Tous les mondes avaient penché d’un coup, tous ensembles, en même temps, alors qu’un déséquilibre s’était brusquement produit dans la stabilité qui les caractérisait habituellement. La porte du Désert s’était refermée brusquement, en claquant et en nous laissant derrière, Gaïana et moi.

Puis tout était devenu froid, glacé… Et il avait fallu quelques secondes, quelques minutes, avant que je ne réalise que j’étais tout seul.

Gaïana était toujours là, dans mes bras…

Mais j’étais tout seul.

Il n’y avait plus que mon souffle, que les battements de mon propre cœur.

Et c’était là que j’avais hurlé après ma mère.

Le reste n’avait été qu’un défilé incessant et incompréhensible d’uniformes, de blouses blanches, tout autour de moi. J’avais atterri dans le salon de la maison de ma mère qui ne m’avait quitté que pour aller passer un coup de téléphone avant de revenir auprès de moi, caressant mon torse nu et mes boucles de cheveux en chantonnant.

J’étais pétrifié et je tremblais. J’étais seul, perdu au milieu de L.A.

Toutes mes portes, toutes mes échappatoires s’étaient brutalement refermées avant de disparaître de ma perception shamanique.

Parce que je m’y étais fermé sans m’en rendre compte. Comme je l’avais fait avant la tournée parce que Billy me l’avait demandé. Jusqu’à ce que la tournée foire.

Même les bras rassurant de ma mère ne suffisaient pas à calmer mon angoisse alors que j’avais senti la Mort de près… Mais d’une ignoble façon car ce n’était pas moi qu’elle avait essayé de ravir…

C’était Gaïana qu’elle avait prise à même mes bras, me l’arrachant comme la vicieuse qu’elle était.

Je tremblais parce que j’avais eu peur. Je tremblais parce que j’avais froid. Je tremblais comme un nouveau-né qui vient de naître et se demande ce qui est en train de lui arriver.

Mes yeux noirs, bien cachés derrière mes boucles folles, suivaient par moment les vas et viens des hommes qui avaient emporté la coquille vide qui avait, l’instant d’avant encore, été Gaïana… A d’autres moments, ils suivaient des ombres invisibles qui fuyaient dans ma vision périphérique.

La Mort me narguait…  

@ Billy Lighter

La fumée envahissait ma villa. Mais ce n’était pas une fumée agressive et dévastatrice. Juste la fumée des cigarettes que je fumais les unes après les autres. Une fumée qui rendait l’endroit brumeux.

Aussi brumeux qu’était mon esprit alors que se posait encore et toujours la même question : « qui, donc, était la fille de Be Mine ! ? »

Seul, je ne pouvais pas y répondre. Même si j’étais convaincu qu’il s’agissait d’Apolline. Mais il y avait Cash… Cash qui voulait Gaïana… Si Gaïana pouvait disparaitre, la question qui me pompait toute mon énergie, ne se poserait plus.

Personne n’aurait pu me sortir de ma réflexion si ce n’était le téléphone. Insistant, il voulait que je réponde. Il souhaitait que j’arrête, maintenant, toute réflexion concernant le clip. Et mon esprit se sentait le devoir de répondre. Je ne savais pas décrire pourquoi.

C’était viscéral. Presque une réaction animale… Une réaction à la Cash.

Je me déplaçai vers le combiné que je pris en main. A l’autre bout du fil s’éleva la voix douce mais triste de la mère de Cash.

Pendant un instant, je cru que mon cœur allait s’arrêter… Je cru que tout allait s’arrêter… Pourquoi me sonnait-elle ? Était-ce pour m’annoncer la pire nouvelle qu’on puisse m’annoncer ?

Non…

Si la mère de Cash me sonnait s’était pour m’annoncer la mort de Gaïana… La fille de Be Mine !… Celle de Cash.

La mère de Cash voulait que je vienne. Que c’était important pour Cash que je sois là. Je ne pouvais rien promettre… Rien… Alors je raccrochai sans avoir rien promis.

Mon regard se perdit dans le vide. Gaïana était morte… Gaïana n’était plus. Elle avait quitté la vie, elle qui en était plaine.

Je me laissai glisser le long du mur. Soudain choqué… Une vague de tristesse et de peur sans nom s’empara de moi. Je n’arrivais pas à expliquer d’où elle venait. Je ne connaissais pas plus que ça Gaïana. Je l’avais sortie de cellule, un jour. Elle avait été ma femme de ménage pendant quelques jours… Mais rien de plus… Rien d’autre.

Et pourtant, j’étais triste à en mourir. Je criai un bon coup, les yeux remplis de larmes.

La Mort… Ma douce amie… Ma pire ennemie…

Je pleurais à m’en arracher les tripes. Je pleurais malgré ma victoire. Gaïana morte, c’était Apolline qui gagnait. Mais… Tout ça n’avait pas d’importance quand la Mort frappait à la porte de The Lightening. Car, quand elle le faisait, c’était toujours pour faire des dégâts.

Et à chaque mort, on perd un peu plus de vie.

Et aujourd’hui, comme les autres fois, c’était encore ma faute. Ma foutue faute parce que, quelques secondes avant de coup de fil, j’avais souhaité qu’elle disparaisse.

Je l’avais souhaité ardemment.

Et maintenant, elle n’était plus.

Je criais ma détresse… Mais je sentais aussi celle de Cash.

Billy, il faut que tu viennes. Cash a besoin de toi…

C’était un autre appel. Il fallait que j’y réponde. Il fallait que j’y réponde pour ne pas subir une avalanche de morts.

Parce qu’un de plus et ça serait celui de trop.

Je me relevai et attrapai le combiné. J’appelais Liam… Liam, le seul protecteur que j’avais dans ce monde cruellement réel et froid. C’est complètement désemparé que j’expliquai la situation à mon garde du corps :

-Liam… Liam… Il faut que tu viennes me chercher. Je suis chez moi. Il faut que j’aille chez Cash. Il faut que j’y aille directement parce que Gaïana est morte.

*Elle est morte à cause de toi, William*

Je me retournai vers la source de la voix en sursautant. Mais il n’y avait personne.

-Liam, je t’en supplie. Vient. Je dois aller voir Cash.

Il accepta… Je raccrochai le combiné avant de ma laisser glisser, à nouveau, contre le mur.

@ Billy Lighter

Je venais à peine d’arriver à m’endormir… Et ces temps-ci, c’était pas du luxe… Je ne savais pas trop ce que j’allais devenir au sein de MTI. Pour l’instant, j’aidais les autres roadies à des tâches à droite et à gauche pour organiser la tournée de BleedingHeart et The Burning Fire, mais c’était complètement différent d’être le garde du corps de Billy Lighter…

J’aimais bien aider et ce n’était pas tellement ça qui me foutait mon moral en l’air… C’était plutôt que je m’inquiétais sérieusement pour The Lightening. Pas que ma présence, quand ils étaient encore chez MTI, changeait réellement quelque chose, parce que rien ne pouvait empêcher The Lightening de s’autodétruire, mais au moins, je pouvais contribuer à la reconstruction après la tempête.

Puis, psychologiquement, pour moi, avoir un œil dessus était rassurant. Parce que j’appréciais vraiment les membres du groupe. Ils n’étaient pas qu’un job pour moi, en particulier Billy.

Ce fut la sonnerie du téléphone à côté de mon lit qui me réveilla en sursaut. J’attrapai le combiné et répondis en me frottant les yeux que je n’avais même pas encore ouverts.

-Allô ?

Je n’entendis qu’une respiration à l’autre bout du fil, pour commencer… Je regardai mon réveil. Il était 6 heures du matin…

Et j’étais persuadé que c’était Billy, comme si je pouvais le reconnaître seulement au bruit qu’il faisait en respirant dans le combiné.

Comme il ne disait rien, ce fut moi qui tentai de débloquer la situation d’une voix rauque de sommeil.

-Billy, c’est toi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Il est 6 heures du matin…

Je me retins d’ajouter : « Et je ne suis plus ton garde du corps. »… Parce que ça ne signifiait pas que je n’étais plus son ami, ou quelque chose d’approchant. Me déclarer comme étant son ami me semblait extrêmement prétentieux. Un peu comme tous ces gens qui pensaient être les amis de Cash et le revendiquaient… Alors que je n’étais pas sûr qu’hormis Billy Lighter lui-même, quiconque puisse prétendre à cette place.

Et pourtant, c’était moi que Billy appelait ce matin. Du coup, je craignais un peu le pire…

J’avais raison.

Billy se mit à parler. La détresse et la tristesse que j’entendais dans sa voix était pire que son discours lui-même… Et pourtant, il m’annonçait bel et bien la mort de quelqu’un… Gaïana… Celle qui pouvait se targuer jusqu’ici d’être ce qui s’approchait le plus d’une petite-amie pour Cash Izbel.

Je restai sans voix, ce que je n’aurais pas dû faire, mais la nouvelle, annoncée comme ça, de la part de Billy Lighter, alors que je venais de me réveiller en sursaut d’une très courte nuit était aussi efficace qu’une bonne droite en pleine tronche.

Gaïana était morte. Et j’avais passé suffisamment de temps dans l’environnement de The Lightening pour savoir que ce décès aurait de lourdes conséquences…

Irréversibles, peut-être, si un seul détail dans ce qui allait se passer à partir de maintenant foirait.

Et je ne voulais pas être ce détail.

-J’arrive, Billy. J’arrive, ne bouge pas de la villa… Ne réponds plus au téléphone. Je m’habille et j’arrive.

Il fallait geler la situation en attendant que je puisse voir clairement ce qui se passait, que je connaisse les circonstances de la mort de Gaïana. Je ne prétendais pas pouvoir arranger les choses (c’était un peu tard), juste limiter les dégâts. J’avais dit à Billy de ne pas répondre au téléphone parce que si la nouvelle de la mort de la jeune femme allait plus vite que moi en voiture jusqu’à Malibu, l’un ou l’autre imbécile croyant bien faire risquait de lui sonner pour poser des questions… Les journalistes en premier…

Et puis il y avait Watson. Je savais comment aurait réagi Lenny (en me disant de faire exactement ce que j’étais en train de faire), je ne pouvais, par contre, pas prévoir ce que ferait Watson.

Un seul petit détail… Tout ne tenait que dans les détails.

Je m’habillai et fonçai jusque Malibu. J’allumai la radio, mais, heureusement, les médias n’étaient pas encore sur l’affaire. Peut-être parce que Gaïana n’était pas encore très connue bien qu’elle commençait à se faire sa place en tant que mannequin… Mais je n’avais pas idée de la gravité de la situation, parce que je ne savais pas que la jeune femme était décédée dans le lit même d’Izbel… Pas encore.

Arrivé au sommet de la colline où se tenait la villa de Billy Lighter, je sonnai plusieurs fois, mais pas de réponse, je frappai à la porte, pas de réponse. Alors je fis le tour de la villa et forçai la porte vitrée arrière grâce à un dispositif que j’avais monté moi-même, devant Billy, en lui expliquant qu’il fallait que je puisse entrer même quand lui était dans un état où il était incapable de venir m’ouvrir. Il l’avait accepté à l’époque et le système était toujours en place.

Je n’eus donc aucun problème pour entrer et me rappelai exactement de ce que je lui avais dit au téléphone : « Ne bouge pas. » Je savais donc où le trouver, parce que Billy devait avoir pris l’ordre au pied de la lettre. Et ce fut bel et bien recroquevillé au sol, à côté du téléphone, que je trouvai le chanteur.

Je m’agenouillai auprès de lui et lui parlai doucement.

-Je suis là, Billy… C’est Liam… Il faut qu’on aille voir Cash, tu te rappelles ?

Je le pris presque dans mes bras quand il les tendit vers moi comme un enfant, pour le relever. Puis, je le soutins jusqu’à le mettre dans ma voiture, sur le siège arrière, caché derrière les vitres teintées.

Je redescendis alors vers Hollywood aussi vite que je n’étais monté à Malibu, en croisant les doigts pour qu’on ne se fasse pas arrêter.

Mais le trajet se fit sans encombre et ce que je découvris en arrivant à proximité de la maison de Cash fut pire que tout… La police, le coroner… Les feux bleus, c’était vraiment nécessaires ?! Histoire d’alerter tout le quartier !

Ce n’était qu’une question de minutes avant que la presse débarque !

Je me tournai vers Billy…

-Je vais dégager la voie, ok ?

Je sortis de la voiture et m’adressai aux policiers présents. Heureusement, la mère de Cash, qui nous attendait, ne leur laissa pas le choix. J’annonçai à cette dernière que j’allais chercher Billy dans la voiture. Je retournai à mon véhicule et ouvris la portière arrière.

-On peut y aller… Tu veux ma veste pour ne pas qu’on te voie ?

Je lui donnai ma veste qu’il plaça sur sa tête et le fis sortir de la voiture. En quelques pas, nous fûmes à l’intérieur de la maison et la mère de Cash nous guida jusque dans le salon, laissant la porte d’entrée ouverte pour le va et vient des flics…

La mère de Cash s’adressa à nous.

-Ils viennent d’enlever le corps de cette pauvre fille… Je n’ai jamais entendu Cash hurler comme il l’a fait ce matin…

Elle en avait encore des larmes de terreur dans les yeux. Ce ne fut qu’une fois dans le salon que nous fûmes isolés du remue-ménage extérieur. Cash était assis sur le fauteuil et tremblait comme une feuille…

Je ne l’avais jamais vu dans cet état-là…

@ Billy Lighter

J’avais froid. Il faisait extrêmement froid depuis que la porte du Désert s’était fermée.

Le contact du corps sans vie de ma princesse soviétique avait bien failli m’envahir tout entier, glaçant mon sang, paralysant mes membres.

C’était de froid, plus que de peur ou de surprise, que je tremblais.

Je regardais en tous sens, cherchant la porte, mais en plus de se fermer, elle avait disparu. Je l’avais fait disparaître parce que je la savais à l’origine de la disparition de Gaïana. La jeune femme avait voulu me suivre, elle avait trouvé son totem…

Et puis elle était morte, emportée par la Mort, jalouse de nos amours clandestines et débauchées.

Ma mère m’enveloppait de ses bras, cherchant à me réchauffer, me berçant contre elle, m’enveloppant dans une couverture. Mais je continuais à trembler.

-Billy…

Elle me serra plus fort contre elle.

-Je sais, bébé… Billy va venir…

Je sursautais à chaque fois que des gens entraient et sortaient du salon… Jusqu’à ce que maman se lève et leur demande si c’était vraiment nécessaire d’entrer et sortir comme ça. Quand quelqu’un lui avait dit que non, ils n’avaient plus rien à faire là, maman ferma la porte…

Des portes… Il y en avait partout. Mais pas celle qui menait au Désert.

Voyager était dangereux, je le savais et j’avais quand même entraîné Gaïana avec moi…

Maman me laissa seul un moment, m’expliquant qu’elle allait voir si Billy arrivait. Et le peu de chaleur qu’elle avait su m’insuffler s’envola. Mais je la laissai aller.

Quand elle revint, je levais mes yeux humides, noirs et camouflés par mes cheveux bouclés vers Billy et son ombre qui apparurent dans le salon.

Mes larmes coulèrent pour la première fois depuis que je m’étais réveillé dans les bras d’un cadavre.

Dans mes yeux, la perdition laissa place à la détresse alors que je regardais le chanteur.

-Il faut qu’on fasse le clip.

Je me mis à pleurer vraiment.

-Il faut qu’on nourrisse le monstre.

River… J’avais vu River au Stryge Bar… Et River s’impatientait.

Le truc à l’intérieur de River ne voulait plus attendre.

-Sinon il va tous nous tuer l’un après l’autre.

@ Billy Lighter

Il était 6h du matin. Liam en était sûr. Je n’avais pas dormi. Je n’avais pas vu le temps passer. J’étais resté enfermé dans mes réflexions et dans mon propre esprit depuis le matin. Hier matin… Savoir ça me fit frissonner. Comme si ma raison venait de se réveiller après un profond sommeil. Et qu’elle se rendait compte des dégâts.

Mais ce soubresaut de raison disparut bien vite quand la culpabilité liée à la mort de Gaïana m’emplit tout entier. Liam me demanda de rester là. De ne pas bouger. De ne pas répondre au téléphone.

Il arrivait.

Et je raccrochai me laissant glisser le long du mur jusqu’au sol. Le sol d’où s’élevaient des voix. Des voix qui me rendaient coupable de sa mort.

*Tu l’as tué, William*

*Tu as tué la fille de Be Mine !*

*Elle ne reviendra jamais.*

*Elle est morte, William*


Le monde, autrefois réel, se désagrégea. Des mains sortirent du sol pour essayer de m’attraper ce qui me fit me recroqueviller sur moi-même et contre le mur. Je me bouchai les oreilles pour ne plus entendre les voix et je fermai mes yeux pour ne plus voir les mains.

*Tu dois en finir, William*

La Mort m’appelait. Ce n’était pas son premier appel. Elle m’appelait depuis des années. Elle venait chaque fois me dire qu’elle arrêterait les morts si je me livrais à elle.

Pour que survivent les autres devaient mourir The Lightening.

Et j’étais sur le point de craquer…

Goodbye, everybody, I've got to go
Gotta leave you all behind and face the truth

J’allais me lever… Et j’allais donner à la mort ce qu’elle voulait. J’allais lui donner mon âme pour qu’elle laisse les autres tranquilles. Cash… Evelyn… Liam… Maria… Steve… Michael… Ziggy… Lenny… Abel… Apolline… Tous ceux qui touchaient à The Lightening. Tous ceux qui en faisaient partie.

Tous ceux qui risquaient la mort.

Mais une phrase m’arrêta :

Billy, il faut que tu viennes. Cash a besoin de toi…

Cash… Cash avait besoin de moi.

Et quand la mort m’appela encore, les larmes commencèrent à couler.

I don’t wanna die
Sometimes wish I never be born at all

-Non ! Je ne peux pas ! Je ne veux pas !

Je ne veux pas pour Cash. Et uniquement pour lui.

Je continuai à résister aux appels de la mort jusqu’à ce que le visage de Liam apparaisse devant moi. Il se mit à ma hauteur. Je le regardais dans les yeux sans rien dire. Il m’expliqua qu’il fallait qu’on aille voir Cash.

Parce que Cash avait besoin de moi.

-Oui…

Les voix s’étaient tues. Elles ne parlaient presque jamais en présence de Liam. Elles avaient peur de lui.

Parce qu’il était le réel.

Je tendis les bras et il m’aida à me relever. On sortit de la villa toujours plongée dans le noir depuis des heures. Voir des jours, peut-être… L’aile protectrice de Liam me conduisit à sa voiture où, derrière les vitres teintées, j’étais protégée. Protégé de ce qu’il y avait dehors. Protégé de ce qu’il y avait dedans. A l’intérieur de moi.

On roulait jusqu’à Cash. En silence. Mais je ne pus m’empêcher d’imaginer ce que j’allais voir. Le corps bleu, raide et sans vie de Gaïana. Cash, tétanisé, à ses côtés. La Mort riant à leur côté. La Mort déclarant que le prochain, ça serait Cash. Je frissonnai et gémissait de douleur à l’idée même de voir ce spectacle.

On finit par arriver devant chez Cash… Trop vite. Trop lentement. Je ne sais pas. En tout cas, les lumières bleus s’infiltrèrent dans la voiture et m’éblouirent.

Tout le monde était venu pour voir l’horreur de la mort.

Liam déclara qu’il allait dégager la voix. J’hochai la tête.

-Dis-leur de tous partir.

Une fois la porte de Liam fermée, j’étais seul. Je n’entendais que les bruits des voitures de polices dehors. Jusqu’à ce que ma porte se rouvrit sur Liam qui annonça que la voix était libre. Il me demanda si je voulais sa veste. J’approuvai de la tête.

-Oui, je la veux.

Je ne voulais pas qu’on me voit. Je ne voulais pas que les policiers se rendent compte que j’étais coupable. Je ne voulais pas voir, sur leur figure, une expression qui me jugerait.

Je pris la veste de Liam et la mit sur ma tête. Je retins mon souffle quand je sortis de la voiture. Je fermai presque les yeux, me laissant guider par Liam. Et on entra dans la maison de l’horreur. Là où Gaïana avait perdu la vie. Je sentis comme un vent froid me traverser quand on passa la porte.

Je vis la mère de Cash. Douce et gentille… Son visage était creusé par les larmes. Je me mordis la lèvre cherchant à ne pas craquer. Le corps avait été enlevé. Cash avait hurlé. C’était ce qu’il s’était passé avant notre arrivée.

-Je dois voir Cash…

Ma voix tremblait de terreur de peur de voir mon ami dans l’état où je l’avais vu dans mes visions. Immobile, muet, la Mort cherchant à le prendre.

Elle nous conduisit au salon et l’appréhension monta en moi. Je finis par oser regarder Cash… Il tremblait. Il était terrorisé.

Il pleurait…

Et mes larmes coulèrent aussi, inévitablement. Les émotions émanant de Cash étant trop fortes. Trop puissantes pour moi.

Je vis, dans ses yeux, la détresse. Je n’osais plus avancer. Comme si cette détresse m’avait pétrifié sur place.

Il déclara qu’il fallait qu’on fasse le clip. J’hochai la tête, approuvant Cash. Oui, il le fallait.

Cash pleura alors réellement. Mon cœur se brisa. Je le sentis. Tout comme je sentis ma raison s’écrouler. Laissant un vide horrible dans tout mon corps. Mes lèvres tremblaient…

Et le vide fut rapidement rempli par la peur quand Cash déclara qu’il fallait qu’on nourrisse le monstre.

Quel monstre ? La Mort ?

Non… La Mort n’était pas là comme je l’avais prévu. Elle venait de s’enfouir avec son dû : Gaïana. Elle était repue pour le moment.

Il y avait un autre monstre. Un monstre prêt à tous nous tuer.

Je tremblai, les larmes commençant à couler les longs de mes joues. Le monstre de Be Mine !. River Moriarty. Celui de lui qu’il parlait.

-On a perdu la fille…

On ne pouvait nourrir le monstre.

Il allait nous tuer… Il allait nous tué parce que j’avais tué Gaïana.

Je me laissai tomber sur le divan juste à côté de Cash. Les yeux dans le vide qui exprimait un mélange de culpabilité intense et de peur de l’avenir. De peur du monstre. J’entourai les épaules de Cash de mon bras.

-Je suis désolé, Cash…

Désolé d’avoir tué Gaïana. Désolé d’avoir engagé le monstre.

Désolé d’être responsable de notre mort.  

@ Billy Lighter

J’avais emmené Billy jusqu’à ma voiture, le sortant de sa villa probablement emplie de voix venant de nulle part et de fantômes, avec cette désagréable impression de soulagement : j’étais arrivé à temps.

Une minute plus tard… Et ça aurait été trop tard.

Ce n’était pas la première fois que j’avais cette sensation. Vivre et travailler avec The Lightening revenait à marcher au bord d’un piton rocheux sans cordages ni crampons.

Si vous regardez en bas, c’est terminé.

Or, je devais rattraper Billy et Cash qui étaient en train de glisser, le tout sans regarder en bas.

La première étape était de réunir The Lightening, puisque la demande venait d’eux. C’est ce que je fis en embarquant le chanteur dans ma voiture et en roulant jusqu’à Hollywood où Cash vivait réfugié chez sa mère alors qu’il avait largement de quoi vivre dans une villa de luxe tout comme Billy. Sauf que Cash serait alors livré à lui-même et aurait à gérer des choses administratives et autres du quotidien. Voilà pourquoi, probablement, il restait chez sa mère.

C’était encore un enfant, après tout.

Une fois à destination, je vérifiai que la voie était libre avant de revenir vers Billy. Je ne me rendais même plus compte que ce n’était pas forcément normal de devoir agir de la sorte pour quelqu’un. Tout comme ce n’était pas normal de lui proposer ma veste pour se cacher, comme une protection… ou comme le faisaient les criminels qui ne voulaient pas être photographiés par la presse.

Billy n’était pas un criminel. Je le savais.

Mais depuis l’émeute, Billy était persuadé du contraire. Ça aussi, je le savais.  

J’accompagnai Billy jusqu’à l’intérieur et, très franchement, j’étais bien content que la mère de Cash soit présente, même les yeux pleins de larmes et visiblement inquiète. Je connaissais bien la dame et je ne l’avais jamais vue avec une pareille expression sur le visage, pas plus qu’une fois dans le salon, je n’avais vu Cash dans l’état où il était.

Elle n’avait pas peur des événements à venir, de la police ou du coroner qui grouillaient autour de la maison… Elle n’avait pas eu peur du corps qu’elle avait dû trouver auprès de son fils, pas plus que je ne pouvais lire dans ses yeux de la tristesse vis-à-vis de Gaïana…

Non… Ce pourquoi elle arborait une telle expression, elle le formula tout haut : Cash avait hurlé.

Tout simplement.

Une fois dans le salon, je m’étais penché pour que Billy me voit et avait doucement enlevé ma veste de sur sa tête…

-C’est bon, Billy, on y est.

Puis, ma veste en main, je m’étais tourné vers la mère de Cash qui venait de fermer la porte derrière nous… Nos regards se croisèrent, mais aucun de nous ne prononça un mot. Elle savait tout comme je savais qu’à partir de maintenant, ce qui allait se dérouler maintenant devant nos yeux allait déterminer l’avenir de The Lightening.

Si nous respirions trop fort, nous risquions de mettre en péril l’équilibre fragile qui se mettait en place lorsque Cash et Billy se rencontraient en dehors d’un studio ou d’une scène.

Cash leva la tête vers Billy et ses larmes coulèrent. Comme s’il s’était agi d’un miroir, les larmes coulèrent également sur les joues du chanteur. Je pinçai mes lèvres, retenant mes propres larmes alors que rien n’avait encore été dit.

Vous trouverez peut-être cela exagéré… Mais dans ce cas, c’est que vous n’avez jamais approché Billy ou Cash a moins de 100 mètres…

La mère de Cash glissa sa main dans la mienne.

J’avais mon cordage… J’étais retenu, au cas où le monde s’effondrerait. La mère de Cash avait ce pouvoir.

Cash prit la parole en premier.

Nous ne bougions pas, sa mère et moi, nous contentant de regarder le spectacle qui se déroulait devant nous, magnifique et atroce.

Billy se pétrifia et j’eus l’impression de le ressentir jusque dans mon propre corps.

Cash voulait faire le clip. Be Mine !. Il parlait de Be Mine !.

Je sentis la main de la mère de Cash serrer la mienne quand son fils parla d’un monstre qu’il fallait nourrir, sans que je puisse interpréter cela. J’étais trop absorbé par les sanglots que Cash et Billy finirent par partager.

Le chanteur s’approcha du guitariste, une scène qu’il aurait fallu filmer tant c’était rare. Une scène qui n’annonçait rien de bon. Quel était ce monstre capable de faire regarder Billy et Cash dans la même direction, côte à côte ?

J’en frissonnais de trouille…

C’était d’un sacrifice qu’ils parlaient.

Sauf que, d’après Billy, ils n’avaient plus rien à sacrifier.

The Lightening parlait par énigme et métaphore. Seulement, je savais que chacune de leur parole avait bel et bien un sens.

Un sens peut-être pas aussi mystique et métaphorique que ça…

J’osai, bien malgré moi, un murmure…

-Quel monstre ?

@ Billy Lighter

Billy était là, son ombre marchant sur ses talons, protectrice. Ma mère était là aussi pour me protéger. Pour le moment, dans ce sanctuaire de fortune au milieu de Hollywood, nous étions en sécurité pour un moment.

Le temps de savoir ce qu’on allait faire.

Le temps de faire comprendre à Billy que pour nous en sortir, nous allions être forcés d’avancer.

Nous avions la Mort aux trousses et un monstre à rassasier, avant que l’un ne s’allie à l’autre et ne décime The lightening.

Au travers de mes larmes et de celle de Billy qui se laissa tomber à côté de moi, je sus qu’il avait compris. Il savait qu’il fallait avancer. Mais nous avions perdu la fille. Je baissai mes yeux noirs sur mes mains tremblantes, cachant à nouveau mon regard derrière mes boucles métis.

Billy était désolé. Je savais qu’il était désolé et je savais pourquoi.

Billy n’avait jamais voulu de Gaïana. Comme je n’avais jamais voulu de Savannah.

Le chanteur passa son bras autour de mes épaules et je penchai la tête pour poser ma joue mouillée de larme sur sa main.

Ce fut Liam… La moitié de Billy… Liam… Will… et Liam… qui reprit la parole pour demander de quel monstre on parlait.

Je braquai mes yeux noirs et humides sur lui, il avait les yeux clairs, Liam, d’une gentillesse et d’une fragilité qui contrastait avec son corps conçu pour dégager la voie à The Lightening.

-Le Kraken.

Un monstre aux yeux bleus comme je n’en avais jamais vu. Un parasite ayant infesté Los Angeles par un malheureux hasard.

Un tueur d’enfant… au sex-appeal fascinant d’après les nymphes de l’Eastside.

Je me tournai vers Billy, et attendis que nos regards fusionnent.

-Il nous reste l’autre fille.

Le choix de Billy. Il nous restait le choix de Billy. Et peut-être qu’en la donnant au Kraken, je me débarrasserais d’Apolline et de Savannah tout à la fois. Un vague sourire se dessina sur mon visage, au travers de mes larmes.

J’étais prêt à tout pour sauver The Lightening.

-On peut lui donner l’autre fille.

@ Billy Lighter

J’étais dans l’antre de Cash… Là où venait de passer la Mort. Je sentais son passage. L’odeur… Le froid… L’agitation autour de la maison… Tout montrait les ravages qu’elle avait faits.

Et j’étais coupable de son passage. J’étais coupable des larmes que je voyais sur le visage de Cash. Des larmes que je finis par partager. Parce que je ressentais sa douleur. Elle irradiait la maison.

Et il n’y avait que Liam pour m’en soulager un peu. Pour m’en protéger. Alors que Cash, lui, avait sa mère. Ils étaient là, tous les deux, côte à côte. Ils nous regardaient.

Ils regardaient Cash pointer la véritable menace. Ce n’était pas la Mort. La Mort venait de prendre son dû… Le problème, c’était River. Cash voulait faire le clip pour nourrir River. J’avais vu le noir en lui. J’avais vu, dans le cimetière, qu’il n’était pas normal. Que quelque chose sommeillait en lui.

Je tremblai de peur à côté de Cash déclarant qu’on n’avait plus de fille. La Mort avait emporté Gaïana… J’avais tué ce qui nous protégerait du monstre.

Du monstre que j’avais engagé…

La culpabilité était encore plus grand alors que je m’excusai à Cash. Les larmes coulaient aussi douloureuses qu’un changement d’humeur trop brusque. Je posai mon bras sur les épaules de Cash et je sentis ses larmes coulées sur ma main. Des larmes chaudes… Des larmes qui me brûlaient.

Liam cherchait à savoir l’identité du monstre et, Cash, enfermé dans le monde métaphorique dans lequel il m’entrainait tout doucement répondit qu’il s’agissait du Kraken. River… Kraken… Je frissonnai me rappelant la lueur mauvaise que j’avais vue dans ses yeux bleus.

Cash croisa, alors, mon regard. Je me perdis dans ses gouffres noirs. Il déclara qu’il nous restait l’autre fille…

Apolline…

Il voulait qu’on donne Apolline à River. Il voulait adhérer à mon choix pour nourrir le monstre. Apolline était une fille gentille, douce et attentionnée. Je ne voulais pas qu’elle soit victime de River. Je ne voulais pas qu’elle meurt.

Je ne voulais pas qu’elle souffre pour The Lightening… Car The Lightening tuait tout autant que River.

La mort de Gaïana en était la preuve.

J’hochai la tête négativement.

-Je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose.

Je ne voulais pas qu’elle finisse comme Gaïana.

Puis, je me rappelais les paroles d’Apolline. Elle n’avait pas peur de River. Elle l’avait dit. Et j’avais vu qu’elle disait vrai dans ses yeux.

Peut-être qu’elle était l’arme contre River. Je fermai les yeux brutalement avant de les rouvrir sur Cash.

-Mais elle a dit qu’elle n’avait pas peur du monstre. Elle l’a dit. Je la crois.

Mes yeux étaient toujours rougis. Mais je voyais une échappatoire. Je la voyais en Apolline et son courage.

Je regardai Cash droit dans les yeux.

-Elle est peut-être la clé contre le monstre… Elle est peut-être l’arme pour le tuer.

Je devais me raccrocher à ça… Je le devais pour la survie de The Lightening et de tous ceux qui nous entouraient.

@ Billy Lighter

Le Kraken…

Cash avait répondu à ma question, comme si ça allait de soi, comme si j’avais posé une bête question. Et c’était vrai.

C’était une bête question…

Mes yeux rivés, bloqués, absorbés par les gouffres ténébreux de ceux du guitariste, j’étais bouche bée. Tout était clair, pourtant, mais j’avais mis du temps à faire la traduction entre les images utilisées par The Lightening pour communiquer entre eux et le monde dit « réel ».

Mais pour dire vrai, il n’y avait pas un monde réel et un monde irréel. Cash ne vivait pas vraiment dans un monde de chimères d’après moi, comme le pensait pourtant Billy. Non. C’était le même monde, mais deux visions différentes.

Le Kraken. Tout avait fait sens et j’avais maintenant la clé pour déchiffrer la conversation qui se déroulait entre Billy et Cash. Le Kraken était l’équivalent de la clé qui avait permis à Alan Turing de déchiffrer Enigma.

Le monstre dont Cash avait si peur, celui dont il disait qu’il allait tuer les membres de The Lightening un par un s’ils ne le nourrissaient pas…

C’était River Moriarty.

Je serrai plus fort la main de la mère de Cash, sans m’en rendre vraiment compte, les yeux rivés sur The lightening, attendant toujours de savoir si tout ça allait mener à un éclair créatif…

Ou à une explosion dont les dommages collatéraux iraient bien au-delà de la jeune Gaïana.

Moriarty n’était qu’un acteur… ils parlaient du clip… Si je comprenais bien, autant Cash que Billy interprétait la mort de la jeune femme par overdose comme le signe qu’il fallait avancer. Qu’ils sortent de leur trou et pondent ce foutu clip.

Sauf que c’était Gaïana qui devait jouer dans le clip, à la base.

Mais non… il y avait Apolline aussi.

J’étais sur la même longueur d’onde que The Lightening, réfléchissant au même rythme… Et c’était grisant, quelque part.

Parce que personne ne peut suivre Billy et Cash.

Et c’est là que je perdis le fil. Quand Billy affirma qu’il ne voulait pas qu’il arrive quelque chose à Apolline Mclagan.

Moriarty n’était qu’un acteur ! J’avais envie de le leur crier, de les sortir de leurs métaphores, deux secondes ! Moriarty n’était qu’un acteur.

Non. Je voulais croire qu’il n’était qu’un acteur. Mais je savais que Billy et Cash voyaient très clair dans les gens.

Et ça, c’était flippant. Parce que j’en avais entendu, des métaphores et des prédictions de Cash… Des discours bizarres sans queue ni tête qui prêtent à rire.

Puis ça avait commencé à se réaliser. Dans les moments que j’attendais le moins, les discours de Cash prenaient sens.

Alors je ne riais plus du Shaman, désormais. Je l’écoutais.

Je me tournai vers la mère de Cash et je sus qu’elle pensait la même chose que moi, à la fois émerveillée et terrifiée.

Billy reprit la parole.

Ce serait Apolline McLagan qui ferait face à Moriarty.

Dans cette dimension-ci, à cette instant T, Apolline Mclagan était la fille de Be mine !

@ Billy Lighter