it gets worse
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]les icônes présentes dans les parties de l'histoire sont tirées d'oeuvres de Jérôme Barbosa. Elliot était tombée sur un de ses tests bâtis par des psychanalystes du dimanche, un peu mal à l’aise dans leurs vies. Elle avait empoigné le magazine avec un sourire amusé, s’attendant à tomber sur des critiques mal construites, de la presse people plate qui déblatait les derniers écartements de cuisse de la bombasse à la mode. Elle avait eu ce test. Sur « pourquoi ce métier et pas un autre ». On lui posait des questions sur sa relation avec sa mère, avec sa fratrie, des anecdotes, simulations de situation. Devant un tel test, Elliot devient plus blafarde, répétait « c’est des conneries », et malgré tout elle se plongeait sérieusement dans ses questions.
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« Connard ! Salaud ! J’espère qu’elle est bonne la prochaine Suzi Quatro, parce que vu comment t’as du lui péter la rondelle elle a déjà choisi sa future maison de disques ! »Elliot était presque habituée maintenant. Son père (qu’elle préfère ici appeler Méphis, allez savoir pourquoi) était un de ces libertins modernes, les hommes à la mode qui disent qu’une jeunesse est éternelle. Là où on avait vu de la liberté à l’époque, pour un homme qui approchait la quarantaine, père tardive d’une petite tête blonde, qui charmait avec cœur et âme des femmes plus jeunes, Elliot y voyait une sorte de perversion. Ancrée à son nounours, elle regardait la scène avec un air un peu débité. Je vous le disais, elle était habituée désormais, à ses cris sortis des entrailles de l’enfer et son quotidien rythmé au rythme des assiettes caressant les murs et les verres se battant contre les tables.
« Ma chérie, tu t’es bien lavée les dents ? » éludait son père.
Elliot le regardait et elle voyait dans le fond de ses yeux le désir de milliards de femmes en sueur, désirant que le savoir faire expert d’un homme plus âgé. Si elle avait pu le faire, Elliot se serait lavée pendant des années entières, pour purifier chaque parcelle de peau que son père avait souillée avec un simple contact. Elle hochait la tête et se reculait, le regard un peu vide. Non en fait. Mais par adversité elle allait désobéir à Méphis.
Evitions le douloureux sujet du couple étrange que formaient les Adams. De toute manière, son père avait été peu là. Adams-père était un directeur de maison de disque piteuse, avec quelques labels intéressants mais sans plus, de la musique inintéressante au possible, avec ces paroles chantant l’amour de la manière la plus vaste possible. Enfin. Suffisamment vaste pour que tout le monde se sente concerné et hurle « Oh cette chanson a été écrite pour moi ! » C’était le genre de job qui donnait l’impression à Méphis d’avoir des ailes suffisamment grandes pour s’envoler de son foyer familial. Au final, quand Elliot avait été âgée de 8 ans, sa mère s’est envolée de la maison, vers du bonheur et de la fidélité je crois. Elle était devenue de ses femmes souillées et blessées à l’intérieur d’elle-même, démontée jusqu’à l’os. Devant un tel départ, Elliot n’a pas comprit grand-chose, je vous l’avoue. Elle était juste là, sur son iceberg de solitude, avec un ours en peluche et la main dans celle de son père.
Monsieur les psychanalystes, si ça vous intéresse, elle n’a pas eu d’Œdipe à cette période là, ni plus tard, au diable Freud. Elle ne s’estimait même pas fille de quelqu’un, comment pouvoir vouloir l’affection d’un inconnu jusqu’à penser au meurtre passionnel ?
Droit dans les yeux, elle fixait le magasine avec les mains crispées. Cette fois, l’imbécile, le fourbe, lui faisait une sorte de portrait chinois. Si vous étiez un fruit, vous seriez ? Et un instrument de musique ? Cette dernière question la toucha particulièrement. Un violoncelle.
Elle faisait du violoncelle depuis ses 10 ans. Elle avait commencé en entendant quelqu’un dire dans la rue que c’était l’instrument qui se rapprochait le plus de la voix humaine. Eberluée, la gamine avait demandé des preuves peut – être, car la voix humaine était trop disgracieuse pour égaler la supériorité esthétique du violoncelle. On lui recrachait des preuves physiques, avec des notions de phonie. Au final, elle avait admit sans preuves comprises, et elle était arrivée devant ce qu’elle devait appeler sa deuxième mère, clamant à qui veut l’entendre qu’elle aimait le violoncelle.
Employée dans la maison de disque de son père, cette brave dame passait surtout son temps en talons aiguilles, frappant et démontant le parquet de ses affreusetés, parce que voilà. « La féminité ça se porte aux pieds aussi » selon elle. Elliot n’était pas tellement d’accord, et elle lui fit aisément comprendre en les cachant une fois, deux fois. A la fin, les disputes éclataient et la gamine se réfugiait dans son violoncelle, jouant des dissonances, et bientôt Schreker devint son ami, avec sa musique dissonante et atonale.
« Pourquoi tu joues ces horreurs Elliot ? C’est moche ça ressemble à rien ! Je suis sûr que c’est absolument pas ton professeur de violoncelle qui t’a proposé de jouer ça ! » s’indignait son père.
Elle releva la tête des cordes et le regarda avec un sourire crispé sur le coin.
« C’est dissonant et ça ressemble aux bruits que tu fais avec madame du bureau aux grands talons. »Quand elle vit qu’on lui demandait si ça avait été une bonne élève, Elliot serra son stylo entre ses lèvres, regardant vers le ciel, en espérant une réponse peut – être.
Elle avait été une bonne élève, c’était indéniable. Quand elle voyait les études qu’elle avait faites, elle se persuadait qu’elle avait du potentiel. Sa primaire n’eut aucun élément très fameux : elle avait été un bon élément, sans plus. Elle avait cependant ce comportement un peu turbulent, tantôt sa langue était pendue jusqu’au sol, tandis que la veille elle s’était murée dans un mutisme déconcertant. Face à ce silence affolant, ses professeurs conseillèrent à la famille de la jeune Elliot des rendez vous chez le conseilleur psychologue. Même résultat. Un silence effrayant. On l’envoya chez des psychologues payants, à croire que l’argent motivait un peu plus. Une brave dame lui proposa d’exprimer ses sentiments par la musique, et quand elle comprit que la petite fille de treize ans faisait du violoncelle, elle comprit que tout allait se compliquer pour le transport. « Dessine alors », on lui dit.
Sur ses dessins, elle dessinait de grandes courbes souples, puis des traits agressifs. Elle déchirait des coins de la feuille, les recollait, les coloriait même. Bientôt, on comprit que le fait que maman soit partie parce que papa aimait une autre maman la tourmentait, et qu’elle vouait une sorte de peur de grandir. De peur qu’à son tour, on aime d’autres Elliot, plus masculins cette fois. Elle avait cultivé cette peur du remplacement, de l’interchangeabilité. Elle avait envisagé de changer radicalement, et elle comprit très rapidement qu’elle n’était pas seule, à souffrir de cette peur irrationnelle.
Elle feuilletait Guitar&Pen dans son coin, crachant sur L.A People pour être si axé sur le « journalisme de cuisine ». Elle courrait les expositions temporaires en ville, ne s’effrayant pas devant l’art érotique, ou le contemporain. Mâchouillant éternellement son stylo, elle se prenait de passion pour tout ce qui touchait à l’expression, extériorisant sa propre timidité à travers celle des autres. D’une certaine manière, Elliot pouvait désormais affirmer haut et fort que ce n’était pas la musique qui l’avait sauvé, c’était l’art.
Elle change d’établissement scolaire à 16 ans pour une école d’art, et elle rencontre Violet.
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Elle devint ce cliché de l’artiste plastique. Elle était étendue sur des draps blancs, se faisant peindre dessus par une camarade qui répondait au doux nom de Violet. Elle était sensible, cette jeune femme, elle avait ce regard déterminé qui crache la rage de vivre, et qui se radoucissait à la vue d’une personne aimée. Elliot avait accrochée avec la jeune fille sans vraiment savoir pourquoi. Elle aimait ses projets, elle aimait les siens. Elles se servaient de modèles mutuels pour les peintures corporelles, les photographies, … Elliot était en internat et elle se félicitait de ne plus voir ses parents. De toute manière, elle se jugeait fille de personne. Elle avait voulu être l’enfant de tout le monde, sauf celui de son père. Elle se taisait quand on lui posait des questions sur sa famille, comme un peu honteuse.
« T’as une sacrée culture quand même. »L’ennui. Puis faut se le dire, Los Angeles était une ville culturelle. Entre les concerts dans les fonds de bar, avec le sol ruisselant de bière, qui sentait la délicieuse odeur d’alcool mélangée à celle des sueurs, du renfermé, du cramé avec ses lumières trop allumées.
« Les hommes ne font pas l'amour parce qu'ils sont amoureux, mais parce qu'ils sont excités; cette évidence banale, il m'a fallu des années pour la comprendre. »
les particules élémentaires, michel houellebecq
Violet tomba amoureuse. Pas Elliot. Violet couchait avec les correspondants grecs de ses camarades. Elliot était écœurée. Elle ne comprenait pas comment on pouvait oser se frotter ainsi à une création divine, car elle voyait en l’homme une gigantesque toile qui attendait des coups de pinceaux, des membres parfaitement sculptés qui se contorsionnaient pour satisfaire ses désirs esthétiques.
« Sérieux Elliot. T’as jamais baisé ? » Elle rit doucement et la jeune femme haussa les sourcils.
« Et t’as déjà eu envie rassure moi ? »« Même pas. J’ai jamais eu l’envie de baiser, parce que le corps humain m’attire pas sur ce plan là. »« Hipster de merde. » dit – elle en riant de plus belle.
Fumer n’était pas dans les plans de vie d’Elliot. Elle commençait de temps en temps, quand elle avait des baisses d’humeur considérables. A défaut d’avoir de la chaleur humaine et des caresses pour exister, elle sentait la fumée envahir sa cage thoracique. Elle n’avait pas mal. Pourtant c’est ce qu’elle voulait. Elle voulait sentir le poids de quelques secondes en moins sur sa vie à chaque latte tirée. Elle songeait à avaler du papier de verre pour sentir quelque chose. Rien. Elle finit par trouver ça agréable, de cracher des volutes : elle pouvait y voir son âme se dégager de toute forme solide et danser devant elle. Elle était contente à ce moment là, parce que son âme faisait ce qu’elle avait toujours voulu faire : se tirer loin.
Devant ce manque de douleur lors de ses séances clopes, elle retirait les filtres, prenait des tabacs dégueulasses, les cigarettes aux pastilles mentholées qui arrachent la gorge, tout était bon pour passer un mauvais moment. Violet riait aux éclats dans son lit, un coussin sur la tête.
« T’es conne je te jure Elliot. Tu peux pas ne pas aimer fumer ! C’est la meilleure chose au monde. Tu sens pas cette assurance que t’as quand t’as la clope entre tes doigts, les regards fiévreux des mecs à l’idée que c’est leur queue, puis les petits sourires que t’as quand tu imagines la tête que tu peux avoir quand tu craches la fumée ? En plus franchement t’es canon comme fille, surtout quand tu fumes. »
Silencieuse elle regardait son reflet embrumé dans le miroir de sa salle de bain, sa cigarette entre les doigts, les yeux cernés. Clairement, elle n’aimait pas ça.
Quand Violet tomba éperdument (et vraiment pour une fois) d’un bel anglais typiquement années « sixties » avec ses lunettes de soleil rondes teintées et sa manière ridicule de fumer ses roulées Fleur du Pays parce que c’était le « tabac à rouler spirituel », Elliot cru voir de l’Enfer à chacune de leurs phrases. Ils étaient faussement niais, jouaient la carte du couple qui souriait pour des broutilles, et Elliot jouait surtout le rôle de chandelier sur pattes. Elle hochait la tête quand Violet lui demandait si elle avait rien entendu, et voulut maudire le monde entier de les avoir mises ensemble dans cette chambre universitaire. Cette relation, aussi physique et répugnante (aux yeux de la multicolorée), confirma que le sexe la dégoûtait au plus profond d’elle-même. Elle se retenait de vomir à s’imaginer à la place de Violet, fièrement juchée sur ses talons aiguilles et sur le cœur des hommes, et se préférait « freak » dans ses salles d’art à balancer de la peinture sur les murs, s’en renversant sur le coin de la joue, laissant le bleu colorer son oreille, couler le long de son cou pour décrire une ligne colorée sur son corps.
Quand Violet, alors solidement amourachée de son hippie de supermarché, se fit larguer avec tout l’amour du monde pour une femme aux courbes plus érotiques et chaleureuses, elle vint maudire le monde entier avec Elliot, pour des raisons différentes. Pour la consoler, Elliot lui racontait les histoires de cœur étranges de ses amis, lui disait que ses cris étaient trop sincères et venaient trop du cœur pour être faux. A défaut d’être aimée, elle aurait été désirée, et pour Elliot, c’était un point positif.
« Trop bonne, trop conne » souriait tristement Violet.
« J’osais pas le dire. »Elles recommencèrent leurs projets d’art, Elliot se peignant des motifs sur le visage, Violet riant en trouvant la demoiselle bien trop dans l’idée que dans la pratique. « La théorie est bien mais c’est super moche Elli ! » Tant mieux. Elliot disait vouloir faire des projets à son image. Beau dans l’idée, moche dans la réalisation. Violet enchaînait les plans d’un soir, pour sentir de la chaleur en elle comme elle disait. Elliot finissait par passer son temps dehors, les yeux dans le vague, la cigarette sur le bord des lèvres, retirant soigneusement ses filtres pour souffrir à chaque latte. Elle ne craignait plus réellement la mort, sachant qu’elle avait cette douloureuse impression de la sentir à chaque latte tirée.
Sa chambre universitaire devenait rapidement un Enfer. La chaleur y était étouffante, les bruits lui rappelaient des mauvais doublages de film …
« La chambre est en bordel, putain Violet fais un truc ! »Elle était occupée visiblement. Elle rangeait ses affaires physiques avant le matériel. Quand Violet commençait à parler de jeunes femmes, Elliot leva un sourcil. Quand Violet ramenait des jeunes femmes, Elliot se cramponnait à son oreiller pour ne rien entendre.
« Tu devrais essayer de nous entendre, ça éveillerait peut – être ce que t’as à l’intérieur, miss rien-ne-m’excite. »Violet tenta d’éveiller Elliot. La jeune femme, trop aveugle sur ce point là, n’attachait aucun intérêt à ses signaux obscènes, allant des sous entendus les plus simples aux appels les plus explicites. Rapidement, Violet devint envahissante, physique, dérangeante. Sentir le poids de la jeune femme sur ses genoux dérangeait Elliot, qui ne pouvait plus regarder les informations télévisées sur ce petit poste télé misérable, elle s’étonnait de voir Violet aussi angoissée pour faire autant de cauchemars, squatter autant son lit, augmenter le volume sonore lors de ses ébats. Rapidement, voir Violet donnait à Elliot la nausée. Chacun de ses contacts lui donnait l’impression de brûler à coup d’impureté ses pores, et c’était avec amertume qu’elle faisait des parallèles avec son paternel, Méphis.
Un soir, Violet tenta. De longs baisers volés par-ci par-là dans la nuque, Elliot la repoussa. Des mains autour de hanches en nœud coulant, Elliot se leva en furie.
« Mais bordel Violet c’est quoi ton soucis à la fin ? T’as pas assez de filles qui t’attendent pour se faire péter la rondelle ? Lâche moi un peu, je suis pas ton jouet, je veux pas de toi Violet, je t’aime pas, tu me saoules, tu me dégoûtes, tu me donnes envie de vomir avec tes mains qui ont touché tout et n’importe quoi. »Elle prit son sac dans un mouvement de rage et d’épuisement.
« Tu me fais de la peine Elliot. C’est la honte d’avoir rien fait à ton âge. » agrémenta Violet d'une voix piteuse.
Elle prit sa trousse de toilette, de maquillage, deux trois serviettes au cas où, ses cartes postales que des amis lui envoyaient.
« Tes mains ont surtout touché n’importe quoi. »Elliot claqua la porte avec la force de l’agacement. Sur un coup de tête, elle entra dans un de ses hangars violet et bleu de lumière, à la musique à 150 bpm. L’entrée dans ce paradis artificiel la vampirisa jusqu’à la nuit, le tapage de pieds de tous les hommes lui remuait le cœur à grand coup de cuillère. Tout lui semblait beau, coloré, joyeux, sécurisant.
Elle y vient une fois. Deux fois. Dormait nulle part. On n’arrêtait pas un peuple qui danse.
Dix sept ans et demi, à voguer sur les fleuves colorés de Los Angeles. A Goa ou en Allemagne, ce genre de parties un peu décalées étaient normales. Bientôt, des murs d’enceintes peuplaient les forêts, les plages de Los Angeles et les lieux désaffectés. Que ce soit à l’extérieur ou dans les lieux renfermés, très rapidement, Elliot peuplait ces fêtes clandestines, qu’on appelait autrefois raves parties, raves, et qu’elle se surprenait à appeler des fois juste « teuf ».
On lui proposait de tout et n’importe quoi. Des plantes, et elle rencontrait des Datura qu’elle ne voulait pas connaître. Elle restait loin de ces gens là, avec des lettres trop seules dans leur prénom pour être sympathique. Si elle fréquentait ces lieux ci, c’était pour les sols tremblants, la nature qui semblait danser avec eux, cette possibilité de danser comme une déchainée sans avoir aucun reproche. Elle fréquentait ces fêtes pour la musique et la communion avec celle-ci. Le soucis, c’est qu’elle voulait rester comme ça.
Rester « clean ».
Elle se fit des amis « du milieu », qui l’hébergeaient quand Violet ramenait des femmes ou des hommes (ou les deux) dans leur chambre universitaire. Bientôt, sa colocataire s’étonnait de dire « Elliot j’ai mal dormi cette nuit, tu étais chez nous et je suis plus habituée », ce à quoi répondait Elliot sagement « Je viendrais moins dans ce cas. »
Très vite, son budget diminuait. A force de traîner les rues, les cafés, les hangars, les salles de concert plus conventionnelles et les galeries d’art, elle fut très vite contrainte de manger du riz, des pâtes, ou rien si elle n’en avait pas l’envie.
Les ennuis débutèrent quand l’angoisse montait. Plus d’argent pour la nourriture, une addiction à la musique non négligeable, des dépenses compulsives qui devenaient hors de contrôle. Elle vit un de ses médecins universitaires qui jugea son anxiété et ses angoisses dévorantes. Elle s’étouffait, l’idée qu’on lui plante des seringues dans les poignées la terrorisait, et on retrouvait des adolescentes au sol, ayant trop caressé Datura certainement. L’idée de devenir comme elles pétrifiait Elliot.
Et elle le devint. Bonjour
Benzodiazépine.
Elle se mit à mépriser le monde entier, pour l’avoir droguée avec son consentement sans lui expliquer quoique ce soit. Elle se qualifiait de connasse droguée, de faible, et chaque manque la plongeait dans de profondes nausées, des tremblements incessants. Elle suffoquait à l’idée d’en prendre, elle suffoquait à l’idée d’en manquer. Violet tentait de l’aider, avec une main plus qu’amicale sur le dos. Dans son dégoût le plus profond d’elle-même, Elliot la laissa faire ce qu’elle voulait avec son corps, avec son âme. Même si le sexe gratuit l’écœurait, elle ne ressentait aucune once de plaisir, mais elle se sentait utile.
Dans les hangars, elle peinait à critiquer les drogués aux plantes hallucinogènes, sur les plages elle ne crachait plus sur les fumeurs verts. Elle était pire qu’eux, parce qu’elle était responsable. Elle tenta d’arrêter le poison blanc et circulaire qui pulsait à l’intérieur de ses veines, une fois, du jour au lendemain. Violet la retrouva recroquevillée, en larmes dans leur salle de bain, et Elliot restait traumatisée de cette vision : personne ne l’avait jamais vu pleurer. Elle qui voulait être détachée du monde, être vu comme un soleil arc en ciel. La pire idée de sa vie fut de s’admettre accro, de se ficher comme droguée médicamenteuse, et de ne rien tenter pour se décoller cette étiquette du front. Sartre disait que l’Enfer était les Autres à cause de cette idée d’étiquette, Elliot était son Enfer personnel. Quelle classe.
Par pudeur et par honneur, elle parlait peu de cette période. Elle disait juste que les tic-tac l’avait aidé, et que le poids qu’elle avait perdu était revenu avec la joie des autres. Elle eut diverses périodes, celles où elle se nourrissait du bonheur des autres, mais elle comprit rapidement que le meilleur moyen était d’être le bonheur des gens.
Elle se sentait estimée et admirée.
Débarrassée de sa drogue ovale et blanche, elle quitta l’appartement universitaire qu’elle partageait avec Violet. Elle voulait « voler de ses propres ailes et découvrit le monde qu’elle disait ». Elle squattait de temps à autre chez les autres, dans les squares d’enfant où les toboggans faisaient office de supers lits … Elle rata son examen dans son école d’art pour absentéisme, elle envoya tout balader et se consacrait à publier des articles sur des critiques de concert qu’elle avait fait.
« Les Magical Monkeys n’ont d’éclat que leur nom, et les lumières de leur scène piteuse peut – être. Dommage, la musique est pas mal. Sortez le banjo les mecs et le resto espagnol vous chopera certainement pour animer les soirées dansantes des Gonzales. »
« A défaut d’avoir une guitare accordée, la chanteuse Jessica Pussy avait sa poitrine avantageuse pour hypnotiser le public beauf à souhait du Seven-Eleven. A part les lesbiennes et les hommes, de notre côté, on s’est un peu emmerdés faut l’avouer. Et Jessica, accorde ta guitare aussi. »Elle publiait ses tracts gorgés d’un sens critique –pour sûr- arbitraire dans des fanzines de la ville. Elle rêvait depuis gosse d’intégrer Guitar & Pen, de travailler dans son bureau avec sa Lucky Strike trop mentholée au bec, ses lunettes rondes sur le pif et des talons hauts pour claquer le sol. Un magasine la repéra, elle bossa deux mois le temps d’avoir quelques sous pour s’assurer d’un avenir plus ou moins certain et recommença sa vie nomade, accompagnée de ses clopes sans filtre et son fardeau lumineux au cou.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], mindless self indulgence
Guitar & Pen lui sont tombés dessus un beau jour d’été. Les groupes nauséabonds à l’odeur laiteuse de la crème solaire pleuvaient et Elliot déversait ses jugements sur les tracts. Elle faisait l’éloge des expositions qu’elle avait apprécié, incitant le monde à venir les voir. Le fanzine était populaire dans les milieux étudiants, où les personnes qui se jugeaient « underground » lisait avec avidité les nouvelles culturelles pour savoir comment se gonfler le cerveau de quelques grammes de connaissance en plus.
Cette nouvelle d’embauche sérieuse tomba à pic pour la jeune femme. Elle venait de couper définitivement les ponts avec Violet.
« Sois heureuse et fais gaffe à toi. »Malgré tout ces années de vagabondage sexuel, Elliot avait développé un vrai sentiment de compassion pour l’étudiante perdue. Cependant, les avances de Violet et son refus d’avoir une relation platonique agaçait Elliot.
Violet était le symbole de la jeunesse hippie qui s’inventait bisexuelle pour le côté hype.
C’était dans cet épilogue qu’Elliot n’obtint jamais son diplôme d’art, à cause de son addiction médicamenteuse qui lui avait pourrit une année de sa vie et l’avait plongé dans une souffrance psychologique sans équivoque. Elle décida de travailler à Guitar&Pen pour retrouver une situation stable, publiait de temps en temps ses tracts dans les fanzines pour alimenter de culture les « petits jeunes » comme elle disait avec un sourire. Avec un tel passé, elle décidait de devenir une jeune femme pimpante, le sourire aux lèvres, qu’on se questionne sur la légitimité de sa joie, qu’on se demande si ça lui arrivait de tirer la gueule de temps en temps.
Elliot devint un soleil multicolore, et quand elle ouvrit la porte de son appartement à Los Angeles, ville tant aimée et détestée par la jeune femme, elle hurlait telle une Eugène de Rastignac moderne :
« A NOUS DEUX MAINTENANT ! » Elle allait combattre Los Angeles et les lois de la presse. Elle le savait.
C'est ainsi qu'elle se perdit dans un rire, étendue sur son clic clac déplié.
Rock on, comme on disait.