Il serait peut-être temps de se l'avouer. Il faisait noir, tout autour de moi ; le ciel était éclairé par quelques étoiles, les seules qui n'étaient pas étouffées par la pollution lumineuse de Los Angeles.

Il serait peut-être temps de se l'avouer. Le bruit régulier de mes talons sur les pavés humidifiés par une pluie récente, l'odeur de mon propre parfum se mêlant aux fragrances de la nuit.

Oui, il serait peut-être temps de se l'avouer... J'étais perdue. J'étais perdue en pleine nuit, dans un quartier puant la pauvreté. Je me faisais intérieurement la promesse de ne plus jamais, jamais, être distraite en rentrant d'un rendez-vous en terrain inconnu. Voilà que j'étais bien maligne, à traîner à plus de vingt-trois heures dans un des pire quartiers de L.A. Je pinçais les lèvres, qui formèrent une mince ligne de déplaisir. Je serrais mon sac à main Versace contre moi, affermissant ma volonté. J'avais froid, l'humidité m'avait atteinte jusqu'à l'os. J'avais froid, faim, soif, et j'étais perdue. J'apercevais de loin une vieille enseigne de bar, et soupira. Oui, je pense qu'il était temps de se reposer quelque peu. Il était temps de s'asseoir et de boire une bière, fumer une clope, et observer la nuit environnante.

J'avais une boule au ventre, peur de croiser des inconnus. Peur de l'agression nocturne, peur d'être la prochaine victime qui passerait aux infos du JT du lendemain. J'accélérais légèrement le pas, le bar s'approchant, ses lumières rassurantes éclairant quelques peu mon chemin. J'entrais frigorifiée dans le bar, attirant le regard avide de quelques pervers du samedi soir, déjà ivres avant minuit. J'arrangeais la veste de mon tailleur, faisait attention à ma jupe en m'installant au comptoir, me mettant le plus loin possible des piliers de taverne. Je ne sentais plus mes jambes nues - je regrettais de ne pas avoir pris la peine de mettre des collants. J'étais habituée au froid, mais en cette fin d'automne, en tailleur entrain de déambuler depuis plus d'une heure et demi dans la rue... Les rumeurs hivernales avaient battu mon endurance tout droit sortie des pays de l'est.

Je soufflais dans mes mains rougies par le froid. Le serveur était occupé, alors je prenais le temps d'effleurer du regard le vieil endroit vétuste. Les lèvres se pincèrent légèrement : je n'étais pas habituée à ce genre d'endroits. Je n'étais pas attirée par les trous à rats puant la misère humaine, et je ne le serai jamais. Lorsque je vivais encore dans le monde de la nuit, quelques années en arrière, tout était si différent... Les clubs, les boîtes, les bars select. Daya ne m'offrait que le meilleur, et je n'avais jamais eu conscience d'à quel point elle m'avait fait profiter de toutes ces choses privilégiées... Je m'en rendais compte, maintenant, défaite dans ce bar crade.

J'époussetais légèrement le comptoir devant moi, une petite mine dégoûtée sur le visage. Oui, je l'avoue : même lorsque j'habitais chez Franz, j'avais toujours été loin du besoin, loin du désespoir, loin des nuits noires. Je passais une main dans mes cheveux détachés, quelques mèches ondulées me retombant sur le visage, rebelles. J'avais faim, j'avais froid, et je voulais rentrer chez moi.