Si mon cerveau avait une ou deux questions, ce n'était pas le cas de mon corps pour lequel les choses étaient très claires, voire même totalement naturelles. Et j'avais récidiver, avant même de la laisser répondre à ce que je lui avais demandé. Et j'avais l'impression, en l'embrassant, d'être délivré d'une frustration qui aurait été là depuis tellement longtemps que je ne la sentais plus. Sauf maintenant qu'elle était plus là, laissant un vide dans lequel je pourrais mettre quelque chose d'autre, quelque chose de positif.
C'était moi qui avait mis fin au premier baiser, mais c'était elle qui avait mis fin au deuxième, m'empêchant de recommencer gentiment, en posant son index sur mes lèvres. Ce simple geste avait quelque chose de mystique pour moi. Il signifiait à la fois « Tais-toi » et « Reste tranquille » mais sans aucune agressivité. Juste la promesse qu'au moment même où elle le retirerait, je pourrais recommencer. Ce genre de geste, je n'y avait droit que rarement. En général, avec les femmes que je côtoyais, on allait toujours droit au but.
J'obéis donc à ses ordres silencieux. Et elle, en échange, répondit à ma question. Je ne pouvais plus avoir de doutes sur ce qu'elle disait : si Billy n'était pas le plus grand bouffeur de pizzas Hawaii de Californie, moi, j'étais Mère Thérésa. Billy était donc au courant, il avait retrouvé sa sœur, et ce depuis un moment. Et il ne m'en avait même pas encore parlé !
Mais pouvais-je ne serait-ce que penser à lui en vouloir ? Non . Depuis quand je n'avais pas vu Billy, je n'en avais plus aucune idée. Dans ma vie, les jours défilaient, irréguliers comme les battements de mon cœur. Et je n'étais même plus sûr de pouvoir, tel un enfant, réciter les jours de la semaine sans en oublier un ou deux ou les mettre dans le désordre. Mais je m'y retrouvais dans la vie selon d'autres repères comme, par exemple, la régularité des crises de manque, le feu d'artifice sur la plage qui avait toujours lieu le samedi soir, pour les touristes ou le coup de fil de Lenny du mercredi lorsqu'il s'assurait que je n'étais pas mort. D'ailleurs, j'avais toujours du mal à comprendre pourquoi les gens autour de moi avaient toujours cette impression que j'avais la mort aux trousses.
Je souris à la rouquine alors que son doigt était toujours sur mes lèvres. Et elle finit par l'enlever. Je luttai pour parler au lieu de recommencer alors que pour moi, un baiser, dans cette situation-ci du moins, signifiait bien plus que tous les mots que je pouvais prononcer.
-On prépare un nouvel album. Il y a pas mal à faire.
Faux. Je n'avais moi-même pas vu Billy depuis des jours. Et je m'en rendais compte seulement en le disant.
-Je sais pas ce qu'il fout.
Mes réponses étaient bien évidemment contradictoires. Et moi, je n'aimais pas le suspens. Je me rendais compte que j'avais envie de voir Billy. Non, mieux : j'avais envie de voir Billy et Evy l'un à côté de l'autre, de voir à quel point ils se ressemblaient. Et d'avouer à Billy ce que je venais de faire.
Je me levai brusquement. Un peu trop peut-être, ce qui me provoqua une sorte de crampe à la poitrine mais à laquelle je ne fis pas spécialement attention, posant juste ma main sur mon torse en me levant. Puis, je tendis la main à Evy, à cette déesse du feu.
-Il est temps de parler à Billy.
Et l'expression sur mon visage n'annonçait que du bon. Je n'avais, contre toute attente et peut-être à tort, aucune appréhension.
Car, pour moi, Evy était le lien qui nous manquait. Elle serait le pilier de Billy, le ciment de notre amitié et la muse de The Lightening.
Et sans le savoir, sans même le lui dire, je faisais reposer le poids du monde sur ses petites épaules.