Mon vol pour New York, j’avais dû l’annuler…

J’avais dans l’idée de me rendre dans la Grosse Pomme pour aller voir Eleanor jouer et chanter dans Grease… J’étais tout simplement curieux. Je savais, par Victor et Carrie, que Timmy Evans lui avait fait une offre et que, comme d’habitude, j’avais un train de retard.

Cela ne m’avait pas empêché de m’acheter un ticket pour la comédie musicale à Broadway… Seulement, voilà, le spectacle avait été annulé… Et pas seulement une représentation, non… Toutes les dates qu’l restait jusqu’au printemps…

Une affaire de fraude, si j’avais bien compris.

Du coup, ben, j’avais annulé mon vol, n’ayant plus aucune raison de me rendre à New-York.

En plus, les choses s’étaient un peu précipitées, ces derniers temps, pour moi… Il y avait Hugh qui n’aimait pas rester seul et qui squattait régulièrement chez moi. Ça aurait été contre-productif de le laisser seul chez moi… parce que seul, c’était seul, où qu’on se trouve.

Du coup, quelque part, ça tombait plutôt bien…

Puis il y avait Johnatan qui avait la tête pleine d’idées et qui avait besoin, vaguement, d’un guide pour ne pas s’éparpiller dans ce qu’il faisait.

Bref, j’avais du pain sur la planche, l’air de rien. Même si je n’avais pas dans l’idée de devenir un Daniele Ricci sur le tard. Mais je me sentais une certaine responsabilité, tant vis-à-vis de Johnatan que de Hugh.

Enfin bref, tout ça pour dire que j’étais un peu déçu de ne pas pouvoir voir la gamine que j’avais connue il y avait longtemps de cela, fouler les planches de Broadway. C’était quand même pas rien.

Je m’étais donc rendu à la tour MTI… J’avais des papiers à classer dans mon bureau. Mon bureau qui était complètement différent du reste de la tour avec ses murs immaculés… Chez moi, il y avait des posters partout, de mes groupes préférés, des photos des artistes que j’accompagnais dans leur parcours de vie. Du coup, les murs n’étaient plus blancs du tout.

Mais l’idée de devoir faire du classement aujourd’hui ne m’intéressait pas plus que ça. Je regrettais vraiment le spectacle que j’avais raté et dont j’avais le flyer dans la poche arrière de mon jeans… Si seulement je m’y étais pris plus tôt !

En progressant dans les couloirs blancs de la tour pour me rendre à mon bureau, je croisai un couple qui sortait du bureau de Timmy Evans, le regard las. Je n’y fis d’abord pas vraiment attention, lançant un vague…

-Bonjour…

Mais trois pas plus loin, je sortis mon flyer de ma poche arrière ! Attendez ! J’avais bien vu ce que j’avais vu ? Je regardai la photo du casting de Grease en m’arrêtant de marcher et soufflai…

-Eleanor ?

Puis, me retournant carrément, j’interpellai la jeune femme et son ami qui s’éloignaient.

-Eleanor ! Attends !

Je courus après eux en continuant.

-Eleanor Harris ! C’est Brent… Tonton Brent. Brento.

En espérant, peut-être en rêvant même, qu’elle me reconnaisse… ou que sa mère lui ait parlé de moi.

J’avais la mine basse en sortant du bureau de Timmy Evans. Si j’appréciais la franchise en général, je trouvais que cette fois, le manager en avait peut-être un petit peu trop fait usage en ne donnant même pas la chance à Shane de montrer son savoir-faire en proposant d’aller chercher ses compositions ou en lui prêtant une guitare. Je ne m’en faisais pas pour moi, j’avais un avenir tout tracé avec la Mission, je serais heureuse de retomber dans mes vieilles pantoufles. J’avais cependant peur que Shane voit ce refus comme la le porte-parole de toutes les autres tentative qu’il pourrait faire et qu’il ne retente pas sa chance ailleurs. Ce serait dommage car il avait réellement du talent, quoi qu’en pense Timmy Evans.

Il m’informa de son intention de quitter ce soir même mon appartement en disant que Ward ne serait pas trop content d’apprendre que j’avais laissé filer ma chance. Je ne savais quoi répondre à ça. Je savais qu’il avait raison mais il n’y avait pas le feu. Il pouvait prendre le temps de décanter tout ça avant de plier bagages. Qui plus est, je savais qu’il avait brûlé ses derniers billets en s’achetant une place sur un vol pour me rejoindre à Los Angeles.

Je glissais ma main dans la sienne et je posais mon autre main sur le dessus de sa main dans la mienne comme pour lui faire ressentir que, quoi qu’il arrive, je ne le laisserais pas tomber. Nous allions peut-être voir passer en chemin, l’annonce de chanteurs recherchés pour une nouvelle production ici même à Los Angels, qui sait ?

Le verre n’était pas à moitié vide.

Il était à moitié plein.

Nous avancions dans le corridors, nous dirigeant d’un pas lent vers la sortie, en silence, je ne savais pas quoi dire de toute façon. Mon bras heurta celui d’un homme qui marchait en sens inverse mais je ne me retournais pas, j’étais trop plongée dans mes pensées pour regarder qui j’avais heurté et m’en excuser.

Seulement, on m’interpella après quelques pas et je freinais ma progression et je regardais Shane avant de me retourner et regarder qui demandait après moi, qui voulait que j’attende.

- Oui ?

L’homme croisé revenait vers nous et se présenta comme étant mon tonton Brent. Je figeais, un peu surprise, fouillant à vive allure dans mes souvenirs avant de retrouver son visage parmi plusieurs, souriant, aimant, patient. Oui ! Je me souvenais de lui mais ça faisait tellement longtemps, je l’avais oublié, ni plus ni moins.

- Oh ! Oui ! Je me souviens… Brent !

Mais ça demeurait vague, comme si mes souvenirs appartenaient à une autre vie mais, en même temps, je devais avoir environ trois ans ? Quatre à tout casser ?

Brent était tout près maintenant et je le regardais, un peu rêveuse et confuse, ne sachant pas si je devais lui faire la bise ou lui tendre la main pour la serrer. Comment devais-je réagir, en fait ? Oh et puis !?  Je devais arrêter de tout calculer et chercher à réagir de la meilleure des façons. La façon Nell devait suffire. Alors je levais les bras pour les poser sur les siens et je me permis de lui faire la bise.

- Ça fait… teeeeeeellement longtemps ! Qu’est-ce que tu fais… Ah… Je suis un peu bête…

Je n’avais jamais compris avant ce moment précis que mon tonton Brent était le frère de Don… Ça venait de me frapper comme une bonne claque en arrière de la tête.

- Tu es venu voir ton frère, je suppose ?

Eleanor ! C’était bien Eleanor ! Elle avait répondu à l’appel de son prénom et, en plus, elle correspondait bien à la photo qui figurait sur le flyer que j’avais maintenant en main pour comparer le doux visage de la jeune femme.

Je m’approchai d’elle, souriant, ravi de la revoir. Je retrouvais ses yeux bleus, qu’elle avait hérité de son côté Hughes. Des yeux bleus semblables aux miens. Mais elle avait les cheveux clairs, comme mon frère, alors que moi, avant que les miens ne blanchissent prématurément, j’avais les cheveux foncés parcourus d’étranges reflets roux.

J’espérais qu’elle se souvienne… Si pas de mon visage, qui avait drôlement changé, hormis mon sourire, de petites anecdotes qu’aurait pu lui raconter sa mère. Elle n’avait que quatre ans, après tout, à l’époque.

Son visage finit par s’illuminer et là, je compris qu’elle se souvenait ! Elle me regardait comme je la regardais. La petite fille que j’avais connue avait bien grandi. Elle m’avait pris par les bras et fait la bise et ce simple geste m’emplissait de bonheur.

-Oui ! C’est ça ! C’est moi ! Tu es magnifique !

J’étais tellement absorbé par ces étranges retrouvailles que j’en avais complètement occulté l’homme qui était là avec elle.

Eleanor me demanda ce que je faisais là, avant de me demander si je venais voir Don.

-Oh non, je ne suis pas venu voir Don… Il faut que je mette de l’ordre dans mon bureau. Je suis manager ici.

Et ce fut là que je retrouvai ma politesse, avisant le jeune homme qui accompagnait Eleanor et lui tendis la main, qu’il serra.

-Excusez-moi… J’étais tellement surpris de voir Eleanor ici. Brent Hughes. Ravi de vous rencontrer.

Je fronçai les sourcils.

-Mais qu’est-ce que toi, tu fais ici, Eleanor ? J’ai bien entendu des rumeurs comme quoi Timmy Evans t’avais proposé quelque chose mais…

Je fis la moue.

-Ça n’a pas l’air de s’être passé comme vous vouliez. Je me trompe ?

Je fis un geste avant qu’il ne réponde.

-Mais on ne va pas parler de tout ça dans le couloir. Venez, j’ai des boissons fraîches dans mon bureau.

Je leur fis signe d me suivre et entrai, un peu plus loin, dans mon bureau qui était un véritable capharnaüm… Rien à voir avec le reste de la tour, blanc et trop bien rangé. Je remis vaguement un peu d’ordre et leur servi deux cocas.

-Je n’ai que ça… Allez-y, racontez.

Je n’aurais jamais pensé rencontrer un souvenir bien enfouie en me promenant dans les corridors de MTI mais ce fut bien le cas. Il me fallu quelques secondes pour pelleter dans mes songes mais le visage d’antan de Brent, tonton Brent comme il se présenta à nous, refit surface pour mon plus grand bonheur, et le sien visiblement. Cela faisait tellement longtemps, comme je lui fis remarquer en lui offrant une bise amicale. Les années avaient coulées sous les ponts depuis.

- Oh, merci ! C’est bien gentil.

C’était si bon de le revoir ! En même temps, pleins de questions me vinrent en tête, à savoir s’il allait bien, que faisait-il de bon, qu’est-ce qui avait mené nos chemins à se séparer alors que je n’étais qu’une enfant ? En tous les cas, il avait l’air pimpant de santé. Ce n’était pas son crâne légèrement dégarnie et blanc de sagesse qui me laisserait croire le contraire. Je lui demandais ensuite,  un tout petit peu méfiante, s’il était ici pour voir son frère ce à quoi il me répondit par la négative.

- Ah oui ? C’est chouette, ça !

Il avait donc un bon job, c’était chouette pour lui !

Puis je rigolais un peu timidement alors qu’il s’excusait à Shane pour son manque de politesse, me faisant réaliser que j’avais manquer de courtoisie envers mon ami, également.

- Y’a pas de mal ! J’ai compris qu’il s’agissait de retrouvaille. Moi c’est Shane, un amie de Nell

- Il était avec moi dans Grease et il est aussi auteur-compositeur de talent.[/i]

Quoi qu’on en dise…

Les rumeurs circulaient aussi bien dans les couloirs de MTI qu’ailleurs, il semblait bien puisque Brent avait entendu dire que Timmy Evans m’avait approché et Brent ne manquait pas de flair en disant qu’il avait l’impression que ça ne s’était pas passé comme je l’espérais. Je levais les mains tout en haussant des épaules, exaspéré du manque d’ouverture d’esprit du manager Anglais.

Shane massa mon épaule comme pour me réconforter. Je savais que j’étais bien plus ébranlée que lui par la réponse négative de Timmy Evans.

Brent nous invita à le suivre dans son bureau pour discuter de tout cela, c’était plus correct que de le faire dans le corridor. Le bureau de Brent était bien plus coloré pour ne pas dire vivant que celui de Monsieur Evans. Les murs débordaient d’affiches, je passais devant pour toutes les regarder alors que Brent nous offrait du coca.

- C’est parfait…, dis-je distraitement avant de me retourner vers Shane et Brent. J’ai refusé de signer avec Timmy parce que je veux, enfin, Shane et moi voulons travailler ensemble et Timmy a dit qu’il ne pensait pas Shane assez talentueux pour prendre le risque de lui offrir un contrat.

- Mais tu aurais dû signer, Nell.  T’sais, ça ne repassera pas une chance comme celle-là.

- Oui, mais non ! Pas sans toi. En plus c’est ta chanson, c’est tout ton travail et j’en prendrais le mérite et tout ce qui vient avec ?

- Bah… Ouais !? J’ai d’autres chansons et puis Broadway pond une comédie musicale toute les demi-heures, je vais me trouver autre chose !

- Ça ne change rien, c’est avec toi que je veux travailler et puis…

J’arrêtais de parler et je regarder Brent qui venait d’assister à une petite partie de ping pong verbale, malgré moi.

- Pardon, Brent ! Nous n’avons pas eu le temps d’en parler qu’on t’a croisé alors… Je ne voulais pas être impolie.

Je n’en revenais pas d’être face à Eleanor. Je croyais avoir loupé ma chance de la revoir avec l’annulation de Grease à Broadway. Et voilà qu’elle se retrouvait là, devant moi, dans les couloirs immaculé du royaume de mon frère.

Je n’en revenais pas mais surtout, j’étais étonné moi-même du bonheur que ça me faisait. Elle était magnifique et je ne manquai pas de lui dire. Elle était non seulement ma nièce, mais aussi ma petite protégée, même si ça datait ‘il y avait bien longtemps.

Elle sembla étonnée que je puisse être manager chez MTI mais sa surprise ne m’étonna, moi, pas le moins du monde. Je n’avais pas l’aura d’un Daniele Ricci, ni sa notoriété… Et être le frère de Don n’y changeait rien. Mais quand j’avais un projet, je m’y investissais à fond, comme à présent avec Johnatan.

Je réalisai que j’avais cruellement manqué de politesse en éludant totalement la présence de l’ami d’Eleanor, qui se présenta comme tel. Mais c’était aussi, ajouta Eleanor, l’un de ses partenaire de scène dans Grease.

-Ah mais oui ! Attendez.

Je repris le flyers et regardai les photos des acteurs avec leurs nom juste en dessous.

-Shane O’Brien. J’étais censé venir vous voir jouer et chanter à New-York mais la représentation a malheureusement été annulée.

Ils avaient l’air un peu déçus de leur entrevue avec Timmy alors je les invitai à venir dans mon bureau pour me dire ce qui n’allait pas. Ils acceptèrent l’invitation et quand je vis l’état de mon bureau, avec des feuilles volantes dans tous les coins, je tiquai un peu. Mais je fis vite de la place pour qu’ils puissent s’installer sur des chaises et leur servis un coca frais à chacun.

Eleanor se mit alors à m’expliquer qu’elle avait refusé de signer avec l’Anglais parce qu’il ne voulait pas d’un duo avec le fameux Shane.

S’ensuivit une conversation entre eux qui m permis d’y voir plus clair. Shane était une condition sine qua non plus Eleanor alors que Shane lui-même pensait bien pouvoir faire son chemin de son côté. Je les regardais tour à tour, un léger sourire aux lèvres.

Eleanor se rendit compte qu’ils parlaient entre eux et s’excusa, mais je lui fit tout de suite un geste de la main comme quoi ce n’était pas grave.

-Je crois que je vois ce qui vous est arrivé.

Je souris plus largement.

-Personnellement, j’ai déjà été très content d’apprendre que tu chantais toujours, Eleanor. Comme quand tu étais petite et que tu te prenais pour la Castafiore.  Je m’en veux vraiment de ne pas avoir su venir voir Grease avant son annulation.

Je pinçai les lèvres.

-Du coup, je ne sais pas ce que vous faites. Vous chantez tous les deux ? Ou toi, Shane, tu écris pour Eleanor qui interprète ?

Je haussai les épaules.

-Timmy Evans n’a pas aimé… Mais vous savez… les goûts et les couleurs, ça se discute. Peut-être que quelqu’un d’autre aimera. Il ne faut pas baisser les bras si travailler ensemble est ce que vous désirez. Vous avez une cassette avec vous ?

J’étais assez curieux de voir ce que ça donnait… Et qui sait… peut-être…

La surprise de retrouver Brent après toute ces années était grande. Après lui avoir fait la bise Shane se présenta quand on se rendit compte, Brent et moi, que nous avions oublié la présence de Shane qui, heureusement, ne s’en formalisa pas. Je le connaissais maintenant assez bien pour savoir qu’il lui fallait plus que ça pour être heurté dans ses sentiments.

Shane se présenta et Brent sortit de sa poche, un flyers de Grease. Je ne pu empêcher ce petit pincement au cœur de se faire ressentir. Je fus ensuite surprise d’apprendre que Brent avait eu l’intention de venir voir la pièce mais qu’ il avait dû changer ses plans puisque qu’elle avait été annulée.

- C’est ce qui arrive quand on refuse de payer tout son staff, malheureusement.

Ce qui était fait, était fait ! Nous ne referions pas le monde ici, dans ce corridor de maison de disque.

On suivit ensuite Brent jusque dans son bureau, là où il voulait discuter de notre rencontre avec Timmy Evans. Il avait bien deviné que les choses ne s’étaient pas passées comme nous l’aurions souhaité.

Le bureau de Brent était très, vraiment très différent de celui de Timmy. En toute honnêteté, je m’y sentais même beaucoup plus à l’aise et je me plaisais à regarder toutes les photos accrochées à ses murs, au point où j’en fus distraite au moment d’accepter mon verre de coca.

J’expliquais alors à Brent que son collègue n’avait pas voulu offrir sa chance à Shane et que c’était pour cette raison que j’avais refusé l’offre qu’il m’avait faite, ce qui provoqua une conversation entre Shane et moi. Mon ami croyait que j’aurais dû signer et ne pas passer ainsi à côté d’une chance immense alors que de mon côté, je ne voulais pas signer sans lui et que je restais certaine que dans la vie, rien n’arrivait pour rien.

Je regardais ensuite Brent qui disait comprendre ce qui venait de nous arriver.

Il me rappela mon enfance, quand je m’amusais à personnifier la Castafiore dans mon salon avec le micro qu’il m’avait offert. Oh, mon dieu ! J’avais complètement oublié ce cadeau et pourtant, j’en avais chanter des chansons dedans !! Je souriais rêveusement tout en l’écoutant dire qu’il était désolé ne de pas avoir su venir à temps pour voir une représentation de Grease.

- Ce n’est pas grave, tu sais. On ne peux pas être partout, je comprends ça.

Brent disait donc qu’après ça, il ne savait pas ce que nous faisions, à savoir si Shane chantait avec moi ou s’il composait et que c’était moi la chanteuse. J’allais lui répondre mais il continua en disant qu’il y en avait pour tout le monde et que nous ne devions pas baisser les bras. Il demanda ensuite si nous avions une cassette et je regardais Shane un peu désabusée.

- Timmy en a une, en tous les cas.

- C’est que… Je pensais que la démo qu’il avait aurait déjà suffit alors non. Nous n’avons pas pensé à apporter quoi que ce soit avec nous et pour répondre, nous n’avons pas encore vraiment défini nos rôles.


- Enfin, moi j’écris et je compose et Nell chante mais je l’accompagne quand c’est nécessaire. Vous voyez ?  On peut aller redemander à Monsieur Evans la démo, vous croyez ?

- Il nous la redonnerais, tu penses, Brent ?

Je sentis Eleanor profondément déçue de la tournure qu’avaient pris les événements concernant la comédie musicale Grease à Broadway. Il était vrai que ce devait être un vrai grand projet ! Le début d’une carrière, peut-être. Mais ça s’était fini abruptement et pour des raisons assez désolantes. Une affaire de fric.

Bref, je les invitai, Shane et elle, à venir taper la causette dans mon bureau. Ce que je voulais, c’était savoir pourquoi ils avaient l’air aussi désabusés et peut-être, par ma bonne humeur, le remonter un peu le moral. Je savais comment Timmy pouvait être.

Dans mon bureau bordélique, où je m’empressai de leur faire de la place et de leur servir une boisson, je constatai qu’ils n’avaient pas encore eu le temps de débriefer entre eux. Timmy voulait signer Eleanor, mais pas Shane. Pourquoi ? Mystère, pour le moment. Le jeune homme ne m’avait pas l’air contraire… Il semblait plutôt sympathique et se préoccuper d’Eleanor, ce qui prouvait qu’il ne voulait pas tirer toute la couverture à lui.

Ils s’excusèrent pour leur échange, mais ce n’était pas grave. Ça me permettait d’avoir une partie de l’histoire.

Je m’excusai, moi, de ne pas avoir pu voir leur pièce à Broadway. J’aurais dû y aller dès que Victor et Carrie m’en avaient parlé. Mais il y avait eu l’arrivée de Johnatan entre temps et je n’avais pas voulu l’abandonner trop vite.

Eleanor affirma que ce n’était pas grave et je lui souris, la remerciant silencieusement pour son indulgence.

Puis je m’intéressai donc à ce fameux duo qu’Eleanor et Shane voulaient former ensemble. Je demandai qui faisait quoi. Et s’ils avaient une cassette sur eux. Timmy en avait une, mais pas eux. Sinon, ils étaient arrivés les mains vides.

Ah… C’était peut-être ça qui avait déplu à Evans. Mais personnellement, ça ne me dérangeait pas le moins du monde qu’ils arrivent la fleur au fusil. C’étaient des artistes… Et Timmy voulait des artistes sérieux, presque des businessmen et women  accomplis eux-mêmes. Autant dire que ça ne courait pas les rues.

Quant au rôle que chacun jouait dans leur duo, Shane semblait mieux pouvoir le définir qu’Eleanor.

-Ok… Vous en êtes aux balbutiements de votre projet, si je comprends bien. Comme on dit, c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et en travaillant ensemble que vous trouverez chacun votre place. Le tout, c’est de ne pas abandonner au premier refus.

Je regardai Shane.

-Et tu peux me tutoyer… On est entre artistes, ici.

Suffisait de voir mon bureau pour comprendre que j’étais à mille lieues d’être un homme d’affaire… Ce qui m’intéressait, c’était la musique. Produire de la bonne musique.

Bref, Evans avait la fameuse cassette qui les avait amenés ici. Je me levai de ma chaise et les regardai avec un air malicieux.

-Ne bougez pas.

Je sortis ensuite en coup de vent de mon bureau pour remonter un peu le couloir. Je frappai à la porte d’Evans, mais pas de réponse. J’essayai la poignée de porte… C’était ouvert. Je me glissai à l’intérieur…

Il ne me fallut pas longtemps pour trouver la cassette dans le lecteur de Timmy qui était sûrement allé se boire un thé quelque part. La cassette que j’avais maintenant en mains portait une étiquette « Nell Harris – To Feel Like Us ». Je souris et sortis du bureau de Timmy comme j’y étais entré.

Je revins auprès d’Eleanor et Shane, brandissant mon trophée.

-C’est le problème d’avoir un bureau trop bien rangé. On y trouve vite ce qu’on cherche.

Je regardai les deux artistes, espiègle.

-Timmy n’en veut pas, de toute façon. Allez, écoutons ça.

Je glissai la cassette dans mon propre lecteur, appuyai sur « play » et repris ma place, les mains croisées sur mon bureau.



Quand la chanson se termina, je fronçai les sourcils.

-Je peux savoir ce que Timmy Evans reproche à cette chanson ?

Shane et moi en avions gros sur le cœur suite à la décision de Timmy Evans et cela se fit voir par l’échange qu’on eu devant Brent qui cherchait lui à comprendre ce qui nous donnait cet air désillusionné. Il fallait avouer que l’étroitesse d’esprit qu’avait fait preuve Timmy Evans envers mon ami m’avait grandement refroidi déjà que je n’étais très chaude avec tout ce qui entourait la proposition initiale.

Je me rendis compte que nous venions un peu d’essorer notre lessive devant Brent qui commençait à tirer des conclusions. Faut dire qu’il ne fallait pas non plus être tomber de la dernière pluie pour comprendre d’autant plus que celui qui fit à une époque mon oncle, enfin il l’était toujours mais vous comprenez ce que je veux dire, était lui-même manager et avait donc déjà dû expérimenter ce que Shane et moi vivions aujourd’hui.

On lui expliqua un peu plus ce qui s’était passé et à sa question à savoir dans notre duo, qui faisait quoi, j’eu du mal à bien répondre parce qu’en réalité, Shane et moi n’en avions pas vraiment discuter, ce qui je l’avoue, aurait dû être fait avant de nous pointer chez Evans.

- Oui, c’est tout nouveau encore… Nous aurions dû être mieux préparé pour cette rencontre.

- Ou pas ? T’sais Nell c’est pas ça qui est important, qui fait quoi mais qu’on veuille vraiment travailler ensemble. Mais je me trompe peut-être en disant ça.

Je haussais des épaules en passant une main dans mes cheveux.

Brent avait une tout autre philosophie de travail que son collègue et sa vision de faire se rapprochais pas mal plus de la mienne. Nous avions besoin d’être encadré, supporté, dirigé et conseillé Timmy Evans n’avait pas semblé être intéresser à mettre un peu d’huile de coude dans notre projet. Nous ne pouvions pas tous être des Lola dès le départ !

- Je manque de talent mais pas de politesse, il faut croire !

Shane rigola avant de prendre une gorgée de coca et de presque s’en étouffer parce qu’il riait encore de sa remarque. Sa pitrerie me fit rigoler, voilà pourquoi j’aimais autant être en présence de mon ami. Il était un véritable mini wheats vous savez ? Ces céréales à la fois santé et givrées ?

J’aurais bien aimé faire entendre notre chanson à Brent mais nous n’avions pas apporté de copie de la démo avec nous puisque je pensais que Timmy Evans avait eu assez de celle qu’il avait en sa possession pour juger de notre travail. Ça ne sembla pas impressionner Brent qui nous demanda de ne pas bouger alors qu’il se leva et quitta son bureau pour revenir quelques instants plus tard avec, la démo entre ses mains !

- C’est donc un joyeux problème pour nous, dans ce cas.

Je m’installais dans un fauteuil alors que Brent plaçait la cassette dans le lecteur et que Shane, se plaçait debout derrière moi, ses mains sur mes épaules. Brent appuya sur le bouton et la musique, notre musique, se fit entendre. J’adorais cette chanson et oui, à force, je me disais que j’y avais mis beaucoup de moi pour qu’elle soit plus qu’excellente bien que je demeurais convaincue que sa beauté venait des mots et de la mélodie de Shane.

J’écoutais la chanson en n’osant pas regarder Brent. J’avais peur de voir sur son visage la même expression que Timmy Evans face à la performance de Shane. Je ne voyais pas ses failles, je n’entendais pas ses faiblesses. Il n’avait certaine pas une voix qui porte mais cette chanson n’en demandait pas.

- Il lui reproche qu’il n’a pas envie de travailler avec moi.

- C’est un peu aussi ce que je pense. Il n’a pas apprécié que je change sa proposition pour t’inclure. Je n’aurais pas dû tenir pour acquis que ça allait de soi. Mais pour moi,  ça ne faisait aucun doute que l’un ne va pas sans l’autre.

Je regardais Brent parce que son avis comptait pour moi. De tous ceux qui avaient entendu cette chanson depuis son enregistrement et en dehors de Shane, il me semblait qu’il était le seul à pouvoir nous donner l’heure juste et nous conseiller.

- J’en ai pleins des compositions dans ce genre, si tu veux les entendre, Brent. Donne-moi une guitare et je te montre. J’ai tout dans ma tête, le truc c’est que Nell ne pourra pas m’accompagner parce qu’elle ne sait pas les paroles mais…Enfin, j’crois qu’elle n’a pas à prouver qu’elle sait chanter, la p’tite Castafiore !

Eleanor et Shane n’en était qu’à l’ébauche de leur projet et c’était un peu ce qui me motivat à aller voir plus loin. J’étais en train, tout doucement, de me dire que si Evans ne leur avait pas donné leur chance, peut-être que moi, je le pouvais. Parce que ce que j’aimais, dans le management, c’était justement pouvoir aider les artistes à concrétiser leur vision de leur musique.

Shane et Eleanor étaient une page presque blanche. Dont je ne connaissais pas encore le potentiel, bien sûr, puisque je n’avais rien entendu d’eux. Mais après tout… pourquoi pas, Brent ?

Eleanor confirma que tout ça était assez nouveau. Qu’ils auraient dû être mieux préparés pour leur rencontre avec Evans. Shane disait que l’important, c’était qu’ils voulaient travailler ensemble.

Je souris.

-Shane a un peu raison. La seule chose dont vous semblez parfaitement sûrs pour l’instant, d’après ce que j’entends de vous, c’est que vous voulez travailler ensemble. Alors restez sur cette idée, parce qu’apparemment, c’est la base de votre projet.

Je demandai à Shane de me tutoyer, comme le faisait Eleanor. J’avais déjà l’air assez vieux que pour qu’on enfonce encore le clou. Il me fit rire en disant qu’il manquait de talent mais pas de politesse. Il avait de l’autodérision, au moins. Parce que je ne le sentais pas vraiment amer par rapport à ce que lui avait dit Evans.

Ils n’avaient pas leur démo sur eux, mais Timmy l’avait. Ce n’était pas un problème pour moi. J’étais d’un tempérament curieux et je n’hésitai pas à aller voler la cassette dont Timmy ne voulait quand même pas. Il avait eu sa chance et l’avait laissée filer. A mon tour, maintenant.

Je revins en disant que le bureau trop bien rangé de Timmy le perdrait, en gros. Et Les deux artistes s’installèrent pour écouter la chanson avec moi. Shane, debout derrière Eleanor, semblait confiant mais la jeune femme elle-même n’osa pas me regarder tout le temps que ça dura.

Pourtant, aucun des deux n’avaient à rougir de leur prestation. C’était une chanson simple efficace, sans fioriture. Et leurs voix, celle de Shane un peu moins prononcée que celle d’Eleanor, se mariaient bien.

Quand la chanson toucha à sa fin, j’éteignis le lecteur, ne comprenant vraiment pas ce qu’Evans reprochait à cette chanson. Il y avait tout dedans. Je ne voulais pas dire par là qu’il n’y avait pas un peu de travail à faire, mais ils avaient tout ce qu’il fallait.

Shane affirma qu’Evans les avaient rejetés parce qu’il ne voulait pas travailler avec lui. Et je compris, en les écoutant que Timmy s’était attendu à faire signer une artiste solo, Eleanor. Et non pas un duo.

-J’ai trouvé cette chanson magnifique. Si c’est toi qui l’as écrite, Shane, je ne vois pas pourquoi on devrait t’éjecter du duo que tu veux former avec Eleanor.

Je me mordis la lèvre...

-Ecoutez… Je ne suis pas Timmy Evans, je suis encore moins Daniele Ricci. Mais si vous voulez tenter votre chance avec MTI, je suis prêt à vous la donner. A tous les deux, ensemble.

Je pouvais me le permettre, mais la belle était dans leur camp. Shane, lui, avait proposé de me jouer une autre de ses compositions. Je me levai de mon siège et sortit d’une armoire haute, ma guitare… Celle que m’avait offerte Don il y avait bien des années. Mais je l’avais toujours tenue en état et accordée.

Je la tendis à Shane.

-Je ne dis pas non pour entendre une autre de tes compositions. Quant à Eleanor… Je sais qu’elle sait chanter depuis qu’elle a quatre ans.

Je souris à ma petite protégée… Et j’espérais qu’ils allaient accepter mon offre.

Parce qu’ils valaient le coup.

La rencontre avec Timmy Evans ne s’était pas terminée comme je l’aurais espéré et me laissait un petit goût amer. Je me disais que si c’était comme ça que fonctionnait le monde du show business, je n’étais pas faite pour cela. Si je ne pouvais pas choisir comment je voulais mener ma carrière et avec qui je voulais le faire, à quoi bon m’engager sur un chemin qui ne m’inspirait pas confiance dès le départ !

Seulement, parfois les chemins ont des avenues parallèles qui valent la peine d’être explorer. C’est un peu de cette manière que Shane et moi nous retrouvâmes dans le bureau de Brent Hughes et qu’on lui expliqua pourquoi nous avions la mine basse. J’aurais souhaité plus d’ouverture de la part de Timmy Evans, qu’il laisse au moins une toute petite chance à Shane de se faire valoir mais ça ne fut pas le cas, alors que Brent, lui, voulait nous couter pour nous conseiller.

- Je ne veux pas me lancer là-dedans toute seule, je ne me sens pas assez courageuse pour cela. Puis si ça n’avait pas été de la démo de Shane, personne ne m’aurait remarqué alors ça me semble parfaitement logique de travailler ensemble.

- M’en fou moi de te donner ma démo mais ouais, j’avoue que c’était quand même pour m’aider moi que tu l’as fait alors… Moi aussi je suis prêt à la ramer, c’te barque !

Personne n’avait semblé comprendre mon point de vue sur l’appartenance de la démo et le fait que, logiquement, comme c’était pour aider Shane à se faire connaître comme autor et compositeur, c’était normal que ce soit lui qui soit mit de l’avant. C’est tout le contraire qui s’était produit.

Brent alla emprunter à long terme notre démo abandonnée dans le bureau de Timmy Evans et la fit jouer. Je n’osais regarder ailleurs que le bout de mes chaussures alors que Shane était debout derrière moi et me tenait les épaules. Quand l’enregistrement se termina, Brent la qualifia de magnifique et souligna le travail de Shane en disant ne pas comprendre le rejet de son collègue.

- Mystère et boule de gomme ! Plutôt que de nous donner cette chance, il a préféré me voir refuser son offre. C’est frustrant.

Ensuite, l’impensable se fit entendre.

Brent était prêt lui à nous la donner, cette chance ! Tout de suite, Shane reprit place sur son siège et se tenait le dos droit, comme s’il venait de s’embrocher sur un poteau de clôture. Il prenait la suite de la conversation extrêmement au sérieux.

- Tu… T… Tu… Tu ferais ça ? Je… Oui, je le voudrais.

- En ce qui me concerne c’est oui, hein ! Pas besoin de me le demander deux fois !

Il était même prêt à entendre une des compositions de Shane. Il lui trouva une guitare et mon ami, fier comme un paon, accepta de montrer ce qu’il avait dans le ventre.



J’avais déjà entendu Shane interpréter cette chanson lors d’une soirée après une représentation et je me souvenais très bien des frissons que j’avais ressentis. Il avait du talent, quoi qu’en pensait Timmy Evans et j’étais heureuse de voir que Brent pensait comme moi.

Eleanor ne se sentait pas les épaules pour démarrer une carrière toute seule. Et puis, elle pensait que son ami, Shane, méritait largement d’être mis en avant. Je pouvais comprendre, si c’était lui qui écrivait et Eleanor qui interprétait. Je ne savais pas si la jeune femme se sentait l’âme d’une compositrice, ce n’était pas donné à tout le monde.

Evans avait peut-être été vite. Parce que c’était bien d’avoir une chanteuse, mais si Eleanor n’écrivait pas, elle n’irait, effectivement, pas bien loin toute seule, comme elle le disait elle-même.

Mais avant de tirer des conclusions… Ou de prendre des décisions. Il fallait que j’écoute ce qu’ils proposaient. Ils étaient venus sans instruments et sans démo parce qu’ils pensaient que celle qu’avait déjà Timmy suffirait.

Là, je voyais un peu ce qui avait déplu à Evans. Il était tellement sérieux que si, effectivement, vous arriviez devant lui les mains dans les poches, ça le mettait déjà en boule. Je pouvais comprendre, mais moi, je ne pensais pas comme ça.

Les artistes se baladent presque toujours les mains dans les poches.

J’étais donc allé voler la démo en question dans le bureau de l’Anglais. Et je l’avais fait jouer dans mon propre bureau. Shane s’était montré assez détendu pendant l’écoute, alors qu’Eleanor semblait vouloir disparaître dans un trou de souris. La gamine dont je me rappelais n’était pas si timide pourtant.

Mais ce n’était pas grave. Tout ça se travaillait.

Quand la chanson se termina, je voulus savoir ce que Timmy reprochait à cette chanson, mais personne ne le savait. Si je comprenais bien, c’était surtout sur la forme que le manager anglais s’était basé pour juger les deux jeunes gens.

Dommage pour lui.

Tant mieux pour moi !

Quand je leur dit que je voulais bien, moi, leur laisser leur chance, leur attitude changea du tout au tout. Shane eut apparemment besoin de s’asseoir et Eleanor en perdait ses mots. Je les regardai, à la fois amusé et bienveillant.

-Bien sûr que je le ferais. Je ne peux pas laisser ce que je viens d’entendre se perdre.

Je regardai plus précisément Eleanor. J’avais envie de tendre le bras et de lui prendre la main pour la rassurer, mais j’étais trop loin.

-Et n’aies pas peur, Eleanor. Je sais que la perspective d’une carrière peut-être effrayante. Mais je serai toujours là. Vous pourrez tous les deux vous appuyer sur moi, en tout temps.

Je les regardai à nouveau tous les deux.  

-Même si je n’ai pas la science infuse. Mais je ferai de mon mieux. On fera un travail d’équipe.

Après quoi, curieux d’en entendre plus, je passai une guitare, ma guitare à Shane pour qu’il me fasse entendre un peu plus de ses créations.

Et je fus bluffé par son jeu de guitare, toujours aussi efficace et d’une douceur déconcertante tout à la fois.

Quand il eut fini, j’applaudis en me laissant aller en arrière sur mon siège.

-C’était très beau. Merci.

Je souris.

-Alors ? Vous êtes partant pour ce contrat ? Je peux vous le faire signer dans deux jours, le temps de le torcher convenablement. Profitez de ces deux jours pour essayer de déterminer un peu plus précisément vos rôles. Mais sinon, je pense que vous pouvez vraiment faire quelque chose qui vaut le coup.

Nous étions venus signer avec Timmy Evans et nous nous étions retrouvés dans le bureau de Brent Hughes. Celui qui fut présent dans ma tendre enfance et qui était disparu pour des raisons qui m’échappaient, était tout ouïe envers Shane et moi. Il se montrait curieux et voulait comprendre pourquoi Timmy Evans n’avait pas voulu du duo que nous lui avions proposé.

Nous avions écoutés la démo dont nous étions fières, Shane et moi. J’étais plus timide à l’écoute, probablement parce qu’elle avait été à l’origine de l’intérêt d’Evans et qu’elle m’avait mise de l’avant alors que ce n’était pas ce pourquoi nous l’avions enregistré. Peut-être que je craignais revivre la même histoire avec Brent bien que pour moi, il me paraissait évident que le talent exposé ici était celui de Shane.

Après, quand la bande s’arrêta, Brent nous proposa de nous prendre sous son aile, une proposition qui me coupa les jambes et la voix ! Il disait qu’il ne pouvait pas laisser filer ce qu’il venait d’entendre. Je regardais Shane avec les yeux grands ouverts, trahissant ma surprise et mon excitation.  Puis, comme si Brent pouvait lire mes pensées, il me promit que nous pourrions toujours compter sur lui.

- En vérité, je n’ai jamais voulu faire carrière. J’ai postulée pour des rôles secondaires pour deux productions et...

- Et elle a été prise pour des premiers rôles. C’est ce qu’on se tue à te dire, tu es méga talentueuse, Nell.

- Peut-être mais c’est rassurant pour moi d’être avec d’autres personnes sur scène. Vous comprenez ? Ce n’est pas que moi, je ne veux pas que ce soit que moi.

En ce moment, je voyais briller la perspective d’un beau travail d’équipe, autant dans ce qui s’annonçait être le début d’une carrière en duo qu’un partenariat avec Brent qui serait là pur nous soutenir. En tous les cas, je le sentais bien mieux placer pour faire ce genre de chose que Timmy Evans ne l’aurait fait.

Ensuite, Brent prêta une guitare à Shane pour que mon ami puisse démontrer qu’il n’était pas sous le coup d’une seule chanson, un one hit wonder comme on dit. Ça ne sembla même pas rendre nerveux Shane, pas une seule seconde. Il gratta les cordes et nous offrit l’une de ses compositions dont j’avais déjà eue la chance d’entendre. Quand il termina, je ne pus m’empêcher de l’applaudir. Il était excellent, talentueux, il pouvait espérer une carrière solo même.

- Comment que je suis partant ! Deux jours, ça me va, ça ne devrait pas trop faire tilter Ward, hein, Nell ? De toute façon, il n’aura pas trop le choix !

- Oui… Deux jours… Hein ?

En peu de temps, je m’étais égarée dans mes pensées ce qui me fis regarder Shane, un tout petit peu paniquée.

- Brent… Avant tout… Je dois te dire que… En fait, au départ je ne voulais pas signer avec Timmy Evans parce que… Eh bien c’est la maison de disque de Don et que je n’ai pas… Il est venu me voir à New York et il s’est un peu imposé dans son rôle de père. Pas réellement à vrai dire mais j’ai sentie qu’il espérait se rapprocher de moi alors que moi, je n’en ai pas envie. En tous les cas je n’en ai pas envie comme lui, tu comprends ? Alors voilà, je ne voulais pas signer avec Timmy Evans parce que j’avais peur que Don y voit là une façon détournée pour moi de lui tendre une perche.

- Tu regardes trop les soaps de fin d’après-midi, Nell. Et puis tu ne peux pas contrôler les pensées de Don, on te l’a dit, Pam et moi !


- Je sais mais… C’est que ça fait beaucoup en peu de temps. Je veux signer avec toi, Brent mais... Est-ce que je peux compter sur toi pour disons freiner un peu Don s’il y voit là quelque chose qu’il ne devrait pas voir ?

C’était là la seule et dernière chose sur laquelle j’avais besoin d’être rassurée avant de plonger corps et âmes dans ma nouvelle carrière.

Leur démo m’avait convaincu. Autant du talent de chanteuse d’Eleanor que de celui de compositeur de Shane. Ils voulaient faire un duo et je n’y voyais que du positif. Pourquoi Timmy avait-il voulu privilégier Eleanor au détriment de Shane, je ne le saurais peut-être jamais. Mais je m’en foutais, parce qu’en attendant, ça me donnait la chance de travailler avec les deux artistes.

Je n’allais pas cracher sur ce coup du destin ! Pour une fois que les choses allaient dans ce sens-là.

Je sentais bien qu’Eleanor était un peu stressée à l’idée de se lancer, alors que Shane, une fois le coup de la surprise passée, était retombé directement sur ses pattes. Je me devais de rassurer la jeune femme, de la mettre en confiance.

Elle expliqua alors ne jamais avoir voulu faire carrière juste des seconds rôles ; Mais Shane la reprit directement.

Je souris.

-Tu devrais écouter Shane et ne pas douter de ton talent, Eleanor. Tu as toujours eu un feeling particulier avec la musique.

Mais elle ne voulait pas être seule en scène, ce qui expliquai Grease qui multipliait les acteurs et interprète sur scène. Eleanor avait dû se sentir, quelque part, protégée par le nombre. Alors oui, effectivement, se retrouver du jour au lendemain seule au-devant de la scène devait donner le vertige.

-Tu ne seras pas seule. Shane sera là. Et moi aussi. En coulisses, mais je serai là.

Je retrouvais une vieille sensation. La même que celle que j’avais quand je protégeais et aidait en secret la mère d’Eleanor par des petits gestes, parfois juste une présence. Et moi qui étais un coureur de jupons, je n’avais jamais été l’amant de Lucy Harris. Quelque chose que je nommerais une certaine « éthique » m’avait retenu de passer cette limite. Tout s’était fait en tout bien tout honneur.

Après avoir joué une deuxième chanson, Shane se montra particulièrement enthousiaste à l’idée de signer avec moi. Mais je sentais Eleanor encore un peu sur la réserve. Alors quand elle prononça mon prénom d’un air un peu hésitant, je reportai toute mon attention sur elle, toute ouïe.

Elle m’expliqua qu’elle n’avait pas voulu signer avec Evans au départ, parce qu’elle avait peur d’envoyer de faux signaux à mon frère, Don… Qui était aussi son père biologique. Il avait été la voir à New-York pour essayer de se rapprocher d’elle, ce que je savais parce qu’il me l’avait raconté, un peu dépité.

Malgré la remarque un peu cynique de Shane, je pris ce que me dit Eleanor très au sérieux. Parce qu’elle avait raison de mettre directement les points sur les « i ». Comme ça, tout le monde saurait à quoi s’en tenir.

Je souris.

-Je comprends, Eleanor. Il sera fait comme toi, tu le désires. Si je vois que mon frère commence à se faire des films, et il n’hésitera pas à m’en parler, je te promets de faire en sorte de lui faire comprendre que ce n’est pas ton désir de renouer avec lui.

Je la regardai dans les yeux.

-Par contre, si ta carrière prend son envol, il y a de grandes chances que tu sois amenée à le croiser dans divers événements. Et ça, je ne pourrai pas l’éviter. Mais rien ne vous empêche de discuter sans pour autant tisser un lien autre que celui d’artiste et de patron de MTI.

Je la regardai avec toute la bienveillance du monde.

-Au pire, je serai à ces événements aussi. Je te protégerai.

Avec Brent, je sentais que Shane et moi étions écoutés et compris et que notre désir de faire un duo ne serait pas balayé sous le tapis. J’étais parvenue aussi, peut-être maladroitement, à expliquer pourquoi je me sentais plus à l’aise cette formule de duo et là aussi je fus rassurée. Je ne serais pas seule et même sans Shane, Brent serait là et je savais que je pouvais lui faire totalement confiance.

Shane, avec une autre de ses compositions, montra l’étendu de son talent à Brent. Avec ça, nous pouvions si nous le voulions, sortir d’ici avec, presque, un contrat en poche. Je disais bien presque car il fallait tout de même laisser le temps à Brent d’en rédiger les clauses mais ça ne serait l’affaire que de deux ou trois jours.

Shane était prêt à sauter tête première et si de mon côté j’avais déjà un pied dans le vide, ma main tenait encore solidement la rampe. Je me devais d’exposer un dernier petit point qui semblait insignifiant pour mon ami mais qui me tenait à cœur. Ma relation avec Don n’était pas bien définie dans ma tête alors que pour mon père, ça semblait si facile.

Ce n’était pas tellement facile que de dire à Brent que je ne voulais pas de son frère dans ma vie. En fait, ce n’était pas que je ne voulais pas de Don mais plutôt que je ne voyais pas l’intérêt d’avoir un père à l’âge que j’avais et avec le parcours que j’avais fait. Il était quelques années trop tard pour m’apprendre à faire du vélo sans les petites roues et je n’avais plus besoin qu’on vérifie sous mon lit pour s’assurer qu’aucun monstre y dormaient.

- Je veux prendre mon temps et déterminer par moi-même la place que j’ai pour lui. Peut-être que tout se fera naturellement mais pour l’instant, ça m’angoisse.

Puis Brent me regarda et m’expliqua que, si ma carrière prenait son envol, je ne pourrais pas toujours éviter Don et que je serais forcément menée à le rencontrer en public.

- Mais tu sais, je n’ai pas de soucis avec ce genre de choses parce que ce sera…

Je regardais mes mains, mes chaussures, je cherchais mes mots, à expliquer clairement ma vision de la situation.

- Ça ne sera pas comme un souper de famille.

Brent rajouta qu’il serait présent à ces soirées et qu’il me protégerait. Je fis signe que ‘’oui’’ avec ma tête en me disant que ce n’était pas tant de Don dont j’avais besoin qu’il me protège mais des gens gravitant autour de Don. Je me rappelais cette soirée infernale avec Carrie et Victor pendant laquelle j’avais été soumise à la grande inquisition. Ce n’était pas un souvenir dont j’aimais me rappeler.

- Je sais qu’avec toi, Shane et moi seront entre bonnes mains. Finalement, c’est encore ma mère qui aura eu raison. Rien n’arrive pour rien. Timmy n’a pas voulu de nous et voilà qu’on tombe sur toi.

Shane tendit la main à Brent alors je me levais et moi, plutôt qu’une poignée de main, je préférais le serrer dans mes bras. Avant d’entrer chez MTI, je me sentais écrasée par tout ce qui pouvait m’attendre et maintenant que j’avais vu Brent, tout s’était envolé et je n’avais qu’une envie, celle de faire confiance en la vie.

La jeune Eleanor n’avait qu’une seule demande par rapport à la signature du contrat. Et ça n’avait rien à voir avec leur art. Cela n’avait même rien à voir avec Shane. Mais par contre, ça avait à voir avec Don.

Elle ne voulait pas que mon frère pense que parce qu’elle intégrait MTI, son envie de nouer un lien paternel avec elle allait être satisfaite.

Loin de là.

Je n’y avais même pas pensé. Du coup, c’était assez bien qu’elle me dise exactement ce qu’elle souhaitait à ce niveau-là.

Je respecterais cette demande, que je comprenais tout à fait. C’est ce que j’affirmai à Eleanor. Maintenir Don à une distance respectable était dans mes cordes. Je connaissais suffisamment mon frère pour faire les choses sans que personne ne soit blessé dans l’aventure.

De même que je savais, pour en avoir parlé avec Victor, que ce n’était pas seulement de Don que j’allais devoir protéger la jeune femme, mais aussi de certaines personnes dans la jet-set. Dont Victor lui-même. Mais je savais comment prendre l’avocat aussi bien que je savais comment prendre mon frère.

Cependant… Eleanor ne semblait pas fermer totalement la porte à Don. Elle ne savait juste pas encore comment elle voulait se placer par rapport à lui.

-Je comprends. Et prends ton temps… Ce n’est pas facile comme situation.

Pour ce qui était des événements où elle tomberait forcément sur Don… ou sur les autres… elle n’avait pas vraiment peur. Parce que ce n’était pas un repas de famille.

Je souris.

-Je vois ce que tu veux dire. Si tu sais faire la différence, tu as déjà tout gagné.

Pour conclure, alors qu’ils se levaient tous les deux et moi aussi, Eleanor me fit le plus beau des compliments en m’offrant d’emblée sa confiance. Elle évoqua sa mère et j’eus un sourire nostalgique.

-Je ferai de mon mieux. Tu remettras mon bonjour à Lucy… Nos conversations me manquent.

Je serrai la main à Shane et fut un peu surpris quand, tout naturellement, Eleanor vint m’étreindre. Mais je lui rendis cette marque d’affection avant de la regarder dans les yeux alors qu’elle s’écartait.

-Tu as raison de tenter ta chance. A dans deux jours.