Combien de rails avais-je pu m'enfiler ce soir ? Je n'en avais pas la foutue idée. Tout ce que je savait, c'était que j'en avais beaucoup trop abusé. Il était trop tard pour que je rentre chez moi.. et vu l'état dans lequel j'étais, j'étais quasiment sur de faire tomber trois milles trucs à la fois en rentrant à mon logement, et vu que je vivais chez un grand père, et que j'avais pas trop le choix pour l'instant, je préférais éviter les ennuis, et quitte à être défoncé, ne pas rentrer chez moi dans cet état. Car ce serait à coup sur un motif qui se retournerais contre moi, et qui pourrais aussi bien me renvoyer à la rue.

Je m'étais donc mis en tête de passer la nuit n'importe où sauf chez moi. Je voulais pas déranger mes amis, et j'avais eu ma dose de nuits passées dehors à dormir à même le sol. Une magnifique nuit blanche s'annonçait alors pour moi. Je marchais dans les rues, un peu difficilement, certes, mais je marchais.. à la recherche d'un endroit où je pourrais attendre sans me les cailler dans le froid. Et pour ainsi dire, c'était pas ce qu'il manquais à Los Angeles. Mais mon choix porta sur un café-restaurant plutôt simple d'apparence. Ce qui m'incita a rentrer, c'est qu'il n'y avais pas grand monde. Deux ou trois personnes tout au plus. J'allais m'asseoir sur une banquette, et j'attendais patiemment la serveuse, qui vint me demander ce que je voulais. J'étais déjà pas sur de comment je m'appelai.. alors de ce que j'allais commander.. J’arrivai tout de même à lever le regard vers cette dernière, le regard complètement ailleurs, tandis que mon esprit tentais de chercher quelque chose à lui répondre. Après une concentration intensive, je finis par lâcher.

-Hamburger...

La serveuse afficha un air désespéré et tourna les talons pour retourner en cuisine. Elle avais sûrement du capter que j'étais défoncé.. pas à cause de mes yeux, non. Mais à cause de l'hamburger à 5 heures du matin. Je posais mes bras croisés sur la table et j'enfouissais ma tête dans mes bras. Et malgré mon esprit trop perdu pour réfléchir à quoi que ce soit, je ne pouvais m'empêcher de remarquer que la musique qui passait dans le café était carrément à chier. Chose que je mentionna à la serveuse lorsqu'elle revint avec mon hamburger.

- Vous pouvez pas changer de station ? Sinon j'm'endors...

Et à son expression, j'en déduisais que je passait pour un gros chieur de client. Ouais, parce que j'avais toujours eu du mal avec la descente des effets. Alors qu'en général, j'étais plutôt du style à fermer ma gueule. La station changea en bien mieux. La country se transforma en un cri de rage, déployé par le célèbre Billy Lighter accompagné de son groupe. Alors que la serveuse me dévisageai d'un regard noir, je lui adressais un sourire, qui devais plus ressembler à une grimace, mais en tout cas l'intention y étais.

J'écartais mon assiette de moi et je m'apprêtais à replonger ma tête dans mes bras, mais une jeune brune passait le pas de la porte. Brune, jeune, jolie, vêtue de cuir et de jean. Le genre de fille rock'n'roll qui fait à coup sur craquer tout les mecs sur son passage. Mais j'étais pas apte à tenter quoique ce soit de toute façon. Et vu la vitesse à laquelle elle était passée, elle ne m'avais sans doute pas remarqué. Je replongeais ma tête dans mes bras puis j'entendis un gros bruit provenant de derrière moi. Une sorte de « boum ». Comme si quelqu'un venait de tomber. Je me redressais difficilement et me retournais pour jeter un œil par dessus mon épaule. Elle étais complètement avachie sur la banquette derrière, et avait laissé tomber sa tête sur la table. Visiblement, il n'y avais pas que pour moi que la soirée était difficile. Un léger rire m'échappai. La serveuse vint l'embêter pour prendre sa commande, la sortant ainsi de son sommeil. Avec le peu de sens éveillés qu'il me restais, j'arrivais à entendre sa voix annoncer à la serveuse qu'elle ne voulais rien commander pour l'instant. Puis la serveuse reparti. Je me levais de ma banquette en prenant appui contre le dossier, de manière à m'aider. Et je pris avec moi l'assiette, et vint m'asseoir face à la brune, en lui tendant mon assiette.

- Pas de thunes ? Prends, j'ai pas faim..

Mon approche un peu foireuse sur les bords semblait agacer la jeune brune. Mais seulement pendant l'espace de quelques secondes. J’eus ensuite le droit de découvrir le visage de mon interlocutrice. Elle était très jolie, mais elle paraissait rongée par la fatigue elle aussi. Ce qui en réfléchissant était quelque chose de tout à fait compréhensible. On était à Los Angeles. Chaque soir, des concerts par milliers avaient lieu dans les bars concerts. Et c'était aussi ça, le côté magique de cette ville. Une ville où, du jour au lendemain, ton existence pouvait basculer du tout au tout. Et on était jeunes, on en profitais, et au fond, on attendais qu'une seule chose : que ce soit enfin notre tour. Ce qui expliquais donc en partie nos yeux cernés. 

Je n'avais aucune idée de ce qui m'avais poussé à offrir mon hamburger à cette parfaite inconnue. J'avais peut-être simplement besoin de sociabiliser avec quelqu'un. Où juste envie de faire une bonne action. Enfin pour l'instant, j'étais juste trop perché pour trouver une quelconque réponse à ma question. Mais elle non plus n'avait pas faim. Quand je parlais d'une approche foireuse, là, j'avais fait un bide. Je levais alors mes mains de la table d'un air désolé, puis je laissait mon dos s'appuyer contre le dossier de la banquette, inconfortable à souhaits.

Un silence de plombs régna durant quelques secondes, alors qu'elle semblais désolée elle aussi. Et elle me demanda, si elle avait l'air si démunie que ça. Hormis le fait que je n'y avais pas pensé une seule seconde, elle n'en avais pas l'air, non. Mais sous la surprise, je m'excusa un peu maladroitement.

- Non non ! Pas du tout, non.. Enfin pas plus que moi en tout cas..

S’ensuivit un léger rire. J'étais un vrai boulet. Déstabiliser la jolie brune n'avait en aucun cas été mon but. Enfin, si j'en avais réellement eut un quoi.. Je croisait mes bras devant moi, et je jetais un œil à la serveuse, qui nous regardait, complètement morts affalés sur cette table.

- Laisses-moi deviner.. nuit blanche, c'est ça ? Cette ville est sans pitié..

Un sourire amusé gagna mes traits. Il était évident qu'elle ne sortais pas d'un couvent. Ou alors j'en voulais l'adresse. Elle devait sûrement revenir de soirée, ou de concert, étant donné le fameux boulevard d'où on se tenait à proximité. Elle devait même s'être rendue ici pour les même raisons que moi. Pour être tranquille.

- Enfin, c'est pas si terrible que ça dans le fond. C'est même plutôt cool. Tu sais ce qui m'a poussé à venir vivre ici, moi ? C'était après un bad trip. Un putain de gros bad trip. J'étais dans le coma, et.. Y'a une sorte de lumière blanche qui est apparue devant moi, et.. Tu sait qui est ce qui est apparu ? Jimi Hendrix... Tu réalises un peu ? Jimi Hendrix !

J'avais l'air d'un dingue en racontant ça, et pour illustrer mes propos, je faisais de grands gestes.

- Alors... Alors il a défait la couroie de sa magnifique guitare, et il me l'as tendue. Et ensuite.. ensuite.. Il a disparu dans la fumée blanche plongé dans un ciel d'encre. Et c'est à partir de ce jour là que j'ai décidé que non.. J'avais plus le droit de foutre ma vie en l'air et à rester à rien foutre, et il fallait que j'obéisse à Jimi Hendrix et que j'aille vivre à Los Angeles. Et en arrivant ici, j'suis entré dans le premier magasin de musique que j'ai pu trouver, et elle était là... Comme si elle m'avait attendue ! La même guitare blanche qu'il m'avais tendue..