Hollywood. J'ai dû y aller deux ou trois fois, quatre à tout casser. En fait, je n'y vais que pour une seule chose : Robin.
La solution à tous mes problèmes s'appelle Robin.

Oui, c'est comme ça.
North est un ami d'enfance. Notre amitié remonte à très loin. Je me suis vue confier mes pires secrets à ce petit bout d'homme durant l'adolescence.
En fait, il n'y a jamais eu un seul soupçon de romance entre nous. Ne vous méprenez pas ; lorsque quelqu'un vous a vu vous curer le nez, enfant, vos chances de sortir avec cette personne est égale à zéro.
D'ailleurs, je m'en sors très bien avec cette amitié.

Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, d'accord ?
Reprenons.

Hollywood. La petite Amérique selon moi : incontournable.
Hollywood c'est un peu un rêve pour moi. Parce que ça commence par Holly. Oui, vous avez remarqué vous aussi ?

Bref, Hollywood. Robin vit là-bas. D'ailleurs, je ne me rends que très peu chez lui. Je lui donne souvent rendez-vous ailleurs. Mais on ne peut jamais être tranquille : il y a toujours un fan qui le reconnaît et qui rameute tout le quartier.
C'est chiant, d'être ami avec une star, vous savez ?
Non, vous ne savez pas.

Je disais ? Voilà, Robin. Je vais chez lui. En fait, je ne connais pas la raison. Je m'ennuyais peut-être. J'en avais envie sûrement.
Et puis, ça fait du bien de parler. Et dieu seul sait que j'en ai besoin en ce moment-même.
Mais bon.

Dès que j'arrive en face de la porte de son appartement, j'hésite. Le doute c'est souvent ce qu'il y a de pire : il vous ronge sans jamais vous faire prendre de décision.
Soudain je n'ai plus trop envie de me rendre chez North. Mais c'est trop tard, manifestement, puisque je viens de frapper trois coups timides.
Je pourrais m'enfuir en courant, mais il croirait à une mauvaise blague. Et puis je ne suis pas comme ça. Non. Holly est forte. La Holly du dedans.

Lorsque la porte s'ouvre, je souris. Je le reconnais : je suis crispée. Je ne sais même pas pourquoi. En tout cas, ma nervosité est palpable. J'ai le cœur qui bat ; trop vite et trop fort.
Bordel.
Il faut se calmer, Holly.
Voilà. C'est mieux.
Je respire, détendue. Souriante.

– Salut Rob' !

Le poids qui m'accablait disparaît soudain, et je retrouve ma légèreté habituelle. Celle que j'adopte quand je suis avec Robin. Le voir m'apaise.
J'entre dans la pièce avant qu'il ne réponde et m'assied sur son divan sans plus de façons. Ne faisons pas de chichis ; j'agis toujours comme ça avec lui.
Soit parce que j'aime bien lui faire chier, soit parce que je suis une vraie emmerdeuse... et que ça ne lui fait pas chier.
En fait, je m'embrouille.
Alors je vais plutôt parler avec Robin au lieu de vous parler à vous. Non, ce n'est pas discutable.

– Tout baigne ?

Je me cale dans le sofa et croise les bras, le fixant avec un air de défi.
Je me demande quelle anecdote il raconterait à la presse si un jour il décidait de ruiner ma réputation, par exemple en racontant que j'ai peur du noir.
Quelle horreur.
Et puis pourquoi je me pose ce genre de question là, maintenant ?
Ça n'a rien à voir. Strictement rien à voir.

C'est bien le Robin que je connais ! Il n'a pas changé ce garçon-là. Et puis, il faut dire que c'est Robin après tout...
Il s'assoit à mes côtés, prenant encore plus de place que je n'en ai pris moi-même. Je jette un regard circulaire à son appartement, qui est dans un bordel indescriptible.
Ce mec ne changera jamais, c'est moi qui vous le dit.
Je m'apprête à lui faire remarquer qu'il a encore dû jouer aux jeux vidéos toute la journée lorsqu'il prend les devants. Et il me parle de la série qu'il est en train de tourner.
J'ai envie d'étrangler des chatons.
Je me redresse en plissant les yeux. Mon sourire me dément, mais je prends un air faussement irrité.

– Bien sûr que non ! Je suis occupée. J'imagine que c'est ce que tu t'attendais à entendre de ma part...

Moi non plus je ne changerais jamais. Je lui fais un clin d’œil avant de croiser les jambes.
Ça sent le renfermé ici.
Non, pire : ça sent le fauve. C'est dire.
Autant l'odeur est supportable, autant la poussière ne l'est pas... J'ai envie de tousser. Cet appartement est répugnant. Que diraient les fans du grand et célèbre Robin North en voyant ce carnage pittoresque ?
Ils le lapideraient, avant de le pendre haut et court. Y'a pas photo.

– Comme toujours, mon pauvre Robin. Tu es irrécupérable.

Je me lève avant de me diriger droit vers lesdits jeux vidéos. On dirait une vieille collection usée. Ils en seraient presque enfermés dans une vitrine avec un petit écriteau.
Je saisis sa Game&Watch. Je vous parie qu'il jouait à Mario. Ce type habillé en rouge et bleu est tout bonnement ridicule. Qui a eu l'idée d'inventer un truc pareil ?
Je regarde autour de moi avant de repérer la poubelle. J'y jette la console.
Voilà qui est fait !
Je me retourne vers Robin, un sourire dégoulinant de bonnes intentions collé au visage.

– J'espère que tu es conscient que Mario est un plombier vêtu d'une salopette. Et moustachu, avec ça ! Tu as déjà croisé des plombiers en salopette ?

Je secoue la tête. Je ne m'attends pas à grand-chose de sa part. Lui, violent ? Et moi je suis Cléopâtre.
Je souris devant la surprise qu'il affiche.
C'est drôle.
Je te tiens, Robin.

Je souris, satisfaite, jusqu'à ce que Robin se lève pour récupérer sa Game&Watch. La prochaine fois, je la réduirais en poussière, on en sera débarrassés. Et puis, Robin est plein de fric, alors il pourra racheter autant de consoles qu'il le souhaite. C'est pas beau ça ?
Il a l'air indigné. Je me demande si je n'aurais pas mieux fait de la jeter par la fenêtre. Là, j'aurais été sûre qu'il ne me casserait plus les pieds avec Mario.
Je pousse un profond soupir tandis qu'il caresse sa Game&Watch comme s'il s'agissait d'un trésor d'une valeur inestimable. Vraiment irrécupérable, ce Robin !

– Et puis Mario n'a aucun sex-appeal, tu sais ?

Je secoue la tête, retenant le rire nerveux qui me vient. Je ne lui donnerais pas le fond de ma pensée, pas cette fois en tout cas. Si je peux être d'une sincérité maladive certains jours, dans d'autres je préfère ne pas attirer les conflits. Ce qui, immanquablement, arrive toujours avec moi.
Et voilà, il commence les supplications. Ça va mal se terminer, c'est moi qui vous le dit. Encore heureux qu'il ne se soit pas vraiment mis en colère... Et puis, après tout, ce n'est pas comme s'il n'a pas les moyens de s'offrir ce qu'il veut.
Je souris, narquoise.

– Tu mens mal, Robin North. Mentir, ça s'apprend...

Je secoue la tête, m'apprêtant à ajouter quelque chose lorsqu'il me devance. Ah, il change de sujet ! Malin, le petit !
Je m'apprête à rire avant de me demander si c'est vraiment la meilleure solution. Il vaut mieux le faire mariner un peu. C'est toujours très drôle avec Robin.
Et ce n'est pas comme si l'envie manquait...

– Arrête de détourner mon attention comme ça. Depuis quand tu t'intéresses à mes occupations ? Alors tu vas poser gentiment ta console et tu vas retourner t'asseoir.

Ça marche, l'autorité, enfin normalement. De toute façon, je m'apprête à lui arracher sa Game&Watch des mains pour la poser quelque part.
Dans tous les cas, je gagnerais...

Ce n'est pas vraiment la première fois que je me dispute avec Robin pour une histoire de jeux vidéos. Mais en revanche je ne lui avais jamais donné le fond de ma pensée. Et je la garderais secrète sans doute encore un peu... Juste le temps de lui prouver qu'au fond, Mario ne vaut rien face à la vie réelle.
C'est bien beau de se cacher derrière un écran, il faut aussi avoir l'esprit ouvert. Et encore, Robin est acteur. Là encore, il frôle la limite entre la vie et le virtuel. Mais si il avait été sans travail, drogué, perverti par des jeux vidéos plus violents les uns que les autres, je l'aurais laissé tombé depuis longtemps. Je ne suis pas folle à ce point.
La conversation, je l'avoue, prend une drôle de tournure. À part le sex-appeal de Mario réduit à néant à cause de son petit ventre – qui, soit dit en passant, le fait passer pour un bon vivant –, et notre petite polémique sur les bienfaits ou non des jeux vidéos, je ne sais plus vraiment quoi en penser... Je n'ai jamais aimé ce genre de conversation. Alors pourquoi j'y prends un réel plaisir ?

– Pas si mauvais acteur que ça, Robin. Dans ta série, tu est très talentueux... Oh, merde !

J'étais censée ne pas avoir regardé cette fameuse série jusqu'à cette seconde là, non ? Eh bien, j'ai gaffé. De toute manière, il sait bien que je mentais.
Robin sait toujours quand je mens.
Un grand sourire innocent vient s'étaler sur mon visage et je croise les bras avec un air de défi. Ce que j'aime bien chez Robin, c'est qu'il est toujours de bonne humeur, quoi qu'il arrive. Pour le moment je ne suis pas encore tombée sur les sujets de discussion qu'il n'aime pas – et il n'y en a pas beaucoup.
Je peux m'estimer heureuse d'avoir un ami comme lui.

– Les filles ne sont pas tyranniques ! Elles ont juste besoin d'un peu d'attention.

Ce qui est totalement vrai. Je n'aime pas quand Robin est occupé par autre chose au moment où je lui parle. C'est rarement le cas, mais, quand ça arrive, je peux être très agressive. J'ai besoin qu'on me montre qu'on m'écoute. Ça peut paraître bizarre.
Obéissant à son interjection, je m'approche du divan pour m'y caler de nouveau. La température s'est légèrement calmée entre nous et je sens ma mauvaise semaine remonter à la surface. Je lève les yeux au plafond, prenant une grande inspiration. En réalité je cherche surtout un prétexte pour éviter sa question. Je n'aime pas beaucoup parler de moi, surtout quand tout semble bien aller en apparence.

– Je n'avance pas. Je rame carrément. Tu vois, le nombre de pas qu'on fait en avant ou en arrière reste toujours positif... Eh bien dans ma vie c'est plutôt le contraire. Quoi que je fasse, il y a toujours un obstacle devant moi, qui m'empêche de passer. Alors je fais demi-tour, mais c'est encore la même barrière qui m'attend...

Non, je n'aime pas du tout me plaindre, et c'est compréhensible. Je me gratte le front tout en soupirant de nouveau. D'ordinaire, ça me fait du bien. Là, je me sens encore plus lourde.
Je me mets en tailleurs sur le sofa et pose ma tête contre le dossier. Je cherche le regard de Robin et me demande quel conseil il va me donner cette fois.
Robin me donne toujours des conseils. Cette fois encore, il le fera.
Enfin... je crois.

Je n'aime pas me prendre la tête, encore moins avec Robin, mais là ça semble encore et toujours inévitable. Lorsqu'il me taquine et que je lui rends la pareille, c'est toujours explosif. Après tout, pourquoi serions-nous amis si ça ne faisait pas de vagues ?
Lui parler sérieusement, là, le voir en face de moi avec sa mine grave, ça me rappelle des souvenirs. Mon regard s'emplit aussitôt de nostalgie, que je tente d'éliminer rapidement. Je déteste ça. Je soupire doucement avant d'enrouler une mèche de cheveux autour de mon doigt. Je fais ça quand je suis trop stressée. Sauf que là, ça ne me fait aucun bien...
En dehors du fait que ma vie professionnelle n'avance pas, ma vie tout court est un réel chaos. Vous avez déjà vu une fille de mon âge refuser les avances de toutes les personnes qui tentent de la draguer ? J'aurais dû trouver quelqu'un à mon goût depuis longtemps. Mais toute mon adolescence, je suis restée obstinément seule. Vous ne voyez pas qu'il y'a un problème quelque part ?

Ou alors, parlons du fait que je vis encore chez mes parents, tiens ! J'aurais dû prendre mon indépendance bien plus tôt. Mais quand je suis trop loin d'eux... j'ai du mal à m'adapter. Ils me manquent. Je n'aurais jamais cru en arriver là un jour...
Alors pour Robin, ce n'est sûrement pas concevable. Il ne trouvera sans doute pas ça grave. Sauf que moi, je rêve de pouvoir m'envoler enfin, me laisser guider par mon instinct et non par ce que mes parents jugent bon pour moi !
Je me suis longtemps jurée, quand j'étais gosse, de trouver un taf et de me casser vite fait bien fait. Mais avec le temps, j'ai appris à apprécier mes géniteurs, et ils le méritent. Même si je ne comprends pas pourquoi je suis aussi attachée à la maison familiale. Une foule de souvenirs y repose, et dieu sait que je n'aime pas vraiment les souvenirs...

– Je le sais bien. Mais regarde The Lingthening. Ou The Burning Fire. Tu crois vraiment qu'il y a des chances qu'un jour mon groupe atteigne autant de notoriété ? C'est complètement ridicule.

Et ça je m'en doute depuis que j'ai eu cette idée merveilleuse de créer ce groupe. Les grands de ce monde sont justement trop grands pour quelqu'un comme moi. Il faudra s'exhiber sur la scène, déjà que j'ai du mal devant ma famille... et puis il faut du talent ! Je sais que je n'en manque pas, mais ça ne tient pas qu'à moi. Il faudra supporter les médias, les fausses rumeurs, les échecs... Bref, tout un amas d'inconvénients qui me découragent un peu plus.
Les paroles de Robin m'interpellent alors. Il connaît la demi-sœur de Billy Lighter ? Je lève un regard plein d'étoile sur lui. Ça ne devrait pas m'étonner de sa part, mais... quand même !
Mes pensées me ramènent brutalement à la réalité. Ça ne servirait à rien. Je ne veux pas agir comme ça. C'est comme de la triche, sauf que là, si quelqu'un vient à l'apprendre... ça sera pire que ça.

– Mais tu sais, Robin, je veux pas y arriver en étant pistonnée. Je veux faire ça dans les règles de l'art, tu vois ?

Ce n'est ni une critique, ni un reproche, car je sais bien que le métier de Robin est de famille. D'ailleurs il n'y a aucun sous-entendu dans mes paroles. Qu'il connaisse la demi-sœur de Lighter n'y changera rien.
On n'est qu'un groupe parmi d'autres. Des centaines d'autres, qui rêvent tous de la gloire et de la scène... La cour des grands sera pour un autre jour, Holly.

Je sais ce que Robin tente de faire. Il essaie d'effacer le doute et la peur qui me rongent. Il essaie de me rendre ma confiance en moi.
Mais, croyez-moi, c'est plus difficile qu'il ne semble le croire.
À Los Angeles, il n'est pas mon seul ami. Mais c'est sans doute la seule personne que j'ose venir voir lorsque j'ai des problèmes comme aujourd'hui.
Et, j'avoue, j'aime bien quand il me parle sur ce ton-là. Il fait tout pour me rassurer, pour me dire que de toute façon je vais gagner. Comme toujours.
Mais je sais bien que ce ton-là c'est aussi celui des grandes occasions. Il n'est pas en train de me mentir vraiment. Il essaie juste de me remonter le moral, et ça ça exige qu'on déforme un peu la vérité. Juste un peu.
Et j'aime ça. C'est ce que je fais tout le temps : alors en faisant de même, Robin m'apaise, un peu. Inexplicablement. J'aurais bien envie de le prendre dans mes bras et de le serrer contre moi pour le remercier, mais j'ai peur que ça devienne trop puéril à mon goût. Bon dieu, je n'ai plus six ans !

– Tu te souviens quand on était gosses ? Je m'amusais à prédire ma future vocation. Ça changeait à chaque fois. Un jour j'ai décidé que je voudrais être chanteuse. J'en ai tellement ri ! Et maintenant je semble si près du but... c'est dingue.

C'est l'épisode nostalgique à présent. Je sais que je ne devrais pas parler du passé. Mais parfois revenir sur certaines choses de notre vécu nous ouvrent les yeux et nous aide à faire un pas de plus vers notre destin.
Certaines choses sont inévitables. Mais si on ne peut pas les empêcher de venir à nous, on peut peut-être les retarder ? Petit à petit que Robin me parle, je me sens mieux. C'est sans doute l'effet escompté ; parce que dans tous les cas ça marche.
J'ai soudain l'impression d'être une grande égoïste. Ça ne se fait pas. Je parle, il parle, mais au fond, nous ne nous occupons que de moi. Et Robin dans tout ça ? À part ses jeux vidéos et sa série, personne ne semble se soucier de sa propre vie.
Il faudrait que quelqu'un le prenne en main, ce petit.
Je sais, Holly, on n'est plus à la maternelle. Mais Robin et moi on est encore des gamins... et je le verrais toujours comme ça.

– Avec le temps, justement ! Et tu sais aussi bien que moi que j'ai autant de caractère que d'impatience...

Ça, c'est bien vrai. Parfois, je m'étonne moi-même, mais pour le coup, j'ai raison, non ? Je n'ai aucune patience. Il faut toujours que je déballe les choses à une vitesse folle, comme si j'avais un train à prendre. Mais c'est comme ça : je pense plus vite que je ne parle, et il faut que ça sorte si je ne veux pas oublier.
C'est pour ça que je passe si rapidement d'une chose à une autre. Et que les gens ont du mal à me suivre.
Je sens le bras de Robin autour de mes épaules. J'aimerais me blottir contre lui et m'accrocher à son tee-shirt comme quand on était gamins.
Il faut vraiment que je cesse de penser à ça. Il n'y a pas que le passé qui compte ! On est devenue adultes tous les deux. Alors il est temps que je me secoue !
Je m'apprête à me décaler lorsqu'il me fait une étrange proposition. Proposition qui m'emballe quand même assez. Je pose alors une question plutôt stupide :

– Tu veux dire... maintenant ?

Robin est toujours imprévisible. Un jour il va dans mon sens, et le lendemain, quand je croyais le comprendre, il nage à contre-courant.
Ce mec a parfois des idées bizarres.

Je lui souris. Parfois un sourire ça guérit tout. C'est l'effet que ça me fait en tout cas.
Fixant consciencieusement mes pieds comme s'ils devenaient la partie de mon corps la plus intéressante, je l'écoute m'encourager. Je sais qu'il manque un peu de sincérité, mais j'aime me laisser aller à le croire vraiment. À croire que tout va s'arranger d'un clin d’œil et d'une petite sortie entre amis.
Le pire dans tout ça, c'est que ça me fait réellement du bien. Je ferme les yeux et pose ma tête contre le dossier du divan. Je suis bien chez Robin. Il a beau être une étoile montante, son appartement détonne amplement de sa notoriété. Une simplicité déconcertante, malgré l'hygiène de vie déplorable de mon pauvre ami.
Je passe un doigt sur l'accoudoir du canapé et y récolte un tas effrayant de poussière. Je grimace et lui tire la langue :

– J'espère que tu prends au moins une douche par mois ! Si toi, tu as autant de patience que d'hygiène, eh bien on n'est pas encore arrivés...

C'est de la pure taquinerie, mais, rétrospectivement, je me trouve naïve. Le sarcasme étant l'une de mes raisons d'être, je me demande comment je pourrais vivre sans l'humour. Ce serait un monde bien fade... J'y serais morte et enterrée avant l'heure.
Je me pose trop de questions, je crois. J'imagine certaines choses avec insouciance, d'autre avec trop de sagesse. Bordel, je suis jeune ! J'ai encore des années pour penser à mon avenir, le vrai. Je suis à l'âge où l'on doit s'amuser. Ce n'est même pas une option, c'est un devoir. Un jeune qui ne s'amuse pas a raté sa vie.
C'est cette pensée qui me fait me lever et sourire à Robin. De ces sourires qui ne prêtent pas à la discussion...

– Bar, évidemment. Tu sais bien que je déteste la plage...

Je boutonne ma veste et attrape le bras de Robin pour l'aider à se relever. Je suis plus motivée que jamais. Sortir avec ses amis, il n'y a que ça de bon... même si on n'est que deux.
Et puis, ça ne fera pas de mal à cet énergumène de s'aérer un peu. Il m'a promis une sortie digne de ce nom, je compte bien en profiter ! Ce n'est pas souvent qu'on me croise aux côtés de Robin. J'espère simplement qu'on ne le reconnaîtra pas...

J'aime bien me persuader que je ne suis pas la seule personne au monde à ne pas aimer la plage. Il y a des tas de gens qui détestent ça, et pourtant, on n'en entend jamais parler. Peut-être parce que ça leur est égal, ou bien parce qu'il ne sont pas aussi soucieux d'être seuls ou non comme moi.
Peut-être parce qu'il est complètement stupide de se poser la question.
Je soupire et croise les bras. Robin fait décidément exprès d'oublier toutes les raisons que je lui énumère quand j'explique que je n'aime pas la plage, et ça m'énerve. Encore une fois, je me sens obligée de répéter. Même s'il aura oublié la prochaine fois qu'il sera question de plage.
Robin m'emmerde, des fois. Souvent.

– La crème solaire et le sable c'est juste dégueulasse quand on les combine. Voilà, tu as besoin d'une autre raison pour te convaincre ?

J'aimerais bien qu'il cesse de le nier, ça. C'est indéniable : se rouler dans le sable après s'être tartiné de crème solaire, ce n'est pas franchement agréable. C'est même très collant. Même si, j'avoue, on ne voit pas beaucoup de gens se rouler dans le sable à la plage.
Quoique, j'y vais tellement rarement qu'il se peut que je ne sois pas au courant, non ? Ce serait ridicule mais tout à fait possible.
Je me lève alors, enthousiaste comme jamais, et le tire pour le mettre sur ses pieds. Tout sourire, on sort de son appartement et on rentre dans sa voiture. Je fronce le nez à l'odeur mais m'abstiens de tout commentaire. Je sais qu'il est assez gêné comme ça.
Faisant une place pour mes pieds parmi toutes les canettes qui jonchent le sol de cette auto, j'essaie d'oublier la saleté pour me concentrer sur ce que l'on vient faire ici : s'amuser.
Je me tourne vers Robin et sourit une nouvelle fois.

– Tu me connais, un truc complètement déjanté ça serait le must !

J'attends qu'il démarre et pose mon front contre la vitre. En soufflant, je forme de la buée qui s'efface aussi rapidement qu'elle est apparue, même si à chaque fois j'ai le temps de tracer un petit dessin avec mon doigt.
Je me détourne alors de la vitre et regarde Robin durant de longues secondes. J'hésite à parler, parce que je sais que ma question ne lui plaira pas, mais ça me trotte dans la tête depuis un moment. Il est temps de parler de quelqu'un d'autre que moi.
Robin en a besoin aussi.

– Après la... le décès de Karen...

Je me stoppe. Je me rends compte que c'est totalement inapproprié ce que je dis là, mais je suis allée trop loin pour pouvoir reculer. Je me force à continuer même si ça me reste en travers de la gorge.

– … tu as pensé à te tuer ?

Les mots me font mal, mais ça me travaille depuis un petit bout de temps. Certaines questions ne peuvent pas s'oublier facilement. Dans mon cas, c'est plutôt l'inquiétude de savoir que Robin allait si mal alors que j'étais là, moi, prête à le soutenir s'il demandait de l'aide.
Il ne l'a jamais demandée. Mais le rôle d'un ami est de savoir exactement le moment où l'autre a mal. Je ne me sens pas digne de Robin à ce moment-là.

Je n'aurais jamais dû poser cette question. Ce n'est pas une nécessité ; je n'ai pas besoin d'avoir réponse pour vivre tranquillement. Enfin, peut-être un peu, mais ce n'était pas du tout le moment. Juste quand on commençait à s'amuser...
Je soupire et détourne le regard. Je sais que ça a dû être dur. Et je m'en veux, parce que je sais aussi que je n'ai pas assez été là pour lui à ce moment-là, sans doute le plus difficile de toute sa vie. Alors je ne peux que m'en vouloir et me dire que, la prochaine fois, je ferais attention. Même si j'espère franchement qu'il n'y aura pas de prochaine fois. Après tout, on n'apprend que de ses erreurs, non ?
J'écoute sa réponse sans vraiment l'entendre. Ça semble dur de parler de ça, alors que c'est si loin. Pour nous tous. Pour Robin surtout, pour moi aussi. Je n'avais pas vraiment d'affinités avec Karen, mais je sais que c'était une fille bien.

Je m'apprête à m'excuser, lorsque les paroles de Robin deviennent intéressantes. Dans tous les sens du terme. Je ne peux m'empêcher de lui jeter un petit coup d’œil, pour vérifier qu'il a bien les mains posée sur le volant. Histoire de nous éviter un joli petit accident.
Holly, tu es vraiment conne. Non seulement l'atmosphère se refroidit considérablement, mais en plus un malaise vient me prendre à la gorge. Je me sens mal.
Je n'aurais pas dû parler de mort, et encore moins de Karen. Je déglutis difficilement avant de baisser le regard. Si moi, je m'étais suicidée à la place de sa copine, est-ce qu'il s'en serait soucié ? Sans doute, au début. Mais il serait passé à autre chose. Je ne suis qu'une amie. Je n'étais qu'une amie.
Je souris un peu. Pas trop, mais pas assez quand même. Je prends une grande inspiration et j'embraie :

– Je peux t'aider à la venger d'Amon. J'ai des informateurs qui sont prêts à tout pour un peu d'argent... Rien qu'un peu.

Ce n'était franchement pas le moment de placer ça non plus. Je n'ai jamais eu besoin de ces gens-là, mais j'ai de bons contacts. Il suffit d'avoir l’œil et l'oreille, c'est tout. Alors si Robin a besoin d'aide... je le suivrais. Qu'il faille arracher la tête de Sørensen ou le battre à mort, je suis partante. Ça m'a l'air d'être drôlement excitant.
J'ai envie de le réconforter mais je ne sais pas comment m'y prendre. Par quoi commencer ? En tout premier, je suis là. Ma présence est un premier atout.
Ensuite, il suffit de trouver les bonnes paroles. Je croise les jambes, gênée, me demandant ce que je serais devenue si Robin n'était plus là. J'aurais peut-être une vie complètement différente. Peut-être que je serais devenue bibliothécaire et que j'apporterais des fleurs tous les dimanches sur les tombes de Robin et de Karen.
Non. Je ne peux pas envisager cet avenir comme ça. Je serais encore Holly. Une Holly blessée, écorchée, mais une Holly qui se bat. Un faucon un liberté.

– Tu sais quoi, Robin ? T'es un type bien.

Je n'ajoute rien d'autre. Ça veut tout dire. Et il vaut mieux laisser faire le silence que les paroles... On peut dire beaucoup de conneries en une phrase.

Je ne suis plus sûre que ce bar soit une si une bonne idée. Maintenant, j'en ai gros sur le cœur. Il y a des tas de trucs que j'aimerais pouvoir lui dire, mais je suis trop bornée pour arriver à les dire. J'ai toujours eu du mal avec les sentiments. Souvent, c'est du trop-plein, et il faut une toute petite étincelle pour que ça explose. Parce qu'on n'est jamais sûr du lendemain, je voudrais lui assurer que j'suis là, que j'suis toujours la gamine Holly qui faisait des conneries la nuit, que j'suis toujours une enfant au fond et que Robin est sans doute un pilier dans ma vie. Robin c'est ma bonne étoile.
Sauf que le petit moment nostalgie c'est terminé, et qu'il faut retourner au monde réel. Je suis sûre qu'on va bien s'amuser tous les deux. Pour une fois qu'on en a l'occasion... Je ne réponds pas lorsqu'il me parle d'Evelyn et d'Amon. Je me contente de hocher la tête, parce que j'ai envie d'oublier cette conversation, quand bien même c'est moi qui l'ai lancée.
Je me contente de sourire avec euphorie lorsqu'il arrête le moteur et ouvre sa portière. Il se dirige vers ledit bar et je le suis, ouvrant grand mes yeux et mes oreilles. Tout est bon à voir et à entendre. On entre, et...

J'en reviens pas. Je regarde tout ce beau monde, des étoiles dans les yeux. Je n'écoute même plus Robin. C'est qu'il y a du rock et que la musique me fait tout oublier. Tout.
Je m'approche du comptoir, tout sourire, avant de me rappeler de la présence de mon ami. D'un signe de la main, je l'invite à s'asseoir à côté de moi, et je commande un whisky. Rien de mieux que l'alcool pour oublier certaines choses désagréables... J'ai déjà échappé à notre conversation de tout à l'heure.
Je ferme les yeux et fredonne les paroles de la chanson en train de passer. Je la connais par cœur, et pour cause... Du The Burning Fire ! C'est juste extra. Je rouvre les yeux lorsque le barman pose mon whisky devant moi. Je me tourne vers Robin et fait :

– Je te préviens... Ne compte pas sur moi pour aller chanter ! Ou alors il faudra m'y traîner de force...

J'image mes propos d'un clin d’œil avant de prendre mon verre et de le porter à mes lèvres. C'est amer, mais je supporte ; après tout je n'ai pas pris de whisky pour rien.
Ma jambe se cale sur le rythme de la musique et se met à battre chaque temps. Je ne vais pas me voiler la face ; je suis une connaisseuse. Après tout, je chante dans un groupe, et je joue de la guitare...

Ça, c'est le genre de bars que j'aime ! J'y traîne souvent d'ailleurs. Je connais de bonnes adresses dans L.A., mais ici je n'étais jamais venue. Ça m'a l'air cool. L'ambiance est au top, les gens se déchaînent... Je porte mon verre à mes lèvres, me disant que c'est tout moi de prévenir que je n'irais pas chanter pour me retrouver une heure plus tard en plein karaoké avec une bande d'inconnus. Et après tout, je suis ici pour m'éclater...
C'est ce que semble penser Robin, car il prend ma remarque pour un défi et se lève pour me traîner sur la piste. Je souris, sans me soucier des fans qui reconnaîtront Robin. Il y a tellement de bruit et de voix que je doute que quiconque ne prenne le temps de comparer mon meilleur ami à la star d'Hollywood. Après tout on est là pour oublier, et j'imagine que les gens font de même.

– J'espère que tu chantes bien, ou tu vas gâcher ma chanson !

C'est une taquinerie, dans le genre d'humour que j'aime. Certaines personnes trouvent ça lourd, moi je trouve ça drôle. En même temps, je suis Holly. Il y a certaines choses que je fais à l'envers. Je chante comme je vis ou comme je respire. Je joue de la guitare comme on baise l'Amour, j'la viole du bout des doigts et j'la crève de ma voix. Ça m'évite de parler et de dire n'importe quoi. Mes acides. Mes mots couteaux qui font mal.
Et le dernier tube de The Lightening retentit dans tout le pub. Même pas besoin des paroles, je les connais pas cœur. C'est sans doute l'un de mes préférés ces derniers temps. Je souris à Robin avant et m'approcher du micro. Il a vraiment intérêt à faire des efforts sur sa voix s'il ne veut pas se prendre une beigne.
Et je commence.
et c'est un peu comme si j'oubliais tout
Robin, moi, ma vie
que j'oubliais que j'suis là à gueuler devant ces gens
j'suis un bout d'être malmené par la lune, brimé par les étoiles et trompé par le vent

Je suis au bout de la chanson. Je ne pensais pas que c'était aussi rapide. Quand je chante, j'oublie, et quand j'oublie, je chante. Je me tourne vers Robin. Je ne l'ai même pas écouté chanter. J'étais trop absorbée. Trop égoïste.
Mais après tout c'est comme ça. Il s'y est fait. Moi aussi.

Avec ma guitare, j'aurais été mille fois meilleure, j'en suis certaine. Mais là, j'ai les mains vides et le cœur qui s'emballe, alors je ne suis pas en état de me plaindre. Je me tourne vers Robin et lui souris, aussi essoufflée que si j'avais couru un marathon. Je suis fière de ma performance, quelque part, sans doute parce que mon meilleur ami est avec moi, et qu'il vaut tout l'or du monde. S'il y a bien une personne que je rêverais de rencontrer une deuxième fois sur cette terre, c'est Robin.
Rayonnante, je repose mon micro et me dirige vers le comptoir où nous avons laissé nos verres. J'ai un peu le tournis et je dois me rattraper à quelques épaules, ainsi qu'à la main de Robin, avant d'atteindre mon but. Je soupire en m'asseyant, grisée, et commande un nouveau verre. Ce soir je ne me priverais pas. Holly la princesse a décidé de devenir Holly la fille du feu, dans tous le sens du terme.
De toute façon, ce n'est pas moi qui conduis. Et Robin a tout intérêt à me raccompagner chez moi à la fin de la soirée. Je tourne la tête vers lui alors qu'il me déballe son petit discours tout prêt sur les managers qui pourraient visiter ce bar. Je hausse les épaules et baisse les yeux sur mon verre. Une demi-seconde plus tard, je le vois du coin de l’œil prendre une gorgée d'alcool. Je lui donne un coup de coude, plus violent que je ne le voudrais, et il manque de renverser son verre.

– Hé, j'assène. T'es Sam le conducteur responsable. Pas d'alcool !

Je lui prend son verre et le pose de l'autre côté du comptoir, avant de lui sourire, encore plus hypocrite que j'aie pu l'être auparavant. Ce que je peux être chiante ! D'un autre côté, sans moi et mes mesquineries inégalables, notre amitié ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui. Il ne peut que me remercier !
Pour enfoncer le clou, je prends moi-même une nouvelle gorgée de whisky. Je lève les yeux et voit soudain très trouble. Des points noirs dansent devant mes yeux et je dois me rattraper au bar pour ne pas tomber en avant. La musique me parvient comme à travers du coton et j'ai la langue lourde, très lourde, ainsi qu'une tête de plomb...
Je manque de m'affaler sur le comptoir. J'ai envie de dormir. Je regarde Robin et lance après quelques tentatives ratées :

– J'avais oublié que... je tiens très mal l'alcool...

C'était une mauvaise idée, en fait. Une nausée me prend et je me fais violence pour ne pas rendre mon déjeuner à mes pieds.

Je m'en veux vraiment de gâcher la soirée comme ça, pour le coup. J'aurais dû me montrer prudente. C'est tout moi : me jeter dans des folies à tort et à travers, avant de me rendre compte que toutes ces émotions m'ont fatiguées. Je soupire bruyamment alors que les étoiles devant mes yeux ne me laissent pas de répit. Je constate que Robin tente de me sortir de là et je lui donne un petit coup de main en me remettant sur mes pieds.
Quand j'ingurgite un peu trop d'alcool, je suis soit exagérément heureuse, soit vraiment déprimée. Or pour le moment mon organisme semble avoir trouvé un juste milieu, bien que je sois complètement à plat. Je soupire une nouvelle fois et me laisse entraîner vers la sortie. Les gens autour de moi tanguent dangereusement, à moins que ce ne soit moi.
Je ferme les yeux, la langue pâteuse, et l'air frais du soir me fouette un bon coup. Je jette un coup d’œil vers la lune, mais je ne la vois nul part. Les hallucinations se poursuivent car j'entends une voix déformée à mes oreilles.
Ah... non. En fait c'est simplement Robin qui me pose une question.

– Euh... Oui. Oui !

Je plisse les yeux, cherchant sa voiture des yeux. Je ne me souviens même plus de la couleur.
Le trottoir prend de drôles de formes devant moi. Je fronce les sourcils, perdue, mais Robin me sauve en retrouvant sa bagnole garée non loin. Je souffle un grand coup et me hisse à la place du passager. Je me frotte le front, un mal de crâne cosmique me prenant au niveau des tempes. Je me masse le front alors que Robin démarre sans un mot.
J'ai pas vraiment envie de parler. Juste de vomir à mes pieds, ce qui ne serait pas très malin vu que nous sommes dans la caisse de mon meilleur ami. Je me retiens comme je peux, il serait dommage de salir une bagnole aussi classe. Même si les mêmes canettes qu'à l'aller jonchent toujours le sol de l'auto.
Je jette un dernier regarde au bar qui nous a accueillis l'espace d'un instant, regrettant déjà d'avoir gâché la soirée avec mes excès en tous genres. Je ne peux m'empêcher de commenter, presque pliée de rire :

– Heureusement que t'as pas vraiment bu, toi. On serait dans la merde !

Remarque pas très fine non plus, d'ailleurs. Du rire je passe alors aux larmes, décidant alors qu'il est temps de me mettre en mode dépressive. Je m'essuie les yeux mais de nouvelles gerbes salées jaillissent de mes yeux et dégoulinent jusque dans mon cou.
Trempée de larmes, je ne regarde même plus la route, ni Robin, mais mes mains entre mes jambes.
Putain, les regrets.