J’avais été bluffé par ce que venait de faire Brent et Stephen. Deux scènes en une prise, ce n’était pas simple à réaliser. J’avais été captivé par la tension autant entre T’Kor et Ram qu’entre T’Kor et Datalore. Brent avait bien géré le changement de personnage. Pour un non-acteur c’était vraiment bien joué.

J’avais pu ressentir la colère de T’Kor. Shran était un très bon réalisateur. Il avait toujours des idées niveau scénario. Je savais qu’il ne pouvait pas passer une seule journée sans écrire. Du moins, il y a 15 ans, c’était ce qu’il faisait. Mais j’avais toujours, personnellement, trouvé qu’il était encore meilleur acteur que réalisateur. Dommage qu’il s’essayait rarement à l’exercice hormis pour T’Kor qu’il jouait depuis des années.

Pendant la scène, je n’avais pas manqué de regarder, de temps en temps, vers Enora. Je voyais son sourire apparaitre par moment. Elle était captivée. J’avais pu voir qu’elle regardait ça comme si elle était au cinéma. Pour preuve, elle n’a vu aucun défaut. Si elle en avait vu un, elle aurait coupé la scène sans aucun scrupule. Je l’avais déjà vu faire… Elle avait, un jour, coupé au beau milieu d’une phrase de T’Kor parce qu’elle trouvait qu’il était complètement à côté de sa scène. Ce qui… Nous avait valu une scène ce jour-là entre Shran et Enora. Je m’en rappelais comme si c’était hier.

Mais aujourd’hui, tout roulait. La complicité entre Shran et Brent aidait sûrement à ce que les choses coulent de sources.

Quand les deux scènes furent terminées, je m’étais levé. C’était à mon tour d’entrer en scène mais, avant ça, Brent avait le droit à une pause bienvenue. Il m’avait rejoint et je lui souris.

-Tu as été vraiment exceptionnel, Brent. J’étais vraiment captivé par les deux scènes.

On vint lui apporter un café et retouché son maquillage ainsi que le mien. La scène qu’on allait devoir tourner était la scène où Datalore allait commencer la reprogrammation de Five. Ce dernier allait devoir tenter de finir le travail commencer par T’Kor. Il finira par réussir avec un peu d’aide de ses capacités de cyborg même si son discours fera déjà largement vaciller les croyances de l’androïde.

-Vous avez mis la barre haute. J’ai la pression maintenant.

Je dis ça en rigolant un peu. Même si ce que je disais était totalement vrai. J’allais avoir la pression après ce que venait de faire le duo de meilleurs amis.

Je soufflai un peu. Je devais me mettre dans le rôle de Five. Il venait de voir la mort de trois des hommes de T’Kor, de quoi le chambouler assez bien. Quand Brent eut terminé son café, Enora s’approcha de nous.

-Si vous êtes prêts, vous pouvez vous mettre en piste. Le décors est prêt. Shran est prêt aussi.

J’hochai de la tête avant de fixer Brent.

-Je suis prêt.

Quand il le fut aussi, je me dirigeai vers le décor passant non loin de la chaise de Shran. Il était affalé là son haut-parleur en main.

Le décors était dans les mêmes tons de couleur que la cellule de T’Kor sauf qu’il s’agissait, ici, plus d’un labo qu’autre chose avec une sorte de lit futuriste où je m’installai. On vint alors me sangler avec des sangles tout aussi futuristes. Il y avait un tas d’appareil autour de moi. Je regardais vers le plafond sentant l’angoisse monté. Pas celle de Hugh mais celle de Five.

Je ne savais pas ce que Ram comptait faire de moi mais je me rappelais bel et bien ce que les expériences de Ram avait fait sur certains cyborgs. La peur que ça puisse m’arriver m’envahi. Tout comme je n’avais aucune idée de ce qu’ils avaient fait du Commadeur T’Kor.

-Action !

La scène était lancée. Datalore entra en scène. Je tournai la tête vers lui bougeant un peu afin d’essayer de me détacher. En vain. Je pris un air inquiet. J’avais vu que Datalore n’était pas intervenu lors de l’exécution des trois hommes de T’Kor. Je savais que quelque chose n’allait pas. Qu’il était, d’une façon ou d’une autre, sous l’influence de Ram… Mais je n’imaginais pas encore à quel point il l’était.

-Datalore… Qu’est-ce qu’il se passe ? Où est le Commandeur T’Kor ? Il faut que tu me détaches… Qu’est-ce que Ram veut faire de moi ?

C’était les premières répliques que je disait en tant que Five depuis 16 ans… Et ça me fit quelque chose. Quelque chose qui amplifia l’émotion que je mettais dans ma phrase. Five était inquiet, triste et désespéré. J’essayais de faire transparaitre tout ça dans ma voix. L’affolement faisait que mes questions sortaient les unes après les autres.

J’avais droit à une pause après les deux scènes avec T’Kor mises en boîte ! Je n’en revenais pas. Je n’étais pas acteur et j’avais fait les choses avec un naturel qui m’étonnait moi-même. Mais c’était facile de jouer avec Shran. Je savais anticiper tous ses regards, toutes ces moues, tous ses tons de voix. J’avais déjà joué dans Spaceship 16 ans plus tôt, mais jamais encore je n’avais partagé l’écran avec mon ami.

Et tout ce que j’avais envie, là tout de suite, c’était de tourner encore !

Mais Hugh me rejoignit presque en même temps qu’un membre du staff vint m’apporter un café bien chaud dans un gobelet en carton.

-Merci.

Et Hugh, lui, me complimenta. Je lui fis mon plus beau sourire alors qu’il disait que j’avais été exceptionnel et qu’il avait été captivé.

-Vraiment ? A ce point-là ? C’est plus difficile à dire, de l’intérieur… J’aimerais bien voir les images dès que ce sera possible, pour voir ce que ça donne. Mais Enora dit la même chose que toi alors je pense que c’est vrai…

Je regardai Hugh dans les yeux avec un regard d’enfant émerveillé alors qu’on papillonnait autour de nous pour nous remaquiller un peu.

-C’était tellement génial à faire !

Je rigolai quand Hugh affirma qu’il avait la pression maintenant.

-Mais non, Hugh… Tu vas voir… Tu vas te remettre dans la peau de Five facilement. Enfin moi, c’est l’impression que j’ai eu… C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas.

Le silence tomba… hugh souffla et je le vis faire une sacrée introspection pour redevenir Five. Enora arriva et déclara qu’on pouvait y aller si on était prêts… Que Shran l’était déjà… Je vidai mon gobelet de café d’une traite puis m’arrêtai devant un miroir…

-Hey… Attendez…

Je passai un peu mes mains dans mes cheveux plaqués en arrière, les décoiffant un peu, exprès. J’expliquai en même temps Enora et Hugh :

-Datalore n’est pas lui-même. Les émotions qu’il ressent, c’est le chaos. Décoiffer mes cheveux représente le chaos dans sa tête.

Je me tournai alors vers eux.

-Qu’est-ce que vous en dites ?

Puis on alla sur le plateau, dans un autre décor que celui de la cellule, mais dans le même style architectural, si on pouvait dire. Hugh s’installa sur une table de labo et il fut sanglé à la table. Et en regardant ça, je réussi à me remettre dans la peau de ce Datalore en colère contre un système qu’il avait servi pendant si longtemps. Avec cette impression fausse que Ram venait de lui ouvrir les yeux sur la perversité de ce système.

Shran lança l’action… Et j’entrai en scène, tournant autour de la table de labo où était allongé Five. Ram avait déjà bien travaillé sur ses implants. Le petit cyborg n’était plus chauve mais arborait de beaux cheveux noirs. Il avait le visage balafré que seuls ses traits encore légèrement juvénile adoucissaient. Et puis, il y avait les restes d’implants.

Je tournais autour de lui en silence, prenant des outils, le scannant puis, alors qu’il me questionnait, je pris un autre outil destiné à avoir accès à son réseau neural. Je me mis à hauteur de sa tête et de ce qui restait de son implant oculaire. J’avais à nouveau complètement oublié la caméra.

Je répondis à ses questions sur un ton neutre, concentré.

-Ce qu’il se passe ? Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère pour les formes de vie synthétiques. Le commandeur est en cellule…

Je m’interrompis quand il demanda à ce que je le détache… Et demanda ce que Ram voulait faire de lui.

Je recommençai à chipoter à l’implant oculaire de Five.

-Je te détacherai quand j’aurai terminé. Ce que nous voulons faire de toi, c’est le leader d’une nouvelle version des cyborgs. Des êtres plus évolués. Je vais faire en sorte que tu puisses communiquer avec les autres cyborgs, sans pour autant que ce soit un Collectif.

Je souris.

-Débarrassé du Collectif cyborg. Débarrassé de la Fédération. Libre.

J’avas complimenté Brent parce que j’avais été impressionné par ce qu’il venait de faire. C’était deux scènes qui avait dû lui demander beaucoup d’énergie émotionnelle surtout en passant de Ram à Datalore en l’espace de quelques minutes. Mais il avait réussi et en une prise !

Il semblait avoir beaucoup de mal à juger son travail. C’est clair que ce n’était pas évident quand on avait le nez dedans. On ne savait pas comment ça rendait de l’extérieur. C’est à force de jouer et jouer encore qu’on finissait par arriver à savoir quand on joue à côté de la plaque ou non. Je rigolai à sa réflexion.

-Si Enora le dit c’est que c’est vrai. Mais oui, je trouve que tu as été parfait.

Il semblait vraiment émerveillé c’était assez beau à voir. Il avait adoré l’expérience et comme il allait être là pour pas moins de six épisodes, il aura largement le temps de vivre ça à fond. C’était ce que j’aimais dans ce métier, ça permettait de vivre beaucoup d’émotions. Mais aussi, d’avoir la chance de s’évader dans un monde imaginaire.

Je déclarai que, après cette prouesse de Brent et Shran, j’allais avoir la pression. Je ne voulais pas être le premier de la journée à devoir faire recommencer une scène. Mais Brent avait confiance sur le fait que j’allais facilement me remettre dans la peau de Five. Lui, en tout cas, avait rapidement retrouver ses marques.

-Me remettre dans la peau de Five, ça devrait aller. J’ai plus peur de m’emmêler dans mon texte.

Ce que n’avait pas fait Shran et Brent. Ils ne s’étaient pas trompé dans aucune de leur réplique. Pourtant Dieu sait qu’il y en avait !

Je laissai alors planer le silence le temps de me mettre dans la peau de Five. J’allais tout de suite commencer par une scène assez chargé d’émotions. C’est sans doute celles où j’excellais le plus mais ça faisait tellement longtemps que je n’avais plus joué mon petit cyborg que je me devais de me concentrer au maximum.

Enora arriva alors demandant si on était prêt car c’était le cas de Shran. Il ne faut pas faire attendre le grand manitou… J’affirmai être prêt alors que Brent demanda encore quelques minutes le temps de se regarder dans la glace et d’achever son café. Il changea un peu sa coiffure se décoiffant et justifiant son choix de par l’état émotionnel de Datalore. Je souris. Il ne manquait vraiment pas d’idée. Enora sourit elle aussi.

-Ça me semble être une bonne idée. Si Shran n’approuve pas, il te le dira tout de suite de tout façon et je lui dirais qu’il est stupide de ne pas approuver.

J’hochai de la tête.

-C’est vraiment une très bonne idée ! J’aime beaucoup.

On verra si Shran lui demande d’aller se recoiffer ou non. Mais moi, je trouvais que ça donnera plus de poids à l’état de Datalore, lui qui est toujours impeccablement coiffé.

Je finis par me mettre en place dans le décor. Five n’était pas à l’aise dans cet environnement qui n’était pas sans lui rappeler les premières interventions chirurgicales que Ram lui avait fait. Car si elles avaient été un succès, ça avait tout de même été douloureux.

Je soufflai un bon coup avant que Shran ne lance la scène.

Datalore s’approcha de moi alors que j’étais couché sur la table. Je sentais l’affolement monter en moi alors que j’ignorais complètement ce qui était arrivé au Commandeur T’Kor. Je ne savais pas non plus quel sort Ram me réservait alors que j’étais attaché à cette table.

Je me mis à poser plein de question alors que Datalore tournait autour de moi empoignant des outils ce qui avait tendance à faire grimper la peur que je ressentais. Je déglutis quand il se mit à hauteur de me tête. Je savais qu’il était possible d’accédé à mon réseau neural à travers mon implant oculaire. Et ça semblait être le but de Datalore que je ne reconnaissais plus. Il semblait avoir rejoint Ram sans que je comprenne ses motivations.

Il affirma que nous étions à l’aube d’une nouvelle ère pour les synthétique. Je n’étais pas un forme de vie synthétique. J’étais né biologique et j’avais simplement été modifié par le Collectif contre mon gré. Je ne fus rassuré que par une chose : T’Kor était toujours vivant.

-Une nouvelle ère ? Tu veux dire que… Tu veux suivre Ram dans son rêve de conquête ?

Un rêve dont il m’avait parlé avant même que je ne prenne la fuite pour rejoindre l’USS Explorer. Ram ne voulait rien d’autre que le pouvoirs sur les cyborgs déconnecté du Collectif. Ils étaient ses sujets, ses soldats…

-Qu’allez-vous faire du Commandeur T’Kor ? Il aura l’occasion de pouvoir repartir ?

Ma voix était emprunte d’inquiétude et de désespoir. Je demandai alors à être détaché avant de grimacer alors que Datalore chipotait à mon implant. Ce n’était pas douloureux, à vrai dire… Pas encore en tout cas. Mais j’appréhendais chaque geste de sa part.

Il affirma qu’il ne détachera quand il aura terminé. Il voulait faire de moi une nouvelle version de cyborg… Il voulait faire en sorte que je puisse communiquer avec les autres cyborgs hors du Collectif… De quoi faire grimper en moi l’angoisse. J’avais été brutalement déconnecté du Collectif il y a des années d’ici. Ça avait été difficile mais, avec l’aide des amis que je m’étais fait sur l’USS Explorer, j’avais réussi à me sevrer totalement et j’avais appris à vivre en tant qu’individu. Une individualité que, désormais, je chérissais…

Ram voulait me renvoyer en arrière en quelque sorte. Et il utilisait Datalore pour ça.

Un Datalore qui disait que, ainsi, je serais libre. Ma voix trembla.

-Non… Tu ne peux pas me faire ça. Ça sera comme revenir en arrière. Tu nous feras perdre une partie de l’individualité qu’on a pris du temps à redécouvrir. Tu nous priveras de la liberté qu’on a durement gagné en utilisant ce moyen de communication. Ce n’est pas ce que je veux. Je ne veux plus être connecté aux autres d’aucune façon. Plus jamais…

Ma voix était toujours juvénile mais on pouvait entendre que je n’étais plus un adolescent et que, depuis que j’avais quitté l’USS Explorer, j’avais grandi. J’étais plus affirmé qu’avant.

-Je ne veux pas aider Ram à faire ce qu’il veut faire… Et je sais qu’au fond, toi non plus. Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Tu n’es plus le même ! Datalore n’aurait jamais voulu qu’on permette ce qui arrive ici. Il n’aurait jamais laissé trois hommes mourir sans lever le petit doigt. Datalore est mon ami… Il ne me ferait pas ça. Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Apparemment, Shran et moi, nous avions bluffé tout le monde ! Même Hugh qui était un acteur confirmé. Il trouvait que j’avais été parfait, soulignant qu’Enora ne m’aurait pas menti sur ma performance. Je souris, ravi et fier… Et un peu ému aussi… 16 ans que je n’avais pas joué Datalore ou Ram… Et je m’étais remis dedans en quelques minutes…

-C’est comme s’ils faisaient partie de moi…

Ce devait être pareil pour Hugh qui devait reprendre son rôle de Five pour la première fois depuis un bail aussi. J’avais confiance, je savais qu’il était un très bon acteur (et confirmé, contrairement à moi)… Mais c’était surtout dans son texte qu’il avait peur de se perdre.

Je fis une moue de réflexion.

-Personnellement, je connais mon texte dans les grandes lignes. Je sais vers où ça doit aller… Mais quand je tourne la scène, ça me vient naturellement. J’écoute ce que l’autre personnage dit et je réagis en fonction… Je ne fais pas du mot à mot…

Je me grattai la tête.

-Enfin, je ne crois pas.

Bref, j’étais sûr que ça allait aller. Et ce n’était pas grave si on devait tourner plusieurs fois la scène, au pire. Shran m’avait déjà parlé de scène répétées plus de quarante fois avant que ça ne soit bon. C’était plutôt ce qu’on venait de faire qui était exceptionnel.

Je souris à Hugh.

-Te mets pas la pression.

Enora vint nous chercher et je rectifiai (ou plutôt ruinai) ma coiffure avant de reprendre le chemin du décor. Elle trouvait mon idée bonne et déclara que si Shran n’était pas d’accord avec ça il le dirait direct et Enora lui tirerait les antennes.

Il ne dit rien, quand on arriva… Bien campé qu’il était, et toujours déguisé en T’Kor, sur sa chaise de réalisateur, haut-parleur à la main.

Quand on fut prêts, la scène commença… Et je tournai autour de Five, utilisant divers outils, faisant grimper la pression… Qu’est-ce que j’allais faire à Five ? Serait-il changé à jamais ? Allait-il survivre ? Même moi, je ne le savais pas. Tout ce que je savais, c’était que je devais obéir à Ram si je voulais des émotions… Si j’en voulais encore plus.

Et j’en voulais plus !

Allongé sur la table, Ram n’en revenait pas que je puisse soutenir Ram dans ses projets. Ça avait aussi surpris le Commandeur T’Kor.

Tout en chipotant aux implants de Five, je répondis d’un ton un peu monocorde.

-Pas un rêve de conquête. Un rêve de liberté. Nous en construirons d’autres comme nous.

Five s’agitait et je posai fermement ma main sur son bras. J’étais beaucoup plus fort que lui et ma poigne était féroce.

Mais au final, c’était plus pour le Commandeur que pour lui-même qu’il s’en faisait.

-Ram le laissera partir si la Fédération et la Garde Impériale retirent leurs vaisseaux et nous laissent en paix.

C’était sa monnaie d’échange… A moins que Ram ne m’ait menti. Mais dans l’état émotionnel ingérable que j’étais, je ne pensais pas que mon frère puisse me mentir.

J’expliquai alors à Five ce qu’il allait advenir de lui. Et sa voix trembla… Il ne voulait pas être reconnecté aux autres car il perdrait tout ce qu’il avait appris au sein de l’USS Explorer. Il perdrait son individualité, au moins en partie.

Je levai un sourcil et interrompis ce que je faisais pour regarder Five dans ses yeux vairons.

-Mais… En rejoignant la Fédération, l’USS Explorer, tu n’as fait qu’échanger une dictature pour une autre. Nous les synthétiques et semi-synthétiques sommes juste des robots pour eux. Dans notre nouveau monde, plus personne ne nous utilisera comme de simples ordinateurs.

Five s’emballa alors. Il demanda ce que Ram m’avait fait. Il disait que le véritable Datalore n’aurait jamais laissé tout cela se produire.

-L’ancien Datalore n’avait pas d’instinct pour le guider, seulement des protocoles. L’ancien Datalore n’avait pas d’ambition, pas de rêve… Maintenant, je peux rêver.

Je me remis à chipoter à l’implant oculaire de Five…

-Ne bouge pas et bientôt tu verras les choses comme je les vois.

Puis j’ajoutai.

-Je suis toujours ton ami… C’est pour cela que je veux t’aider.

Brent disait que Datalore et Ram faisaient partie de lui ce qui me fit afficher un sourire. Il ressentait ce que je ressentait avec Five. L’impression qu’il est une partie de moi. Pourtant, Brent est très différent de Ram. Mais je comprends ce qu’il voulait dire par là.

J’avais, désormais, un peu la pression parce que Brent et Shran n’avait fait aucune erreur lors des deux scènes qu’ils venaient de tourner. Si je n’aurais aucun problème à me remettre dans le personnage de Five, j’avais peur de me tromper dans les répliques. Brent déclara qu’il connaissait son texte dans les grandes lignes et qu’il ne faisait pas du mot à mot. C’était pareil pour moi mais le fait est que le stress peut parfois sortir un acteur d’une scène… Ou la distraction et la fatigue. Dans ma carrière ça m’était déjà arrivé. Ça était arrivé à chaque acteur.

-C’est mieux quand ça vient naturellement. Faire du mot à mot il y a toujours un risque de bafouiller et de sortir de la scène.

J’hochai de la tête quand Brent déclara que je me mettais trop la pression. Il avait raison mais c’était plus fort que moi. Je ne pouvais pas faire autrement.

Enora était venue vers nous pour nous demander si on était prêt. Brent changea complètement sa coiffure avant de se déclarer prêt. Il avait fait, lui-même, ce changement artistique qu’il justifia. Une justification approuvée autant par Enora que par moi. Quant à Shran, on verra directement si ça lui plait ou non mais Enora semblait prêt à le contester si jamais il venait à dire quelque chose.

Mais il ne dit rien. Ce qui était signe qu’il approuvait.

On se mit alors en place et, d’un seul coup, je me retrouvais coincé sur un table d’opération attendant, effrayé, de savoir ce qu’il était advenu de T’Kor et ce qu’il adviendra de moi. Mon seul réconfort venait du fait que mes amis cyborgs étaient en sécurité sur l’USS Explorer.

Ce fut Datalore qui entra me montrant, en quelque phrase, qu’il n’était plus le même. Il commença à chipoter dans mon implant oculaire me faisant me raidir alors que je savais que, par-là, il aura accès à la plupart des circuits que j’avais dans ma tête.

Datalore voulait suivre son frère mais je ne pouvais pas croire qu’il puisse approuver les rêves de conquête de Ram. Il déclara que ce n’était pas un rêve de conquête mais un rêve de liberté. Il semblait vouloir construire d’autres androïdes chose qui était interdite sur le territoire de la Fédération à cause de la menace que représente Ram.

-Un rêve de liberté ? Qui sera libre dans un monde dirigé par Ram ? Personne…

C’est ce que je soufflai désespéré par le fait que Datalore semblait penser le contraire.

Je m’inquiétai, alors, du sort que Ram réservait à T’Kor. Datalore affirma qu’ils le laisseront partir si la Fédération et la Garde Impériale laissait Ram tranquille. Je pris un air infiniment triste… Je savais que la Fédération et la Garde Impériale n’allait pas laisser Ram s’en tirer comme ça et je savais que ma vie ou celle du Commandeur T’Kor n’était pas une dissuasion suffisante pour empêcher la Fédération et la Garde Impériale d’envoyer des renforts. La vie de deux ne veut pas la vie de milliards de personne. Or, il est clair que Ram, s’il compte se faire une armée de cyborg, sera une menace pour bien des formes de vie qui ne voudront pas se soumettre à lui.

-Ils ne vous laisseront pas tranquille… Même pas pour la vie d’un Commandeur de vaisseau. Il y a trop de vies en jeu…

Je disais ça sur un ton qui montrait autant ma résignation que ma tristesse face à mon sort et celui de T’Kor. Même si je savais que ce dernier n’allait pas se laisser tuer sans se défendre. Moi non plus d’ailleurs…

Et quand bien même la Fédération se retirait, est-ce que Ram tiendra sa promesse ? Rien n’était moins sûr. Ram est un menteur. Il l’a toujours été. Il nous avait menti à nous, cyborgs quand il est venu sur cette planète.

J’en sus un peu plus sur ce qu’il allait advenir de moi et me voix se mit à trembler à l’idée d’être à nouveau connecté aux autres. Je ne le voulais pas. Je ne voulais ni m’infliger ça, ni leur infliger ça. Je ne voulais pas entendre leur voix dans ma tête et je ne voulais pas qu’ils entendent la mienne…

Datalore sembla troublé par tout ce que je venais de dire. Il affirma qu’en rejoignant la Fédération dont j’étais, désormais, citoyen, je n’avais fait qu’échanger une dictature pour une autre. Il affirma que nous n’étions que des robots pour eux ce qui était faux.

Ce que Datalore disait n’avait pas de sens. Ce n’était pas sa vision des choses. Ram l’avait changé d’une façon ou d’un autre. Il avait aussi plus d’expression comme s’il ressentait réellement les choses. Ce qui lui était impossible en théorie.

-Nous ne sommes pas des robots pour la Fédération. C’est le premier endroit où j’ai pu poser mes premiers choix pour ma propre vie. Ils auraient pu me garder pour eux et faire de moi une arme puissante contre les cyborgs mais, à la place, j’ai pu choisir de vivre sur une planète avec mes semblables afin qu’on puisse mener notre vie comme on le voulait.

Ça n’avait pas toujours été simple comme choix de vie… La preuve certains cyborgs s’étaient laissé séduire par Ram.

Je demandai ce que Ram avait fait à Datalore. Un être si doux et gentil ne pouvait pas suivre aveuglément Ram… Il affirma alors que l’ancien Datalore n’avait pas d’instinct, ni d’ambition et que, désormais, il pouvait rêver.

-C’est ça qu’il t’a donné ? Ce que tu cherches depuis longtemps ? Ressentir des choses comme les organiques ? Mais… Pourquoi suivre Ram ? Il tue, il ment, il ne veut le bien de personne sauf de lui… Tu n’es pas comme ça Datalore. Pense au Capitaine Stevens… C’est on ami… Si tu persiste, vous vous retrouverez face à face. Si tu as le pouvoir de ressentir des choses, ne me dit pas que tu ne ressent rien pour lui…

Il m’interdit de bouger déclarant que, bientôt, je verrais les choses comme lui. Malgré tout, je continuais à me tortiller espérant ralentir son travail.

Il affirma être toujours mon ami… Qu’il faisait ça justement parce qu’il voulait m’aider. Une larme coula le long de ma joue. J’avais l’impression que je n’allais pas m’en sortir. Je redoutais une reconnexion. Je redoutais de perdre tout ce que j’avais gagné en 18 ans.  

-S’il te plait… Ne fait pas ça. Tu ne m’aide pas… Tu vas détruire tout c que je suis en faisant ça. Tout comme Ram a détruit tout ce que tu es… Je préfère que tu me tues plutôt que tu ne me reprogramme. Rappelle-toi tout ce qu’on a vécu ensemble. Notre première rencontre avec Ram. Il avait déjà essayé de faire du mal aux gens que tu aimes. Il était jaloux de ce que tu avais… Maintenant, il a fait de toi son esclave…

Qui sera libre dans un monde dirigé par Ram ? Personne…

Je m’interrompis… Secouai la tête. Quelque chose n’allait pas. Il y avait un décalage entre ce que me disait Ram et ce que m’avaient dit le Commandeur T’Kor et maintenant Five. Pourquoi ne voulaient-ils pas y croire ?

Et une autre question germa.

Pourquoi croyais-je Ram, sans rien remettre en question ?

Je fermai les yeux, essayant de me reprendre. Je n’avais pas de sang à proprement parler, mais si on essayait de prendre mon pouls, j’en avais un… Parce qu’en moi circulai, un peu comme du sang, un lubrifiant pour mes circuits. Et j’eus l’impression que cela se mit à circuler plus vite. Plus fort.

Etait-ce cela, le stress ?

Si oui, je n’étais pas sûr de vouloir ressentir cela. La colère et la haine, c’était puissant. Mais le stress n’était que désagréable.

Five voulut savoir ce qu’il allait advenir du Commandeur. Je lui dis alors ce que Ram m’avait promis : si les vaisseaux de la Garde Impériale et de la Fédération se retiraient, il leur rendrait T’Kor. Mais Five pensait qu’ils ne se retireraient pas. Ils préfèreraient sacrifier une ou deux vies pour en sauver des milliers.

Je secouai la tête.

-Et ils se disent amis du Commandeur T’Kor ? C’est donc ça la merveilleuse amitié que l’on m’a fait miroiter au sein de l’USS Explorer pendant toutes ces années… C’est facile de flouer quelqu’un comme moi qui ne ressens pas les choses de la même manière que les autres.

Mais Five n’en avait pas fini. Comme T’Kor, il ne pensait pas qu’on nous prenait pour de simples robots. Que nous avions eu l’occasion de faire des choix, nos propres choix. Il y eu un clic ! mécanique quelque part dans mon cerveau positronique.

Et les paroles du petit cyborg prirent une toute autre dimension. Car des souvenirs, j’en avais. Ram n’avait pas pu les effacer, comme si j’avais préservé quelque part ce que j’avais de plus cher. Je savais qu’à ce moment-là, Shran enverrai une série d’images représentant les souvenirs de Datalore.

Je me rappelais… Ma première rencontre avec un Five déconnecté du Collectif. Perdu. L’idée de Stevens de l’utiliser d’abord pour aller infecter le Collectif… Puis l’amitié qui s’était forgée entre nous et Five, nous faisant prendre conscience qu’un génocide aurait été quelque chose de mal.

Puis mes choix, mes propres choix… Dont la fois où le Capitaine Stevens m’avait laissé prendre le commandement d’un vaisseau pour une mission spécifique… La façon méprisante avec laquelle l’équipage m’avait accueilli avant de se rendre compte que, bien qu’étant un androïde, j’étais tout à fait à ma place.

Et d’autres souvenirs encore… Des parties de pokers, des cocktails goûtés au bar du vaisseau…

Je portai la main à mon front et secouai la tête.

-Non…. Je veux garder mes émotions… J’ai vécu tout ça mais… Sans rien… Sans rien ressentir alors… A quoi bon ?

Je me reconcentrai sur ma tâche, tremblant un peu et risquant du même coup de faire mal à Five sans le vouloir.

Et Five continuait, comprenant que j’avais maintenant des émotions… Mais qu’elles ne valaient pas le coup de suivre Ram pour autant.

J’arrêtai à nouveau de tripoter l’implant.

-Mais si… Si je me retourne contre lui… Contre Ram, il va détruire la puce.

Je posai mes mains sur le bord de la table et me penchai sur Five.

-Et je ne ressentirai plus jamais rien… Pas même de l’amitié pour le Capitaine Stevens… Je suis aussi un menteur… Car je fais semblant… Je ne fais qu’imiter.

C’était ce que je pensais… Alors qu’en vérité, certes, je ne ressentais rien, mais j’avais une façon bien à moi de me conduire avec mes amis et qui valait tout l’or du monde pour moi, comme pour eux.

J’insistai, cependant… Je disais être l’ami de Five et vouloir, en suivant Ram, li apporter quelque chose comme mon frère l’avait fait pour moi. Et je repris mes travaux sur l’implant oculaire.

Five me dit alors qu’il préférait mourir plutôt que d’être reprogrammé. Que Ram avait déjà essayé, il y avait longtemps, de nous faire du mal qu’il était jaloux et que j’étais son esclave. Je m’arrêtai à nouveau. Et, en colère, mais contre moi-même cette fois, je jetais mon outils à travers la pièce… Ram, qui devait observer à distance, compris que j’allais basculer… Et il poussa la puce au maximum.

Au mauvais moment, seulement… Car c’était à moi et à lui que j’en voulais. Plus à la Fédération. Je criai de douleur et m’écroulai assis à terre… Mais j’avais eu le réflexe, dans ma chute, de désangler Five.

Il était libre… Et moi, je ressentais tellement de colère que c’en était douloureux.

Ce que Ram ne savait pas, c’était que poussée à ce niveau, la puce allait finir par griller.

Je savais que la Fédération et la Garde Impériale n’allait pas abandonner pour ma vie ou celle de T’Kor. Ils tenteront de nous sauver mais si jamais c’est impossible, ils continueront quand même à tenter d’arrêter Ram. Datalore réagit à ça parlant d’amitié. Il affirma avoir été lui-même floué pendant des années par ce genre de principes.

-Ce n’est pas une question d’amitié. Quand le Commandeur T’Kor a signé pour la Garde Impériale, il savait que chaque mission était potentiellement dangereuse et qu’on peut sacrifier quelques personnes pour les plus grand nombre particulièrement si ce sont des soldats.

T’Kor est un soldat. Je savais qu’il était prêt à faire ce sacrifice bien qu’il ne le fera pas sans se défendre. Quand à moi… Je n’avais pas le choix. Je ne voulais pas que la Fédération abandonne uniquement pour me sauver même si j’avais une peur bleue de mourir.

-Personne ne t’a floué, Datalore…

C’est ce que je soufflai alors que j’espérais, quelque part, que Datalore reprenne ses esprits. Qu’il passe au-dessus de ce que semblait lui avoir fait Ram.

J’affirmai alors que la Fédération étaient les premier à m’avoir laisser faire mes propres choix. A décider de comment je voulais mener ma vie ce que, évidemment, je n’avais jamais pu faire dans le Collectif. Je défendais tout ça non sans beaucoup d’émotions dans ma voix. Des émotions qui traduisait mon état émotionnel du moment. Un mélange de peur, de tristesse et de désespoir de voir mon ami si changé. Je tentai de lui faire se souvenir de notre première rencontre. Des souvenirs que je chérissais et qui m’avait aider dans ma quête d’humanité. Une quête que j’avais en commun avec Datalore.

Je vis l’androïde porter sa main à son front. Il clama qu’il voulait garder ses émotions. Il affirma avoir vécu tout ça sans rien ressentir.

-Quelque part, tu les as ressenti. Pas comme un humain mais d’une façon différente.

De ça, j’en étais persuadé. Datalore avait une plus grande humanité que certains autre humains. Je savais que, d’une certaine façon, il pouvait ressentir les choses.

Je pensais avoir réussi à le faire se remettre en question mais il reprit son travail me laissant, à nouveau, avec la peur au ventre. Il tremblait ce qui me faisait parfois mal. Une douleur que j’affichai sur mon visage et par des gémissements de désespoir.

Il fallait que je continue et c’est ce que je fis. Je déclarai que ça ne valait pas le coup de suivre Ram pour quelques émotions. Ça allait faire beaucoup de dégât pour une envie personnelle. Le vrai Datalore n’aurait jamais fait passer ses intérêts avant ceux des autres. Jamais.

Datalore affirma que s’il se retournai contre son frère, Ram allait détruire la puce. C’était, donc, ça… La puce… C’est ce qui lui donnait des émotions. Il affirma que, sans ça, il ne ressentira plus jamais rien. Que, jusqu’ici, il n’avait fait que faire semblant, que simuler… Il s’était penché sur moi alors, je levai le regard sur lui.

-Tu ne faisais pas semblant… Tu avais ta façon à toi de montrer ce que tu ressentais au fond de toi. Ça fait longtemps que tu es plus qu’un simple androïde, Datalore. Tu n’es pas un menteur. Ton amitié, on la voyait dans tes actes. Les actes valent plus qu’une explosion d’émotions.

Les larmes coulaient sur mes joues… J’avais peur mais j’étais aussi triste de voir Datalore dans cet état.

Malgré mes mots, il persistait à vouloir me reprogrammer. Je m’emballai alors à cause de l’angoisse disant que je préférais mourir que de redevenir celui que j’étais autrefois mais, cette fois, sur la coupe de Ram.

Je vis, d’un coup, de la colère s’afficher sur le visage de Datalore. Il jeta son outil à travers la pièce me faisant légèrement sursauter. Il cria ensuite de douleur.

-Datalore !

Je m’inquiétai pour lui et, dans sa chute, il retira les sangles. Je bondis hors de la table refermant mon implant oculaire au passage.

J’étais libre.

Mais Datalore allait mal alors c’est, inévitablement, vers lui que je me baissai posant une main prudente sur son épaule.

J’aurais dû fuir. Mais je ne pouvais pas le laisser là alors qu’il souffrait.

-Datalore… Je suis là.

Et je me concentrai utilisant mes signaux de cyborgs pour tenter d’atténuer sa douleur, Datalore étant un être uniquement synthétique. Ce que je ne savais pas c’est que ce signal avait pour effet d’augmenter la surchauffe de la puce qui était sur le point d’être totalement hors service.

Comme T’Kor un peu plus tôt, Five essayait de faire vaciller les certitudes implantées dans mon cerveau positronique par Ram à coup d’émotions, haine et colère, et de mensonges. Il me faisait douter d’amitié qui était pourtant acquises depuis longtemps, me faisant croire qu’en fait, ceux qui se disaient mes amis ne faisaient que se servir de moi.

Pour Five pourtant, le fait qu’ils soient sacrifiés dans cette mission faisait sens. Que T’Kor, par exemple, savait qu’il y avait un risque en s’engageant dans la Garde Impériale.

Je serrai les dents.

-Ce n’est pas normal.

Mais je me mettais à douter… Parce que j’avais toujours ces trous, ces  blancs dans la chronologie enregistrée par mon chronomètre interne. Il me manquait des éléments. Où étaient passées ces informations ?

Personne ne t’a floué, Datalore.

Ces mots, par contre, faisait sens quelque part en moi.

A force, je portai la main à mon front. Je n’étais pas habitué à la douleur, mais Ram pouvait maintenant utiliser ça pour me garder avec lui. Sauf que Ram était un être impulsif, irréfléchi. Il agissait tout le temps sous le coup de ses propres émotions.  

Et comme d’habitude, ça allait le mener à sa perte.

J’essayais douloureusement d’expliquer à Five que je ne voulais pas perdre ces émotions. Que même la douleur était préférable au grand vide de sensation dont j’étais investi d’habitude. Qu’avant, je ne pouvais faire que semblant d’avoir des amis, qu’imiter les comportements que je voyais.

Five n’était pas d’accord. Pour lui, je ressentais les choses… Seulement, j’avais une façon de fonctionner différente qui n’en était pas moins bien réelle. Il était en train d’achever de me convaincre car je savais qu’il disait vrai. J’avais des amis. J’avais notamment le Capitaine Stevens, le Lieutenant Frakes et puis Five lui-même ! Après tout, ne ressentais-je pas une forme « manque » quand l’un d’eux n’était pas à mes côtés ?

Si.

Et Ram, voyant à distance qu’il me perdait, poussait la puce émotionnelle à fond. Sans réfléchir encore une fois. Je vis les larmes couler sur les joues de Five… Je le faisais souffrir ! Il fallait que j’arrête ça ! Je ne pouvais pas faire de mal à mes amis !

Je finis par tomber à terre de douleur, désanglant Five du même coup. La seconde d’apèrs, il était à mes côtés, la main sur mon épaule. A ce moment-là, dans le scénario, Shran avait écrit : « Five use d’un signal cyborg et fait griller la puce sans le savoir. »

Je tins ma tête encore trois secondes entre mes mains puis tombai, complètement raide, couché en arrière, les yeux grands ouverts, immobiles. J’arrêtai de respirer pour ne vraiment pas bouger. Je retins ma respiration le plus longtemps possible pour laisser le temps à Five de s’inquiéter.

La puce avait grillé. J’étais à nouveau libre, à nouveau moi-même. Dénué d’émotions, certes, mais atrocement lucide.

Je fini par cligner des yeux une fois. Puis mes yeux jaunes se plantèrent dans ceux, vairons, de Five.

-Reconnexion du programme éthique terminée… Récupération des données.

Ma bouche s’entrouvrit. Quelques secondes passèrent.

-Il faut arrêter Ram. Libérer le Commandeur T’Kor.

Et là, fin de la séquence, fin de la scène… Shran allait bientôt couper.

Ce n’est pas normal… C’est ce que pensait Datalore alors que je parlais de sacrifice. Pourtant, c’était un sacrifice logique et utile… Si ma mort et celle de T’Kor pouvait empêcher Ram de tuer ceux qui se mettront sur son chemin alors j’étais prêt à ça. T’Kor y était sûrement encore plus que moi car il était un soldat. Il savait que chaque mission pouvait être la dernière.

Mon état d’inquiétude et d’angoisse m’empêchait de totalement me rendre compte que chacune de mes paroles faisaient vaciller les croyances de Datalore. Celles que Ram lui avait mises en tête.  J’essayais de lui faire comprendre que personne ne l’avait floué. Que notre amitié était bien réelle et que la Fédération ne le voyait pas comme un objet. J’ignorais que T’Kor lui avait tenu a peu près le même discours. La différence c’est que je connaissais bien Datalore. Qu’il était mon ami. Il y avait plus d’affecte entre moi et Datalore qu’entre Datalore et T’Kor qui se connaissait depuis quelques heures seulement.

Je ne me rendis, donc, que plus tard que Datalore commençait à souffrir. Une chose nouvelle pour lui. Une chose qu’il avait du mal à supporter. Malgré tout, il était déterminé à garder les émotions que Ram lui avait fourni. Il disait que, sans elles, il ne faisait que simuler… Que mentir. Je n’étais pas d’accord avec ça. Datalore avait sa façon a lui d’exprimer les choses mais ça n’en était pas moins authentique. C’est ce que j’essayais de lui expliquer alors même que ses gestes sur mon implant oculaire commençait à me faire vraiment mal.

Je commençais à pleurer car j’avais peur de perdre ce que j’avais durement acquis mais, aussi, parce que je voyais mon ami se perdre lui aussi. On risquait de ne plus jamais être les mêmes. Ni lui, ni moi et ça me faisait mal.

Sauf que c’est là que Ram fit une erreur. Celle de pousser la puce à fond… Presque au point du rupture et ça au moment même où Datalore commençait à lui en vouloir à lui. Datalore réagit montrant toute sa douleur et se laissant aller au sol après m’avoir désanglé. Je vins vers lui au lieu de fuir. Je ne pouvais pas le laisser derrière dans cet état. Et, dans l’espoir de pouvoir calmer sa douleur, j’activais mon signal cyborg ce qui, sans que je le sache, fit complètement grillé la puce.

Datalore continuait à se tenir la tête sous mon regard très inquiet avant de devenir totalement inerte.

-Datalore !

Mes larmes coulaient d’autant plus.

-Réveille-toi ! S’il te plait !

J’étais désespéré. J’avais peur que mon ami soit désactivé pour de bon. Et vous savez quoi ? J’ai même eu peur que Brent soit carrément raid mort car il retenait sa respiration. Mais je devais rester dans mon rôle ce que je fis.

-S’il te plait…

Je tremblais… Jusqu’à-ce que l’androïde ne cligne deux fois des yeux.

-Datalore ?

Il se mit à parler de son programme éthique. Il était en train de récupérer les donnes. Des mots qui, sur le coup, me rassurèrent. J’affichai un sourire soulagé alors que Datalore affirma qu’il fallait arrêter Ram et libérer T’Kor !

Je pris un air un peu plus déterminer avant de l’approuvent d’un hochement de tête.

-Coupez !!! C’est dans la boîte ! C’est parfait ! Café pour tout le monde ! Vous l’avez mérité ! Je suis de bonne humeur, maintenant !

La voix de Shran résonna dans le studio mettant fin à la scène. Il semblait plus que satisfait. Je me laissai tomber assis sur le sol soufflant de soulagement. J’avais beaucoup donné émotionnellement sur cette scène. Je souris à Brent.

-On a réussi !

J’étais libéré d’un poids. Ma première scène en tant que Five depuis 16 ans et je l’avais fait en une prise.

Enora s’approcha de nous et sourit.

-C’était parfait ! Maxwell n’a qu’à bien se tenir !