27 Octobre 1982Mercredi – le jour préféré de Theodore James Goldstein et cela depuis des années. Il ne parvenait pas à se souvenir de la raison de cette inclination pour ce jour particulier de la semaine mais James ne se sentait pas d’humeur à se poser des questions superflues, de toute manière. Pour la première fois depuis qu’il était revenu de son séjour impromptu (et fatiguant) au Vietnam, il se sentait de bonne humeur ; et il avait décidé, lorsqu’il s’était levé, de prendre un vrai jour de repos pour continuer à entretenir sa bonne humeur. Et, surtout, d’arrêter enfin de penser comme un paparazzi.
Enfin, c’est ce qu’il s’était décidé à faire après être passé avant au L.A People, au cas où, par habitude. Il n’y travaillait pas officiellement ; mais c’était là que se trouvaient les meilleures opportunités pour lui – quitte à y perdre une partie de son âme. James ne parvenait toujours pas à oublier « l’incident de Julian Hughes », comme il l’appelait désormais, qui s’était pourtant déroulé une semaine plus tôt … mais, ce jour-là, il avait décidé de ne plus s’y soucier et de profiter de la journée pour faire ce qu’il aimait vraiment. Flâner un peu sous le soleil californien, photographier enfin autre chose que des célébrités et, surtout, le plus important pour lui, se détendre. Enfin.
Dans les couloirs du L.A People, James avait croisé la journaliste Evelyn Fallen, une collègue d’Amon Sorensen bien plus agréable physiquement que celui-ci ; et surtout de son âge à un ou deux ans près. Discuter quelques instants avec elle rappelait au jeune photographe qu’il n’avait lui-même que vingt-et-un et qu’il devait en profiter. Evelyn avait dû penser plus ou moins la même chose puisqu’elle lui avait proposé, ce jour-là, de se retrouver un peu en-dehors du L.A People dans l’après-midi – quelque chose de moins formel. James avait accepté avec enthousiasme. Les deux jeunes gens se parlaient de temps à autre, lorsqu’ils se voyaient au L.A People, mais n’avaient jamais réellement pris le temps de se connaître. Ce rendez-vous amical était une occasion pour se rapprocher un peu plus.
James était arrivé un peu avant l’heure, comme il avait pour habitude de le faire. T.J aimait certain d’être à son avantage et de faire bonne impression – surtout lorsque c’était une jeune femme qu’il rencontrait, même s’il ne s’attendait nullement à ce que quelque chose d’autre qu’un bon moment entre amis se passe avec Evelyn ; le jeune photographe n’était pas particulièrement amateur de rousses, de toute façon. Depuis son amour perdu du collège, il était naturellement plus attiré par les blondes, de préférence petites avec les yeux verts ; malheureusement, on en trouvait peu à L.A.
T.J marchait lentement dans le parc sans prendre vraiment garde à là où ses pas le menaient, occupé à observer tout ce qui attirait son œil d’artiste ; quelques oiseaux passant au loin, le léger frémissement du vent sur les feuilles des quelques arbres qui se paraient de couleurs d’automnes, des anonymes qui longeaient le petit lac du parc en riant, chantant. Il y avait là beaucoup de choses dignes d’être photographiées, songeait James en s’arrêtant quelques instants sur un banc afin de vérifier les pellicules de son reflex. C’était généralement avec cet appareil qu’il prenait des photos en extérieur ; pour les intérieurs, les portraits et ce qui était techniquement plus simple à photographier, son instantané lui suffisait – et lui coûtait moins cher, ce qui n’était pas à négliger.
Le jeune homme s’étendit de tout son long sur le banc et poussa un soupir satisfait. Il pouvait se détendre, enfin ; mis à part son rendez-vous avec Evelyn Fallen, on ne l’attendait nulle part et il n’avait rien d’urgent à faire, pour une fois. James regarda à nouveau autour de lui et plissa des yeux malgré lui ; le soleil était toujours bien présent malgré l’automne … mais comme il le disait parfois, il n’y avait réellement que deux saisons à Los Angeles – une chaude et une très chaude. Avec un nouveau soupir, il enfila ses nouvelles lunettes de soleil (les autres, il les avait cassées pendant sa rencontre avec Julian Hughes) et se décida à se lever. Evelyn n’était pas encore là.
Il fit quelques pas pour se pencher au-dessus du petit lac où quelques canards nageaient avec entrain comme à leur habitude. Eh bien … il n’avait pas trop mauvaise allure, constata-t-il avec plaisir en regardant son reflet sur l’eau claire ; le jeune homme avait encore son éternelle barbe de trois jours faussement négligée mais il avait aussi décidé de laisser ses cheveux pousser comme ils l’entendaient. La chevelure du jeune photographe avait tendance à friser mais il y remédiait comme il le pouvait, d’habitude – ce jour-là, il avait décidé de les laisser respirer, et ce n’était pas si mal.
James releva les yeux et vit une jeune femme courir vers lui avec un sourire ; il paniqua une seconde, croyant qu’on le méprenait pour quelqu’un d’autre, avant de réaliser qu’il s’agissait d’Evelyn, légèrement différente. Vraisemblablement, elle avait troqué le roux naturel de ses cheveux pour un blond du plus bel effet et T. James se sentit encore un peu mieux – on aurait dit que la jeune femme avait changé son style capillaire pour lui et, même si ce n’était sans doute pas le cas, le photographe appréciait ce changement. De plus, cela allait vraiment bien à la jeune femme, qui s’approcha de lui :
- Alors ? Tout roule ? demanda-t-elle en faisant une tape dans le dos au jeune photographe.
Celui-ci, avec un sourire, répondit :
- Plutôt ! Pour une fois. Désignant l’environnement autour de lui en faisant un rapide tour sur lui-même, il rajouta :
- Il fait beau, c’est inspirant, et je me sens en pleine forme. Je crois que tout roule, oui !James passa machinalement une main dans ses cheveux ébouriffés et posa son autre main sur l’épaule gauche de la jeune fille, geste qu’il espéra ne pas trop être amical pour elle. Puis il lui demanda d’un ton assuré, avec un sourire sincère :
- Et toi, comment tu vas ? Le blond te va bien au fait ! Tout à fait mon genre.Cette dernière phrase était une petite tentative de flirt que James avait sorti tout naturellement. Il était de bonne humeur, pour une fois, et il tenait à ce que sa charmante interlocutrice soit dans le même état d’esprit que lui – pour être certain de passer un excellent après-midi en sa compagnie.