Il est plus de 20 heures et je suis coincée au magasin jusqu'à la fermeture. Ne vous y méprenez pas hein, j'adore bosser à Empire Records. Ce job, c'est toute ma vie. Sauf que, techniquement, ce n'est pas à moi de faire la fermeture le vendredi soir. Mais l'employé qui doit le faire d'habitude est malade alors Chuck m'a gentiment demandé de le remplacer. Hum. Ah, au fait, Chuck c'est notre patron, le big boss quoi. Celui qui passe sa vie enfermé dans son bureau, à faire je ne sais quelle tâche administrative. Il sort de temps en temps pour gueuler quelques ordres puis il retourne dans sa tanière qui pue la clope éteinte et la poussière. Mais c'est un type plutôt cool et carrément barré. Il s'en fout de votre CV. Ce qui compte pour lui, c'est que vous arrivez à nommer dans l'ordre de construction le nom de tous les bars de LA. C'est un passionné ce gars, comme nous tous d'ailleurs, les employés d'Empire Records.

A cette heure-là, il n'y a plus un chat dans le magasin. En même temps, l'inverse m'aurait étonné. C'est vendredi soir après tout. Toute la population de Los Angeles est dehors, en train de se bourrer la gueule et faire la fête. Personne ne se dit « tiens, et si j'allais acheter un ou deux albums avant de finir mort bourré sur le trottoir ? » D'ailleurs, ça m'arrangerait si aucun type éméché et surtout bien louche ne vient me rendre visite ce soir. Je n'ai pas spécialement envie de finir au commissariat pour expliquer pourquoi j'ai dû assommer ce type avec la caisse parce qu'il a essayé de m'arracher mes vêtements.

Pour chasser ces pensées sordides, je mets le single des Tiny Suicides sur la platine. Du bon son punk bien de chez nous. Enfin, de mon nouveau chez moi. Je laisse la voix enragée de Delta, la chanteuse du groupe, envahir la salle. Je m'enfonce un peu plus dans ma chaise et étends mes jambes sur le comptoir, juste à côté de la caisse. Je balance ma tête et mes jambes en rythme. Ma mini-jupe glisse progressivement sur le haut de mes cuisses. Je la remets en place, juste par précaution. Même si je n'attends plus aucun client ce soir, quelqu'un pourrait quand même débarquer à l'improviste. Je tiens à être présentable. Le pass backstage du dernier concert auquel je suis allée est toujours accroché à ma ceinture. Je me mets à jouer avec, tout en pensant qu'il faudrait que je passe aux bureaux de la BSC pour me procurer mes prochains pass backstage pour les futurs concerts de Roadtramp. Depuis qu'ils ont signé en maison de disque, ça devient de plus en plus difficile d'accéder aux loges. Au pire des cas, j'irai carrément voir Ricci et je lui ferai les yeux doux. Je lui expliquerai pourquoi avoir des groupies autour de ses protégés est quelque chose d'important. J'en parlerai à Ivory, à deux ce sera plus facile.

La petite sonnette de l'entrée retentit tout à coup, me tirant hors de mes pensées et ramenant mon esprit dans le magasin, où les Tiny Suicides rugissent toujours dans les hauts parleurs. Je retire mes jambes du comptoir, me redresse et sourit à l'homme qui vient d'entrer. Une nouvelle tête, j'ai l'impression. Je lui donnerai la quarantaine. Il a un bon style et il est plutôt mal. J'espère qu'il n'est pas bourré.

- Bonsoir ! Bienvenue à Empire Records ! Est-ce que je peux vous renseigner ?