« Tu sais quoi, grand-mère ? Des fois je me demande pourquoi la Terre est ronde.
Elle pourrait être carrée. Ce serait utile, ça. On balancerait tous nos déchets au bord, et ceux qui tomberaient, tant pis pour eux.
Je sais, c'est cruel, grand-mère. Mais elle est comme ça la vie : rien ne l'arrête. Et si d'autres se soucient de leur notoriété, d'autres encore des fêtes qu'ils devront organiser l'an prochain, moi je me soucie juste des gens que j'aime.
Et je t'aime, grand-mère. C'est pour ça que je fais cet enregistrement. Tu pourras le regarder quand tu auras l’Alzheimer. Comme ça, tu te souviendras, et la maladie sera un peu plus vaincue chaque jour. Alors je vais commencer par le commencement. Et te raconter comment je suis née.

Tout d'abord, grand-mère, il faut savoir que papa et maman ont d'abord cru que j'étais un garçon. Ils ont réfléchi à des tas de noms. J'ai même failli hériter du prénom ridicule de grand-père. Bon.
Heureusement, ils ont appris après quelques mois de grossesse qu'en réalité, le bébé qui grandissait était une fille. Moi. Ça ne leur a pas vraiment plu, tu sais. Ils rêvaient d'avoir un garçon. En fait, ils rêvaient d'avoir PLEINS de garçons. Ça ne m'a pas plu non plus, à moi, parce que je suis sortie du ventre de maman très tôt. Mais vraiment très très tôt.
Je devais accoucher en juin. Je suis née en février.
Tu me diras, grand-mère, mais comment as-tu fait pour survivre ?
Eh bien c'est simple. Il n'y a pas eu grand-chose à faire. J'ai failli mourir, plusieurs fois. Enfin ça, c'est papa qui le dit, et dieu sait que papa exagère tout ce qu'il raconte. Mais passons. Je ne sais comment, les médecins m'ont gardée en vie. Ils disaient que j'avais très peu de chance de m'en sortir, et que je garderais sans doute des séquelles. C'est pour cela que je suis toujours restée très, très frêle. Tu comprends ?

Tu sais, grand-mère, tu peux arrêter l'enregistrement et le continuer demain, si tu en as marre. Le seul problème, c'est que moi, je ne peux pas l'arrêter pour le continuer demain. Car demain sera un jour différent. Alors je continue.

J'ai eu une enfance paisible, en réalité. On ne dirait pas comme ça, mais j'ai eu des parents aimants, des grand-parents aimants, et des arrière-grands-parents... décédés.
Bon, ça, ce n'est pas vraiment grave. Je ne les ai pas connus.
Par contre, ce qui est plus grave, c'est que, dès mon plus jeune âge, j'ai eu une propension à tomber en fascination devant tout ce qui ressemblait de près ou de loin à des flammes. C'est quelque chose que je ne saurais expliquer. Tu te souviens des brûlures qui marquent encore mes mains et mes bras, grand-mère ? Eh bien cela vient de ma petite enfance, quand je fourrais mes doigts dans le feu pour jouer avec.
Tu vois comme j'étais innocente, grand-mère. Je me demande si tu étais pareille au même âge.

Heureusement, l'envie de me jeter dans la cheminée m'est passée rapidement. Le début de ma vie s'est déroulé sans histoire. Vraiment aucune. Si je devais te raconter un épisode de mon enfance, je ne saurais quoi dire. Il n'y a vraiment rien à raconter.
Seulement que j'ai découvert mon don pour le chant au début de l'adolescence. Quand les boutons commencent à vous pourrir la vie et que vous ressentez inexplicablement des choses devant les garçons de l'école. Les garçons ou les filles, d'ailleurs.
Eh bien, tu sais quoi grand-mère ? Après avoir été repérée lors d'un petit concert donné par l'école dans lequel j'avais le rôle principal, j'ai suivi des cours de chant durant des années. Puis de guitare. Aujourd'hui, je sais jouer de la guitare sèche et électrique.
Tu me diras, pourquoi les deux ?
En fait, c'est un choix personnel. Mais c'est trop compliqué à expliquer, grand-mère. Je le raconterais un autre jour. Comme ça tu l'écouteras aussi un autre jour.

Si tu es trop fatiguée, tu peux t'arrêter. Je ne sais pas si je te passionne vraiment. Mais en tout cas, tu es libre d'arrêter l'enregistrement, grand-mère. Si je t'énerve ou quoi. Bon allez, moi je reprends.

Un agent a essayé de me faire enregistrer un premier disque. Mais j'étais encore trop jeune et inexpérimentée, et ça a été un vrai fiasco. J'ai été très déçue et je me suis repliée sur moi-même, me croyant nulle et incapable. J'en ai pleuré, longtemps. Jusqu'à ce que je découvre que j'avais un réel talent et qu'il fallait seulement que je l'use à bon escient.
J'ai mis du temps avant de trouver des jeunes qui seraient prêts à créer un groupe avec moi. Maintenant, nous sommes plusieurs, et même si nous ne sommes pas du tout célèbres, nous sommes prêts à sortir le grand jeu. À épater la foule. En commençant par les petits concerts de quartier... Ça finit toujours par la notoriété et la grandeur. Par l'argent et les amis à foison. Et ça ça me fait rêver. Alors allons jusqu'au bout de nos rêves. The Burning Fire y est arrivé, The Lightening aussi. Pourquoi pas nous ? »

Rock on!!

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