Lenny Knowles était le seul à m’avoir donné des indices quant à mon avenir. Au sujet de Be Mine !, je n’avais plus eu contact avec Billy Lighter depuis un bail. Et ce que m’avait dit Lenny, c’était qu’il était désolé, se confondant en excuses au téléphone. Parce que The Lightening était parti de chez lui, de chez MTI, fuguant comme des enfants ingrats, courant vers Maria Watson qui leur tendait un plus gros paquet de bonbons fourrés aux promesses.

Ce qui rendait ma participation au clip incertaine, du coup. Parce le contrat que j’avais signé, je l’avais signé avec The Lightening ET MTI, car ce serait bel et bien la maison de disque et non le groupe qui rémunèrerait mes prestations, m’avait expliqué Lenny Knowles. Il me prévenait bien que j’avais tout intérêt à prendre contact soit avec The Lightening, soit avec Maria Watson… Ou que mon agent devait le faire. Le tout pour savoir si, dans l’optique du groupe et de la manager, j’étais toujours leur choix pour le clip.

J’avais hoché de nombreuses fois la tête au téléphone, écoutant attentivement ce que me racontait l’ancien manager de The Lightening qui tenait fortement à ce que, dans l’histoire, je ne me fasse pas avoir.

Il faudrait donc que je rencontre Maria Watson, un de ces quatre.

Outre les recommandations de Lenny Knowles, j’étais resté aussi très à l’écoute de l’actualité musicale et concernant le changement de manager de The Lightening, très peu d’informations filtraient sur le comment du pourquoi.

Et toujours pas de coup de fil de Billy Lighter. Pas non plus de nouvelle sur l’identité de celle qui jouerait avec moi dans le clip. Pas d’informations, rien pour baser d’éventuels fantasmes en mettant Be Mine ! à fond dans ma chambre. J’essayais bel et bien d’imaginer Bailey… Mais Bailey était trop soumise, trop docile… Trop prudente.

Immobile dans un coin sombre du Stryge Bar, un verre de coca à la main, je regardais la foule se déhancher, les couples se dévorer la tronche avidement, les junkies errer à l’aveuglette… A ma droite, la représentation d’un démon, à ma gauche, celle d’un vampire. Des fresques impressionnantes et belles que la musique résolument mystique et lourde diffusée dans ce club, peuplé de gens au milieu desquels je paraissais atrocement normal, sublimait d’une horrible façon.

Je ne savais pas ce que j’attendais, mais je savais que quand je trouverais, je me mettrais en mouvement, fondant sur ma proie comme le prédateur que j’étais.

Alors, quand je vis la touffe de cheveux reconnaissable entre mille de Cash Izbel, mon dos se décolla du mur et un large sourire se dessina sur mon visage que même la semi-obscurité ambiante ne pouvait empêcher de luire tellement ma peau était blanche.

Je slalomai ensuite à travers la foule, sans toucher personne, silencieux et invisible, jusqu’à arriver à hauteur de celui qu’on appelait parfois le Shaman. Ni contact physique, ni contact visuel. Juste deux gars accrochés au bar, regardant dans le même vide.

-Qui es la fille de Be Mine !, Cash ?…

@ Billy Lighter

Qui est la fille de Be Mine !, Cash ?

Une voix ni grave, ni chaude, ni aiguë, ni agréable, ni désagréable… Une voix venue du fin fond de l’enfer de la télévision. Je savais que si je me retournais vers cette voix pourtant si intrigante, j’allais me perdre dans un océan immense et glacé.

J’allais me perdre dans un piège que j’avais moi-même contribué à tendre en désignant River Moriarty comme étant l’incarnation du sadisme et de la violence de Be Mine !.

Parce que ce qui se produisait maintenant n’était pas censé se produire. Si nous avions réussi à nous aligner pour créer, Billy et moi, jamais cette scène n’aurait dû avoir lieu dans le seul endroit de L.A. qui représentait l’une des portes de l’Enfer.

Jamais.

La seule qui aurait dû se retrouver un jour face à River Moriarty, c’était la fille de Be Mine !.

Et maintenant que nous avions appâté le monstre, ce dernier venait réclamer son dû qui se faisait attendre.

Je portai mon verre de Jack Daniel’s à mes lèvres, y cherchant un peu de chaleur alors que l’air me semblait soudain beaucoup plus froid. Mais sans succès.

Moriarty, lui, attendait.

Je sifflai :

-Je ne sais pas…

Puis, je me tournai finalement vers le vautour qui attendait que je lui jette la charogne promise.

-Apolline Mclagan, Gaïana Dugopoliac, Savannah Osborne, L.A….. Maria Watson.

Tant de femmes que j’idéalisais et redoutais. J’idéalisais Gaïana et L.A. Je redoutais Apolline Mclagan, Savannah Osborne et Maria Watson.

Je n’avais encore jamais rencontré cette dernière.

Elle était le choix de Billy.

Comme Apolline Mclagan.

Baissant les yeux, je me retrouvais contraint d’avouer au monstre.

-Je ne sais plus.

@ Billy Lighter

Mon verre de coca en main, mon regard se tourna finalement vers Cash. Celui que beaucoup désignaient comme le Shaman. J’avais signé avec MTI il y avait un bail de ça pour le projet de leur clip et c’était ici, totalement par hasard, que je rencontrais le guitariste aux yeux noirs perdus dans le vide pour la première fois.

Quant à la réponse à ma question… Je m’étais attendu à beaucoup de choses, mais pas à ça. Pas à ce qu’il me sorte autant de noms… Pas à ce qu’il me cite L.A.

Tout ça pour finir en disant qu’il ne savait plus qui était la fille de Be Mine !

Je terminai mon verre de coca, cherchant le regard du Shaman, mais impossible, il continuait de regarder le vide…

C’était de notoriété publique que The Lightening n’était pas le groupe le plus synchrone de l’histoire du rock. Mais à ce point-là…

-Maria Watson est votre manager, Cash… Pas une actrice…

Je me délectais de voir le guitariste perdu, piégé…

Cela dit, il m’avait donné une liste de proie comme s’il m’avait tendu le menu du jour.

Apolline Mclagan, Gaïana Dugopoliac, Savannah Osborne, L.A….. Maria Watson.

Mon expression se fit pensive alors que j’évaluais chacune d’elles. Et je ne me gênai pas pour le faire tout haut, suffisamment haut pour être entendu de Cash Izbel.

-Mclagan…

Je ricanai… La guitariste de The Burning Fire… Pourquoi pas ?

-Tatouée, un fort caractère pour ce que j’en sais… La mâter demandera la violence que vous souhaitez…

Je regardais à chaque fois la réaction du guitariste qui ne me regardait toujours pas…

-Gaïana Dugopoliac ? La jeune top modèle ? Tatouée elle aussi… Elle a quelque chose de spécial, hu ?

Mon sourire mauvais s’élargit en le regardant.

-C’est la tienne… C’est elle que tu veux…

Je marquai une pause, lisant entre les lignes du silence du musicien.

-Mais Billy veut Savannah… Savannah ressemble à Mclagan ?

Je penchai la tête sur le côté…

-On ne peut pas frapper L.A., Cash… Même moi, je ne m’y risquerais pas. On ne peut pas la frapper, pas plus que tu ne peux réduire L.A. dans du 4/3…

Je passai ma langue sur mes lèvres, je me régalais de la confusion du guitariste que je ne faisais qu’enfoncer.

-Et Maria Watson ? Pourquoi tu parles de Maria Watson ? Elle ne jouera pas dans le clip…

@ Billy Lighter

Le Vautour tournait autour de moi, réclamant son dû et je n’avais rien à lui offrir. Parce que nous ne savions pas. Parce que nous étions incapables de choisir parmi toutes les prétendantes au sacrifice. Alors je les lui avais toutes citées. Puisque nous ne pouvions pas choisir nous-même, laissons au Monstre le loisir de prendre celle qui lui plairait le plus.

Il évalua mes offrandes avec un appétit certain alors que je le sentais tourner et tourner encore dans le ciel du Désert. Je frottai mes yeux parce que les flashes du Désert, lumineux, chaud, le soleil obscurcit seulement par le vol du Charognard, alternaient avec l’obscurité mystique du Stryge.

Apolline plaisait au Vautour, Gaïana aussi… Cependant, il avait peur de L.A., comme tous ceux qui pouvaient la sentir en tant que telle… Puis il fut sceptique quant à Maria Watson et Savannah…

Gaïana ou Apolline, donc… Pour contenter le Vautour.

Et j’étais de moins en moins sûr de vouloir lui livrer mon amante.

Je regardai à nouveau le Charognard dans les yeux, lui qui se demandait pourquoi je parlais de Maria Watson.

-Je ne connais pas Maria Watson.

Je ne l’avais jamais vue, je ne lui avais jamais parlé. Elle aussi était le choix de Billy, comme Apolline.

Je soutins le regard de glace de Moriarty quelques secondes seulement. Il était froid, contrairement à la chaleur de mon Désert… Aussi froid et pâle que les cadavres dont j’étais persuadé qu’il se délectait.

Je ne pouvais le rencontrer qu’ici, au Stryge Bar, repère de démons et autres créatures effrayantes issues de totems surnaturels.

Avant de commencer à geler, j’eus le temps de lui demander :

-Tu veux Mclagan ?

Tant qu’à sacrifier quelqu’un… Mieux valait Mclagan que Gaïana. Je ne voulais pas infliger ça à ma Déesse.

@ Billy Lighter

C’était la première fois que je parlais avec le guitariste de The Lightening. Jusque-là, je n’avais eu contact qu’avec Lenny Knowles et Billy Lighter… Puis plus rien, pendant des mois, jusqu’à ce coup de fil du manager sortant. Puis, cette rencontre, ce soir, avec celui qu’on appelait parfois le Shaman…

The Lightening avait pour réputation, en dehors de leurs frasques et de leur tendance à l’autodestruction, d’être un groupe lent. Je commençais à comprendre pourquoi en voyant le regard semi-absent du guitariste. Je carburais peut-être au coca, mais c’était pas son cas.

On avait passé en revue tous leurs choix pour ce qui était de la fille de Be Mine !… Certains étaient carrément plus crédibles que d’autres parce que je ne voyais pas vraiment comment on pourrait mettre L.A. en boîte…

Quant à Maria Watson, elle était manager, pas actrice… Ni même artiste tout court…

Je dus toucher une corde sensible en parlant de Watson, ce qui me procura d’agréables frissons sans que je ne puisse me l’expliquer et mon regard brilla d’un éclat sadique. Elle était la manager de The Lightening et Cash prétendait ne pas la connaître…

-Il y a de l’eau dans le gaz chez The Lightening, on dirait…

La guitariste me posa alors clairement une question, les yeux dans les yeux. Il avait des yeux noirs, bien caché derrière ses boucles de cheveux, d’habitude. Et je fus instantanément captivé, à force d’essayer de délimiter où se trouvaient ses pupilles dans toutes ces ténèbres. Je réalisais que nous étions deux opposés, lui métis moi pâle comme un cadavre, ses yeux noirs, mes yeux bleus clairs… La Ying-Yang, le bien et le mal…

Sauf que les apparences étaient probablement trompeuse et que le plus clair de nous deux n’était pas forcément le meilleur…

J’étais celui qui avait maintenu un môme au-dessus du vide à ma délecter des pleurs de sa mère.

Quant à la question de Cash Izbel, elle ne laissait pas place à l’interprétation…

C’était à moi de choisir qui serait la fille de Be Mine !

Mais le guitariste avait peut-être vu en moi et ce ne fut pas sa préférée qu’il me livra sur un plateau. Et avant que le regard du guitariste commence à vaciller, mon sourire s’étira et je lui répondis.

-Donnez-moi du sang et de la chair fraîche… Peu importe le nom estampillé dessus.

Je terminai mon coca d’une traite et déposai mon verre sur le comptoir…

Puis, je disparus dans la foule étrange du Stryge illuminée par l’inquiétante lumière rouge des néons.  

@ Billy Lighter

Je ne me sentais pas bien… Comme Frodon dans ce livre de Tolkien que j’avais trouvé dans les livres de mes parents et que j’avais dévoré… Comme Frodon lorsque Sauron tournait son regard vers lui, attiré par le pouvoir de l’anneau.

Et si les yeux du vautour n’étaient pas de feu, mais bien de glace, ce n’en était que plus effrayant encore.

L.A. était peuplées de créatures fantastiques aussi sûrement que les histoires de la Terre Du Milieu. River Moriarty était l’une d’elles, l’une des plus dangereuse, et il suffisait d’un regard pour le remarquer si on avait l’œil forgé pour le repérer.

River sentait l’odeur du sang à des kilomètres, mais celle de la discorde l’attirait tout aussi sûrement, comme me le prouva l’éclat de son regard quand il comprit que comme Apolline Mclagan, Maria Watson n’était pas mon choix, mais le choix de Billy.

Alors je lui avais demandé. Je lui avais même littéralement livré l’une des favorites de Billy sur un plateau.

Le chanteur était sûr qu’Apolline était faite pour le clip.

Restait à voir si elle allait y survivre.

Je retins mon souffle alors que ma question resta en suspens pendant ce qui me sembla être une éternité… Alors que je me sentais geler sous le regard givrant et givré de l’acteur que nous avions, Billy et moi, élu unanimement pour être le visage de la violence désinhibée de Be Mine!

Il n’y avait aucun doute, sur ce choix-là.

La Vautour se targua d’un long et hideux sourire qui dévoila ses dents irrégulières et ses canines trop longues pour être véritablement celles d’un humain du monde de Billy.

Moi seul savait cependant qu’il était bel et bien un monstre né de l’un des mondes qui se trouvait de l’autre côté d’un fleuve de poudre immaculée… S’il n’était pas issu de la poudre elle-même.

Je frissonnai… Et il accepta.

Peu importait pour lui.

Mais le temps était venu de le nourrir.

Il fallait que je voie Billy… Il fallait aussi que je rencontre finalement Maria Watson.

@ Billy Lighter