J’entendais Manuel me crier après du bout de la rue… Mais je savais qu’il n’allait pas me courir après… Je n’avais pas envie de surveiller aujourd’hui. En fait, je n’avais plus envie de surveiller du tout… Je ne voulais plus jamais faire ça parce que la dernière fois j’avais eu mal et peur.

Puis, j’avais vu Paco mort…

Alors, je ne surveille plus… Tant pis pour l’argent. Je sais le trouver moi-même. Il y en a plein dans les poches des gens. Puis, je peux chanter aussi… Les gens donnent des dollars quand je chante.

Après avoir couru très loin de Manuel, j’avais commencé à marcher. Je marchai et puis je baillais aussi… Oh… Il fallait pas que je sois faaaatigué parce que je devais trouver des monsieurs et des madames qui discutent et qui ne font pas attention. Parce que quand ils font pas attention ben, je peux leur voler leurs sous…

Je marchais mais je m’arrêtai soudain tout d’un coup parce que je venais de reconnaitre la rue où Paco était mort. Il n’y avait plus Paco, ni rien du tout mais j’avais quand même peur… Ma lèvre trembla et je mis ma main sur ma joue où il y avait un gros pansement. C’était Isabel qui l’avait fait quand Alonso m’avait ramené chez nous…

Mon cœur il battait très fort… Et je finis par courir très loin de la rue. J’entendais encore Paco crier et tomber… Puis, j’entendais la voix des méchants monsieurs aussi…

Je courus jusqu’à ce que je n’ai plus de force pour courir et après, je marchai en baillant à nouveau parce là, j’étais vraiment, vraiment, fatigué. Je me frottai les yeux. Il y avait un peu plus de gens ici dans la rue. C’était une plus grande rue.

Je regardais les gens… Eux me regardaient parfois mais c’est tout… Je savais qu’il fallait que je chante pour attirer vraiment leur attention mais j’étais trop fatigué et j’avais pas vraiment trop envie…

Je cherchais juste des gens distraits. Et j’en trouvais deux qui parlaient. Des vieilles femmes pas très belles… Je m’approchai un p’tit peu et j’entendais ce qu’elles disaient mais je trouvais pas ça très important… Tout ce que je regardais, c’était le sac de la madame.

-J’ai encore vu ton fils dans L.A.People… Il a rompu encore une fois…

Oh des vieilles femmes qui parles de people… Oh, elles allaient être très distraites alors.

-Je n’ai qu’un fils, Abbie ! Et il est mort au Vietnam !

Oh… Elle était pas contente la madame… Mais je m’en fichais. Moi, j’étais en train d’ouvrir son sac et elle ne voyait absolument rien.

-Désolée, June. Je pensais qu’avoir des nouvelles de lui te ferais plaisir. Tu sais, c’est un très beau garçon et il a réussi à sortir de l’Eastside. Ce n’est pas rien.

Oh… Arrête de gigoter Madame June… Oh… Mais elle gigotait parce qu’elle n’était pas contente de Madame Abbie qui lui parlait de son fils qui n’était qu’un alcoolo qui allait mourir dans un caniveau qu’elle disait Madame June. Ah et un menteur aussi… Et un abruti… Oh, elle aimait pas son fils Madame June. Heureusement que j’étais pas son fils… Oh… Moi ma maman elle m’aimait bien quand elle était vivante.

Oh portefeuille ! Je souris quand je mis la main sur le portefeuille de Madame June.

@ Billy Lighter

-Et tu vas aller voir ton frère jouer en Europe ?!

Conrad me regardait avec des yeux de merlan frit que j’avais jamais vu ça.

-Ben ouais.

Ses yeux s’ouvrirent encore plus, j’aurais jamais cru possible qu’il puisse avoir des yeux aussi grands.

-Si loin que ça ?! Et où, en Europe ?

Je soufflai une longue bouffée de fumée par la fenêtre de notre voiture de patrouille, bien installé côté conducteur, les jambes étendues, les pieds à côté des pédales.

-Belgique.

On s’était stationnés dans une rue commerçante de l’Eastside et on regardait les gens passer. La seule présence de notre voiture strippée L.A.P.D rassurait déjà pas mal la population qui faisait ses courses bien tranquillement en cette matinée ensoleillée.

Enfin, moi, je surveillais les gens… Conrad, lui, c’était moi qui regardais comme si j’étais un alien tout droit sorti de l’enfer.

Il y avait eu une fusillade à proximité il y avait seulement quelques nuits de ça. Un pauvre gosse avait été tué par balle de même qu’un homme qu’on soupçonnait d’être lié aux Los Diablos, sans certitude. Mais en creusant un peu, les enquêteurs étaient tombés sur un nouveau gang à la con qui se faisaient appeler Los Soldados… Bref, alors que les tensions semblaient pas mal calmées entre Los Diablos et South Panthers, fallait que d’autres viennent foutre la merde.

-Et tu pars quand ? Pour combien de temps ?

Je le regardai et rigolai, comprenant enfin où il voulait en venir.

-Ooooh ! C’est ça qui te tracasse, mon amour !

Je l’avais attrapé d’une main, tiré vers moi et embrassé sur le front avant de lui ébouriffer les cheveux. Il grogna et protesta :

-Un peu que ça me tracasse ! Tu viens de revenir, ça faisait des mois que j’attendais ça et tu vas déjà reprendre des congés pour te tailler en… où encore ?

Je me marrais toujours.

-En Belgique.

Conrad soupira et fit une moue boudeuse.

-Jamais entendu parler. Je parie que c’est même pas un pays…

Je tirai sur ma clope, regardant à nouveau les gens.

-Tu sais, si ça t’emmerde tant que ça de devoir patrouiller avec un autre connard pendant que je serai pas ça, y a une solution super simple à ça : tu prends tes congés en même temps que moi, on demande pas une place avion compris à mon frère, mais deux. Et tu viens avec moi. On ira vérifier si la Belgique existe. Enfin avec nous parce que de toute façon, j’imagine qu’Alexie va s’arranger pour faire des interviews là-bas.

Le visage de Conrad s’illumina.

-Putaaaain mec ! J’avais oublié que t’avais un pied dans la jet-set !!!

Je secouai la tête et roulai des yeux.

-Ouais, t’imagine ! Y a même eu ma tronche dans L.A.Peo… Putain !!!

J’ouvris ma portière à la volée, jetai ma clope, et sortis du véhicule en courant, entendant Conrad s’exclamer « hey ! » derrière moi avant de me suivre en courant lui aussi.

Cette fois-ci, j’allais l’avoir.

J’attrapai l’épaule du petit d’une main, le tournant vers moi et retirant sa main du sac de la dame qu’il était en train de voler.

-Pris en flag, ce coup-ci, Jesse !

Les deux dames qui étaient en train de parler avaient sursauté et Conrad leur assura qu’il ne se passait rien, que c’était juste un gosse qui faisait l’école buissonnière. Moi, je regardai Jesse dans les yeux et le hissai dans mes bras. Je ne savais que trop bien que si je lui laissais les deux pieds à terre, il allait se mettre à courir à la première occasion.

Et quand il se mettait à courir, Conrad et moi qui fumions comme des dragons étions vite semés et à bout de souffle. Notre entraînement de l’armée commençait à dater et nos années au compteur allaient pas en diminuant non plus… Puis mon épaule me tirait toujours un peu…

J’emmenai Jesse à l’écart, près de notre voiture de patrouille, lui posai son petit cul sur le toit de celle-ci et le regardai en fronçant les sourcils.

-Qu’est-ce que ta main foutait dans le sac de la dame, Jesse ?

@ Billy Lighter

Cause toujours madame June ! Je tenais le portefeuille. Me restait plus qu’à le sortir du sac mais…

-Oh !

Je m’exclamai quand un main tomba sur mon épaule et me retourna très vite. Oh…

-Aïe !

Ma main avait lâché le portefeuille et une autre main retira la mienne du sac de madame June. Je fus surpris et déstabilisé. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait jusqu’à ce que mon regard rencontre celui de…

Oh non… L’inspecteur Keller…

Ma figure était toujours surprise. L’inspecteur Keller, c’était un flic. Il était souvent dans les rues de l’Eastside. Manuel disait qu’il fallait le fuir. Moi, je l’avais fui plein de fois. Il ne courrait pas vite, l’inspecteur Keller. Je le semais chaque fois… Mais pas là…

Il disait que j’étais pris en flag’. Oh oh… Oh ben non alors ! Je n’écoutais pas vraiment ce que l’autre inspecteur disait aux madames… Moi je regardais juste Keller qui finit par me prendre dans ses bras. Mince !!! Je gigotais un peu pour essayer qu’il me lâche mais il me tenait bien. S’il m’avait lâché j’aurais pu courir trèèèèèèèèèès loin. Mais pas là.

Et je sentis mon p’tit cœur battre plus vite. C’était rare quand ça arrivait. Ça m’était arrivé quand Paco était mort. Et ça m’arrivait maintenant parce que l’inspecteur Keller me tenait. Je voulais pas aller à l’orphelinat moi…

Keller me fit installer sur le toit de sa voiture de police. Et il me posa tout de suite des questions. Je regardais à gauche et à droite pour voir s’il y avait pas Manuel ou un autre pour faire diversion mais il n’y avait personne…

Alors je fixai l’inspecteur Keller et mon menton commença à trembler. Mes yeux se remplirent de larmes. C’était des fausses larmes. Je crois… Non, en fait j’avais un peu peur quand même. Je parlai d’une toute petite voix :

-Je voulais les bonbons que la madame avait dans son sac… Elle a des bonbons la madame… Je les voulais… Mais elle a l’air méchante alors j’avais peur de demander…

Je laissai couler mes larmes.

-Je veux pas aller en prison… S’il vous plait… Je voulais juste les bonbons. Je le ferais plus… C’est promis. S’il vous plait…

Je parlais d’une vraiment touuuute petite voix avec des sanglots parce que je pleurais.

@ Billy Lighter

Le petit assis sur le toit de la voiture, je voyais bien qu’il était paniqué et qu’il cherchait des yeux une échappatoire.

Et bien pas cette fois-ci. Cette fois-ci, c’était nous qui avions gagné. Bon, d’accord, ce n’était pas très mature de penser ça face à un enfant de six ou sept ans, mais à force de courir après, venait un moment où l’attraper devenait plutôt satisfaisant.

Je lui avais demandé directement ce qu’il était en train de foutre quand on l’avait attrapé. Je savais très bien ce qu’il était en train de faire, j’étais pas débile. Mais je voulais voir ce qu’il allait bien pouvoir me raconter.

-Et regarde-moi quand je te parle.

Pas la peine qu’il puisse communiquer avec ses amis qui pouvaient potentiellement se cacher un peu partout. L’Eastside était un quartier pauvre, beaucoup d’enfants couraient les rues plutôt que d’aller à l’école pour diverses raisons.

Mais je n’avais jamais réussi à savoir d’où Jesse sortait. Il se carapatait ou racontait n’importe quoi avant de se tailler. Je ne savais même pas s’il avait des parents ou pas, s’il vivait dans un squat ou autre.

Ce gosse sortait de nulle part. Et sa situation, quoi que vous puissiez en penser, m’attristait. C’était pas pour autant que je devais vraiment le montrer.

Et le Jesse baratineur fit très vite son apparition. Je ne connaissais même pas son putain de nom de famille. Si je savais qu’il s’appelait Jesse, c’était uniquement parce que j’avais entendu d’autres enfants l’appeler comme ça. Jesse était toujours à la traîne derrière les autres. Le plus souvent, il chantait dans la rue et détalait dès qu’il voyait notre voiture de patrouille.

Je soupirai en l’écoutant et en regardant ses larmes couler alors qu’il disait qu’il ne voulait pas aller en prison.

-Tu devrais devenir acteur…

Je sortis mon paquet de clope de ma poche de poitrine et en allumai une avant de taper un peu sur les mollets du petits pour lui signifier de lever les jambes, que je puisse ouvrir la portière. J’attrapai mon sac et en sortit un paquet de biscuits Oreo.

Je le lui pointai juste devant son petit nez. Conrad, lui, était appuyé sur le capot de la voiture, carnet en main, prêt à noter tout ce qu’il y aurait à noter.

Parce que c’était très bien mais, maintenant que j’avais mis la main sur ce gosse, j’avais aucune idée de ce que j’allais en faire. Parce que je n’avais justement aucune idée d’où il sortait, s’il avait des parents, etc.

Quand il essaya d’attraper les biscuits, je les éloignai.

-Hey ! Non ! On va jouer à un jeu. C’est comme un quizz. Tu réponds aux questions et je te donne un biscuit si je suis content, ok ?

Je lui souris.

-Deux règles d’abord : numéro 1, on arrête de pleurer. Les garçons ne pleurent pas. Numéro 2, on ne ment pas.

Je le regardai pour m’assurer qu’il avait bien pigé ce que je lui disais.

-Tu t’appelles Jesse comment et tu habites où ?

@ Billy Lighter

Manuel aide-moi ! Mais Manuel n’était pas là. Je cherchais d’autres du regard mais il n’y avait personne. Et l’inspecteur Keller me fit sursauter quand il disait que je devais le regarder quand il parlait.

Je pris un air très triste et je commençai à pleurer. J’avais un peu peur… Mais je savais que quand je pleurais, les adultes étaient moins méchants. Et l’inspecteur Keller, je savais qu’il pouvait me mettre en prison… C’est Manuel qui l’avait dit… Puis, Ugo aussi le disait parce que son père avait été arrêté aussi par des policiers et, maintenant, il était en prison pour toooooooooute la vie…

Moi, je voulais pas aller en prison pour toute la vie… Je n’aime pas être enfermé.

J’expliquai à l’inspecteur Keller avec une toute petite voix que je voulais les bonbons de madame June et que c’est ça que je cherchais dans son sac. Je mentais mais je devais mentir pour ne pas aller en prison.

Mes larmes mouillaient mon pansement et c’était pas agréable mais je devais continuer pour montrer que j’avais peur. L’inspecteur Keller disait que je ferais un bon acteur. Oh boh… Je ne joue pas… Enfin, si mais juste un petit peu… Ma bouche fit un drôle de mouvement alors que j’essayais de ne pas sourire. Mais ça ne dura pas longtemps et mon menton se remis à trembler.

L’inspecteur Keller pris une cigarette. Moi, j’avais l’habitude des cigarettes. Il y avait toujours plein de fumée à la maison. Manuel fumait. Ugo fumait. Ernesto fumait. Alvaro fumait. Alejandra fumait. Paco fumait… Oh non, plus Paco. Je laissais passer un p’tit sanglot à cette pensée.

L’inspecteur ma tapa alors sur la cuisse et je levai mes jambes. Bah, il faisait quoi ? Mes sanglots étaient plus fort parce que je croyais qu’il allait sortir des menottes… Mais non, il sortit juste des Oreo. Ma bouche s’entrouvrit.

Oh… Des Oreo… Oh… C’est mes biscuits favoris de tous les temps.

Je tendis la main pour attraper les biscuits mais l’inspecteur Keller éloigna le paquet.

-Oh…

Je me remis à gémir et à sangloter un peu. J’ai faim ! Je veux les Oreo… Oh… Pourquoi il veut pas me les donner…

Parce qu’il voulait faire un jeu. Je devais répondre à des questions et s’il était content, il me donnait un biscuit. Oh, ça a l’air facile. Je répondis d’une p’tite voix :

-D’accord…

Je regardais que le paquet d’Oreo alors que l’inspecteur Keller disait les règles du jeu. D’abord, je ne devais pas pleurer parce que les garçons ne pleuraient pas… Je reniflai essayant de ravaler mes larmes. Je le fis assez vite. Manuel aussi disait tout le temps que les garçons ne pleurent pas… Isabelle disait que ce n’était que des conneries. Que les garçons pleuraient plus que les filles.

Je me frottai les yeux pour essuyer mes larmes quand l’inspecteur Keller donna la deuxième règle. Pas mentir ? Oh… Je fis une drôle de moue mon regard toujours sur le paquet. Oh ben… Et si je dois mentir à la question, je fais comment ?

Je veux les Oreo…

-Oui, ok…

Et l’inspecteur Keller commença le jeu avec deux questions… Les réponses étaient faciles mais Manuel disait toujours qu’il ne fallait rien dire aux policiers. Mais j’étais hypnotisé par les Oreo… Je me léchais les lèvres et fis boucher ma bouche comme si je mangeais tellement j’en avais envie.

-Jesse St…

Non, je ne peux pas le dire, c’est dangereux… Il va me mettre en dans un orphelinat…

Mais les Oreo…

-Stark…

Ah il reste une question… Mince…

-J’habite dans l’Eastside.

J’avais répond à la question. Je tendis la main vers le paquet d’Oreo.

-Je peux ? J’ai répondu au quizz… J'ai pas menti...

Oh, allez, inspecteur Keller…

@ Billy Lighter

Le petit essayait de ne pas sourire à travers ses grosses larmes de crocodiles. Il y avait deux types de gens qui utilisaient cette technique : les mômes et les femmes. Et les deux étaient persuadés que ça leur suffiraient pour s’en sortir. Et ben pas de chance, parce que sur Conrad et moi, ça ne fonctionnait pas. Ça faisait même plutôt l’effet inverse. Peut-être parce qu’au Vietnam, on avait vu des femmes et des gosses qui avaient, eux, de bonnes raisons de chialer.

Enfin soit, ici, les choses étaient assez simples. Jesse jouait sur la mignonnerie mais avait envie de se marrer. Moi, ça me fis sourire, ma clope entre mes lèvres.

Et puis j’avais ma petite idée pour en savoir un peu plus sur cette petite anguille qui nous filait toujours entre les doigts. Mon paquet d’Oreo en main, la réaction de Jesse, bien installé son cul sur le toit de notre voiture, ne s’était pas fait attendre.

Ouais sauf que ça allait être du donnant-donnant, cette histoire, qu’est-ce qu’il croyait ?

Alors je définis les règles du jeu. Je posais des questions et s’il répondait suffisamment, vu qu’il n’y aurait pas vraiment de « bonne » réponse, je lui donnerais des biscuits. Il fit une tête à la deuxième règle ! On aurait dit Howard Stone avec qui j’avais pratiquement passé la soirée au mariage d’Hank North !

Il accepta de jouer et je lui demandai son nom, Conrad prêt à noter ce qu’il dirait.

Il hésita sur son nom de famille et mon regard se braqua sur lui. Pas pour lui faire peur mais parce que pendant une seconde, je crus vraiment qu’il allait dire « Stone ». Bah au moins, j’aurais su où le ramener. Mais c’était débile de penser ça : Stone avait pas de môme… L.A.People en parlerait, sinon. Puis même : il n’était pas le seul et unique Stone de Los Angeles…

Quant à savoir où il habitait… Il répondit sans répondre… Je ne savais pas si c’était une réponse de môme ou une réponse d’arnaqueur.

Je fis la moue et coupai un Oreo en deux, lui en donnant une moitié.

Pendant qu’il mangeait, je désignai ma propre joue, y traçant une ligne imaginaire pour représenter le pansement qu’il avait à la joue.

-Qu’est-ce que t’as fait à ta joue ? C’est ta maman qui t’a fait le pansement ?

@ Billy Lighter

Des Oreo… L’inspecteur Keller avait des Oreo… La vie était belle avec des Oreo… Je ne regardais plus que les Oreos et je ne pleurais plus sinon l’inspecteur Keller ne me donnera pas d’Oreo. Manuel a raison… Les flics sont méchants. Mais ils ont des Oreo aussi…

L’inspecteur Keller voulait me poser des questions et je devais u répondre sans mentir… Oh… Les règles étaient faciles et difficiles. Moi, je voulais bien ne pas mentir pour avoir les Oreo mais il fallait qu’il me pose des questions pour que je ne mente pas… Sinon, je devrais mentir… Mais si je mens, je n’aurais pas d’Oreo. Boh, c’était pas si facile que ça en fait…

Boh, mais je voulais quand même bien jouer.

Et il me posa les premières questions. Je lui donnai mon nom parce que j’avais envie d’Oreo. Manuel disait qu’il ne fallait jamais dire son nom de famille aux flics parce que c’était très dangereux mais j’avais faim. Puis, il me demanda où j’habitais et je lui dis la vérité. J’habitais dans l’Eastside. Ici, quoi…

Il prit un Oreo et mon visage s’illumina. Oh ouais, un Oreo ! J’ai bien répondu et il est content. Mais l’inspecteur Keller coupa l’Oreo en deux et me donna que la moitié. Boh… J’ai répondu comme il faut… J’ai pas menti… J’ai même répondu à deux questions et il me donnait qu’un demi Oreo ?

La vie est injuste…

-Boh… Juste la moitié ? C’est pas juste…

Je fis une très grosse moue mais je pris quand même l’Oreo pour le manger. Je le mangeai doucement parce qu’il y en avait pas beaucoup. Juste la moitié. Les adultes quand ils fixaient les règles, il y avait toujours une arnaque. C’est Isabel qui disait ça…

Alors que je mangeai l’inspecteur Keller montra sa joue et fit une ligne avec son doigt dessus. Je plissai les yeux. Boh, je comprends pas ce qu’il dit… Mais il mit des mots sur son geste. Il demanda ce que j’avais fait à ma joue et si c’était ma maman qui m’avait soigné. Oh… Bah non, maman est morte comme Paco…

-C’est Gaston… Mon chat. Il m’a griffé…

Gaston, c’était le chat qui vivait avec nous… Il griffe parfois. Un jour, il a griffé Guillermo et Guillermo avait une grosse griffe sur la joue. Alors je mens pas à l’inspecteur Keller. Sauf que ça n’est pas arrivé à moi mais à Guillermo mais c’est pas vraiment un mensonge.

-Non, ce n’est pas maman qui a fait le pansement, c’est Isabel.

Je ne mens pas non plus. Je tendis la main.

-J’ai répondu tout bien. Je peux avoir un Oreo entier. Parce que tu respectes pas les règles. Tu dis si je réponds bien, je peux avoir un Oreo et tu les coupes. Moi je réponds tout bien... C’est pas vraiment juste… Moi, je joue plus si c’est pas juste.

Je le regardais avec des yeux un peu triste parce que, lui, il respectait pas les règles.

@ Billy Lighter

Je me demandais pour lequel de nous deux ce petit jeu était le plus dur. Pour le gosse ou pour moi ? Parce que croyez-moi, jouer à ce genre de truc en sachant que moi, à ma fin de service, je rentrerais me foutre à mon aise dans mon divan, devant la télé, avec la femme que j’aime et que ce gosse, lui, serait peut-être encore à courir les rues avec tous les dangers que ça comportait, c’était pas de la tarte.

Et en plus, il savait se faire laid, le petit Jesse Stark. Ou plutôt l’inverse : il savait se faire tellement mignon que je l’aurais bien ramené à la maison fissa sans me poser de question.

Ouais, sauf que la vie est pas aussi simple qu’elle devrait l’être. Dans un monde idéal, les petits comme lui seraient pas dehors à se faufiler entre les balles perdues des gangs.

Il répondait à mes questions… Quant à savoir ce qui était mensonge ou vérité, c’était beaucoup trop compliqué à savoir. On glanerait ce qu’on glanerait… On avait son nom complet, c’était déjà pas mal. Mais un demi Oreo pour la cause, Jesse trouvait que c’était de l’arnaque.

-Je suis dur en affaire, qu’est-ce que tu veux…

Je lui avais posé d’autres questions. Sa joue, c’était son chat qui l’avait griffé. Ok. Le pansement, c’était pas sa mère qui l’avait fait mais une fille qui s’appelait Isabel.

Là-dessus, il tendit la main, réclamant un Oreo entier et à sa plaidoirie, je ne pus m’empêcher de sourire. C’était pas faute d’essayer pourtant.

-Ok. Tiens. Mais c’est juste parce que je veux encore jouer avec toi. Et ok, plus de triche maintenant.

Je m’accordai le demi Oreo à moi-même mais mon paquet était encore plein.

Une fois que je l’eus avalé, tout en réfléchissant, je tirai sur ma clope.

-Bon… Alors c’est qui, Isabel, vu que c’est pas ta maman ?

Je secouai la tête…

-Et puis pourquoi tu chantes pas au lieu de voler ? Tu chantes, d’habitude, c’est mieux, tu trouves pas ? Moi je t’emmerderai jamais si tu chantes.

@ Billy Lighter

Encore un Monsieur dur en affaire. Je soupirai parce que tout le monde voulait toujours gagner dans les affaires. Manuel était comme ça aussi. Alonso aussi… Même Isabel marchandait tout le temps.

Du coup, ben… Moi aussi… Et je trouvais que l’Inspecteur Keller était pas dur en affaire mais juste méchant parce qu’il ne respectait pas ses règles.

Et, en plus, il posa d’autres questions. Moi, je devais mentir. Je n’avais pas le choix. Je pouvais pas dire que la blessure c’était à cause du fusil du Monsieur méchant qui a tué Paco. Alonso avait dit « motus et bouche cousue » sur l’histoire. Je devais pas en parler surtout pas aux flics. Sinon, il a dit que j’irais à l’orphelinat et les autres aussi. Et je voulais pas.

Mais je dis quand même la vérité sur le pansement. Bah, ça pouvait pas être maman parce qu’elle était morte…

Et comme j’avais bien répondu (encore une fois !!), ben, je voulais un Oreo entier. Manger un demi m’avait donné envie d’en manger encore plus. Je voulais un entier parce que c’était la règle du jeu. Sinon, ce n’était pas juste. S’il me donnait que la moitié, moi, je ne jouerais plus. Boh oui, c’est normal…

L’Inspecteur Keller me donna un entier et mon visage s’illumina. Oh ! C’était bon les Oreo. Je le mangeai alors que l’Inspecteur Keller voulait encore jouer. Moi, je voulais bien répondre si j’avais encore des Oreo.

-Oui ! Plus de triche et moi je mens pas.

Bah oui, j’avais menti juste avant mais, lui, il m’avait donné un demi Oreo alors le mensonge était logique. Bah, il respecte pas les règles alors moi non plus.

L’Inspecteur Keller avait mangé un p’tit demi Oreo et me posa une autre question sur Isabel.

-C’est une amie. Elle est gentille.

Je souris. Une question… Un Oreo… Ah non… Il en pose plein des autres. Je fis une petite moue triste… Oh, il y avait beaucoup des questions… Je me grattai la tête. L’Inspecteur Keller trouvait que chanter c’était mieux que voler. Oh oui, j’adorais chanter.

-Oui, je sais que c’est mieux.

Je suis pas bête, moi… Enfin, même si Manuel dit que je le suis quand même un p’tit peu.

-Mais ça rapporte pas assez d’argent. Juste des p’tits sous et des billets de 1 dollars. Voler ça rapporte plus.

Ooooh, j’ai dit que je volais à un flic. Oooh non… Je mis mes deux mains sur ma bouche parce que je me suis rendu compte que j’ai dit que j’avais fait un crime. Je fis des yeux tristes et bougeai mes mains de ma bouche.

-Oh non j’ai pas volé… Enfin, si une fois mais je l’ai pas fait exprès.

Oooh Jesse, on peut pas voler sans le faire exprès. Mes yeux se remplir doucement de larmes.

-Je veux pas aller en prison, moi. Je veux rentrer chez moi, s’il te plait, Inspecteur Keller. Je volerais plus, promis.

Je me faisais vraiment tout triste. Mais un peu plus loin dans la rue derrière l’Inspecteur Keller, je vis Isabel. Elle m’avait vu et mis son doigt devant sa bouche pour ne pas que je la fasse repérer. Oooh, cool. Je tentais me ne pas sourire. Je continuais à être tout triste.

Et Isabel lança une grosse pierre tout droit sur le capot de la voiture de police pour attirer l’attention vers elle. Elle était sûrement pas toute seule. On était jamais seul. Enfin si, moi. Mais moi c'est parce que je voulais bien.

@ Billy Lighter

Ce môme était probablement la chose la plus adorable que j’aie jamais vu… Le problème, et ça se voyait, c’était qu’il en avait clairement conscience. Et en ça aussi, il me faisait penser à Stone. Le genre à se faire tout pardonner d’un regard.

Ça ne marchait pas avec moi. Sûrement pas de la part d’Howard Stone, en tout cas, à qui j’avais failli mettre une raclée le jour où il avait joué les Fangio en pleine rue avec sa Ferrari.

Avec Jesse Stark, c’était beaucoup plus difficile. Mais il fallait que je tienne bon. Même si Alexie et son complexe du super-héros l’auraient probablement recueilli comme un petit chat perdu dans une boîte à chaussure.

Ouais ben, légalement, je pouvais pas le faire.

Tout ce que je pouvais faire, c’était troquer des Oréo contre des informations.

Ce n’était donc pas sa mère qui lui avait fait ce pansement à la joue, mais une amie, Isabel. Je regardai Conrad du coin de l’œil qui écrivait dans son carnet. Et plus on parlait, plus je me disais que Stark faisait partie des Pequeñas Manos, les petites mains des Los Diablos. Il y avait des noms qui revenaient et tous ces mômes faisaient les pickpockets, entre autres, avant de passer au niveau au-dessus en grandissant.

Et c’était pas rassurant… Pour ces pauvres gosses, en tout cas, parce que moi, personnellement, je m’en porterai pas spécialement plus mal. Ou en tout cas, je savais que c’était comme ça que je devais penser parce qu’autrement, ce serait pas viable.

Fallait se détacher, tout en restant suffisamment humain pour faire son job convenablement. C’était ça, être flic… Et ça ou marcher sur un putain de fil entre les deux tours du World Trade Center, c’était pareil.

On avait jamais su où les orphelins des Los Diablos créchait. Et peut-être que j’avais entre les mains le moyen de le savoir.

Mais avant, je voulais savoir pourquoi Jesse avait décidé de voler aujourd’hui alors que d’habitude, il chantait. Enfin, j’étais pas totalement idiot non plus, je me doutais bien que c’était pas la première fois qu’il volait.

Et sa réponse, en gros, voulait un peu dire : business is business. Le vol rapportait plus que le chant, dans la rue.

Qu’est-ce que vous voulez répondre à ça ? Lui dire que c’était pas vrai ? Il était encore mieux au courant que moi !

Alors je fis la moue et lui plaqua ses deux mains sur sa petite bouche parce qu’il venait de se rendre compte de son aveu. J’étais sacrément fortiche, en interrogatoire… Fallait juste que mon suspect n’ait pas atteint les 10 ans…

-Tu vas pas aller en…

BANG !

Je me retournai vivement tandis que Conrad jurait ses grands dieux. On venait de ramasser un bout de pavé en plein dans le capot. Conrad partit en courant. Je lâchai le paquet d’Oréo qui tomba à terre et courus à sa suite. Avec une fusillade qui avait éclaté à peine quelques jours plus tôt, c’était pas une bonne idée de laisser mon coéquipier partir tout seul. Et en l’occurrence, c’était pas comme si Jesse Stark était un bandit de grand chemin…

Enfin pas encore, quoi…

On courut dans des ruelles, après une bande de gosse qui finit par s’éparpiller partout et de toute façon, on se retrouva comme à chaque fois contre les Pequeñas Manos, complètement à bout de souffle, nos mains sur nos genoux.

-Eeeet putain !

On avait une bosse à la bagnole et je doutais que je retrouve Jesse Stark assis sagement sur le toit de la bagnole…

-Merde ! Cours !

Conrad secoua la tête alors que je partais en courant en sens inverse.

-Mais quoi ?!

Je lui lançai, courant déjà loin devant.

-J’ai laissé la bagnole ouverte !

Bande d’incompétents, qu’on était…

-T’es con, Jordan ! T’es vraiment CON !

@ Billy Lighter

Oh non ! Je venais de dire que j’avais volé… Oh… C’est nul… Manuel m’aurait entendu, il aurait encore dit que je suis bête. Je ne suis pas bête… Ugo, lui était bête. Mais pas moi. Je fais juste pas trop attention…

Je voulais pas aller en prison. Mais je venais de dire que j’avais volé, alors… Oh, c’était nul de finir en prison comme ça. J’essayais de rattraper le coup mais ce n’était pas facile. Moi, je voulais pas être dans une cage toute ma vie comme les parents de certains de mes amis. On pouvait mourir en prison, en plus. Le papa d’Alejandra est mort en prison.

J’avais peur…

Mais Isabel était là et allait me tirer d’affaire. Je fis comme si je ne l’avais pas vu mon petit menton tremblant encore à l’idée de la prison. Et l’Inspecteur Keller allait dire quelque chose avant qu’Isabel ne lance une grosse pierre sur la voiture de police.

Je regardais deux seconde l’Inspecteur Keller essayant de cacher mon sourire. Boh, oui, c’était trop marrant.

-Oups…

Je souris d’un air malicieux parce que je n’arrivais plus à me retenir. L’autre policier disait des gros mots. C’était des gros mots encore plus vilains que ceux que disait Manuel.

Et l’Inspecteur Keller se mit à courir vers Isabel. L’autre policier aussi.

Oh ! Je suis sauvé !

Je sautai du toit de la voiture. La portière était toujours ouverte mais c’est les Oreo que je pris en premier. L’Inspecteur Keller avait fait tombé le paquet à terre. Je devais me sauver maintenant ! Ah non… D’abord, je regardai à l’intérieur de la voiture de police.

Oh, un sac !

Je pris le sac et le mis sur mon dos puis je pris la fuite dans les rues opposées pour partir loin de l’Inspecteur Keller. Je couru longtemps et très vite avant de me retrouver dans une toute petite rue plus loin. Je m’assis à terre et repris mon souffle. Je mangeai un Oreo et puis j’ouvris le sac pour voir ce qu’il y a dedans.

Oh, une boite !

J’ouvris la boîte mais il n’y avait que des tartines dedans. Je mangeai les tartines. Miam. Il est bon ce fromage !

Quand j’eus fini les tartine, je mangeai un autre Oreo. Il y avait du coca aussi dans le sac. Je pourrais le reprendre à la maison.

Mais le mieux, c’était le portefeuille ! Je déposais les Oreo à côté de moi et ouvris le portefeuille. Oh un billet de 20 dollars !

Oh ! Je suis riche !

Mon visage s’illumina et je mis le billet dans ma poche. Le reste c’était que des cartes. Ça ne servait à rien.

Je remis le portefeuille « vide » dans le sac et le remis sur mon dos. Puis, je repris les Oreo et me mis à marcher pour rentrer chez moi. La journée avait été trop longue déjà même si on était encore que le matin. Alors, il fallait que je rentre me reposer pour demain.

@ Billy Lighter