-Monsieur Shran… Ça fait la deuxième fois que je vous le dit… Le Docteur Crawford est en vacances. Il sera de retour dans une semaine…

Putain ! Je hais ma vie, parfois ! C’est ce que j’étais en train de penser alors que je venais de faire répété encore une fois ce que je ne voulais pas entendre : soit que le médecin que je DEVAIS voir aujourd’hui était en vacances ! Il a bien trouvé son moment, le vieux Crawford, pour prendre des vacances, hein !

-Mais je DOIS le voir !

Je me trainais un mal de crâne carabiné depuis hier matin quand mon cerveau a, encore une fois, décidé de court-circuité… Heureusement qu’on était le week-end… Sinon, j’aurais dû annulé une journée de tournage et je n’en avais pas envie !

Tout ce que je veux c’est voir Crawford, qu’il évalue et qu’il me donne de quoi calmer ce foutu mal de crâne avec des pilules plus fortes que celle que j’ai chez moi !

-Et bien revenez dans une semaine ! Mais si vous ne voulez pas attendre, nous avons d’autres médecins généralistes qui pourront vous prendre en charge et qui sont tout aussi compétent que le Docteur Crawford…

Un autre médecin ? JAMAIS ! Depuis ce qu’il s’était passé avec Alicia Ford, je refusais de voir un autre médecin que Crawford surtout quand ça concernait ma tête ! Je ne faisais confiance qu’à ce vieux type et personne d’autre !

-Génial ! Une semaine ! Dans une semaines, ça ne servira plus à rien ! Et je ne veux pas voir un autre médecin !

La femme de l’accueil soupira.

-Alors, je ne peux rien faire pour vous…

Je tapais du plat de ma main sur le comptoir, furieux ! Contre qui ? Le coup du sort ! Crawford ne prends d’habitude, JAMAIS de vacances. Pourquoi il le fait maintenant ?! Il faudra que je lui demande dés son retour.

-C’est vraiment un hôpital de merde !

C’est ce que je lançais avant de m’éloigner de la femme sans lui dire « au revoir ». L’hôpital n’avait rien fait en soi, mais l’énervement était là et si ça me permettait d’envoyer une pique au Los Robles autant le faire ! Je n’aime pas le Los Robles ! Je préfère le Good Samaritan… Mais ça fait deux ans que le vieux Crawford a décidé de bosser ici… Pourquoi ? Mieux payé, il disait, le vieux ! Je lui en foutrais, moi ! Je déteste cet hosto de riche !

J’allais faire quoi maintenant ? Bah crever de mal, tiens… Je n’ai pas d’autres choix. Surtout que plus je m’énervais, plus s’était pire ! Et je ne pouvais même pas aller chez Enora pour lui parler des vacances de Crawford ! Elle était partie tout le week-end !

Je m’étais arrêté dans le couloir devant le distributeur non loin de la salle d’attente. Je crevais la dalle et j’avais envie de foutus chips !

-Des vacances… Je t’en foutrais, moi, des vacances. Il m’a jamais fait ce coup-là…

Je sortis mon portefeuille pour insérer les pièces mais quand je poussais sur le boutons, mon paquet de chips se bloqua.

-Putain c’est pas vrai !

Quelle journée merdique !!!

Je me mis alors à frapper sur le distributeur autant avec mes poings qu’avec mon pieds autant par évènement que pour faire descendre ce foutu paquet de chips !

Abandonner ne faisait pas partit de mon vocabulaire ! Je croyais dur comme fer que, dans la vie, nous pouvions absolument tout réussir à condition de s’en donner les moyens. C’est exactement pour cette raison que j’avais rendez-vous ce matin au Los Robles Hospital afin de rencontrer un endocrinologue spécialiste dans la fertilité. On m’avait annoncé, il y avait de cela un petit moment déjà, que je ne pourrais jamais avoir d’enfant. Il m’avait fallu un moment pour digérer la nouvelle et faire mûrir mes réflexions autour de ma maternité. J’étais la maman comblée de deux beaux garçons que j’adorais plus que tout au monde et le fait qu’ils n’aient pas grandis dans mon ventre ne changeait strictement rien à mon amour pour eux.  Ceci dit, j’espérais toujours que d’une façon ou d’une autre, on trouve un moyen afin que je puisse tomber enceinte. Je rêvais de plus en plus d’agrandir notre famille en offrant une petite fille à Jack, une sœur pour Jesse et Alvaro, ma petite princesse.

J’avais vu à la télévision, un reportage qui parlait d’injection de vitamine et d’hormones favorisant la stimulation de production d’ovules sains. Je me disais que c’était là une occasion à saisir ! Peut-être que de m’injecter ce cocktails aiderait mon corps à produire ce qu’il ne voulait pas produire ! Je me refusais de croire que j’avais eu, chaque mois depuis mon adolescence, des menstruations outrageusement douloureuses si ce n’était pas pour avoir la consécration suprême de porter un enfant ! Dans ma tête, c’était mathématique et je refusais de baisser les bras tant qu’il subsistait un tout petit espoir.

Le docteur Dale avait prit le temps de lire tout ce que j’avais récolté comme information sur le sujet et il avait également comparé les notes de son collègues, le docteur Hartley, celui qui m’avait diagnostiqué ma pathologie, avant de me dire froidement et platement que toutes les injections d’hormones et de vitamines du monde ne feraient jamais en sortes que mes trompes de Fallope se débloquent. Les salopes ! Et comme le docteur Hartley l’avait aussi mentionné quand je l’avais rencontré, mes trompes sont à se point en mauvais états qu’il n’y a aucun espoir, même pas de les reconstruire. Le mieux à faire serait de tout enlever et de me trouver un nouveau rêve à caresser. Le docteur Dale m’avait regardé dans les yeux avant de me suggérer de, peut-être, adopter un chat !

La tête haute et le sang froid, je me levais et je le remerciais en ramassant un peu brusquement les notes que j’avais apportées pour appuyer ma demande et j’avais quitté le bureau en claquant la porte. Il me fallait du chocolat ! Je devais manger immédiatement une barre de chocolat ! Le sucre me calmait, moi la petite bibitte à sucre que j’étais ! Ça aiderait à ravaler ma fierté et mes sanglots.

Sauf que, lorsque j’arrivais au distributeur le plus près de là où je me trouvais dans l’hôpital, un homme frappait dessus. Je n’avais pas besoin de lui demander si ça allait pour savoir qu’il passait un moment aussi désagréable que le mien. Avoir été dans un autre état d’esprit, je lui aurais doucement dit que le pauvre distributeur ne lui avait rien fait et que c’était à force de le frapper qu’ils devenaient tous un peu non fonctionnel. Sauf que, j’avais la rage au cœur et au ventre. J’en voulais à la terre entière et j’en voulais aux hommes, enfin, pas tous les hommes mais aux médecins hommes qui traitaient le corps des femmes avec si peu de considération et nous conseillaient d’adopter un chat. Sans nous les femmes, ces hommes ne seraient pas là pour minimiser l’essence même de notre féminité.

- Je peux ? Moi aussi j’ai envie de frapper !

Jack n’en reviendrait pas s’il était là, à cet instant et peut-être qu’il aurait honte de me voir évacuer ma colère de façon aussi immature mais… Je voulais mon chocolat !

Le paquet chips coincé dans la machine n’avait fait qu’amplifié ma colère déjà bien grande. Le fait est que je m’étais déplacé jusqu’à Malibu en taxi pour rien et sans avoir de solution pour ce foutu mal de crâne qui ne faisait que s’aggraver à chaque minute qui passait. Si je voulais rentrer, j’allais devoir rappeler un taxi et rien que l’idée m’emmerdait ! Je venais à peine de quitté l’autre taxi que j’allais déjà devoir en rappeler un autre !

Bref, la machine prenait pour se grade en attendant. Il fallait que je passe mes nerfs et autant que ça soit sur cet objet inanimé plutôt que sur quelqu’un.

En rentrant, j’allais faire quoi, en plus ? Je ne saurais pas me pencher sur mes scripts. J’avais bien trop mal pour ça. Et je savais qu’avec un tel degré d’énervement, je n’arriverais pas à dormir ce qui, dans mon état actuel, était, pourtant, la seule chose à faire. Alors à part ruminer ma colère et me shooter aux antidouleurs, je ne voyais pas trop ce que j’allais faire ! Sans compter que, théoriquement, dans cet état, je ne pouvais pas rester seul… Sauf qu’Enora n’était pas là… Alors j’allais aller où ? Chez ma mère ? Chez Brento ? Je préférais aller chez Brento mais le seul problème c’est que je préférais qu’il se repose pour être en forme pour le tournage demain plutôt que de jouer les Shransitteur. Tant pis ! Je resterais seul chez moi ! Enora n’a qu’à pas quitter la ville le week-end ! Voilà !

Et ce foutu paquet qui ne tombait pas !!

C’est là que j’entendis la voix d’un femme. J’arrêtai de frapper d’un seul coup me tournant vers elle. Cette femme avait de long cheveux bruns et devait avoir environs dans la trentaine. Visiblement, elle n’était pas plus d’humeur que moi étant donné qu’elle semblait aussi avoir envie de frapper la machine sur laquelle je m’acharnais vainement. Un peu essoufflé, je la regardai un léger moment avant de céder ma place.

-Allez-y. Vous aurez peut-être plus de chance que moi pour faire tomber ce foutu paquet de chips. Cette machine vient de me voler mon foutu dollars. Tous des voleurs dans cet hosto de riche ! Même les machines !

Encore une fois, l’hôpital n’avait rien fait mais je n’avais pas d’autres bouc-émissaire hormis le coup du sort ou, éventuellement, le Docteur Crawford.

Je reprenais mon souffle croisant les bras et regardant la femme. Elle ne semblait, en effet, pas d’humeur même si c’était plus contenu que moi. En même temps, c’est souvent facile d’être plus contenu que moi.

-Vous aussi vous vouliez voir le Docteur Crawford mais on vous a appris que ce vieux crouton est parti en vacances pour une semaine ?

Je fis la moue. On pouvait toujours entendre un énorme agacement dans ma voix vis-à-vis des vacances de Crawford.

-A moins que ça ne soit pire et que vous avez eu une mauvaise nouvelle ?

L’hôpital était souvent l’endroit des mauvaises nouvelles… On venait rarement ici pour une bonne nouvelle hormis pour les femmes enceintes, je suppose. Personnellement, j’en avais déjà fait des passage à l’hosto même si mon plus grand séjour reste quand je me suis démoli la tête à 19 ans.

Quoi de mieux que le chocolat pour compenser lors d’un moment d’intense déception ? Mieux si le dit chocolat était aux noisettes. Je ne pouvais pas prendre le volant pour rentrer chez moi en presque état de choc. J’avais besoin d’un remontant sucré pour me calmer et m’aider à relativiser. Il restait certainement une option, un traitement expérimental, une opération chirurgicale ou divine ! Je ne baisserais pas les bras, pas tout de suite, pas tant que subsistait en moi une lueur d’espoir.

Quel exemple donnerais-je à mes enfants s’ils me voyaient reculer sans avoir tout essayé ? Ce n’était pas l’image que je voulais qu’ils aient de moi. Ce n’était pas dans mes valeurs que d’abandonner sans avoir combattu. Par exemple, Jesse rencontrait de grandes difficultés à l’école mais avec beaucoup de travail et de support de notre part à Jack et moi, je savais qu’il réussirait. C’était important et non négociable, il obtiendrait son diplôme et ce jour-là, il serait fier de n’avoir jamais abandonné.

J’avais dans ma mire le distributeur que j’avais rencontré plutôt dans le couloir en me rendant à mon rendez-vous mais il était déjà accaparé par un homme visiblement autant chamboulé que moi. Je l’observais quelques secondes avant de réaliser que moi aussi, j’avais besoin de me défouler. Jamais, au grand jamais je n’aurais pensé un jour ressentir assez de haine envers l’univers pour avoir envie de frapper mais comme le distributeur subissait déjà la violence de l’inconnu, il pouvait bien encaisse mon coup de pied.

Doucement bien qu’avec assez de fermeté, je lui demandais si je pouvais me défouler à mon tour. Il me regarda un court moment avant de s’écarter pour me céder la place. Il supposa que j’aurais peut-être plus de chance que lui. J’en doutais mais dans l’instant, je m’en foutais un peu pour ne pas dire pas mal. Il ajouta que cette machine lui avait volé son dollar, pas étonnant pour un hôpital de riche. C’est connu, il n’y a pas plus voleur que les riches.

J’esquissais un demi-sourire en penchant un peu ma tête sur le côté, évaluant mon adversaire en métal, je m’éclaircis la gorge en toussotant un petit peu et j’approchais de la machine, la dévisageant de haut en bas. Le paquet de chips était coincé dans le ressort E6 d’un paquet de caramel butter scotch. Sur la rangée au dessus, les différentes tablettes de chocolat étaient exposées.

- Il n’y a pas aux noisettes !

Pourquoi je ne pouvais avoir de chocolat aux noisettes ? Je ne pouvais pas avoir de bébé, je ne pouvais pas non plus avoir de chocolat aux noisettes ! La vie m’envoyait clairement un message qui ne passait pas comme une lettre à la poste.

- Non. Le docteur Dale en remplacement du dr Hartley. J’étais venue pour discuter d’un traitement hormonal pour stimuler ma fertilité. Il n’y a pas de chocolat aux noisettes !

C’est en fixant le distributeur que je répondis à l’homme. Il me demanda si c’était pire que d’avoir son médecin partit en vacances pour une semaine. Est-ce que c’était pire ? Oui, ça l’était ! Il ne devait qu’attendre une semaine avant de voir son médecin alors que moi… Il m’arrivait quoi ? Ce n’était pas moi ça, de minimiser ce que vivait une personne pour me victimiser ! Où était passé mon empathie, mon sens de l’écoute et de l’entraide ?

J’assenais un coup du revers du talon à la machine, beaucoup plus fort que ce que je m’en pensais capable, et probablement que je le donnais là où il le fallait mais le paquet de chips se décrocha du ressort E6 et tomba dans la trappe et attendit d’être récupéré.

- On m’a dit qu’il n’y avait vraiment aucun espoir que je puisse tomber enceinte et j’ai du mal à l’accepter. Je ne devrais pas en faire tout un plat, j’ai la chance d’avoir deux beaux garçons en santé…

Je me penchais et je récupérais le paquet de chips et, au moment de me redresser, j’entendis le distributeur vomir ses pièces. Le dollar en pièce de vingt-cinq sous puis une avalanche de pièces déferla. Je regardais l’homme, surprise, puis j’éclatais de rire en plaçant mes mains en coupe en dessous, ne sachant pas si je devais les récupérer, les laisser aller partout sur le sol ou me sauver en courant.

J’avais cédé ma place devant la machine à une femme qui semblait tout aussi d’humeur que moi. J’avais, avant ça, cracher ma haine sur la machine autant que sur cet hôpital de riches. La femme s’exclama alors qu’il n’y en avait pas aux noisettes. Elle ne parlait, donc, évidemment, pas de chips mais probablement de quelque chose au chocolat.

Apparemment, il n’y avait pas que moi qui avait une journée merdique. Je demandai, donc, à la femme si, elle aussi, elle voulait voir ce vieux Crawford qui avait décidé d’aller se dorer sur une plage au lieu de faire son travail. Quoi que, connaissant le vieux, il était plutôt allé à la montagne pour profiter d’un bon foutu livre. Loin des patients comme moi… Mais ce n’était pas le cas. La femme était venue voir un tout autre médecin pour discuter d’un traitement pour booster sa fertilité. J’avais, donc, devant moi, une femme qui cherchait à tomber enceinte. Ou, du moins, qui en avait le projet.

Elle s’exclama alors qu’il n’y avait pas de chocolat aux noisettes.

-Il n’y en a pas parce que, quand une journée démarre mal, elle ne peut pas finir bien.

J’avais dit ça agacé par mes propres « malheurs » du jour. A vrai dire, ma situation n’était pas critique mais elle était hautement inconfortable et mon inflexibilité vis-à-vis du fait que je ne voulais pas voir d’autres médecins ne facilitait en rien ma situation. Mais si je faisais ce choix c’était parce que j’avais de très bonnes raisons ! Seul Crawford connaissait par cœur mon parcours médical. Il était le seul a pouvoir réellement détecté si ce mal de crâne était inquiétant ou non et quel traitement faire pour m’en débarrasser. Mais il n’était pas là ce qui faisait que je n’allais pas pouvoir régler ce mal de crâne.

Mais peut-être que les problèmes de la jeune femme était plus graves ? C’est ce que je demandai alors qu’elle frappa brutalement de son talon sur la machine faisant tomber le chips. Je sifflai d’admiration.

-Bien joué !

J’allais, au moins, pouvoir bouffer mon foutu chips ! De quoi, au moins, me faire dire que je n’aurais pas perdu autant d’argent que je ne l’aurais cru aujourd’hui. Car j’en avais perdu ! Le taxi, c’est pas donné !

La femme s’exprima alors sur ce qui l’énervait. Elle avait, en effet, reçu une mauvaise nouvelle. Elle ne pourrait pas tombée enceinte. Une fatalité qu’elle avait du mal à accepter même si elle avait déjà deux enfants. Je ne pouvais que compatir. J’ignorais si c’était suite à une maladie ou autre chose qu’elle était devenue incapable d’avoir des enfants étant donné qu’elle disait déjà en avoir deux mais, quoi qu’il en soit, c’était, je l’imagine, une chose bien difficile à entendre.

J’allais réagir mais c’est là que les pièces de la machines décidèrent de se faire la malle et de s’étaler sur le sol dans un petit vacarme. La femme fut d’abord aussi surprise que moi et elle éclata de rire.

J’aurais pu reprendre mon dollars. Mais j’avais mon chips, désormais. Alors, je n’avais pas besoin de mon dollars. Mais nul doute que tout ça allait attirer l’attention.

Alors, pour faire pire, je lançai à qui voulait bien l’entendre :

-Distribution générale de pièces !!!!

J’avais crié ça avant de m’approcher de la femme.

-Venez. Il ne faut pas rester ici. Ils vont tous sauter sur les pièces et on risque d’avoir des ennuis.

J’entrainai la femme vers l’extérieur du bâtiment laissant le personnel de l’hôpital s’occuper du petit incident. Une fois dehors et mon chips en main je pris une grande inspiration et ouvrit mon chips. Je le tendis à la femme.

-Vous en voulez quelques-uns ? Je sais ce n’est pas du chocolat aux noisettes mais je vous en dois une.

Elle avait libéré mon paquet de chips au paprika. Je lui en devais, donc, une.

Je la laissais en prendre ou non avant de voir un banc juste à côté de nous. Je m’installai dessus massant légèrement mes tempes. Je n’aurais pas pu rester debout plus longtemps. Pas tout de suite, en tout cas. Je regardai vers la jeune femme.

-Je suis vraiment désolé pour la nouvelle que vous avez apprise. Ce n’est pas quelqu’un chose qui est facile à encaisser… Je pense que, même si vous avez déjà deux enfants, ça doit être un choc.

J’étais sincèrement compatissant. Même si je pensais qu’avec le temps et l’amour de ses deux autres enfants et de son mari, elle saurait se remettre. Ou bien trouver d’autres solutions ? L’adoption par exemple ? Quoi que tout couple n’est pas prêt à adopter.

-Vous avez déjà pensé à des alternatives ? L’adoption, par exemple ? Je sais… Ce n’est pas vraiment la même chose que d’avoir son propre enfant.

Penser aux problèmes des autres me permettaient de ne pas penser aux miens. Je lui tendis alors ma main.

-Au fait, je m’appelle Stephen. Mais vous pouvez m’appeler Shran. Tout le monde m’appelle Shran.

Parce que ça sonnait mieux et que c’était plus court. C’est ce que disait Brento, en tout cas. Quoi qu’il en soit, je laissais les gens m’appeler comme ils veulent. Sauf Steve ! Je déteste qu’on m’appelle Steve et Stanley n’arrêtait pas de m’appeler ainsi !

J’étais devant l’impitoyable distributeur de cochonneries et je constatais à mon plus grand désarroi, qu’il ne contenait pas de chocolat aux noisettes ! Comment cela se pouvait-il ? Comment pouvait-on remplir un distributeur de chips aux pickles, de barres de caramel qui collaient aux dents pendant des heures, de paquet de chewing-gum au parfum douteux mais de ne pas mettre de chocolat aux noisettes !? Ça ajoutait au dramatique de ma journée et, comme l’homme qui boxait le distributeur avant mon intervention le disait si bien, quand une journée démarre mal, elle ne peut pas bien se finir.

- C’est une blague. Il faut que ça en soit une !

Mais de toute évidence, ce n’était pas une blague. Alors pour me venger de ce coup du sort, je donnais un bon coup de talon sur le distributeur ce qui, en plus de me faire mal, libéra le sac de chips ce qui me valu un sifflement d’admiration de l’homme qui pourrait compenser son mal être par de la mal bouffe.

- Il y en a un comme ça, dans la salle des profs.

Et nous n’y mettons plus d’argent. Nous savons exactement où le frapper pour avoir ce que nous voulions avoir. Je soupirais de dépit avant le laisser aller la raison de ma propre haine. J’en voulais à la vie d’être aussi injuste. Jack et moi étions d’excellents parents, attentifs, aimants et présents pour nos fils. Nous subvenions à tous leurs besoins en plus de leur consacrer le moindre temps libre que nous puissions avoir. Alors pourquoi ne pouvions-nous pas connaitre les joies de vivre une grossesse ? Avec la médecine d’aujourd’hui qui se disait d’avant-garde et perfectionnée, pourquoi ne pouvait-elle pas trouver une solution à mon problème ? Peut-être que je devais me résigner et accepter la fatalité. Non, pas tant que je ressentirai au fond de moi qu’il demeurait une lueur d’espoir.  

Ce fut là que le distributeur relâcha toutes ses pièces engloutis. Par réflexe, je mis mes mains en dessous, en coupe, pour en récupérer. Loin de moi l’idée de les garder, je n’étais pas une voleuse mais j’imaginais que les infirmières avaient mieux à faire avec les patients que de devoir ramasser mon dégât. L’homme s’exclama assez fort pour qu’on l’entende qu’il y avait une distribution de pièces puis il s’approcha de moi pour me dire que nous ne devions pas rester là. Ça sentait en effet, les problèmes à plein nez.

Je me laissais donc entrainer jusqu’à l’extérieur de l’hôpital et y respirer une bonne bouffée d’air frais. L’inconnu ouvrit son paquet de chips et me le tendit avant même d’y plonger. Il me proposa d’en prendre un peu, bien que cela ne fût pas du chocolat noisette. Sa générosité mettait un petit baume sur mon cœur.

- Merci, c’est gentil de votre part.

Après s’être assit sur un ban, il se disait désolé pour la nouvelles que j’avais apprit. J’esquissais un frêle sourire puis je haussais des épaules. Il supposait que même si j’avais déjà deux enfants, c’était un choc d’entendre ce genre de nouvelle.

- J’aurais beaucoup aimé vivre une grossesse au moins une fois.

Je m’installais sur le banc, fixant droit devant moi, l’écoutant me demander si j’avais envisagé d’autres alternatives, comme l’adoption. C’est cette alternative qui m’avait justement, permis d’embrasser ma maternité.

- Mon fiancé et moi avons adopté nos garçons.

J’avais dis ça d’une toute petite voix, presque porté sur le souffle d’un secret.

- Et moi c’est Brooke. Heureuse de faire votre connaissance, Shran.

Je serrais la main qu’il me tendait. Cette rencontre complètement fortuite me faisait beaucoup de bien. Peut-être que pour lui aussi, cela aidait à faire passer sa frustration.

C’est peur avant l’avalanche de pièces que j’avais compris que la jeune femme était sans doute professeure dans une école. Apparemment, ils avaient le même genre de machine adepte du vol dans la salle des proches. Quoi qu’il en soit, celle-ci en avait pris pour son grade et l’argent, désormais, roulait sur le sol.

Je n’en avais pas pris une seule pièce mais j’avais laisser entendre à qui était dans le coin qu’ils pouvaient se servir. Combien d’argent cette foutue machine avait volé, hein ? Allez savoir. C’est un juste retour des choses, de mon avis ! Et mon état de frustration et d’énervement ne me permettait pas de compatir avec le personnel médical qui allait devoir gérer la situation.

Non. A la place, j’avais entrainer la jeune femme dehors afin de prendre l’air et d’éviter de potentiels ennuis. Elle me suivit et je devais avouer qu’un bon bol d’air, à défaut de calmer mon mal de crâne, me fit quand même pas mal de bien. Mais avant de m’asseoir où que ça soit, j’avais ouvert mon paquet de chips et l’avait tendu à la femme afin qu’elle puisse se servir. Après tout, sans elle, je n’aurais peut-être jamais pu obtenir de quoi calmer un peu autant ma faim que ma frustration.

Elle me remercia et, quelque part, je fus soulagé qu’elle accepte mon offre. C’était dans mon code d’honneur de toujours rendre l’ascenseur à quelqu’un. Je détestais devoir des dettes… C’était quelque chose qui avait tendance à énerver, de temps à autre, Enora. Mon inflexibilité vis-à-vis de mon propre code d’honneur.

Je pris, ensuite, place sur le banc et la jeune femme fit de même. J’avais tellement mal que mes jambes avaient du mal à me porter. Il me fallait une pause et ce banc était le meilleur endroit du moins à portée de vue.

J’en revins alors à ce qui avait provoqué la propre frustration de la jeune femme soit l’annonce qu’un traitement ne lui servirait pas dans sa volonté de pouvoir concevoir un enfant. Même si elle en avait déjà deux, ça ne voulait pas dire que cette annonce était facile à entendre. Comme elle le disait, elle aurait aimé vivre une grossesse encore une fois ce qui me disait qu’elle avait déjà eu une alternative pour avoir ses deux autres garçons.

-Je comprends. Je peux comprendre ce que ça représente pour une femme que de ne pas pouvoir vivre ça.

Ça ne devait pas être agréable. De la même manière qu’un homme qui ne pourrait pas, non plus, concevoir d’enfants. C’était comme si la nature avait retiré ce choix important à certaines personnes. Ce n’était pas simple à vivre.

J’avais parlé d’alternative me doutant bien, du coup, qu’elle y avait déjà eu recours. Deux fois. Pour ses deux garçons. Elle avait dit ça d’une toute petite voix.

-Alors vous avez fait deux heureux.

Parce que s’ils étaient adoptés c’est qu’avant ça, leur vie ne devait pas être spécialement heureuse ou facile. Soit parce qu’ils étaient orphelins, soit parce que leurs parents biologique n’étaient pas des plus exemplaires.

Je finis par me présenter et elle fit de même. Je n’avais, visiblement, pas près de moi une fan de Spaceship ou alors elle préférait ne pas abordé le sujet de : « oh mais vous êtes le réalisateur de Spaceship ». En soi, c’était pas plus mal. Ça faisait du bien à mon égo d’être un peu ramené sur Terre…

-Moi, je n’ai pas encore eu la chance d’avoir des enfants… Pas parce que, comme vous, j’ai une condition médicale qui m’en empêche mais simplement parce que je suis bien trop difficile à vivre pour qu’une femme reste en couple avec moi plus de quelques mois.

Je rigolai un peu à ça… Parce que c’était un putain de réalité et que j’avais appris à en rire avec le temps.

-J’ai appris à faire une croix sur un tel projet… Je ne suis pas encore trop vieux mais plus je vieillis moins je suis facile à vivre et moins je suis patient.

Je mangeai un chips les yeux plissé maintenant autant par le soleil que par ce foutu mal de crâne.

-La nature vous à retirer la chance de pouvoir vivre une grossesse mais elle ne peut pas vous enlever la possibilité d’être mère. J’ai une ex qui n’arrête pas de me dire qu’il faut toujours voir le bon côté des choses. Elle dit ça quand je me frustre pour certaines choses.

Je me laissais entrainer à l’extérieur de l’hôpital par l’homme après que mon coup de pied eu fait vomir le distributeur, ses pièces de monnaies. Cela me donnait l’impression d’être les Bonnie et Clyde des temps modernes. Mon imagination exagérait la situation mais elle n’en demeurait pas moins  excitante et, compte tenue de mon humeur, un peu d’action faisait du bien.

Une fois dehors, Clyde m’offrit des chips qui, bien que ce ne soient pas du chocolat noisette, était fort apprécié. En fait, tout était bon à manger tant que ça faisait passer mes émotions et que cela changeait un tout petit peu mes idées. Je le remerciais pour l’attention, c’était gentil de sa part de partager.

Mon partenaire de crime se disait désolé pour la nouvelle que j’avais apprise. Ça faisait du bien d’entendre quelqu’un prendre en considération ce que je ressentais alors que j’avais dit avoir déjà deux enfants. J’avais bien conscience que ça pouvait ressembler à quelqu’un qui se plain d’avoir faim alors qu’elle a déjà mangé mais je n’avais pas dit encore que mes deux beaux garçons avaient fait de moi leur mère par adoption. Le plus étonnant mais réconfortant était de l’entendre me dire qu’il pouvait comprendre ce que cela représentait pour une femme que de se faire annoncer ce genre de nouvelle. Lui, un homme, un inconnu qui n’était pas médecin donc pas outillé pour soutenir un patient dans ce genre de cheminement, trouvait plus de mots que le médecin que je venais de voir !

- J’apprécie beaucoup vos paroles.

C’est là que je lui confiais que mon fiancé et moi, avions adoptés nos garçons. Mes yeux, brillant de chagrin, brillèrent maintenant de fierté. Rien que de penser à l’amour que j’avais pour Jesse et Alvaro, mon cœur battait plus vite et plus fort. J’étais fière d’être leur maman, fière qu’ils m’acceptent pour jouer ce rôle auprès d’eux.

Tant qu’à être dans les confidences, mon compagnon d’infortune confia qu’il ne connaissait pas les joies de la paternité non pas parce qu’il ne pouvait pas en avoir mais parce qu’il était trop difficile à vivre pour une femme. Ça me fit rire doucement. Oh, je ne me moquais pas de lui mais je repensais au distributeur que nous avions vandalisé à deux et au fait que, s’emporter contre une machine au premier rendez-vous ne donnait vraisemblablement pas une bonne impression. Pourtant là, il me paraissait être d’une bonne écoute et d’un bon support.

- Ma gtrand-mère vous dirait qu’à chaque torchon, sa guenille. Attention, je ne vous compare pas à un vulgaire linge de cuisine. Je ne sais d’ailleurs pas d’où vient cette expression mais… L’essentiel est dans le message.

Pour chaque homme et femme, se trouvait quelque part son alter ego, la personne qui saurait l’aimer et la chérir contre vent et marrée.

- On ne sait pas de quoi l’avenir est fait. Je préfère ne pas prendre pour acquis quelque chose dont je n’ai pas le contrôle.

C’était cependant un couteau à double tranchant puisque ça pouvait faire en sorte que je garde espoir pour quelque chose qui n’arriverait probablement jamais. Ou alors ça me donnais assez d’énergie pour relever mes manches et lutter encore plus fort.

Stephan, là que les présentations avaient été faites,  trouva une fois de plus les bons mots en disant que si la nature avait prit une décision, elle n’était pas absolue puisque je pouvais être maman en adoptant et que son ex dirait qu’il fallait voir le bon côté des choses.

- En effet, elle est très sage, cette ex petite-amie. Ceci dit, ce doit être encore plus frustrant de se faire dire ça quand on est déjà en colère.

Amicalement, je posais ma main sur son avant-bras et je lui offris un petit sourire, un peu moqueur mais remplis de compassion.

Nous étions dehors et l’air frais faisait pas mal de bien. De toute façon, rester à l’intérieur nous aurait sans doute façon entrainer pas mal d’ennuis. Pas que j’avais peur de faire face aux conséquences mais mon mal de crâne actuel ne me permettait pas vraiment d’être dans les meilleures conditions pour les affronter.

Dehors et après avoir échanger quelques chips, je repris la conversation là où on l’avait laissé avant l’incident des pièces de monnaies qui à l’heure actuelle devait faire le bonheur des patients et le malheur du personnel. La jeune femme encaissait le choc d’avoir appris qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants. Elle en avait déjà deux qu’elle avait adopté avec son fiancé mais aurait voulu vivre, comme bien d’autres femmes, un grossesse. Je pouvais comprendre. C’était un deuil à faire. Elle semblait apprécié mes quelques mots qui vivait plus à lui montrer que je comprenais plutôt qu’à la réconforter. Je ne voyais pas bien comment la réconforter face à cette fatalité. Le temps y arrivera mieux que moi.

Je pouvais voir qu’elle était fier de ses deux enfants. Elle et son fiance leur avait donné une chance de pouvoir avoir une famille unie. Ce n’était pas rien. Une famille c’est important. J’avais eu la chance, moi, d’avoir un père et une mère aimante. Bon, mon père était parfois strict et avait des idées arrêtées sur certaines choses mais il m’aimait.

Quant à mes enfants… Bah, je n’en avais pas et je commençais à me dire que je n’en aurais jamais. Je ne le cachai pas à celle qui s’appelait Brooke. Et j’affirmai que si j’en étais là c’était parce que j’étais incapable de garder une femme plus de quelques mois. Elles finissent toujours par s’en aller parce que je ne suis pas facile à vivre. Sauf à mon dernier mariage où c’est moi qui avait décidé de plier bagage pour des raisons évidentes. Brooke lança alors une expression qu’elle tenait de sa grand-mère. Je fis une petite moue. Pas à cause de l’expression mais parce que ça voulait dire que, pour Brooke, je n’avais simplement pas trouvé la bonne femme mais qu’elle était sûrement là quelque part. Je soupirai.

-Je comprends le message. Mais je pense que la femme de ma vie, je l’ai déjà trouvé. Sauf qu’il est évident que, malgré cet état de fait, il y a une différence entre aimer profondément quelqu’un et pouvoir vivre avec ce quelqu’un.

Je suis tombé amoureux plusieurs fois dans ma vie… Mais celle qui est ma vraie âme-sœur, je suis incapable de vivre avec. C’est un état de fait avec lequel j’ai appris à vivre.

Je fis une moue en pensant à ça. Le fait est que j’avais fait une croix, du coup, sur le fait d’avoir des enfants un jour mais Brooke disait qu’on ne savait pas de quoi l’avenir était fait.

-C’est pas faux. Mais je préfère faire une croix dessus et voir le destin me dire le contraire que de garder désespérément espoir.

Mieux valait être agréablement surpris que profondément déçu, j’imagine. C’était comme ça que je voyais les choses.

En ce qui concernait Brooke, j’affirmai que la nature ne lui avait pas enlevé l’occasion d’être mère. C’était le bon côté des choses, si je puis dire. C’est, en tout cas, ce qu’Enora voulait toujours me faire voir dans certaines situations. Je rigolai un peu quand Brooke déclara que mon ex était bien sage. Enora entendrait ça, elle serait contente et, certainement que ça flatterait un peu son ego aussi. Heureusement, elle n’était pas là !

-Ouais, c’est frustrant, c’est vrai. Et quand elle me dit ça, j’ai l’art de la remballer à ma manière. Comme je le dis, parait que je suis pas facile à vivre. Mais elle n’a pas tort, je dois l’avouer.

Brooke avait posé sa main sur mon bras. Je soufflai alors un bon coup m’affalant un peu plus sur le banc avant de me masser les tempes.

-Bordel, ce mal de crâne ne va jamais s’arrêter…

Je fermai momentanément les yeux avant de les rouvrir. Il fallait que je rentre avant que le soleil de Malibu n'empire les choses. Surtout qu'il fallait encore que j'appelle un taxi ! Je me levai alors saluant Brooke avant de me diriger vers le téléphone le plus proche.