulaient véritablement s’engager avec moi. Jordan m’avait fait miroiter un bel avenir avant de montrer son véritable visage d’homme toxique et Ward… Ward avait déjà deux enfants sans en avoir la garde…

De l’autre côté, quand le médecin m’a annoncé que j’avais fait une fausse couche, Ward était probablement déjà dans l’avion le conduisant ici. Il était à New York depuis au moins trois heures puis qu’il avait assisté à la présentation de ce soir. Donc, même si j’avais voulue le prévenir, je n’aurais pas pu le faire.

- Je… Tu… Je sais que te recaser n’est pas dans tes plans… Je n’ai pas besoin que tu me le dises pour que je le sache. Puis je ne veux pas t’imposer quoi que ce soit. Dès que je me serai remise, c’est prévu que je me fasse installer un stérilet, ainsi, pas de bébé surprise.

Je n’en voulais pas plus que lui, de bébé surprise ! Je voulais être mère, j’y tenais vraiment beaucoup mais je voulais aussi l’être quand je l’aurais décidé. Le fait est qu’avec Jordan, je prenais la pilule et que suite à notre rupture, j’avais oublié un tas de journées et qu’ensuite, en venant à New York, je n’avais pas vu l’utilité de continuer puis était arrivé ce qui devait arriver, lors de mon passage à Los Angeles…

- Mais… Tu as quand même raison, un peu !

Je me tournais pour mieux le regarder tout en prenant ses mains dans les miennes.

- Est-ce que notre relation est vouée à l’échec sachant que moi, je veux me marier un jour et fonder une famille ?  Si toi de ton côté tu ne veux rien de ça, pourquoi continuer ?  Sauf pour que je souffre encore et… toi aussi, non ? Une fille qui ne veut pas se marier et qui ne veut pas d’enfant, ça existe.

Nell n’était pas malade. Elle avait fait une fausse couche. C’est ce qu’elle déclarait entre quelques bégayements. Hormis sa fatigue manifeste, je ne voyais pas bien où était le problème. Même si je ne présentais pas les choses de cette façon. A la place, je reformulai les choses qu’elle confirma.

Elle m’avait beaucoup parlé de Shane dans son histoire… Elle expliqua que Shane dormait ici depuis qu’il s’était fait viré de son motel. Venant de Shane, ce n’était pas bien étonnant. Je le connaissais peu mais j’avais l’impression de lire en lui comme dans un livre ouvert. Dans ma carrière de… De quoi d’ailleurs ? Criminel ? Serial killer ? Dealer ? Tueur à gage ? Bref… Dans ma carrière j’avais pu voir des gens bien plus mystérieux que Shane. Du coup, je ricanai un peu.

-Ce n’est pas bien étonnant de la part de Shane…

J’avais déclaré que si j’avais su, je serais venu plus tôt pour soutenir Nell. Elle déclara qu’elle avait compté sur notre lien unique. Celui que j’avais créé en quelque sorte à force de coups de chance et de stalking. Et, pour cause, elle avait eu raison parce que j’étais là.

Coup de chance, à nouveau.

-Tu as sans doute raison… Ce n’est pas un hasard.

S’en était un.

Elle expliqua alors les raisons qui faisait qu’elle ne m’avait pas appelé. Elle n’avait pas eu le temps car les choses étaient passées très vite et que tout ça remontait à un peu plus de 8h… Donc, je n’aurais pas su venir plus vite que je n’étais venu, en réalité.

-Je vois…

Mais, avec son introduction, j’y étais allé de ma propre théorie. J’avais l’impression que, pour cause, elle ne m’aurait jamais appelé. Le fait était que je n’avais aucune envie que Nell me file entre les doigts pour un tas de raisons. Le fait que ça allait emmerder profondément Jordan, le fait qu’avoir Nell pour moi me permettra de gagner des points quand je reviendrais à la charge pour Heaven, le fait qu’elle est la fille de Don Hughes et qu’elle pourrait, avec un coup de pouce, faire son chemin dans la jet-set. Une jet-set que j’attendrais bien plus difficilement en tant que simple patron du Wild. Mais à travers Nell, je pourrais atteindre bien des objectifs.

Et en échange elle veut quoi ? Une vie de famille, une maison et une clôture… Il y avait peu d’ambition là-dedans mais les rêves peuvent changer avec le temps, non ?

Mais avant de dire quoi que ce soit d’autre, je laissai Nell s’exprimer. Elle disait qu’elle savait que me recaser n’était pas dans mes plans. Ah oui ? Qu’en savait-elle ? Elle le prétendait, c’est tout. Elle parla alors d’un stérilet. Je continuais de la laisser parler avant de lever un sourcil quand elle lança que j’avais quand même un rien raison et elle remit en cause notre relation.

Je la fixai jouant avec ses mains… Les entrelaçant aux miennes.

-Nell…

Je soufflai ça avant de reprendre :

-Dans ma vie j’ai rarement vécu seul.

Ce n’était pas faux. J’avais vécu seul par intermittence. Mais ils avaient été rare les moments où je n’avais eu personne dans mon lit. A.J., Sierra, Daisy, Nell, Sky et d’autres pour combler les trous. Les rapports psychiatrique font par de mon asocialité. Je me trouve très sociable, moi !

Il est temps de sortir les violons ? D’accord.

-Avec Sky, je pensais que j’avais trouvé ma famille. Avant ça, je n’en avais jamais vraiment eu une. Je pensais que j’allais pouvoir vivre avec elle jusqu’à la fin de nos jours. Voir ma fille grandir. J’ai eu faux sur toute la ligne. La jalousie a tué tout ça.

Je continuais de regarder Nell.

-Tu prétends que je ne veux plus tout ça… Ce n’est pas vrai. Ce que j’ai peur c’est que ça finisse de la même manière. Tu veux un mariage ? Je n’ai rien contre ça. Tu veux des enfants ? Je n’ai rien contre ça non plus. Mais, moi, peindre une clôture ? Jamais !

Et j’esquissai un petit sourire à cette touche d’humour avant de reprendre un peu de sérieux. J’avais déjà deux enfants. Un de plus, un de moins ? Qu’est-ce que ça change ?

-Ma seule demande est qu’on prenne notre temps pour le mariage et les enfants. Avec Sky… On a pas eut le temps de profiter. Tout c’est enchainer trop vite. Je ne veux pas faire les mêmes erreurs. Je veux que ça fonctionne entre nous. Et que tout soit fait dans les règles de l’art… Ok ?

Pas de surprises… Avec Sky, Heaven n’était pas prévu. Quant au mariage, c’était moi qui avait précipité les choses sans réfléchir. J’avais fait des erreurs de calculs. Ici, je n’allais pas en faire. Et c’est par Nell que je comptais faire mon chemin dans le monde de Reed. Parce qu’elle avait les clés… Me suffisait de les pousser dans la serrure.

Shane squattait notre très petit appartement, le temps qu’il se trouve autre chose mais le connaissant, ce n’était pas pour demain la veille ! Mon ami et partenaire de scène aimait beaucoup trop faire la fête et était très peu responsable ce qui faisait qu’il ne payait pas ses dettes d’habitations, préférant boire ses revenus. Ceci dit, Shane demeurait un type bien, un ami loyal comme nous en avions peu dans une vie.

- Étonnant ou non… Je ne pouvais pas le laisser à la rue. Même si Pam… Pamela ne voulait pas que nous l’hébergions.

Il buvait le lait à même la pinte et se promenait complètement nu dans l’appartement.

Il se rasait et laissait ses poils de barbes partout dans notre petit évier dont il ne fermait même pas correctement les robinets.

Shane ne refermait pas non plus le tube de pâte dentifrice et laissait les panneaux des armoires ouverts sans parler des lumières. Malgré tout ça, j’aimais bien sa présence. Il mettait de la vie et nous faisait le café le matin.

Ward semblait vexé que je ne l’ai pas prévenu pour ma courte hospitalisation mais quand bien même j’aurais voulu le prévenir, il était probablement déjà à l’aéroport quand j’entrais dans le taxi. Je tentais une petite brèche d’humour en affirmant que j’avais laisser notre lien indéfinissable œuvrer pour moi et que j’avais bien eu raison de le faire puisqu’il était là, maintenant.

Ceci dit, c’était ma relation avec Ward qui m’inquiétait le plus. Tout avait été si vite que nous ne nous étions pausé aucune question. Comment voyait-il sa vie futur, lui qui venait de divorcer et de perdre la garde de sa fille ? Et moi ? Après ma rupture douloureuse, je savais que ce que je voulais n’était pas changé, du moins pas totalement. J’avais cru longtemps et à tord que Jordan était l’homme de ma vie, celui avec qui je ferais ma vie, avec qui j’élèverais trois ou quatre marmots. J’étais convaincue a deux cents pour cent que Ward ne voulait absolument pas resigner pour un tour et la dernière chose que je voulais était bien de lui imposer des choix de vies qui ne lui correspondait pas tout comme je ne désirais pas être menée en bateau par un autre homme qui me ferait miroiter les plus belles choses que la vie puisse offrir pour me les arracher brutalement quand il serait temps de les accomplir.

Ward prit mes mains entre les siennes et entrelaça nos doigts avant de me parler de comment il avait vécu sa vie, comment les choses s’étaient déroulées entre lui et Sky, entre autres, puis, contre toute attente, il avoua ne pas être contre l’idée de se marier à nouveau et même d’avoir des enfants. Je ne devais cependant pas m’attendre à ce qu’il repeigne la clôture de notre jardin et ça me fit doucement rire.

- Dommage. Tu serais sexy avec un pinceau à la main et une trace de peinture sur le torse.

Sa seule demande était que nous ne brusquions rien et je ne pouvais qu’être en accord avec cette requête. Je souhaitais la même chose. Ma fausse couche n’avait rien de réjouissante mais elle avait tout de même eu ça de bon qu’elle m’avait forcée à me poser de bonnes questions et de les soumettre à l’autre principal intéressé. J’étais encore jeune et en plein contrat professionnel, je ne sentais donc pas l’urgence de fonder ma famille mais je savais qu’un jour ou l’autre, ce sentiment reviendrait à la charge et qu’il faudrait en parler.

- C’est ce que je souhaite aussi. Ça m’a fait un choc quand le médecin… J… Je… Tu sais… Je ne voulais rien t’imposer, je ne voudrais jamais faire quelque chose comme ça. Mais ensuite… Je… tu sais… Je ne v…veux pas rêver de quelque chose que tu me refuseras dans cinq ou dix… non dans cinq ans. À trente-six ans je serai trop vieille pour faire des bébés.

Dans cinq ans, notre couple aurait évolué, nous serions placés et fixés. C’était raisonnable, selon moi, comme échéancier puis là encore, la vie déciderait pour nous. J’étais tombée enceinte d’un coup rapide sur un comptoir de cuisine. Ça ne voulait pas dire que ça serait aussi facile quand nous déciderions que le moment était le bon.

- Je te demande pardon, Ward. Si je t’ai donné l’impression que je ne te faisais pas confiance pour m’épauler ou que j’ai pu sembler vouloir te forcer à bâtir quelque chose avec moi. Ce n’était pas du tout mon intention. J’ai été affectée, ce fut une grosse journée. Shane m’a aidé mais au fond de moi, c’est toi que je voulais près de moi.

C’est en me blottissant contre lui que je terminais ma phrase.

Shane vivait, donc, ici depuis qu’il s’était fait viré de son hôtel parce que Nell avait un grand cœur et n’avait pas voulu laisser son collègue dormir dans la rue. Je reconnaissais bien là Nell. Elle hébergerais Ted Bundy s’il avait été à la rue.

Après ça, elle m’expliqua tout ce qu’il s’était passé. Elle avait fait une fausse couche et n’avait pas vraiment eu le temps de me prévenir. De toute façon, à mesure qu’elle racontait, je pouvais calculer que j’étais sans doute déjà en route pour l’aéroport quand elle s’est rendu compte que son état valait la peine de m’appeler.

Mais de fil en aiguille, la conversation tourna sur notre couple en lui-même. Nell avait des « rêve » qui ressemblait à un rêve de petite fille : avoir une belle vie de famille avec une maison et des mômes. Seulement, j’entendais bien qu’elle était persuadée que je ne voulais pas de ça. Elle prétendait savoir des choses pour moi. Elle prétendait pouvoir m’anticiper. Personne, pas même Jimmy Reed, n’avait jamais su anticiper mon prochain mouvement. Et, de ce fait, Nell ne pouvait pas prévoir que j’acceptais le mariage et les enfants. Je n’avais fait que refusé, avec humour, de peindre la clôture. Elle trouvait ça dommage parce qu’elle disait que j’aurais été sexy avec un pinceau en main. Les femmes ont parfois de drôles d’idées en tête, je devais bien l’avouer.

-Ah oui ? Je te crois.

Si Nell se trompait sur toutes la ligne sur mes intentions c’est parce qu’elle ne pouvait pas savoir qu’elle avait grandi en intérêt à mon égard quand elle est venue me voir en prison. Et encore plus quand j’avais appris qu’elle était la fille biologique de Don Hughes. Si je la lâchais en ne faisant pas de concession, je perdais peut-être une occasion en or.

Alors, j’acceptai son rêve en mettant quand même le frein. Je n’avais pas envie d’une Nell enceinte et d’un marmot l’année suivante. Je voulais d’abord mettre mes pions en place comme il faut et voir ce que tout ça donnait. Et je fus ravi d’entendre que Nell était du même avis. Elle ne voulait pas aller trop vite mais elle voulait quand même s’assurer de pouvoir avoir des enfants d’ici cinq ans.

J’hochai de la tête.

-Cinq ans ça me semble largement raisonnable. On aura eu le temps d’avoir une routine à nous et d’avoir pu profiter de nous deux.

Vivre normalement, je savais ce que c’était. Je savais largement simuler le concept. Je savais le faire. Surtout si c’était pour obtenir tout ce que je voulais.

Nell s’excusa alors et remit tout ça sur la grosse journée. Elle se blotti alors contre moi et je l’enlaçai.

-C’est pas grave. Maintenant, je suis là, ok ? Je vais rester jusqu’à-ce que tu ailles mieux.

Je posai un baiser sur son front.

-Tout ira bien, maintenant. Plus de doute. Plus rien. On profitera encore mieux quand tu auras fini ton contrat ici et qu’on pourra se poser à L.A..

Là-bas, on pourra mieux avancer. Surtout sur sa relation avec Don Hughes.

-Je t’aime.

Je l’aimais. Elle était à moi.

Ward se disait confortable avec l’idée de se remarier un jour et même d’avoir des enfants à conditions que nous prenions notre temps et que j’oublie le projet de lui faire repeinturer notre clôture de jardin un bon samedi matin. Ça me fit doucement rire puis je lui avouais que c’était dommage puisqu’il serait très sexy avec un pinceau à la main et de la peinture sur la joue ou le torse.

Cinq ans, je trouvais cela raisonnable comme échéancier pour concrétiser nos ou plutôt mes rêves. Les hommes, à moins d’être poussés dans leurs retranchements, ne rêvaient pas à haute voix et n’exposaient pas non plus ce genre de désir.  C’était correct, nous n’étions pas non plus forcés de tout décider aujourd’hui, je ne l’aurais pas fait non plus si la vie ne m’avait pas envoyé un petit aperçu de ce qu’elle pouvait me réserver.

Avec cette conversation, je ne voulais que m’assurer que l’un comme l’autre ne nous retrouvions pas déçu avec de fausses perceptions de ce que nous voulions respectivement pour notre avenir. Je ne voulais absolument pas forcer Ward à faire un autre bébé, déjà qu’il en avait deux et qu’il n’en avait pas la garde. Je ne vouais pas non plus le forcer de me marier si son divorce l’avait échaudé. Je ne voulais pas pleurer dans ses bras en lui promettant qu’il était l’homme de ma vie et le père de mes futurs enfants. J’avais vécu ça une fois et j’y avais cru tellement fort que la blessure en était encore vive.

Dans l’immédiat, j’avais les deux pieds ancrés dans Grease et ce, pour un bon moment encore et Ward dirigeait le Wild, il devait faire ses marques et bien rôder la boîte sous sa coupe pour pouvoir se mettre d’autres projets en tête.

J’avais eu une grosse journée.

Épuisante et stressante, pleine de questionnements, de doutes et de douleurs.

Maintenant que Ward était là, je pouvais me blottir contre lui et mettre ça derrière nous pour mieux regarder vers l’avant. J’avais une semaine pour me remettre et un petit ami tout disposer à rester jusqu’à la fin de ma convalescence. Ça m’allait et ça me faisait beaucoup de bien.

- Je me sens déjà mieux depuis que tu es là.

Puis, comme il le disait, quand mon contrat ici serait terminé, nous aurions tout le loisir de se poser à Los Angeles et de mieux envisager l’avenir, un jour à la fois. Pourquoi avec lui, tout était si simple, si léger ? Lui qu’on disait comme le mauvais gars alors qu’avec celui qui devait être le bon, tout n’avait été que lourd et stressant ?

Le loup n’est pas toujours celui que l’on croit.

Ward me souffla qu’il m’aimait et, bien que je voulais le lui avouer moi aussi, je me contentais de prendre délicatement son menton entre mon pouce et mon index pour amener son visage au mien et de tendrement l’embrasser.