Il y avait quelque chose de pas normal du tout dans ce coup de fil que Timmy venait de me passer. Et comme je n’étais pas présent au loft quand le manager avait téléphoné, je n’avais eu son message qu’en enclenchant le répondeur. D’habitude, je faisais ça en écoutant la machine, dont le son était réglé sur le maximum, tout en me débarrassant de ma veste, de mes clés et autres avant de retirer mes chaussures pour enfiler ma paire de baskets que je gardais uniquement pour marcher à l’intérieur de ma demeure.

Mais quand j’avais entendu la voix de Timmy, je m’étais arrêté net et m’étais laissé tomber dans le fauteuil à côté du téléphone à écouter la bande magnétique qui défilait.

Le coup de fil en lui-même était bizarre : Timmy connaissait mes horaires par cœur et s’il avait vraiment voulu m’avoir au bout du fil, il aurait sonné direct à mon bureau chez L.A.People. Ce n’était pas comme si j’avais manqué son appel uniquement parce que j’étais sorti à l’improviste… retrouver Sonne, par exemple.

Même le ton du manager semblait complètement paumé… triste, même… je n’avais jamais vu Timmy triste et l’entendre faisait encore plus bizarre.

Autre truc anormal : le message en lui-même. Un truc du style : « Bonjour Amon… C’était juste pour un coup de fil de courtoisie, savoir comment tu allais… Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus… «

Quelques formules de politesses, puis il avait raccroché.

Il ne m’en fallut pas plus pour remonter directement dans ma Mustang et filer jusque chez l’Anglais.

Parce que Timmy ne téléphone jamais uniquement par courtoisie… Et son « ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus » sonnait comme un « il faut que je te vois ».

Timmy avait toujours représenté pour moi l’incarnation du contrôle. J’étais sûr qu’il était le genre de gars que mon père aurait apprécié. Il était intelligent, calculateur, tournait sa langue dans sa bouche avant de parler et savait se défendre autrement qu’avec ses poings.

Pas pour rien qu’il était aujourd’hui manager de The Burning Fire et d’un groupe on ne peut plus prometteur comme BleedingHeart… Même si ces derniers n’étaient pas rentables pour le journaliste people que j’étais…

Alors autant dire que sentir dans sa voix que quelque chose n’allait pas n’était pas pour me rassurer.

J’entrai dans le bel immeuble qu’habitait mon ami et pris l’ascenseur jusqu’à l’étage qu’il occupait. Il était quelque chose comme 19 :00 et je fus surpris que la porte de l’appartement de Timmy soit grande ouverte sur le couloir dans lequel s’amoncelait diverses caisses.

Les mains dans les poches, je m’approchai doucement, regardant les caisses… Ça me rappelait quelque chose de pas si vieux que ça : le départ de Sélène. Elle était d’ailleurs jamais venue chercher le reste de ses affaires, au final.

Je frappai timidement sur la porte qui était grande ouverte, jetant du même coup un œil à l’intérieur. J’entendais du bruit venant d’une autre pièce.

-Timmy ? T’es là ? C’est Amon…

Je pénétrai dans l’appartement, suivant le bruit d’objets que l’on déplace.

@ Billy Lighter

C’est toujours quand on pense que rien ne peut venir détruire votre petit bonheur qu’un malheur arrive. C’est cela qui m’est arrivé il y a quelques jours au travers d’un coup de téléphone venu d’Angleterre qui était destiné à mon Eileen. J’avais vu, ce soir-là, la tristesse dans son regard qui n’était point une tristesse jouée. Il y avait eu un décès dans sa famille. Une personne qui lui était chère.

Cependant, ce qui n’aurait pu être qu’un deuil pénible avait pris une tournure plus que triste pour notre couple. Mon Eileen, en mal de son pays et, surtout, de sa sœur restée en Angleterre avait envie d’y retourner pour passer du temps avec elle et l’aider à se remettre de ce décès. L’idée lui était venue le soir du coup de fil. Je lui avais dit de réfléchir. Il ne fallait point prendre des décisions radicales sur le coup de l’émotion.

Le lendemain, l’idée ne lui était pas passée. L’envie de passer du temps avec sa sœur et les derniers membres de sa famille était trop grande. Je comprenais ma petite amie mais cela me rendait triste. Car je ne pourrais point la suivre. Je ne pourrais pas passer plusieurs mois sur le vieux continent. J’avais ma carrière ici. Ceci a provoqué une longue discussion entre nous qui avait conduit à notre rupture. Nous nous rassurions en qualifiant ceci de « break » mais nous nous rendions bien compte que nous allions vivre de nombreux mois séparés l’un de l’autre.

Bien que cela soit une rupture à l’amiable, je n’en étais pas moins ébranlé. Ceci a pris une allure bien trop concrète quand Eileen a commencé à remplir ses cartons de ses affaires personnels. Je ne l’avais que très peu aidé me terrant dans mon mutisme. Nous vivions le bonheur absolu mais la vie a décidé que notre histoire devait subir un violent tournant.

C’est ainsi que j’en étais venu à ressentir le besoin de voir et parler à mon seul véritable ami : Amon. Cependant, je n’avais point le courage de lui parler de mes émois au téléphone et je savais qu’il saurait que quelque chose ne va pas rien qu’en entendant ma voix. Nous étions amis depuis de nombreuses années et nous nous connaissions par cœur. C’est ainsi que j’avais laissé un message sur son répondeur qui demandait, sous le texte, à voir mon ami. Je l’avais fait en l’absence d’Eileen qui s’était éclipsée pour finaliser les derniers préparatifs de son départ.

Dans l’attente d’une réponse d’Amon, je m’étais servi un thé mais cela n’avait point tant de saveur. Il s’agissait, pourtant, d’un très bon thé à la menthe. Peut-être devrais-je me servir quelque chose de plus fort. Cela aiderait, peut-être, à faire passer mon amertume.

Un léger courant d’air traversait mon appartement car je n’avais point fermé la porte d’entrée. Je devais, encore, emporter quelques cartons dans le couloir. Eileen allait prendre un vol de nuit, son départ n’ayant point trainé. Cependant, je n’en avais point le courage, pour l’instant, de déplacer les derniers cartons.

Je n’avais point entendu frapper à la porte. Je m’étais attelé, après avoir abandonné mon thé, à déplacer certains cadres appartenant à Eileen qu’elle avait oublié de déplacer dans un carton. Ce n’est que quand la voix d’Amon s’était élevée dans l’autre pièce que je l’avais entendu. J’avais abandonné les cadres au milieu du bazar provoqué par le déménagement d’Eileen pour rejoindre mon ami qui était dans le living.

-Je suis là, Amon.

Mon ami était bien là. Etant donné l’heure, il n’avait point dû attendre avant de venir me voir. Je reconnaissais bien là Amon.

Je n’étais point en tenue pour le recevoir. J’avais un jeans et une chemise entièrement ouverte. Ce n’était point dans mon habitude mais je n’étais point d’humeur à bien m’habiller.

-Tu as eu mon message comme je le constate.

Ma tristesse et mon amertume était visible pour un homme qui me connaissait comme Amon. Cela étant, les cartons devait l’aiguiller quant à la nature de cette tristesse. C’est pour cela que j’avais décidé de ne rien lui cacher.

-Tu arrives en plein déménagement. Eileen repart pour l’Angleterre. Il y a eu un décès dans sa famille… Elle veut retourner auprès de sa petite sœur.

Je ne pouvais point ravaler mes soupires quant à la situation actuelle. Je m’étais laissé tomber sur une chaise invitant Amon à s’installer en face.

@ Billy Lighter

J’avais bien compris que le chaos apparent dans l’appartement de Timmy devait avoir quelque chose à voir avec son message de détresse sur mon répondeur. J’étais peut-être le seul à pouvoir interpréter comme ça les quelques mots laissés sur la bande magnétique par mon ami, mais c’était pourtant bel et bien ce que c’était… Un message de détresse pétri de flegme britannique.

Et j’avais raison. Si j’avais eu encore un doute quant à l’état dans lequel était le manager anglais, celui-ci s’envola quand je le vis apparaître, sortant d’une autre pièce.

Même à la plus débauchée de toutes les fêtes estudiantines auxquelles on avait participé durant nos études, je n’avais jamais vu Timmy suffisamment bourré que pour avoir une tenue aussi négligée que celle qu’il avait aujourd’hui ! Et il n’avait même pas l’air bourré ! Juste triste à en mourir…

Autant dire que je restai bouche bée une seconde en le voyant avant de pouvoir réagir.

-Bon sang, Timmy, qu’est-ce qui t’arrive ?

C’était une vraie question, pas une remarque teintée d’humour. Une vraie question trahissant une vraie inquiétude.

Conformément à son habitude, Timmy n’y alla pas par quatre chemins et c’était probablement pour ça qu’on était amis, tous les deux. Tu as quelque chose à dire ? Dis-le. Si non, tais-toi et fais pas chier.

J’entrai un peu plus avant dans l’appartement pour m’approcher de mon ami qui était en train de m’exposer le nœud du problème. Et comme je l’avais déjà bien deviné, c’était un problème lié à Eileen qui, disons-le platement, venait de le planter là.

Bon, ça n’avait jamais été le grand amour entre la petite-amie de Timmy et moi. Elle me considérait comme la majorité de Los Angeles me considérait et je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça. Mais ce n’était pas non plus pour autant que je devais l’apprécier sans condition…

Timmy s’installa sur une chaise et je fis de même, penché vers lui, encaissant les informations.

-Mais, Timmy…

Je désignai les cartons autour de nous.

-Ça ressemble fort à un départ définitif, tout ça…

J’avais du mal à comprendre le lien entre : « il y a un décès dans ma famille » et « Je te quitte »…

Mais est-il encore réellement nécessaire de se triturer le cerveau à vouloir essayer de comprendre une femme ? Sincèrement ? J’avais essayé avec Sélène, depuis, j’avais laissé tomber.

D’où l’intérêt de n’être qu’un amant, finalement. Laissons les réflexions à Axel, Amon… Certes, j’avais une forme d’affection pour Sonne, quelque chose de tout à fait particulier que je me voyais mal réserver à une autre qu’elle. Mais ce n’était pas de l’amour.

Je secouai la tête.

-Je suis désolé, je sais combien tu aimes Eileen.

Et son geste à elle me semblait, du coup, bien égoïste. A se demander si elle en valait vraiment le coup.

-J’imagine que c’est hors de question de lui faire changer d’avis. T’as déjà dû penser à tous les plans possibles…

@ Billy Lighter

Je n’étais point présentable en ce jour bien triste. Ceci n’avait point échappé à mon meilleur ami. Je n’aurais pu le duper si ça avait été mon intention. C’est pour ça que je n’avais même pas essayé de le faire. Je comptais lui dire la vérité et c’est avec celle-ci que j’avais répondu à ses inquiétudes. Je n’avais point l’habitude de tourner autour du pot avant d’arriver aux faits surtout en face d’Amon. Nous n’étions point comme ça.

C’est ainsi qu’en essayant de garder mon pragmatisme, j’avais annoncé à Amon le départ d’Eileen pour l’Angleterre et les raisons de celui-ci. Les conséquences de ce départ avaient provoqué notre rupture ou, plus exactement, notre break. Ceci étant dit, Amon trouvait que tout ceci ressemblait plus à un départ définitif. Mon regard s’était aventurer sur les quelques cartons qui n’avaient pas encore quitté mon appartement. C’est vrai que ceci pouvait sembler brutal et définitif bien que je voulais garder l’espoir que cela soit réellement un break et qu’Eileen, une fois son deuil fait et sa famille retrouvée, reprenne raison et revienne ici.

-Je le sais. Cependant, je veux garder l’espoir que ça soit un break. J’espère qu’après quelques jours passés en Angleterre, elle se décide à revenir ici.

C’était les espoirs puérils d’un homme amoureux. Cependant, je les assumais.

Amon était désolé de tout ceci et je l’avais remercié d’un hochement de tête. Ce n’était point ma première rupture mais celle-ci me faisait mal autant que la trahison que j’avais subie étant adolescent.

J’avais vécu sur un petit nuage avec Eileen m’étant adouci à son contact. Désormais, tout allait changer et ceci du jour au lendemain.

Amon essayait de savoir si j’avais envisagé tous les plans possibles et s’il était encore possible de ramener Eileen à la raison. Nous avions fait le tour de la question elle et moi et nous arrivions tous les deux à la même conclusion. J’aurais pu la suivre en Angleterre et reprendre, facilement, une carrière de manager là-bas mais je n’en avais point envie. A croire que je n’aimais pas assez Eileen que pour renoncer à mes ambitions et qu’elle ne m’aimait pas assez que pour supporter le mal du pays.

-Oui. Nous avons beaucoup discuté et nous sommes arrivés à la conclusion que c’est mieux ainsi. Je ne pouvais la suivre là-bas. Je ne m’épanouirais pas professionnellement en Angleterre. Je ne pouvais pas renoncer à ma carrière ici par amour pour elle. Tout comme elle ne pouvait pas abandonner sa sœur par amour pour moi. Dans ces conditions, la rupture ou le break était inévitable.

J’avais soupiré. Je me tenais sur ma chaise comme un homme abattu ou fatigué. S’en était désolant.

-Veux-tu une bière ? J’en ai quelques fraiches dans le frigo.

J’avais l’habitude de proposer à boire avant d’entamer la conversation mais, aujourd’hui, mes priorités avaient changées.

@ Billy Lighter

Timmy était, malheureusement pour lui, vraiment atteint. Il espérait que le départ de la jeune Eileen ne soit effectivement qu’un break malgré les apparences… Il espérait que la photographe retrouve la raison et je ne pus m’empêcher d’avoir une expression quelque peu dubitative devant les espoirs de mon meilleur ami. Il allait se faire du mal à espérer comme ça. De mon point de vue, mieux valait abandonner tout espoir comme ça, si Eileen « retrouvait la raison », en considérant que les femmes en général agissaient avec raison, il n’en serait que plus heureux si un jour elle revenait.

Ouais… Mes propres expériences dernièrement m’avaient laissé un peu sceptique quant au mode de fonctionnement de la gente féminine, fallait l’avouer. Que ce soit dans le positif comme avec Sonne ou dans le négatif comme avec Sélène. Ni l’un, ni l’autre n’avait de sens, au final.

J’étais désolé que Timmy ait à vivre une expérience pareille et je préférais de loin la façon dont s’était déroulée ma rupture avec Sélène : abruptement et sans équivoque.

Je jaugeai mon ami, à savoir s’il avait tout essayé pour retenir sa petite-amie. Il affirma que c’était le cas en élaborant les conclusions qui avaient mené à leur choix.

Mouais… Pardonnez mon pragmatisme, mais derrière tout ça, en dessous de tous ces beaux sentiments de deuil, de soutien à la famille et autres, ce que j’entendais moi c’était : Eileen en avait marre, point barre. Mais je n’étais pas objectif, puisqu’entre elle et moi, ça n’avait jamais été vraiment le grand amour.

Et puis j’y voyais surtout l’occasion de récupérer un Timmy encore plus acerbe et calculateur qu’avant. Tout comme Sélène, en me poussant à bout, avait contribué à me rendre encore un peu moins enclin à céder à mes sentiments et à avoir une bonne opinion des gens en général, à penser qu’ils ne sont pas tous mauvais.

En bref, toutes les améliorations que j’avais vues en moi dernièrement, tout le « bon » que j’avais en moi et qui commençait à montrer le bout de son nez à nouveau, était de nouveau mort et enterré.

Enfin, c’était presque ce que j’espérais.

Je regardai Timmy :

-T’as bien fait… Vous avez bien fait, en fait. Tu sais ce que je pense ? Que ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un qu’on doit tout lui donner. J’en sais quelque chose.

C’était, pour moi, hors de question de tout céder par amour. Parce qu’en plus, les femmes ou en tout cas Sélène, n’étaient pas sur un caprice. Et c’était probablement là que ça avait merdé dans mon couple. Je n’étais pas prêt à tout donner. Et je ne le serais jamais.

Avec Sonne, nous étions arrivé à un équilibre qui me convenait : on ne se donnait rien d’autre que ce que nous voulions bien nous donner l’un à l’autre. Et on s’en contentait.

Timmy me proposa une bière et je hochai la tête en souriant, essayant de détendre l’atmosphère.

-Je me demandais quand tu allais me la proposer…

Je me levai avec Timmy pour le suivre jusqu’à la cuisine où je m’appuyai, les bras croisés, dans l’encadrement de la porte.

-Fait pas cette tête d’enterrement, Timmy. Tu ne vas pas t’emmerder dans les mois qui viennent, de toute façon… Et si ça tombe, si ça n’avait pas été ce deuil, ça aurait été la tournée qui aurait eu raison de ton couple.

@ Billy Lighter

Bien que cette rupture me fasse affreusement mal, j’en parlais à Amon avec tout mon pragmatisme. Seul l’espoir que j’avais trahissait mes élans encore clairs d’amour que j’avais, encore, envers Eileen. Il m’était difficile d’assimiler cette séparation, pour le moment. Cela viendra avec les jours.

Je devais rester lucide et me rendre à l’évidence que nous ne nous aimions pas encore assez, Eileen et moi, que pour tout plaquer l’un pour l’autre. Si cela avait été le cas Eileen n’aurait pas soumis l’idée de retourner en Angleterre et, dans mon cas, j’aurais décidé de la suivre si je l’avais aimé d’un amour sans borne. Cependant, nous n’étions pas prêt à faire ce genre de sacrifices l’un pour l’autre. Elle ne voulait point sacrifier sa famille et je ne voulais point sacrifier ma carrière. L’amour ne rendait aveugle que jusqu’à un certain point.

Amon allait dans mon sens. D’après lui, nous avions bien fait. Son idée de l’amour reflétait son éternelle méfiance. Nous ne devions pas tout céder à l’être aimé d’après lui.

-C’est pour cela qu’on a inventé les compromis.

Un couple qui tient ne tient que parce que les deux parties font des compromis. Une partie ne doit pas se spoiler pour l’autre. Ce n’est pas ainsi que ça marche. Ce n’est qu’avec de discussions, des disputes et des remises en question que l’on avance. Point autrement. Nous avions discuté hier avec Eileen et c’est ainsi que nous avons compris qu’il était mieux que nous nous séparions un temps. Notre relation avait été saine et notre façon de se séparer l’était tout autant. C’est pour cela que j’avais encore espoir qu’elle revienne.

J’étais libéré d’un poids grâce à ma confidence, ce qui m’avait permis de reprendre une activité normal en proposant à boire à Amon. Nous avions migré jusqu’à la cuisine pour cela.

Je cherchais ce qu’il nous fallait dans le frigo. Amon avait déployé ses arguments pour me réconforter. Il ne s’y prenait pas de la meilleure des façons mais cela n’avait aucune importance. Je savais que je ne devais point me morfondre et que la tournée sera un très bon moyen d’aller de l’avant.

Je lui avais tendu une bière.

-Je ne sais pas si mon couple aurait été détruit par cette tournée. Le travail de photographe d’Eileen l’aurait contraint à me suivre. Bien que de toute façon, tout ceci n’a plus d’importance.

Je ne voulais point spéculer sur ce qui aurait pu se passer ou ne pas se passer. Cela ne servait à rien.

J’avais ouvert ma bière que j’avais commencé à boire. Je me sentais redevenir celui que j’étais il y a deux ans. Cela me procurait un sentiment de liberté bien que la tristesse soit toujours présente. Le côté obscure qui sommeillait en moi grâce à l’amour se réveillait progressivement.

-Qu’en est-il de toi Amon ? Comment va Sélène ? Votre couple se porte-t-il mieux que le mien ou bien c’est déjà terminé ?

Sélène n’était pas accroché à son bras en ce jour et il ne m’avait jamais invité à la rencontrer. Il ne me faisait rencontrer que les gens en qui il avait confiance et à qui notre amitié pouvait être confiée. Mon intelligence et ma connaissance d’Amon me signifiait que cet amour n’avait été qu’une passe. L’inverse m’aurait étonné.

@ Billy Lighter

Selon moi, on ne devait pas tout céder à quelqu’un par amour et je ne me gênai pas pour faire part de mon point de vue à mon ami. Je pensais que remplacer le vide qu’Eileen avait laissé en lui par autre chose était la solution. Et je ne voyais rien d’autre pour faire le job que de bonnes vieilles extrêmes.

Timmy, lui, parlait de compromis et je fis la moue.

-Mouais… J’ai un peu du mal avec le concept.

En affaire, ça pouvait être utile… Avec des partenaires financiers ou commerciaux. J’avais observé mon père faire des compromis quand j’étais enfant et adolescent, sans réellement comprendre ce qu’il faisait, pour dire vrai. Ça ne m’avait jamais intéressé et j’étais nul en math, pour ne rien arranger. Mais si ça avait l’air de fonctionner pour le business, cette histoire de compromis, j’avais bien remarqué que quand il s’agit d’en faire avec une personne avec qui on vit tous les jours, c’est impossible.

J’avais essayé, avec Sélène. Mais quand je lui donnais un peu, elle faisait un vrai travail de sape pour obtenir plus, petit à petit, grappiller petit à petit… Me donnant du même coup la désagréable impression que si à un moment donné, je n’explosais pas pour lui faire se prendre un mur en pleine poire, elle allait me dévorer entièrement.

Je suivis Timmy jusqu’à la cuisine où il me tendit une bière, fraîchement sortie du frigo, après l’avoir ouverte. Le regardant faire, les bras croisés et appuyé dans l’encadrement de la porte, j’affirmai que la rupture entre lui et Eileen n’avait finalement été qu’un peu avancée par ce deuil et que la tournée aurait quand même eu raison de leur couple, au final. Pas que j’en sache vraiment quelque chose, pas que je connaisse assez le fonctionnement de leur couple pour pouvoir l’affirmer, ce n’était pas ça. C’était juste que toutes les excuses étaient bonnes pour prouver à Timmy qu’il n’aurait pas pu éviter ce qui venait de se passer entre eux. Qu’il n’y était pour rien, en gros.

Mais Timmy s’accrochait, répliquant que le travail de photographe d’Eileen l’aurait quand même amenée à le suivre en tournée. Mais que de toute façon, les scénarios alternatifs avaient peu d’importance, vu que le résultat était le même. Je pris une gorgée de ma bière.

-Amen à ça, comme dirait Howard.

Je le sentais triste alors que moi, je me sentais soulagé. Peut-être et même probablement parce que dans son couple avec Eileen, tant que ça tournait bien, mon ami réussissait là où moi, j’échouais inévitablement. Et que les voir ensemble me mettait justement le nez dans mon caca.

Je sentis tout de même mon ami un peu plus détendu d’avoir vidé son sac. Et du coup, il détourna la conversation sur moi. Je le regardai une seconde un peu pris de court. Pas tellement par la question, mais par la façon dont elle était formulée. Puis, ma première surprise passée, j’eus un sourire en coin les yeux rivés sur ceux de mon ami que je commençais enfin à reconnaître, lui qui m’avait semblé tellement ramolli par sa relation avec la jeune Eileen.

-Juste retour des choses, j’imagine, mon ami.

Bien joué, quoi. Très bien joué.

Il avait gagné une réponse à ses questions et je parlai tout en me décollant de l’encadrement de la porte de la cuisine pour marcher dans la pièce, ma bouteille de bière en main.

-Moi, je vais bien. Je n’ai aucune idée de comment va Sélène.

Je haussai les épaules, mais je souriais toujours. Ma rupture avec Sélène ne m’avait jamais fait mal. Bien au contraire, ça avait été un soulagement. D’autant plus que vu comme ça s’était terminé, je n’avais même pas dû passer par une conversation avec elle.

-Notre couple ne s’est jamais porté mieux que le tien. Et ouais, c’est déjà terminé.

Je pris une gorgée de bière avant d’ajouter.

-C’est pas parce qu’on s’entend bien avec quelqu’un qu’on peut forcément vivre en couple. Alors j’ai trouvé la parade.

J’en avais déjà parlé à Howard. Mais c’était exactement le genre de sale coup fourré dont il fallait que je parle à Timmy.

@ Billy Lighter

Amon n’avait pas foi en l’amour. Il ne voyait que les obstacles qu’il y avait devant un couple au lieu de voir les bons moments. Il n’avait point changé depuis nos années à l’Université. Il était méfiant et désabusé pourtant, il n’avait point eu de ruptures similaires à celle que je venais de vivre avec Eileen aujourd’hui.

La méfiance dont il faisait preuve commençait à m’envahir. J’avais déjà ressenti ça pendant mon adolescence. A parti de là, je m’étais réfugié dans mes études, puis dans mon travail. Eileen avait réussi à briser la coque qu’il y avait autour de mon cœur et, aujourd’hui, elle s’était refermée à nouveau.

La quête d’Amon pour me dire que ça se serait terminé de cette manière tôt ou tard était inutile. Ceci l’avait amené à utiliser une réflexion de Stone. Ce dernier avait plus de chance en amour que moi. Il était officiel, maintenant, qu’il entretenait une relation avec Apolline. Ceci ne m’embêtait pas. Il s’agissait de leur vie pas de la mienne. Tant que tout ceci n’entravait pas le bon fonctionnement de The Burning Fire, il pouvait vivre leur idylle.

Raconter cette rupture à Amon avait un effet revigorant. Je devais aller de l’avant et, sans l’amour, redevenir aussi impitoyable qu’avant. Ceci se ferait très facilement et j’en avais donné la preuve à Amon en évoquant Sélène qui, de mon avis, devait déjà être de l’histoire ancienne. Je connaissais bien trop Amon que pour penser qu’il puisse rester plus de deux mois avec la même femme dans sa vie. Il n’était point comme ça.

Ma formulation pouvait semblée mesquine et c’était bien cet effet que je voulais donner. Amon y voyait un juste retour des choses.

-C’est exact.

La bière était fraiche et me permettait de me détendre encore plus. Amon ne savait pas comment allait Sélène ce qui était un signe qu’ils ne se voyaient plus. C’était déjà terminé.

-Cela n’a guère duré.

Je n’avais point connu Sélène, donc, tout ceci me faisait bien sourire. Amon ne semblait point troublé par cette rupture contrairement à moi qui avait été secoué par la mienne.

Amon avait avancé un fait plus que véridique. S’entendre avec quelqu’un ne voulait point dire que cette personne était celle avec qui il fallait partager sa vie.

-Certes… Une amitié peut être brisée par une relation amoureuse. Parfois, il vaut mieux en rester à nos habitudes et ne pas changer la nature d’une relation. Etre en couple cela change tout. C’est une vie différente.

Je l’avais vécu pendant deux années. Vivre avec quelqu’un était une belle expérience mais cela demandait, aussi, des ajustements constants. Amon n’était point capable de cela. Il en était conscient.

Cependant, mon ami avait trouvé la parade à tout ceci. J’étais curieux de savoir de quoi il s’agissait.

-De quelle parade parles-tu ? Serait-ce celle de renoncer à jamais à vivre en couple ?

Cela sera la mienne si Eileen ne désirait point revenir à Los Angeles.

@ Billy Lighter

Ma bouteille de bière en main, je m’efforçais de démontrer à Timmy que l’amour était de trop, dans la vie de n’importe qui. C’était plus un poids qu’autre chose, et un poids inutile, qui plus était. Je l’avais senti, très lourd sur mes épaules, durant toute ma relation avec Sélène à partir du moment où elle s’était installée au loft.

Mais plutôt que de penser que c’était avec Sélène, avec le caractère de la jeune femme peut-être incompatible avec le mien, que j’avais un problème, je préférais généraliser la chose.

Et comme plus je parlais, plus Timmy semblait reprendre du poil de la bête, j’étais encouragé dans ma façon de penser et était conforté dans le fait que j’avais raison.

Quand Timmy demanda ce qu’il en était de mon propre couple, je n’y allai pas par quatre chemins non plus, lui annonçant que Sélène et moi, c’était terminé. Timmy ne put que se rendre à l’évidence, tout comme moi, que ce n’était pas parce qu’on s’entendait bien avec quelqu’un qu’on était fait pour vivre en couple avec ce quelqu’un.

Et c’était probablement mon seul regret vis-à-vis de Sélène. Si je n’avais jamais franchi le pas, si je n’avais pas commencé à sortir avec elle, on serait toujours amis, sans aucun doute. On se verrait toujours à la salle de sport une ou deux fois par semaine, point. On aurait dû en rester là.

-Y a rien de plus vrai, mon ami…

Mais avec mon histoire de parade, j’avais piqué la curiosité de mon ami et c’était bien le but. J’avais déjà parlé de Sonne à Howard, qui, contre toute attente, avait été un peu choqué. Et je ne pouvais même pas parler d’hypocrisie de la part du batteur de The Burning Fire parce que  de ce que j’en savais, le playboy n’avait jamais trompé ses petites-amies, il les enchaînait juste.

Le contraire n’avait pas été vrai, par contre, cfr. Watson et Ricci.

Je rigolai et secouai la tête quand Timmy me demanda si j’avais à jamais renoncer à vivre en couple. Mais si je faisais non de la tête, un peu inconsciemment, allez savoir pourquoi, je dis exactement le contraire.

-Ouais, si on veut…

Je pris une gorgée de bière avant d’annoncer.

-Tu te rappelles du mariage d’Axel Moriarty... ? Le journaliste de Guitar&Pen ?

Mon sourire s’élargit, amusé et un peu carnassier sur les bords alors que pourtant, mon but n’avait jamais été de faire du mal à Moriarty… Mais de faire du bien à Sonne… Encore une fois, je cachais mes bonnes intentions sous le masque de mesquinerie.

-Son épouse était la meilleure amie de Sélène… « Était »… Parce que Sélène nous a surpris au lit ensemble… Ça a mené à ma rupture avec Sélène, qui était de toute façon inévitable.

Je passai ma langue sur les lèvres sans cesser de sourire.

-Je suis l’amant de Sonne… Régulier… Comme dans ces romans à l’ancienne, tu sais ? Ça me donne tous les avantages, sans les inconvénients. Pareil pour elle.

@ Billy Lighter

Nous en étions au même point Amon et moi. Nous étions, à nouveau, tous les deux célibataires comme au début de cette décennie. Ceci semblait plus me toucher moi que lui et cela pouvait s’expliquer par le fait qu’Amon n’était resté que très peu de mois avec Sélène alors que moi, avec Eileen, cela faisait plusieurs années.

Amon ne s’était point étendu sur les causes de sa rupture. Sélène était son amie avant d’être sa petite amie. Ceci pouvait expliquer cela. Parfois, il ne fallait pas changer la nature même de la relation car cela pouvait la détruire. Nous étions d’accord sur ce point.

Amon n’était plus en couple mais avait trouvé une parade à tout ceci. J’étais intrigué par la solution que mon meilleur ami pouvait avoir trouvé en alternative d’un couple classique bien que la première idée qui me venait en tête était qu’Amon avait renoncé à vivre une histoire d’amour, pour de bon cette fois. Ceci ne m’étonnerait point de mon meilleur ami qui n’était pas friand de toutes ces choses « frivoles ».

Cependant, bien qu’il ait répondu par la positive à ma supposition, son signe de la tête était terriblement plus révélateur. Amon n’avait point renoncé à l’amour mais ce n’était point ceci sa parade. Cela avait été facile, pour moi, d’en venir à cette conclusion. J’étais très observateur et je connaissais Amon.

Amon avait fait un prélude à son explication. Il avait parlé du mariage d’Axel Moriarty où nous avions été invités tous les deux. Lui au travers de Sélène, et moi, parce qu’Eileen était amie avec la femme de Moriarty, Sonne.

-Bien sûr.

Le visage d’Amon était plus jovial à l’évocation de cette réception et, surtout, de sa parade qui n’était autre qu’une aventure avec la femme de Moriarty. Ceci avait éveillé mon étonnement mais aussi un sourire semblable à celui d’Amon. L’ancien moi venait de refaire surface et savoir Moriarty cocu avait quelque chose de délectable. Il s’efforçait de rabaisser The Burning Fire par des remarques assassines dans son magazine et savoir que sa vie privée était chaotique me semblait être un juste retour des choses.

-Tu es l’amant de la femme de Moriarty. C’est très intéressant tout cela.

Je ne trouvais point ceci choquant. Les histoires d’amants étaient courantes depuis la nuit des temps et Amon n’était point le genre d’homme à avoir du scrupule à ce niveau. C’était l’affaire de Sonne et son choix à elle de tromper son mari. Amon avait le bon rôle dans l’histoire. Je ne pouvais que sourire à cette situation.

-C’est une parade tout à fait efficace. Moriarty mérite ce qu’il lui arrive. Il se plait à rabaisser tout ce qui n’est pas de BSC et cela ne m’étonne guère quand on voit la liste des invités qui participaient à son mariage.

Cela s’était passé à la villa Ricci et Jimmy Reed était présent. J’avais même ouïe dire que le patron de BSC avait été le témoin de Moriarty. De chez MTI, il n’y avait que moi et cela parce qu’Eileen était invitée en tant qu’amie de Sonne et moi par la même occasion.

-Nous voici donc revenus tous les deux à la case départ. Presque à la case départ… Tu as encore le risque de tomber amoureux de Sonne. C’est une femme très gentille et être son amant régulier risque de te conduire à l’aimer vraiment. Avec tout ce que cela risque d’impliquer.

J’avais achevé ma bière après ces dires. Amon devait se méfier de cela. Sonne était liée à Moriarty pour la vie au travers de leurs enfants. Amon, s’il ne voulait pas être affaibli, devait éviter d’entrer dans tout ça.

-C’est un beau jeu mais un jeu dangereux.

Cependant, Amon était un joueur redoutable.

@ Billy Lighter

J’avais fini par en venir au fait, avouant ma relation avec Sonne. La relation extra-conjugale de Sonne. J’étais euphorique en en parlant parce que ça rendait un peu de crédibilité à mon image de salopard fini qui me donnait l’impression de s’affaiblir au contact de certaines personnes comme Evelyn Fallen ou, même Sélène… Bien qu’au final, le comportement de mon ex était l’origine de ce retour de situation qui faisait désormais de moi l’amant de Sonne Moriarty.

J’étais d’autant plus euphorique de voir le sourire de mon meilleur ami s’élargir. Un sourire des plus machiavéliques. Je savais que cette histoire lui ferait plaisir : Timmy détestait Axel Moriarty. Il accusait le journaliste de ne pas être du tout objectif dans ses articles, privilégiant BSC aux dépends de MTI… Et il prenait cette affaire très personnellement.

Du coup, savoir Moriarty cocu était une forme de satisfaction pour lui. Bien plus que pour moi parce que personnellement, je n’avais pas vraiment Moriarty dans mon collimateur. Au niveau du travail, on se complétait plus qu’on ne rivalisait et Axel n’était pas contre l’idée de vendre l’une ou l’autre information de temps en temps quand ces informations en questions n’étaient pas du ressort de Guitar&Pen.

J’étais moins l’amant de Sonne pour emmerder Moriarty que je ne l’étais parce que j’avais été touché par ses craintes de ne plus être attirante… de même que par sa gentillesse qui n’avait rien à voir avec le tempérament de son mari.

Souriant, ricanant même presque, je repris une gorgée de bière et Timmy d’en profiter pour me mettre en garde.

J’essuyai ma bouche du revers de mon bras avant de hocher la tête.

-Je sais.

Je m’approchai de lui et posai ma main sur son épaule.

-Raison de plus pour que tu sois au courant. Si jamais tu vois que je flanche, faudra me le dire.

Je n’avais aucune envie de retomber dans le même schéma que celui dans lequel je m’étais empêtré avec Sélène. Aucune.

Je voulais rester libre. Je voulais rester moi-même. Je voulais garder mes repères.

Tout en rassurant Sonne.

Je souris à Timmy.

-Bon… Si on allait mettre un peu d’ordre dans ton bordel ? A deux, ce sera moins déprimant, tu verras.

@ Billy Lighter