Les paupières encore lourdes, je nous versai du café. On avait bien besoin de carburant. Il était 6 heures du matin et on était là pour un shift de 12 heures. On était arrivés un peu plus tôt histoire de pouvoir choisir la voiture de patrouille qui était dans le meilleur état et on avait pris une radio chacun, appelant le dispatch pour lui signaler qu'on était là.

Puis on avait commencé, Conrad et moi, à planifier notre petite journée en buvant notre café et en fumant notre clope. Patrouille dans notre secteur, à l'écoute si jamais on nous appelait, visible pour les gens au cas où ils auraient besoin de nous. Pause de midi au Green Goat où la mère de Conrad nous aura préparé quelque chose de bon. Puis patrouille et si tout allait bien, retour unité vers 18 heures... Sinon, il allait qu'on se prévoit deux ou trois heures pour taper les rapports sur la machine à écrire que je haïssais.

Mais le chef, qui déboula dans la salle de briefing, avait d'autre plans pour nous. Après nous avoir salués, il nous mis au parfum.

-Désolé, les petits gars, mais vous allez devoir passer la journée ici avec un certain Jack Farmer.

Ça, ça ne voulait dire qu'une chose : un mandat d'arrêt avait été dressé contre ce mec. Il allait falloir aller le chercher, le ramener ici et puis jouer les babysitter jusqu'à ce que le juge daigne le recevoir pour le fixer sur son sort. Relaxe ou transfert vers la prison d'état en attendant, dans les deux cas, son passage au tribunal.

Je regardai mon gradé et lui demandai.

-On peut savoir ce qu'il a fait, Jack Farmer ?

Mon chef sourit, et me tendis le rapport sur ledit Jack Farmer. Il n'y avait pas grand chose : le corps du procès verbal et l'audition de la victime en annexe et le mandat d'arrêt. Et je reconnu le nom de River Moriarty au moment même où le chef s'exclamait.

-Tenez vous bien, c'est un scoop que même Amon Sørensen n'a pas ! Jack Farmer est l'agresseur de River Moriarty.

Je ricanai et Conrad éclata de rire avant de dire en me tapant sur l'épaule.

-Oh un cinglé ! Cool ! Les cinglés adorent Jordan !

C'était pas tout à fait faux. Les cas sociaux m'adoraient. C'était pas plus mal parce que ça nous évitaient pas mal de rébellions que j'aie le tour avec ces gens-là. Puis ils se tenaient tranquilles. Mais c'était aussi épuisant. Ces gens-là, même si ne sont pas tous foncièrement méchants, vous pompent une énergie incroyable. Reste qu'il faut aussi toujours se méfier.

J'enchaînai.

-Donc on va le chercher, on le ramène ici et puis on le garde en cellule jusqu'à ce qu'il aille chez le juge... Roger, ce sera fait.

J'avais lu l'article concernant l'agression de River Moriarty dans L.A. People qui traînait dans la salle de briefing. Et apparemment, tout reposait sur la déclaration de l'acteur... Mais j'allais en savoir une plus fois dans la voiture. On s'installa dans le véhicule, on ouvrit tout deux notre fenêtre avant d'allumer une clope chacun puis de démarrer. Conrad profita du trajet pour me faire une résumé du rapport.

-Alors, d'après Moriarty, il serait sortit du bar où Jack Farmer travaille et ce dernier l'aurait suivi, agressé, frappé à plusieurs reprise avant de le laisser là. Toujours d'après Moriarty, ce mec ne ferait pas la différence entre le personnage que River joue à la télé et l'acteur qu'il est. Un cinglé quoi...

Je tournai à l'angle de la rue, pénétrant dans le centre de l'Eastside, à la recherche de l'adresse de Farmer. Je connaissait la rue, mais pas les numéro des baraques par cœur. D'après ce qu'on savait pas le patron de Jack, celui-ci devait être chez lui à cette heure-ci. Et probablement en train de dormir. Le meilleur moment pour une arrestation puisqu'il serait encore à moitié dans le gaz et fatigué. C'étaient les gens en forme à qui il était plus compliqué de passer les menottes.

-C'est ici...

Je me stationnai tranquillement... Puis pris le mandat que je pliai et mis dans ma poche latérale. Les gens avaient tendance à devoir voir ce papelard pour croire à ce qu'on leur disait. Avant de pénétrer dans l'immeuble, je demandai deux trois informations à notre dispatch sur ce fameux Jack Farmer. La voix agréable à la radio me répondit assez vite.

-L.A.NORTH124, j'espère que tu es assis, parce que ce gars à une longue liste de faits à son actif.

Je portai la radio à ma bouche et répondit en souriant alors que Conrad, lui, était déjà à moitié écroulé.

-Vas-y envoie. On veut juste savoir un peu à qui on a affaire avant d'entrer là-dedans.

Et elle d'enchaîner.

-Alors... M. Farmer est bien connu de nos services et ce pour plusieurs fait de trouble de l'ordre public, vol simple, coups et blessures, harcèlement. Ces faits ont été commis entre 1972 et 1977. Depuis, plus rien... Aucune arme enregistrée à son nom. Pas de chien non plus. Over.

Et ben...

-Roger L.A.NORTH. Un beau palmarès quoi... On va aller le chercher. Over.

Ce à quoi elle répondit :

-Roger, soyez prudents.

On entra dans le bâtiment en sonnant d'abord chez la concierge qui vint nous ouvrir et nous situa l'appartement de Farmer. Une fois là, on lui demanda de rentrer chez elle et que rien de grave n'allait se passer, qu'on devait juste parler à M. Farmer.

Je martelai sur la porte de l'appartement et regardai ma montre. Il était 6:30.

-JACK FARMER, POLICE...

Je n'avais pas vraiment crié, juste parlé assez fort pour qu'il m'entende de derrière sa porte. C'était pas la peine de gueuler et de réveiller tout le monde puis d'avoir un tas de curieux dans les couloir. La concierge qui regardait la scène depuis le bas de l'escalier alors qu'on lui avait dit de rentrer chez elle me suffisait. Et puis, c'était pas la peine d'effrayer plus que nécessaire notre target... Surtout s'il était cinglé comme le pensait clairement mon binôme.

Je n'étais pas encore couché, étant rentré de mon service vers minuit et reprenant à 14 heures. J'avais zonné un peu dans Los Angeles à la recherche de quelque chose à faire avant de me résigner et de rentrer chez moi picoler quelques bières. La lumière du petit jour passait timidement par les fenêtres sales de mon appartement et j'étais affalé dans mon fauteuil, une bière vide sur l'acoudoir que j'avais finie depuis plusieurs heures, les autres cadavres étant un peu partout sur le sol. Je redescendais un peu, somnolant , mon rat Anus trifouillant mon oreille, debout sur ses deux pattes arrières sur mon épaule.

Je n'avais même pas entendu parler de l'article dans L.A People, m'en foutant complètement des potins de ce genre. Et puis je ne savais pas du tout qui était ce fou qui m'avait été envoyé par Nathan, je l'avais presque oublié, pour moi ses menaces étaient en l'air. Il n'avait pas grand chose contre moi de toutes manières.

Les coups sur la porte me firent sursauter alors que je commençais à m'endormir, regardant autour de moi en marmonant des paroles incompréhensibles, mon rat prenant peur et s'en allant du fauteuil. Je grognais, me pinçant l'arrête du nez et me levant mollement. La police ? Putain Jack, qu'est-ce que t'a encore fait ? J'essayais de me rappeler tout en traînant les pieds jusqu'à la porte, me frottant les yeux sous lesquels des cernes s'étaient installées. Ca devait être une erreur ou une histoire de tise, ou de tapage nocturne, je n'en savais rien.

A mi-chemin de la porte, je m'arrêtais, me réveillant un peu plus et me retournant à demi vers mon rat qui gambadait tranquillement sur la moquette pourrie. Je l'avais laissé sortir toute la nuit comme d'habitude, mais je n'avais pas envie qu'il se barre une fois la porte ouverte. J'y tenais, à cette petite bête, moi! Je braîllais en direction de la porte .


- J'arrive, un instant!


Je trottinait vers Anus en me penchant vers le sol, les mains rasant la moquette, l'appellant en faisant claquer ma langue. L'attrapant rapidement, je le gratouillais derrière l'oreille en le regardant avec un air complètement gaga, un sourire débile au visage, puis je le remettais dans la cage, la fermant.

Passant une main dans mes cheveux déjà bien décoiffés, je retournais alors vers la porte en reniflant , tirant sur mon t shirt gris sale et me grattant la fesse à travers mon jean troué. J'ouvrais la porte en te toisant d'un air déconcerté, pinçant mes lèvres, plissant les yeux et fronçant le nez.


- Ouaip', j'peux vous aider ?


M'appuyant contre le battant de la porte, je sortais un paquet de clope de ma poche et en coinçait une rapidement entre mes lèvres, l'allumant avec mon vieux briquet après plusieurs tentatives. Je tirais une latte et expirais la fumée , te regardant de nouveau de mes petit yeux fatigués.


- J'ai fait quoi encore ?

Un bon point pour le fameux Jack : il avait répondu directement. Ça voulais soit dire qu'il ne dormais pas, soit qu'il avait le sommeil léger. Mais peu importait, ce qui était vraiment important, c'était qu'il était là et qu'on allait pas devoir chercher après au quatre coins de l'Eastside. Par contre, je gardai ma tête pas trop loin de la porte en vérifiant bien que celle-ci s'ouvrait vers l'intérieur et non vers l'extérieur. Toujours vérifier ça avant de mettre sa tronche tout près. Parce que si le concepteur de l'immeuble était une bite, et que les porte s'ouvraient vers l'extérieur, ben elle risquait de rester imprimée sur mon visage. Pas que j'y tenais tant que ça, mais ça faisait mal.

J'écoutais pour essayer de capter le moindre bruit suspect style qu'il essaye de se tailler par la fenêtre... Y avait peu de chance vu l'étage auquel on était, mais y avait des gars qui étaient plus enclin à se suicider qu'à nous suivre parfois.

Mais non, j'entendais pas grand chose et ce mec prenait le temps. J'aimais pas ça. Même s'il avait pas d'arme enregistrée à son nom, ça voulait rien dire. Y avait statistiquement plus d'armes illégales que déclarées, dans l'Eastside...  

Je croisai le regard de mon binôme qui m'interrogeait. Je lui dis silencieusement :

-Trente secondes.

S'il avait pas ouvert dans 30 secondes, je défonçais la porte et sans sommation. J'étais flic, peut-être, mais j'avais été militaire avant et surtout, je comptais pas me faire buter par un petit con aujourd'hui.

Mais Farmer fini par ouvrir la porte avant la fin de mon décompte. Il s'alluma une clope et s'appuya dans l'encadrement de la porte et en demandant ce qu'il avait fait « encore »... Ouais, ça, je le sais que t'en es pas à ton coup d'essais, mon pote.

-A toi de nous le dire. J'ai un mandat d'arrêt contre toi pour agression.

Je souriais pas, me foutait pas vraiment de sa gueule vu que c'était lui qui avait posé la question et gardait un ton neutre. Ça servait strictement à rien de provoquer. Conrad et moi, on était pas là pour le juger, ça, c'était le problème du juge. Nous, on était là pour un transfert, une grade et un nouveau transfert, fin de l'histoire. Qui avait fait quoi, j'en avais un peu rien à foutre. Mon objectif, c'était que cette interpellation se passe bien et sans blessés.

-Tournes-toi, main dans le dos, mon collègue va te menotter.

Pendant que Conrad s'exécutait, faisant un pas en avant pendant que j'en faisais un en arrière en gardant un œil sur le gaillard qui était grand, mais qui avait pas grand chose sur les os, j'ajoutai.

-On va te conduire au commissariat, tu pourras y être retenu maximum 12 heures avant de passer devant un juge. Tu poses pas de problème en attendant, on t'en posera pas non plus. C'est clair ? Pour le reste, tu t'arrangeras avec le juge.

Toujours sur le même ton pas agressif bien qu'autoritaire. Fallait dire que c'était loin d'être la première fois qu'on faisait ça et on agissait toujours pareil. Et on était peut-être l'équipe qui subissait le moins de rébellion.

On lui avait laissé sa clope en bouche. On était fumeur aussi et on était vachement tolérants là dessus. On aurait envoyé à Farmer une équipe de petits jeune tous frais sortis de l'école et complètement excités, la situation aurait déjà dégénéré. J'étais prêt à parier.

Je tirais une nouvelle latte sur ma cigarette, expirant la fumée en t'écoutant et plissant légèrement mes yeux fatigués avant d'hausser les sourcils, me rappelant vaguement. Ouais, agression, ça devait être l'autre mariole envoyé par Nathan dont il s'agissait. Il avait eu "les couilles" de me faire arrêter. Ca m'amusait plutôt , vu qu'il n'avait rien d'autre que sa parole contre la mienne. Et si jamais il sortait des conneries, vu qu'il ne me connaissait pas vraiment, je pouvais facilement prouver mon innocence. J'espèrais pour lui qu'il avait seulement dit que je m'étais jeté sur lui près de l'Eglise, bourré.


- Ah! Ah ouais. Ben comme ça j'vais enfin pouvoir savoir comment il s'appelle.

Je levais les yeux au ciel et me retournais en gardant ma clope entre mes lèvres, tendant mes bras vers l'arrière pour me faire menotter. J'avais fait une connerie, j'assumais complètement. Surtout que bon j'étais curieux de savoir qui il était et ce pourquoi j'étais arrêté, ce qu'il avait inventé. Je souriais légèrement en coin, gloussant discrètement. Ouais, ça allait être marrant, on allait voir s'il était con ou pas.

Te laissant parler, je ne disais rien. Si ça te faisait plaisir de me déballer ce que je savais déjà. J'hochais la tête avant de regarder par dessus mon épaule, fronçant les sourcils. 12 heures ? Je réalisais que mon rat allait avoir besoin d'être nourri! Apperçevant la concierge derrière, je lui beuglait.


- Eh! Tu dira à Sniper de nourrir mon rat steuplait, au lieu de tout regarder comme une commère. Si tu l'fait pas j'porte plainte s'il crève, compris ? Merci bien.


Je vous regardais ensuite, tirant une autre latte et soufflant la fumée par mes narines avant de re-parler, mes lèvres se tordant un peu car je devais garder ma clope entre ces dernières.


- On y va, du coup ? Et j'pourrais savoir exactement ce qui a été dit ? J'suis grave curieux, et ça m'étonnerais que ce soit la vraie version.


Je continuais de parler tout en marchant, vous suivant, étant bavard. Je n'avais pas peur, je n'étais pas en colère, j'étais plutôt de bonne humeur et je m'en battais complètement d'aller en garde à vue.


- Non parce que ça risque d'être drôle. Ce mec c'est un vrai drama-queen il met carrément tout en scène c'est genre ridicule moi ça m'dépasse. Donc ça m'étonnerais pas qu'il ai raconté que j'lui ai tapé dessus devant l'Eglise pour utiliser son sang pour faire un rite satanique ou autre. Il a de l'imagination ce p'tit.

Ce mec était plus que coopérant. Il râla même pas une seule fois, n'essaya pas de négocier, ce que faisaient 80% des gens qui se faisaient arrêter généralement. Je dis pas que ça tournait chaque fois à la violence, c'était pas vrai, ni que les gens se mettaient automatiquement à courir, ce n'était pas vrai non plus. Mais un type qui, sans poser de questions, se retournait docilement pour qu'on lui mette les menottes sans non plus nous traiter de tous les noms, c'était quand même rare.

Si il était comme ça avec nous tout le temps, ça allait être facile. Mais je restais sur mes gardes et je voyais bien que Conrad aussi. C'était trop facile et ça n'inspirait pas confiance. Déjà, avec ce que dit notre suspect, on compris direct qu'il avait vraiment agressé Moriarty. Et ce sans savoir qui il était apparemment...

Je fronçai les sourcils. J'avais lu le rapport et y avait un truc qui collait pas. Conrad fit une fouille des vêtements de Farmer, histoire qu'on ne se fasse pas planter dans la bagnole. Il me passa le paquet de clopes de notre suspect et à part ça et des crasses, il avait rien dans les poches.

Je lui montrai ses clopes.

-Je les prends avec. Je t'en pique pas, elle sont à toi. T'inquiète.

J'entrai ensuite dans l'appartement. Typique de la plus grosse population des gens de l'Eastside : pas grand chose de valeur, du bordel, de la crasse, des fenêtres sales, un rat de compagnie, ça, c'était quand même un peu original... J'en vint vite à la conclusion que Farmer vivait tout seul. Je lui demandai de me montrer où se trouvait son portefeuille avec ses papiers dedans parce qu'il allait en avoir besoin. Quand je le trouvai, je ressortis de l'appartement, prenant soin de prendre les clés qui pendaient à la porte et de verrouiller l'appartement avant de poser une main sur l'épaule de Farmer pour le soutenir en descendant les escaliers.

Il était certainement fatigué, il sentait l'alcool et était privé de ses mains, j'avais pas envie qu'il se plante dans l'escalier sinon ça allait être pour ma gueule, les ennuis après.

-On y va... On en parlera dans la voiture, si tu veux. Puis t'auras bien le temps d'y réfléchir en cellule...

On entrepris de descendre et Jack interpella la voyeuse de concierge qui regardait toujours la scène. Farmer lui demanda d'une façon qui balançait entre le poli et l'impoli de demander à « Sniper » de nourrir son rat. Sniper, comme le chanteur de The Army. Putain, qu'est-ce qu'on avait pu écouter ces disques là quand on était au Vietnam... Et même encore maintenant!

Je me retins de poser la question. D'autant que c'était quand même une bête question. Même si The Army n'existait plus, je doutais qu'une star comme Sniper ait fini dans cet immeuble presque insalubre de l'Eastside.

Jack, devant nous, et alors qu'on le tenait toujours légèrement pour ne pas qu'il se plante et aussi au cas où il déciderait que finalement, un petit séjour chez nous ne l'emballait pas tant que ça, se mit à parler sans s'arrêter... A mon avis, on allait pas s'emmerder s'il discutait comme ça tout le temps.

N'empêche, j'écoutais quand même ce qu'il disait tout en ouvrant la portière arrière de la bagnole. Puis, en tirant un peu dessus, le forçant à se concentrer deux secondes sur ce qu'il devait faire plutôt qu'à s'écouter parler, je l'invitai à monter dans la voiture.

-Fait gaffe à ta tête...

Il ne se cogna pas. Je sentais bien qu'il était en imprégnation alcoolique, mais il semblait avoir encore plus ou moins toute sa tête. Y avait que son discours qui collait pas. Mais allez savoir qui ment, dans l'histoire... C'était au juge d'en décider, pas à moi. Je claquai la porte refermant un peu son clapet à Farmer. Puis, je regardai Conrad qui avait un air suppliant. Je soupirai et lui lançai les clés du véhicule...

-Vas-y, conduit...

Et moi, j'allais me taper le moulin à parole à l'arrière. Je m'installai donc à côté de Farmer. Ses paroles me faisaient quand même cogiter. Mais si ce mec était un manipulateur, hein ? Depuis les années que je faisais ce métier, j'étais pas du genre à croire à tout et n'importe quoi.

Je regardai Farmer.

-Bon, on peut pas tout te dire, petit gars, le juge te diras tout tantôt quand t’iras chez lui. Tout ce que je peux te dire pour le moment, c'est que t'as attaqué River Moriarty, un acteur plus ou moins connu.

Je moulinai pour ouvrir la fenêtre de mon côté. Conrad démarra la voiture et alluma les feux bleus, mais laissa le bitonal tranquille, comme il était d'usage pour les transferts.

Je pris une clope et l'allumai avant de continuer.

-Ce qui rend le truc emmerdant pour toi, c'est que comme sa tronche est marquée, Moriarty sais pas travailler. Agression avec coups et blessures ayant entraîné une incapacité de travail, c'est pas mal, sans compter que t'as déjà un palmarès long comme mon bras...

Bref, j'étais en train de lui expliquer qu'il n'y avait pas grand chose qui jouait en sa faveur, dans l'histoire.  

Je le regardai un peu plus insistant... Avant de cracher ma fumée par la fenêtre.

-T'as aucune marque, toi... Ça, c'est pas bon non plus... A moins que t'aie un certificat médical prouvant que t'as ramassé... Tu peux pas changer les charges en coups et blessures réciproques.

La clope de Farmer en arrivant au filtre, je lui retirai de la bouche et jetai le mégot par la fenêtre.

-Alors que Moriarty ait de l'imagination ou pas... Ça changera pas grand chose... Je te préviens direct...

Parce que je préférais aussi qu'il s'emballe maintenant plutôt que sur le juge. C'était un service que je rendais à la fois à Farmer et au magistrat...

J'étais habitué à me faire arrêter, et de plus j'assumais complètement le fait que j'avais fait quelque chose de pas légal. Quand je passerais devant le juge, je ne comptais pas mentir, quoi que l'autre ai pu dire sur ce que j'avais fait. Il avait du se tromper quelque part à vouloir en faire trop, et ça allait le perdre, j'en était sûr. Je le savais ça se sentais, il n'était pas honnête, il se pensait plus malin que tout le monde. Il suffisait que je démonte un de ses dires sur la situation et tout le monde douterais. Si c'était en effet le cas ce serait dommage pour lui car s'il avait été honnête, ne disant simplement pas qu'il m'avait attaqué le premier avec le pied de biche, j'allais morfler.

Je me laissais fouiller, continuant de cloper comme un porc , docile. De toutes façons on allait m'embarquer, donc soit. Faîtes donc. Je n'allais pas finir en prison à vie pour ça, je le savais. Je m'inquiètais plus de rentrer à l'heure pour donner à manger à mon rat qu'autre chose. En plus on me laissais mes clopes, c'était cool. Je te faisais un signe de tête quand tu m'expliquais qu'elles étaient à moi, haussant légèrement les sourcils et souriant.


- Cool, cimer.


Je te regardais faire par dessus mon épaule, levant les yeux au ciel vu que tu perdait ton temps. Mais bon, si ça t'amusait. Je te disais que le porte feuille était posé à côté de la cage du rat, attendant sagement que tu revienne. Je descendais l'escalier d'un pas incertain, encore un peu alcoolisé , mes yeux étant tout petits et partant légèrement en couilles parfois à cause de la fatigue. Pour ne pas tomber en avant, je me penchais légèrement vers l'arrière, jouant un peu des épaules en descendant, ayant vraiment l'air d'un déchet, bien plus que d'habitude.


- Ouais par contre il faudra me raconter vraiment toute l'histoire que j'me marre un peu, ça va être cocasse!


Pour moi Sniper c'était mon voisin de pallier, c'était normal de l'appeler comme ça, je retenais jamais son prénom de toute manières. Je n'avais pas pensé au fait que ça pouvait te faire bizarre , vu qu'il était chanteur et très connu avant. D'ailleurs je n'y pensais pas du tout, point barre, continuant de descendre les escaliers en rasant le mur.


- J'espère quand même que j'vais pas piquer un somme avant de savoir pourquoi je suis arrêté. Enfin, si , je sais, mais à mon avis je me fait pas arrêté que pour ce que j'ai fait. Parce que ouais j'l'ai frappé, mais en fait c'est tout ce que moi, j'ai fait, finalement. C'était une tête à claque , il m'a cassé les couilles, j'avais pas son time j'devais nourrir mon rat alors j'ai péter un câble c'est tout. A mon avis il a du dire un truc du genre j'ai voulu qu'il me montre sa bite il a dit non j'lui ai mis une rasade.


Je ricanais tout seul, tirant une latte sur ma clope et expirant la fumée, toussant un peu. Entrant dans la voiture, je m'installais , ayant l'air d'un gamin qu'on emmène à Disneyland. Ben ouais, c'est pas comme si qu'on m'arrêtais pour avoir vendu de la cocaïne et que j'allais en prison à  vie, j'avais juste tapé un pauvre gars. Enfin, pauvre, c'était un grand mot!

Mes sourcils se levaient sur mon front en accent circonflexes et mes yeux s'ouvraient en grand alors que tu m'annonçait le prénom du gars que j'avais frappé et je m'étranglais avec une latte en riant comme un porc, complètement à côté de mes pompes et ayant un fou rire.


- "Plus ou moins connu" ?! "Acteur" ?! Mais j'le connais même pas ce gars là il a joué dans quoi, un truc genre les mystères de l'amour pour les mamies où il joue le psychopathe qui a tué sa tante pour hériter de sa fortune ou bien ?! C'est pour ça alors que j'suis là ? Ah bah c'était ma chance, ça!  J'm'en bat les couilles qu'il soit acteur, il m'a fait chier j'lui ai refait la face c'est comme ça que ça se passe avec Jack Farmer!


J'haussais les épaules , les coins de ma bouche s'affaissant pour exprimer le fait que, ouais, j'en avais rien à cirer.


- Ouais, j'l'ai frappé. C'est con que ce soit tombé sur un acteur, mais j'vais pas mentir, j'lui ai mis une raclée. Après s'il tient autant à sa petite gueule il avait qu'à pas chercher la merde. J'pouvais pas savoir qu'il était acteur , il a qu'à pas compter sur sa pseudo célébrité pour être épargné!  Et non, j'ai pas de marques. Il a pas voulu me frapper en retour, j'lui ai dit pourtant d'me frapper comme un homme et de porter ses couilles mais sans son pied de biche il faisait plus le mariole. Je sais même pas s'il comptais me frapper de toute manières, mais il a fait de l'intimidation et il jonglais limite avec comme un psychopathe, j'ai vraiment cru que c'était un psychopathe qui allait me tuer. En fait c'est un gamin qui l'a envoyé parce qu'il voulait pas payer sa dette et l'autre a cru que j'allais le butter s'il me rendait pas ma thune alors il a fait... J'sais pas trop quoi...


Je continuais de parler pendant que tu m'enlevais le filtre de la bouche pour le jeter par la fenêtre.


- J'sais même pas ce qu'il comptais faire, il m'a coursé après le boulot avec un pied de biche. Rien que ça c'est chelou surtout si tu t'en sert pas quoi. Et après il a fait le mystérieux il m'a laissé deviner pourquoi il était venu me punir tel un agent de dieu ou je ne sait quoi. Devant l'Eglise en plus! Ahah, ah le con!  Au bout d'un moment comme j'disais, ouais, j'ai pensé à mon rat j'me suis dit ok il me casse les couilles alors j'lui ai dit on règle ça correctement, et j'sais plus pourquoi mais j'me suis grave énervé et j'l'ai frappé et lui il s'est laissé frappé et il m'a dit que j'allais avoir des problèmes avec un sourire de malade mental là et j'lui ai dit d'me frapper en retour qu'on règle ça normalement mais non. Du coup ouais j'vais morfler mais j'm'en bat les couilles j'ai fait ça, c'est tout, j'l'ai frappé, ok. C'est con pour son métier, c'est moi qui ai fait le geste mais putain qu'est-ce qu'il va chercher la merde lui aussi, si sa gueule lui sert de gagne pain ? Hm ? Y'a que les gens avec la gueule de travers comme moi qui peuvent se permettre. Il a fait le guignol ben écoutes , il chiale maintenant ben quand on est beau on se bat pas.


Je te regardais de nouveau avec un petit sourire en coin, ricanant. Je me serais presque frotté les mains si j'avais pu.


- Alors du coup, c'est quoi sa version ? Vend moi du rêve!

Un transfert, c'est un peu comme une boîte de chocolat... On sait jamais sur quoi on va tomber. Et là, je pensais bien qu'on avait gagné le gros lot... Pas au niveau de ce qu'il avait fait. Agression avec coups et blessure, c'était pas vraiment le casse du siècle non plus. Et ce gars allait probablement s'en sortir pas trop mal. On allait pas le mettre 20 ans en taule pour ça. Enfin, je pensais pas. Après, fallait voir l'humeur du juge et la gravité des antécédents de Jack.

Non, on avait gagné le gros lot parce que c'était un putain de moulin à parole ! Il était à peine dans la voiture qu'il se mettait à débiter des mots à une vitesse hallucinante. Et j'en pigeais pas certain en plus. Déjà son « cimer », je l'avais seulement compris une fois assis dans la bagnole, après l'avoir analysé dans tous les sens. Putain... Je sais pas moi... Je parlais pas comme les gens de la haute, mais on m'avait appris à parler quand même un minimum.

Non seulement, il avait l'air de trouver ça marrant, mais ce qui était paradoxale, c'était qu'il s'indignait aussi de la situation. Mais de toute façon, comme j'arrivais pas à tout suivre de son discours, j'avais décroché après les quelques premières phrases...

J'avais été cool, je lui avait donné deux ou trois trucs et expliqué en gros ce qui allait lui arriver. Comme je le faisais avec n'importe qui... Après, il aurait eu plus qu'à rester cool et à faire profil bas... Mais là, s'il était comme ça toute la journée, je pensais bien que je risquais de me retrouver à sa place, et pour les mêmes faits, dès demain...

Alors qu'il était en train de débiter je ne savais trop quoi sur Moriarty, comme quoi il le connaissait pas ou quoi, je tendis le bras pour taper deux fois sur l'épaule de Conrad. Ça, entre nous, ça voulait dire « accélère »... Et Conrad le fit, me lançant un regard déjà exaspéré via le rétroviseur central. J'avais déjà hâte de coller ce mec au trou et d'essayer de ne plus l'entendre.

J'aurais été conciliant s'il avait pas été aussi chiant. Mais là, j'étais déjà sur les nerfs et ça faisait... Cinq minutes qu'on avait démarrer. Putain... Je me frottai les yeux.

-Tu va la fermer, ta gueule?

J'étais pas le genre à m'emballer direct. J'avais un certain self control. Mais lui, il faisait juste du bruit pour faire du bruit. J'écoutais même plus ce qu'il disait.

Je tirai sur ma clope et le regardai dans les yeux.

-Nous, on est juste les gars qui font le transfert, ok. Garde ton énergie pour le juge.

S'il lui parlait comme ça, au juge, que les dires de Moriarty soient vrais ou non, j’espérais à la limite qu'il le ferait morfler quand même. Juste parce qu'il était vraiment exaspérant. Parfois, la limite entre justice et injustice pouvait ne tenir qu'à ça.

Et en plus, il demandait la version de Moriarty. Chose que je ne pouvais pas lui dévoiler. Il aurait tout le temps d'en parler plus tard avec qui de droit.

-Tu verras ça plus tard, c'est pas à nous de te le dire, et tu m'en as pas donné envie. Et fait profil bas, tu veux. Au point où on en est, t'es vraiment pas en position de la ramener.

Je soupirai, essayant de me retenir de l’assommer. J'avais du mal à comprendre comment c'était pas Moriarty qui lui avait mis sa branlée, à cet emmerdeur. On arriva finalement à proximité du commissariat et ses murs me semblaient ourlés d'un halo de délivrance divine. C'est limite si Conrad eu le temps de mettre la voiture à l'arrêt avant que j'en sorte.  

Je soufflai un peu avant de me diriger de l'autre côté du véhicule pour ouvrir la porte à notre détenu temporaire. Conrad mima un étranglement pour bien me faire comprendre que ce mec était insupportable. Merci, j'avais vu.

Mais le problème, c'était que je sentais que c'était le genre de mec qu'il allait falloir occuper pour pas qu'il nous emmerde.

Une fois arrivé à bon port, je lui enlevai les menottes et fermai la grille avant de m'appuyer dessus, le regardant.

-On est à L.A., mon pote. Si tu crois que tout se joue à la loyale, tu te goures. Même si ça a sa part de mérite d'avoir su rester comme ça.

Je le connaissais pas, ce Jack Farmer et c'était peut être un connard fini qui mentait depuis le début. Mais je lui laissait le bénéfice du doute puisque de toute façon, dans moins de 12 heures, il ne serait plus mon putain de problème.