J'en avais un peu marre. En fait, je commençait à fatiguer. Il fallait absolument que je prenne une pause. J'adorais mon boulot, mais à un tel point que j'en oubliais de prendre du temps pour moi et pour me reposer. En plus, chaque fois que Rico, du garage, m'appelait pour me dire qu'il manquait de bras, j'étais toujours partant pour aller les aider. C'était pour moi une façon de le remercier de m'avoir donner un job quand j'avais débarqué à Los Angeles. Mais même lui m'avait dit, la veille même, que j'avais intéret à dormir un peu, à me laisser souffler, parce que je cite "j'avais une sale gueule".

Ok, j'étais peut-être un peu cerné et je devenais un peu nerveux, mais rien de grave. Je pouvais continuer et je voulais que tout soit parfait pour l'enregistrement de The Lightening. Ce qui faisait que j'avais tendance à faire des heures sup' à la place d'autres roadies qui étaient vraiment crevés.

Et pourtant, je m'étais arrêté pour souffler dans le parc, aujourd'hui, mon coeur battant la chamade, alors que le coffre de l'Impala était rempli d'amplis et de cables divers ainsi que d'exactement deux spots. L'élément déclencheur? J'avais failli m'endormir au volant! Non! Je m'étais endormi au volant et c'est quand l'Impala était montée sur une bordure de trottoir le long du parc que je m'étais réveillé.

J'avais frôlé la crise cardiaque et avais vitre trouvé une place pour me stationner. Je pouvait jouer les dur longtemps, mais pas si je mettais l'Impala en danger. Là, j'avais compris qu'il fallait vraiment que je m'arrête deux minutes.

J'entrai donc dans le parc pas encore tout à fait remis de mon accident qui n'en était pas un. Je marchais pour me calmer. C'eest bon, elle avait rien la voiture. Et puis il faisait plutôt agréable pour se promener, non? Je préférais la route aux chemins boisés... Mais là, pour l'instant, la route, fallait oublié mon vieux Abel!

Quand j'entendis des notes jouées à la guitare, mon attention fut attirée et je pus enfin penser à autre chose. J'approchai dans la directon de la musique pour découvrir un spectacle magnifique. Une femme, belle, avec une vois incroyable, profonde, jazzy, était debout sur un banc et donnait tout ce qu'elle avait. Elle était différente de ce qu'on voyait habituellement à L..A.: des jeunes tout juste sortis de l'adolescence, et encore, qui s'installent dehors pour jouer, pour se montrer. Non, elle n'étaits pas une jeune femme. C'était une femme dans tout ce qu'il y a de plus beau: plus assez jeune pour respirer la naïveté, et pas aigrie par les années parce qu'elle n'en a pas encore vécu assez.

Je n'arrivais pas trop à la décrire en fait, parce que elle était ce qu'il y avait de plus pur au niveau féminin. Et elle imposait le respect. Je restais planté là, à l'écouter, fasciner par ce qu'elle représentait: l'espoir, le talent et la détermination. C'était aussi ce qui transparaissait à travers sa musique. Quand elle eu fini la chanson, moi et les quelques autres personnes qui avions pris le temps de s'arrêter pour l'écouter, nous l'applaudîmes. Puis les gens se dispersèrent. Sauf moi, qui restai là à attendre une autre chanson. Comme il n'y avait plus personne, je m'approchai et m'adressai à la magnifique dame.

-Hey... Tu peux en jouer une autre?... S'il te plait?

L'artiste assise sur le banc me regarda dans les yeux et sourit à ma demande. Elle semblait heureuse que quelqu'un s'intéresse vraiment à ce qu'elle faisait et je ne comprenais pas comment les autres personnes ne s'arrêtaient pas plus longtemps pour l'écouter. Pourtant, on ne pouvais pas dire qu'elle avait un physique qui pourrais la désservir! D'accord, ce n'était plus une jeune de 17 ans à peine qui pouvait impressionner par son talent à la guitare ou au chant.

Cette femme avait quelque chose de bien plus profond. D'abord parce que la chansons d'amour qu'elle venait de chanter avait une maturité certaine dans les paroles. Et elle pouvait parler mieux que personne de ce genre de chose parce qu'elle avait déjà eu le temps de vivre et de prendre du recul pour comprendre.

Je m'assis à côté d'elle quand elle commença la nouvelle chanson, cherchant d'abord les accords sur sa guitare. Mais elle ne quitta poas mon regard. Et quand elle se mit à chanter, j'eus la drôle d'impression que c'était à moi qu'elle parlait. Et cette chanson! Un parfait décalage entre la musique, triste, et les paroles, rageuses.

Je l'écoutai jusqu'au bout, soutenant son regard. Un regard brun, chaud et profond. Je me laissai emporter par la musique, faisant attention à chaque note, à chaque mot, jusqu'à la fin où il me fallu quelques secondes de silence pour atterrir. Puis, ma bouche resta entr'ouverte le temps que je trouve mes mots. Je n'étais pas un grand fan de jazz et j'étais resté enfermé dans le carcan du rock. Mais c'était la première fois qu'un autre style de musique me touchait autant.

Et je ne savais pas comment l'exprimer, alors je dis la première chose qui me passa par la tête.

-Mon nom est Abel... Et toi, tu es incroyable...

Comment elle pouvait encore en être à jouer dans un parc? Comment se faisait-il que je ne connaisse pas déjà son nom, qu'elle n'apparaisse dans aucun magazine?

-Je suis un fan de rock pur d'habitude, si on peut appeler ça comme ça. Mais ce que tu viens de faire là, je n'avais jamais entendu ça avant!

J'étais littéralement sur le cul, pour le dire platement. Et surtout, je ne comprenais pas. Elle avait tout ce qu'il fallait: le talent, le style... Elle était un personnage complet et fascinant. Alors pourquoi bordel de merde, n'avait-elle pas au moins un disque à son actif? Quelque part, dans le fond, ça me mettait en rage. Et je me dis que j'avais tout intéret à parler d'elle à Lenny. Ou à Timmy Evans. Lenny n'avait peut-être pas ce qu'il fallait pour aider la femme que j'avais à mes côtés, mais Timmy, lui, savait y faire avec les femmes.

Et puis surtout, le pauvre Lenny avait bien assez à faire avec the Lightening.

-C'est normal, je pouvais pas passer à côté sans écouter. Ta chanson quand je suis arrivé m'a directement pris aux tripes. Je suppose que ce que tu écris est un peu inspiré de ta vie, c'est ce qui leur donne une dimension en plus. Quoi que je me gourre peut être et tu est peut-être juste une très bonne actrice.

Je lui souris. Que ce qu'elle raconte en chanson soit vrai ou pas importait peu en fait. C'était le résultat qui comptait. Et le résultat était là. Et je sentais déjà que si je pouvait aider cette femme, je le ferais. Peut importe si je devais mettre un flingue sur la tempe de Timmy Evans.

Elle se présenta à moi comme se nommant Carmen. Et par extension, cela me fit penser à mon ami Delfino.

-Hé! Carmen... Tu es latina? J'ai un ami latino qui travaille au Dizzy Warhol. C'est pour ça que je demande.

Je me levai et tendis la main à Carmen pour l'inviter à se lever elle aussi. Son sourire charmeur était loin de me laisser indifférent...

-Qu'est-ce que tu dirais d'aller boire un café? Je connais un super endroit dans le coin et puis une petite glace serait pas de refus non plus...

On changeait pas une équipe qui gagne! La bouffe, la caféine et moi, c'était une grande histoire d'amour.

-Et puis j'en ai besoin, je suis un peu crevé... J'ai failli faire un accident avec ma voiture en venant et c'est pour ça que je me suis arrêté ici.

Carmen me confirma que tout ce qu'elle chantait lui était arrivé. Aucun doute là dessus. Il fallait vraiment être très bonne actrice autrement. Elle devait pas avoir eu la vie facile tous les jours. Et c'était peut-être pour ça aussi que les paroles de sa chanson m'avait parlé. Peut-être parce que je m'y retrouvais un peu.

Elle m'expliqua aussi d'où venait son prénom. Elle était une métisse si on voulait. Elle demanda le nom du latino que je connaissais, mais vu le nombe de latinos qu'il y avait à Los Angeles et qui avaient, en plus, à peu près tous les mêmes nom, je n'étais pas sûr qu'elle le connaîtrait, mais on ne savait jamais.

-Il s'appelle Delfino Alvarez.

Je lui fis un clin d'oeil et elle accepta mon invitation à aller manger un bout. Elle pris ma main et je "l'aidai" à se lever... Pas qu'elle avait besoin d'aide, mais c'était plus un des seuls gestes de gentleman que je savais faire. Et puis son sourire m'inspirait l'envie de faire les choses dans les règles de l'art. Je ne ressentais pas l'envie de la draguer, bien que le personnage était des plus intéressant. Mais je le faisais, totalement inconsciemment.

On se mit à marcher sur les chemins de tere du parc, sans se presser. J'avais pas vraiment le temps de traîner, mais j'avais encore moins l'envie de risquer de faire des grattes à ma bagnole. Son regard ne me quittait pas. Et, ça ne me mettait pas mal à l'aise, mais c'était une sensation assez spéciale d'être dévisagé comme ça. J'étais un mec qui travaillait dans l'ombre, celui qui bossait pendant que tous les yeux étaient tournés vers The Lightening. J'étais loin d'avoir l'habitude d'attirer l'attention.

Elle me demanda, avec de l'inquiétude dans la voix, ce qui s'était passé avec ma voiture.

-Oh rien de bien grave. je me suis endormi au volant et je suis monté sur une bordure. Mais ça va, la voiture n'a rien... Tu veux la voir? Si on va par là, on peut passer devant avant de traverser la rue pour arriver au Al's Coffee...

Je la regardai moi aussi et lui sourit.

-J'ai pas beaucoup dormi ces dernier temps, trop de boulot. Mais là, je fais une pause. Pas envie de faire des grattes à ma bagnole.

Je suis pas vraiment un gentleman d'habitude, mais c'est la style de la dame qui me donne l'impression que c'est la meilleure façon de se comporter avec elle. Et puis ce n'est plus une gamine, c'est une femme et c'est comme une femme que j'ai l'impression que je dois la traiter. Heureusement que je n'ai pas transposer ma mère sur toutes les autres femmes comme beaucoup de gens qui ont eu des problèmes le font. Je sais faire la différence.

Mon visage s'illumine quand elle dit qu'elle veut bien voir ma voiture. Ca n'a pas spécialement l'air de l'intéresser plus que ça. Mais elle ne saurait pas savoir ce qu'est cette voiture pour moi. Pas si je ne lui raconte pas. J'attendis donc d'être à proximité de l'Impala pour lui raconter. C'était de loin la plus belle bagnole parquée dans le coin.

-Je sais, je sais. Tu n'es pas la première à me dire que mieux vaut que la voiture ait des grattes que moi. Mais...

Arrivé près de la voiture, je passai ma main sur la ligne latérale du capot...

-C'est bagnole est tout ce qu'il me reste. C'est celle de mon père. Enfin c'était.

Carmen était la première personne à qui je racontais tout ça depuis que j'étais à L.A. A part que je venais du Kansas, ceux du garage ne savais pratiquement rien de moi. il en allait de même avec les autres roadies de chez MTI avec lesquels je ne parlais que de musique, de matériel et du potentiel avenir de The Lightening. Parce qu'après tout, si eux arrêtaient, nous aussi.

Je souris à Carmen.

-Je viens du Kansas et mon père est mort d'un cancer il y a quelques années. J'ai pas su continuer à tenir le garage. Trop de souvenirs. Alors je suis venu m'installer ici. Et essayer de retrouver ma mère.

J'aimais à croire que la blessure que la mort de mon père avait ouverte dans mon esprit était cicatrisée. Mais c'était pas le cas. Mais je cachais très bien ça derrière mon sourire.

Je revins près de Carmen, laissant la voiture. Il fallait qu'on aille se la faire, cette glace, après tout. Je lui offris mon bras, comme je l'avais vu faire dans des films. Je savais vraiment, mais alors là vraiment pas, ce qui me prenait. Une nouvelle façon de draguer? Peut-être! Et pourquoi pas? Ca marchait bien à la télé, non?

-Et toi? Tu faisais quoi avant de venir tenter ta chance dans le grand bordel de L.A.?

J'avais peut-être capté tous les gestes des films, mais le langage avait du mal à suivre. Pas grave.

Je lui désignai du doigt le glacier et breakfast bar que je connaissais et qui était maintenant en vue, tout en l'écoutant me répondre.

Spoiler: