J'avais l'arcade en sang, et j'avais les fesses vissées sur une chaise, au commissariat. Une fois de plus. J'étais une habituée des lieux certes, mais là ça faisait quand même deux fois en moins d'une semaine.
Comment j'avais fait pour arriver là ? La réponse est simple : J'avais juste piqué une canette de bière dans une supérette. Manque de bol, le vendeur m'avait vue, et à peine j'avais mis un pied dehors qu'il s'est précipité sur moi, me plaquant au sol tel un rugbyman. Pour une canette de bière. D'autant plus que si je fouillais bien dans mes poches, je devais sûrement de quoi avoir la payer. Il aurait suffit de demander poliment...
Alors non seulement j'avais lâché la bière pour pouvoir me rattraper, mais en plus il m'avait explosé la tête contre le montant de la porte. J'étais à moitié sonnée pour réagir et courir, qu'il avait déjà appelé les flics.

Et d'ailleurs, ils m'avaient ramenés poireauter sur une chaise, mais personne ne m'avait donné plus d'indication que ça. J'avais plus trop la notion du temps, mais ça devait bien faire une heure que j'attendais.

L'envie de fumer devenait grandissante. J'attrapais le paquet de clopes dans la poche de mon blouson avant d'hurler à qui voudrait bien m'entendre : « Hé ! Y'a quelqu'un ? »

Seulement l’écho de ma voix répondit. J'entendais toujours personne. Je soupirais bruyamment en continuant de crier « Je peux fumer ? »

Mais pourquoi je demandais la permission ? De toute manière, si personne ne se pointerais d'ici 5 minutes, j'allais allumer ma clope avec ou sans le consentement des forces de l'ordre.

Je sentais une petite perde de sang couler le long de mon œil. La blessure à l'arcade était assez superficielle, et ne me faisait pas mal du tout. Mais je savais que ça pouvait bien jouer en ma faveur. D'un coup de tête contre l'épaule, je dégageais les quelques mèches de cheveux qui se seraient pris dedans..

@ Billy Lighter

Conrad et moi, on s'était levés à 4 heures du matin pour venir prendre notre service à 5 heures. La journée s'était relativement bien passée et on avait pas eu grand chose si ce n'était les emmerdeurs habituels ou des choses relativement simples à régler. On n'était pas des grands chasseurs non plus, fallait dire. Et niveau appels radio, c'était resté assez calme. On avait été sur un feu de poubelle mais sans trouver les gosses qui avaient fait ça, on avait fait quelques remarques à des automobilistes en infraction et finalement, on était rentré pour faire les quelques PV qu'on avait à rédiger. Et, pour moi, c'était la partie la plus chiante de la journée. Je préférais 1000 fois être dehors et faire des patrouilles à pieds ou en véhicule plutôt que de me taper derrière la machine à écrire du commissariat. Surtout en sachant que la plupart de ces PV allaient être classés sans suite. Et du coup, vive le cercle vicieux, parce que pour éviter que ce soit le cas, on se forçait à les torcher vraiment bien, ces PV, pour qu'ils passent... Et ça prenait deux fois plus de temps.

On était pas des répressifs, et les PV qu'on avait pris, même en roulage, c'était vraiment parce qu'on avait pas le choix, parce que les infractions étaient vraiment trop dangereuses ou, aussi, ça arrivait, parce que les conducteurs étaient d'une mauvaise fois incroyable.

Bref, tout ça pour dire qu'on allait faire ça, puis rentrer à la maison. Il était aux environs de 13 heures. On avait 4 heures pour tout bien faire, en ponctuant le tout de cafés et de clopes de temps à autres.

Mais, quand on passa devant le petit local aménagé pour les auditions, j'entendis une voix de femme réclamer de pouvoir fumer. Je regardai Conrad en fronçant les sourcils, mais il avait la même expression interrogatrice que moi. C'était quoi ce bordel ? Je voulus entrer dans le local, mais la porte était verrouillée.

On se pointa donc à la salle de briefing pour essayer de piger ce que c'était que ce bordel. Qu'est-ce qu'une fille faisait enfermée là ? Si on devait enfermer quelqu'un, c'était dans les cellules en bas, mais pas là.

Dans la salle de briefing, deux des petits nouveaux qui venaient d'intégrer la brigade en train de se regarder l'un l'autre à moitié paniqués de savoir ce qu'ils avaient à faire maintenant qu'ils avaient ramené la fille. Ici. Évidemment, on avait à peine passé la porte qu'ils nous sautaient dessus comme si on était leurs sauveurs.

Leurs explications chaotiques s'enchaînèrent très vite. Ils avaient été appelés à la radio parce que le gérant d'un magasin avait choppé une jeune fille en flag de vol à l'étalage. Une cannette de bière. Oh putain... Il était où, le gradé ? Ben il était pas là. Il devait se planquer tranquille quelque part et il ne s'était pas donné la peine de conseiller ou d'aider les petits jeunes. Il aurait suffit que la fille rende la canette et aille voir ailleurs si on y était, fin de l'histoire.

Voilà pourquoi il ne faut jamais mettre deux nouveaux ensemble. Ils arrêteraient quelqu'un parce qu'il a pissé sur le mur d'un bâtiment... Bon, en même temps, on aidait pas. Tout le monde savait ici qu'il était hors de question de nous séparer nous pour nous mettre chacun avec un petit jeune. Selon eux, en plus, la fille était blessée.

-Et vous lui avez proposé un médecin?

Bon... A la façon dont ils se regardèrent, on avait compris... Pas la peine d'aller plus loin. Mais je leur en voulait pas trop. Par contre, je sentais déjà que Conrad allait faire passer un sale quart d'heure au gradé dès qu'il l'aurait entre les mains.

-Bon... Laissez tomber. On va rattraper le coup, mais une fois, pas deux.

Je tendis la mains vers eux et ils me donnèrent la foutue clé du local. Vive la détention arbitraire...

On les laissa là. Tant pis pour les PV, on les ferait après ou demain.

Je déverrouillai la porte prudemment, j'avais pas envie de me prendre un retour de porte parce que la fille à l'intérieur poireautait déjà depuis un bon moment... On entra tous les deux dans la pièce et je refermai la porte derrière nous sans la verrouiller.

C'était une gamine, le genre qui traînait dans la rue à la merci des dealers, violeurs et autres. Et en effet, elle avait l'arcade éclatée. Quelle bande de petits merdeux quand même... je voulais bien qu'ils étaient nouveau, mais à ce point-là, ça relevait quand même du bon sens. Ce que j'espérais pour eux, c'était que c'était pas du à un coup de matraque qui s'était perdu sinon j'allais les frapper avec la mienne.

-Je suis l'inspecteur Keller et lui, c'est l'inspecteur Greenly.

La première chose que je fis, et ce qui avait le don, en générale, de calmer les choses quand on avait une personne trop nerveuse ici, à l'intérieur du commissariat, c'était de leur filer des clopes. Je lançai donc mon paquet sur la table à la disposition de la jeune femme.

-Assieds-toi, tu vas nous expliquer ce que tu fous ici. Tu devrais pas être à l'école à cette heure-ci?

Je m'installai à la table et sorti mon carnet de la poche latérale de mon pantalon ainsi qu'un bic. Je voulais juste expédier ça...

-Première chose. Tu veux être examiné par un médecin ? On a ce qui faut pour t'arranger ça nous-même, mais si tu veux un docteur, on t'en appellera un.

Pas que j'étais gentil, c'était juste un peu une obligation de poser la question...

@ Billy Lighter

Flics. Policiers. Poulets. Gardes-champêtres. Condés. Gardiens de la paix.

Les noms manquaient pas, mais à chaque fois qu'on se retrouvait dans se bureau, on savait jamais comment s'adresser à eux. « Monsieur le policier » ? « Mec », « Monsieur » tout court, peut être ?

J'étais toujours sur ma chaise. J'avais toujours autant envie d'une cigarette, et la perle de sang avait presque atteint le menton, et elle commençait sérieusement à me chatouiller. L'un revers de la manche, je l'essuyais me maudissant intérieurement. C'était le truc le plus chiant du monde à laver.

Le bruit du trousseau de clefs insérés dans la serrure me fit sursauter. ENFIN ! C'était pas trop tôt. Je crois qu'ils avaient pété les scores dans l'attente. Pourtant d'ordinaire, les criminels étaient assez vite expédiés.

Heureusement, je n'eu pas à choisir entre « Monsieur le flic » « Monsieur » tout court ou « Mec ». Les deux garçons s'étaient présentés sans attendre. Inspecteur Keller et Greenly. Très bien.

Je m'abstins de dire le miens, attendant la suite des événements. Je n'avais pas besoin de dire ça maintenant, et eux d'ailleurs, n'avaient peut être même pas besoin de le savoir.

Heureusement, c'était loin d'être la première question qu'il avait en tête. Visiblement soucieux de mon état, il avait balancé un paquet de clope sur la table, visiblement à ma disposition.

Je n'avais encore jamais eu à faire avec ce flic là, et lui ne m'avait bien évidement jamais vue. ça me soulageait dans un sens, mais ça m'angoissant dans un autre. Ce paquet m'est-il vraiment destiné ? D'un oeil méfiant au premier abord je tendis la main vers le paquet, attendant un mouvement de sourcil aprobateur, avant de pleinement le saisir et en tirer une cigarette.

Je ne serais pas venue pour rien, finalement ! Les clopes n'étaient pas spécialement une denrée rare, mais il ne me semble pas avoir déjà refusée une qui m'était destinée.

Pendant que je tirais une boite d'allumettes de ma poche, Keller commença par me poser la plus basique des questions : Ma présence dans leur commissariat.

Sérieux ? « Qu'est ce que je fais là ? » Mais c'est à moi de poser la question de POURQUOI ça fait UNE HEURE que j'attends ici, enfermée dans cette pièce ! J'ai pas tué un de vos collègues quand même !

Mais la suite de la question me surpris tellement, que j'en ris spontanément, éteignant par la même occasion l'allumette que je venais de flamber. A l'école ?! MOI ? J'y étais plus retournée depuis mes 16 ans ! Qu'est ce que j'aurais bien pu y faire, là bas ? L’autorité c'était pas mon truc, et de toute manière ces abrutis sont incapables de te filer des bonnes armes pour ta vie future. Non. Par contre, le nombre de femme qu'a eu le premier président, ça...

Je me repris de mon fou rire, oubliant d'être triste pour m'avoir prise pour une mineure. J'allais peut être répondre aux questions dans l'ordre, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire.

« Non, je n'ai pas besoin d'un médecin, ça va aller. » Dis-je, par ce qu'après tout, je n'avais pas la moindre idée de qui allait payer la consultation, et je n'avais aucune envie que ça soit à mes frais. Un médecin, j'en avais pas vu depuis le foyer, et c'est certainement pas maintenant pour une pauvre arcade ouverte que ça allait changer.

« Merci pour la clope. » Dis-je après avoir craqué ma seconde allumette pour tirer une bouffée dessus. C'était plaisant, et ça faisait du bien, après avoir été enfermée pendant un temps interminable... C'était pas trop mon genre de remercier comme ça, et encore moins un flic.

« Je suis là par ce que j'ai oublié de payer une canette de bière, et le vendeur m'a sauté dessus sans me laisser le temps de la lui rendre. » Bien sûr, arranger les détails à sa sauce... Je ne le faisais même pas forcément exprès, c'était quelque chose qui venait presque naturellement. « Et non, je ne vais plus à l'école depuis un bail... » Dis-je assez floue, sans vraiment filer de détails supplémentaires, un sourire en coin de la bouche. J'avais vraiment la gueule d'une lycéenne ?

@ Billy Lighter

De la tête, je lui avais fait signe qu'elle pouvait prendre une clope dans mon paquet, puis, quand elle l'avait reposé sur la table, j'en avais pris une moi aussi, l'allumant. Quand je lui avais demandé pourquoi elle était là, elle m'avait regardé, surprise, puis s'était mise à rire. Putain, à sa place, j'aurais pas rigolé, je me serais plutôt tenu à carreaux et j'aurais pas fait chier. Mais bon... Fallait pas demander à ceux qui passaient par chez nous d'être respectueux ou intelligents. Quand ils étaient pas juste paumés, ils étaient tout simplement arrogants. Si les premiers pouvaient s'en sortir pas trop mal par moment parce qu'on les ménageait, les deuxièmes finissaient toujours par morfler.

Mais j'avais qu'une gosse en face de moi et je savais très bien qu'elle était là pour des couilles. Je voulais juste voir si sa version des choses était la même que celle de nos deux collègues.

Bon, elle finit quand même par daigner répondre à mes questions. J'avais attendu qu'elle arrête de se marrer pour rien, fumant tranquillement ma clope. Au point où on en était de toute façon... Je savais que la seule chose que j'allais faire au final, c'était la relâcher. Mais comme on tombait toujours sur les mêmes ici, à L.A., autant en savoir déjà un max sur elle, comme ça, y aura des questions qu'on aura pas besoin de poser la prochaine fois.

Elle ne voulait pas de médecin. Je hochai la tête.

-Ok.

Ça m'arrangeait. Si on avait du faire venir le médecin, on aurait du écrire quelque chose et finir par justifier pourquoi la jeune femme avait passé un bon moment enfermée dans un local du commissariat. Maintenant, au moins, j'étais sûr qu'à la fin de cette histoire, rien n'existerait. Ce serait comme si elle n'était jamais venue ici.

Elle me remercia quand même pour la clope. Un bon point pour elle, ce rudiment d'éducation. On allait peut-être pouvoir communiquer et essayer de lui éviter d'avoir à jamais foutre encore les pieds ici.

-De rien.

Conrad me tapa sur l'épaule. Il avait été cherché un trousse de secours dans une armoire du local. Je la pris, le remerciant et le tendis à la fille.

-Tiens. Désinfecte ça quand même, on sait jamais.

Il y avait des sparadraps et du mercurochrome dans la boîte. Rudimentaire mais suffisant pour la blessure de la fille.

J'avais refermé mon carnet puisque j'avais décidé que rien de ce qui se passait maintenant n'existerait.

Elle me raconta ensuite pourquoi elle était là. Mouais... Pour le fait qu'elle allait rendre ce qu'elle avait volé, rien n'était moins sûr, mais bon. C'était qu'une canette, elle serait même partie avec qu'il n'y avait pas mort d'homme.

Elle avait aussi ajouté qu'elle n'allait plus à l'école depuis un bail.

-Bon, Ok. T'es au courant que même la tentative de vol est punissable, gamine... Donc, on pourrait ajouter une petite ligne à ton casier judiciaire, si ça y est pas déjà.

Je marquai une pause, la regardant dans les yeux, me laissant aller en arrière sur le dossier de ma chaise.

-Mais tu sais quoi ? On va être sympa, je te le dis tout de suite. On laisse passer pour cette fois, parce qu'on a pas envie de se casser le cul aujourd'hui. On t'avertit seulement. Mais la prochaine fois que nous ou nos collègues, on te chope, ça ira moins bien. Parce que tu payeras pour les deux fois, c'est clair?

Et cette fois-là, on ferait les choses bien, pas n'importe comment comme les deux petits jeunes. Là dessus, je soufflai une bonne bouffée de fumée.

-T'as une carte d'identité, que je sache direct comment t'appeler la prochaine fois ?

Ce genre de môme ne faisait jamais rien de bien méchant, des petits vols, des dégradations, au pire, ils allaient jusqu'au trouble de l'ordre public. Mais une chose était sûre. Ils recommençaient toujours.

@ Billy Lighter

Le second flic était revenu avec une trousse dans les mains, qu’il me tendit. Je la pris sans rien dire, ouvrant le petit zip. A l’intérieur il y avait des flacons en tout genre et des sparadraps. J’en pris un qui me permettrait de désinfecter tout ça en l’appliquant sur une compresse. Ça picotait fort, et malgré moi j’avais serré les dents.

-Bon, Ok. T'es au courant que même la tentative de vol est punissable, gamine... Donc, on pourrait ajouter une petite ligne à ton casier judiciaire, si ça y est pas déjà.

Bien sûr que j’étais au courant. Et ce mec n’était d’ailleurs pas le premier (flic ou pas) à me le dire. Mais qu’est ce que je fais en attendant ? Je me laisse crever de faim ? Et il pouvait bien y jeter un œil, à mon casier. Y’avait rien d’important. Enfin, à priori. A croire que je suis bien trop sage, comme fille !

Je hochais quand même la tête en signe d’approbation. J’étais légèrement étonnée, car Keller ne notait rien, et son collègue non plus. Ça voulait dire quoi ? Que je pouvais m’en aller ?


-Mais tu sais quoi ? On va être sympa, je te le dis tout de suite. On laisse passer pour cette fois, parce qu'on a pas envie de se casser le cul aujourd'hui. On t'avertit seulement. Mais la prochaine fois que nous ou nos collègues, on te chope, ça ira moins bien. Parce que tu payeras pour les deux fois, c'est clair?

Oh yes. Putain oui ! J’allais enfin pouvoir sortir de là après le temps interminable que j’avais passé à attendre. Je relevais les yeux vers les deux flics en hochant de la tête.

« Oui compris. » J’avais répondu d’une voix grave, et tous mes muscles étaient tendus de manière à me relever pour partir de cet endroit de malheur, mais le fait que Keller s’avachit brusquement sur sa chaise me fit comprendre que l’entretient n’était pas terminé. Je m’affaissais sur moi-même, croisant les bras sur ma poitrine.
Forcément. Forcément qu’ils voulaient ma carte d’identité. Je me retins fortement de ne pas lever les yeux au ciel et de ne pas soupirer. Régulièrement quelqu’un me faisait des faux papiers en échange de quelques services, mais là, la dernière avait pris l’eau. Je fis semblant de fouiller mes poches l’air inquiète, avant de faire signe que « non » avec ma tête aux deux inspecteurs.

« Redman. Lullaby Redman. » Évidement que j’allais donner mon nom. Ça servait à rien autrement, et le flic allait pas me lâcher dans la nature sans savoir qui j’étais. Et je pouvais bien lui filer mon vrai nom, si il me laissait filer je ne risquais pas grand-chose. Même si avec un prénom pareil, on a vite fait de se souvenir de ma personne.

« C’est bon, je peux partir maintenant ? » Dis-je en regardant dans les yeux à tour de rôle l’inspecteur Greenly et Keller. Ils avaient l’air d’être aussi crevés que moi, et ils devaient certainement avoir une tripotée de mômes à la maison qui n’attendent que leur retour. Alors ils pouvaient bien me ficher la paix.

@ Billy Lighter

Pendant qu'on était tous trois en train d'enfumer la pièce et que la petite se soignait, je la regardais faire. Elle désinfecta sa plaie avant de prendre du sparadrap pour rafistoler le tout. Bon, c'était déjà une chose. On avait du bol, dans cette histoire, parce que si elle avait eu quelque chose de plus grave, les deux ado pré-pubères qui nous servaient de collègues auraient été partis pour la gloire.

Alors comme on crevait de bol, autant lui laisser sa chance aussi. Deux chances, même. Je repris la parole pour lui dire qu'on allait être sympa, qu'elle allait pouvoir partir, en gros. Sa deuxième chance, c'était que malgré tout, je la mettais en garde, la menaçant et la prévenant que la prochaine fois, ça ne se passera pas comme ça.

Tout le monde était content, comme ça et elle avait encore le temps de se remettre en question, si c'était possible. Même si je gardais pour moi que sincèrement, j'avais quand même peu d'espoir. Elle me semblait être le genre de gamine paumée qui va finir droguée dans une communauté de SDF ou enfermée dans une institution ou l'autre.

Ben au moins, si ça arrivait, ça aura pas été faute de la prévenir.

Elle ne parlait pas beaucoup, était plutôt du genre coopérante et à faire profil bas. Et j'appréciais ça. S'il y avait bien une chose que je ne supportais pas, c'était les gosses qui jouaient les arrogants en ayant aucune conscience qu'ils jouaient leur avenir à coups de conneries.

Un petit vol comme celui de la fille aujourd'hui était pas un bien grand crime et elle n'avait probablement pas fort le choix.

Je la regardai un moment sans rien dire, essayant de déterminer quel genre de fille elle était...

-T'es pas très causante, hein.

Bon... Soit je lui avais demandé sa carte d'identité et, sans surprise, malgré qu'elle fouillait dans ses vêtements, elle m'annonça qu'elle ne l'avait pas sur elle d'un simple signe de tête.

-Tu m'étonnes...

Pas grave, elle me donna son nom que je griffonnai en vitesse dans mon carnet tout en me frottant les yeux d'une main. Quatre heures du mat, c'est trop tôt. Je préférais de loin faire la nuit...

Je murmurai son nom après l'avoir écrit.

-Lullaby.

C'était original. Je me foutais un peu de l'orthographe pour l'instant, je voulais juste pouvoir l'appeler directement par son nom la prochaine fois qu'on la choperait. Parfois, ça les calmait direct, bien que si c'était une petite voleuse à l'étalage, elle ne m'avait pas l'air bien violente. Mais faut se méfier de l'eau qui dort. Ces petites choses ont souvent une force insoupçonnée.

Je tendis le bras pour récupérer mon paquet de clope, en sortit un clope et lui tendis alors qu'elle demandait si elle pouvait y aller. La clope, c'était pour maintenir son attention encore deux secondes. Je la regardai dans les yeux, retirant la clope quand elle essaya de l'attraper.

-Hep. Pas si vite. Tu vas pouvoir y aller, t'inquiète. T'as quelque part où dormir ? Chez tes parents ou des amis ? On a des adresses de refuges, si t'as besoin.

Dès qu'elle m'aurait répondu, je lui filerais la clope pour la route et la laisserait aller. Moi, j'avais fini journée.

@ Billy Lighter

« Ce regarder en chiens de faïence » était une expression qui n’avait jamais été aussi bien représentée que dans ce cas là. Jordan avait les yeux fixés sur moi en réfléchissant. Et j’avais les yeux fixés sur lui, pour je ne sais quelle raison. Sans doute en espérant l’intimider un peu pour qu’il se dépêche de finir cette entrevue.

J’avais fait semblant de fouiller mes poches sans rien dire, en continuant de le regarder avec un sourcil froncé.

-T'es pas très causante, hein.

Je détournais les yeux sur le carrelage, en haussant les épaules. Merde, c’était pas lui qui avait été intimidé finalement.
Non, pas très causante. En même temps, qu’est ce que j’avais à dire, franchement ? J’avais rien à prouver. Et j’allais pas me jeter sur ses godasses en m’accrochant à ses chevilles en pleurant pour partir de cet endroit. Alors j’attendais en me la fermant.

Moins on l’ouvre moins on a des emmerdes de toute manière.

Après lui avoir donné mon -vrai- nom, j’étais surprise de le voir ouvrir son carnet et griffonner dedans. Merde. Si j’avais su j’aurais encore filé un pseudonyme à la con. Pourquoi avoir pensé pendant un quart de secondes que ce type allait faire comme si rien avait existé ? Je soupirais un peu, légèrement exaspérée contre moi même.

L’inspecteur à ses côtés n’avait pas ouvert la bouche une seule fois, se contentant de regarder la scène en se grillant sa clope. Pourquoi c’était uniquement Keller qui s’occupait de mon cas ? L’autre avait presque l’air plus sympa. Peut être par ce qu’ils étaient crevés aussi.

Le flic se penchât pour ramasser son paquet, avant de m’en tendre une autre. Décidément, c’était rare de ressortir du commissariat avec autant de clopes dans mon paquet qu’au départ. J’étais bien chanceuse. Sans me méfier, j’avançais bêtement ma main avant que Keller le retire aussitôt hors de ma portée. Salaud.

-Hep. Pas si vite. Tu vas pouvoir y aller, t'inquiète. T'as quelque part où dormir ? Chez tes parents ou des amis ? On a des adresses de refuges, si t'as besoin.

Non merci. Je connaissais déjà quelques adresses, évidement pas toutes, mais pas question qu’il y ai quoique ce soit de plus de noté dans ce carnet. Et si je voulais dormir quelque part, j’avais Azalon.

Je secouais la tête en me relevant.

« Nan pas besoin. Merci. » Dis je en lorgnant toujours sur le paquet que m’avais tendu le flic. J’aurais bien refait une seconde tentative, mais hors de question de me ridiculiser deux fois de suite. Je fis craquer ma nuque, attendant les ordres des deux hommes. Après deux heures j’allais bien enfin pouvoir partir.

Je jetais un œil par la fenêtre, la nuit avait presque fini de tomber. Il allait faire super froid, et mon coin pour dormir était à l’autre bout de la ville. Génial…

« Je dors chez un ami. »

Je savais déjà où j’allais filer après cette entrevue.

@ Billy Lighter

J'avais inscrit à la va-vite et en phonétique son nom dans mon carnet. Ça me suffisait pour l'instant. Tout ce que j'avais besoin de savoir, c'était comment l'appeler la prochaine fois qu'on la choperait (ce qui ne voulait pas pour autant dire qu'on l'enfermerait automatiquement). Parfois, il suffisait de les appeler par leur prénom pour les déstabiliser. Mais je préférais encore quand le fait qu'on les reconnaisse les mette un peu en confiance. Pourquoi ? Pas dans le but utopique qu'ils en viennent à nous respecter ou nous apprécier assez que pour arrêter les conneries, mais dans le but qu'il le fassent assez que pour qu'ils restent calmes avec nous.

Pour ce qui est du reste... C'était pas mon problème. J'étais pas là pour sauver le monde ou les gens d'eux-même. J'étais là pour régler un problème et que tout le monde soit content. Même s'il fallait recommencer avec les mêmes conneries toutes les semaines. Une dure leçon pour tout ceux qui avaient cru que porter l'insigne en ferait des héros.

Je l'avais tentée par une clope pour qu'elle réponde à mes dernière questions, lui retirant au dernier moment, ce qui l'obligeait à répondre si elle voulait vraiment cette clope. Mais elle affirma ne pas avoir besoin des adresses des refuges, qu'elle dormait chez un ami. Mouais... Qu'elle se démerde alors. Nous, on avait fait ce qu'il fallait. Tu peux pas aider quelqu'un qui veut pas l'être.

Et puis j'étais un peu impatient de la faire partir d'ici ni vu ni connu, histoire de couvrir les conneries des deux autres. Et aussi pour retourner à la maison et dormir un peu.

Bon... Elle lorgnait sur les clopes et la fenêtre, j'avais compris le message. Je me levai moi aussi et pris trois clopes hors de mon paquet que je tendis à la jeune femme.

-Tiens. Pour la route.

Je me dirigeai vers la porte et l'ouvris. Elle était libre. Je lui fis un petit sourire complice, histoire qu'elle ne prenne pas ma phrase suivante comme un manque de respect, car ça ne l'était pas. Je parlais juste la langue appropriée au style de personne que j'avais devant moi.

-Allez... Tire-toi.

Quand elle passa à côté de moi pour sortir, j'ajoutai juste :

-Et le prochaine fois, paye tes cannettes... Ou te fait pas prendre.

@ Billy Lighter