Hollywood, Christopher North’s Residence, 11 AMRéactions imprévisibles et exagérées, hypersensibilité émotionnelle, sens accrus, mémoire photographique hors normes, mécanismes de défenses incalculables, traitement des informations et stimuli simultanés et au même niveau d’importance sans mise en perspective, relations avec autrui mal construites, mauvaise interprétation des actes et paroles d’autrui, rejet du système scolaire, angoisses, repli sur soi, méfiance maladive, comportement distant, système de communication dysfonctionnel (s’exprimera plus facilement par un art que par la voie « normale »)…
Ce ne sera que dans deux, voire trois décennies que des psychiatres et autres scientifiques arriveront à mettre un nom plus ou moins correct sur un être humain réunissant toutes ces caractéristiques après avoir longtemps oscillé entre les termes « autiste » et « surdoué », l’un comme l’autre terme étant complètement erroné…
En ce qui me concernait, à notre époque, j’étais juste un peu « taré sur les bords », un peu « spécial »… mais bon, j’étais né en 44 et j’avais donc 38 ans en 1982… Alors pour la compréhension et l’analyse par les psys, je l’avais un peu dans le cul. Même si, en réalité, il n’y avait pas de solution à mon « problème ».
Après ce qui me sembla être un long et laborieux voyage vers la surface, je finis par ouvrir les yeux… Je paniquai deux secondes en me demandant où j’étais avant de reconnaître la chambre d’ami de la résidence de Stopher.
Alors la soirée d’hier me revint assez facilement… C’était pas comme si j’avais été bourré. Nan… J’avais même pas cette excuse-là… Je me rappelais donc avoir frappé un chanteur de merde, puis avoir frappé Daniele Ricci, les deux ayant insulté Bailey.
Je grimaçai en sentant d’ailleurs mon poing droit qui me lançait… Puis ma joue aussi… Je portai ma main à mon visage et sentit qu’on m’avait mis trois petits strips sur la pommette… Sûrement que c’était Grace qui me les avait mis… Je me rappelais vaguement avoir parlé avec Grace pendant la nuit. Lui avoir parlé de Bailey.
A propos de Bailey, je levai ma main gauche au niveau de mes yeux, mais le bonbon, y était toujours. Je frottai mon visage à deux mains en soupirant, seulement à moitié rassuré. Stopher allait pas me louper !
Une fois que je fus sûr d’avoir les yeux suffisamment en face des trous pour me lever, sachant très bien que mon petit mélange de médocs était traître, je sortis du lit, en slip, pour aller dans la petite salle de bain attenante. A en juger par le bruit de la circulation venant de l’extérieur et le soleil qui filtrait à travers les fenêtres, la journée devait déjà être bien entamée.
Je pissai un coup, réalisant que mon poing droit était bien gonflé et égratigné au niveau des jointures… putain, Ricci devait s’être réveillé avec une sacrée gueule de bois… Je me plaçai ensuite devant le lavabo et fis couler l’eau, me lavant doucement les mains après avoir enlevé la jujube de mon annulaire. Je me demandais sincèrement comment ce truc n’avait pas encore cassé… fallait pas demander ce qu’ils mettaient dedans…
Je rinçai aussi mon visage, essayant d’éclaircir mes idées et cherchant surtout quoi dire à Christopher. Mais y avait rien à dire, sans compter que, si Ricci portait plainte, mon avocate allait faire une crise de nerf.
Je retournai dans la chambre dans le but d’enfiler mes vêtements de la veille, mais sur la commode, Grace avait pris la peine d’en disposer des propres, avec une courte note écrite de sa belle écriture ronde.
« Vieux mais propres. »Je souris. J’avais toujours eux un faible pour la mère de Robin, probablement pour le simple fait que, quoi qu’il arrive, elle avait toujours été d’une extrême gentillesse avec moi.
Je pris les vêtements et les enfilai. De fait, il s’agissait de vieux vêtements à moi, tellement usés qu’ils en étaient troués…
-Génial… Howard Stone style…On frappa doucement à la porte. Aucun doute que ce n’était pas mon frère…
-Hank ? Je peux entrer ?
Je me dirigeai vers la porte de la chambre que j’ouvris pour voir Grace et un plateau avec du café et de quoi manger.
-C’est ta maison, Grace, tu peux entrer où tu veux…Je pris le plateau pour l’aider et la laissai entrer.
-Et je mérite pas tout ça …-Oh dis pas ça…
Elle s’installa gracieusement sur le lit et tapa le matelas juste à côté d’elle. Elle avait près de 50 ans… je lui en donnais à peine 35…
-Allez, viens t’asseoir. Tu veux bien me parler à moi, non ? Tu as essayé pendant la nuit, mais avec ce que Chris t’avais donné, c’était incompréhensible.
Je hochai la tête et posai prudemment le plateau sur le lit, prenant dessus le mug de café avant de m’asseoir à côté de ma belle-sœur.
-Stopher a pas eu le choix, pour les médocs… Faut pas l’engueuler. Je pinçai les lèvres et baissai les yeux sur ma tasse entre mes cuisses.
-Il est pas là ?Je redoutais vraiment le face à face avec mon frangin. Je sentis Grace sourire plus que je ne la vis alors que je prenais une première gorgée de café. Je fis la grimace : c’était du déca… mais je m’abstins de faire un commentaire.
-Ne t’en fais pas pour lui, je ne risque pas de le dévorer. Il est parti chercher ta voiture au Crazy Ginger avec Dylan Turner. Il ne devrait pas tarder mais je voulais te parler seule d’abord.
Elle passa brièvement une main dans mes cheveux alors que j’ouvrais et fermais mon poing blessé pour l’assouplir.
-Qu’est-ce qui s’est passé hier soir ? Je sais que tu n’es pas violent parce que tu aimes ça. Je sais que la colère te fait plus de mal à toi qu’à tous ceux que tu pourrais démolir dans un coup de chaud.
Grace posa sa main sur la mienne.
-Et arrête ça, tu vas te faire mal.
Mon regard croisa le sien et je n’eus d’autre choix que de lui répondre et d’arrêter de serrer et desserrer le poing. A la place, je lui désignai le bonbon à mon autre main, faisant passer ma tasse d’une à l’autre.
-Ma fiancée s’appelle Bailey… sauf qu’avant d’être ma fiancée, Bailey était une prostituée camée bien connue dans la jet-set…Je repris une gorgée de café…
-Le chanteur du groupe d’hier a ramené ça sur le tapis, puis Ricci et je me suis emporté. Mais en réalité, c’est quand même moi qui ai balancé un verre aux pieds de ce chanteur parce que…Je regardai Grace, incapable de mettre des mots là-dessus… et portai ma main libre à hauteur de mon oreille.
-Y avait comme une fréquence… Et quand je me suis rendu compte que j’étais piégé de cette fréquence, de ce bruit répétitif et que je pouvais anticiper, c’était déjà trop tard, mes plombs avaient déjà sauté…Je soupirai et regardai à nouveau le fond de ma tasse…
-Bref, je suis bon à enfermer, je crois… Après, tout s’est enchaîné… je sais même pas comment ce type savait pour Bailey… Peut-être un de ses clients, j’en sais rien.Je sentis l’exaspération poindre dans la voix de Grace.
-Jessica Hill.
Je regardai ma belle-sœur, interloqué.
-De quoi, Jessica Hill ?Grace se contorsionna et un moment donné, je crus vraiment qu’elle allait se déshabiller auquel cas j’aurais été très mal pris. Mais en fait, elle sortit de sous son haut un numéro de L.A.People qu’elle y dissimulait puis y chercha frénétiquement une page.
-Chris et moi, on croyait que tu étais allé au Crazy Ginger sous le coup du dernier article de Sorensen pour te mettre une mine, ce qui nous semblait déjà bizarre parce que tu aurais été plutôt du genre à te terrer à San Fernando Valley. Je voulais donc entendre ta version des faits avant de prendre nos suppositions pour acquis.
Je la regardais, les yeux écarquillés.
-Je vois toujours pas le rapport avec Jessica Hill…Elle me tendit l’article alors, avec en photo Jessica et Bailey. Je l’attrapai en manquant de renverser mon café. Grace, elle, continua :
-Jessica Hill... La leader du Golden Triplet… Et probablement une des seules femmes dont tu ais clairement refusé les avances.
J’avais l’article en main, mais me focalisais sur les photos. Ça me faisait vraiment bizarre de voir Bailey dans L.A.People, même si c’était déjà la deuxième fois… et ça me faisait mal aussi parce que cette grognasse de Jessica Hill avait clairement torpillé Bailey qui n’avait pas les armes pour se défendre. Je ricanai méchamment quand j’en arrivai à la partie de l’article où elle défendait Kate, sa « sœur de cœur ».
-Putain de salope… Quand Hill m’a fait des avances, j’étais marié à sa « sœur de cœur » ! C’est pour ça que j’ai refusé ! « Hors de question que je reste sur le carreau. Hors de question qu’elles puissent avoir quelque chose et pas moi ! » qu’elle m’a dit ! Si je l’avais pas repoussée, elle…Je frottai mon visage de ma main libre, achevai mon café d’une traite en me brûlant la gorge puis me laissai tomber en arrière sur le lit, mon mug vide sur mon ventre. J’aurais pu m’énerver, mais l’effet des médocs était pas encore tout à fait dissipé.
-Enfin, tu vois le tableau, quoi…Je ne pensais qu’à Bailey… Bailey sur laquelle Jessica Hill venait de coller une étiquette qui serait difficile à enlever quels que soient les efforts qu’elle puisse faire… Et j’étais trop mauvais en communication pour répliquer par médias interposés…
Grace me coupa dans mes réflexions, me regardant en fronçant les sourcils.
-Hank ?
Je frottai mes yeux…
-Mmm ?-Tu m’avais jamais dit que tu avais couché avec Victoria Hunter…
Ce fut à mon tour de froncer les sourcils.
-Normal… Je n’ai jamais couché avec Victoria Hunter. D’où tu sors ça ?Elle haussa les épaules.
-Quand tu as dit que Jessica Hill t’avais dit : « Hors de question qu’elles puissent avoir quelque chose et pas moi ! »… J’imaginais qu’elle parlait des deux autres du Golden Triplet, Victoria et Kate…
Je haussai les épaules à mon tour.
-Hill est cinglée… Je n’ai couché qu’avec Kate, du Golden Triplet, et je l’ai mariée en plus… une c’est largement suffisant…Mais mon esprit était ailleurs, de toute façon… Mon esprit était toujours sur « putain, comment Bailey et moi, on va gérer ça avec nos deux tempéraments ? »
-Hank… Juste une dernière question…
Je fermai les yeux :
-Bah… Tant qu’on y est…Elle sembla hésiter puis :
-Les marques sur tes épaules et ton torse… Tu ne t’es pas fait ça en te bagarrant, hein… ?
C’est là que Christopher entra, me faisant sursauter et me redresser d’un coup sur le lit. Grace, elle, sourit à son mari qui me pointa du doigt.
- Toi, là!
Ca y était, j’allais prendre pour mon grade, et à raison.
-Stopher, je…Il me lança d’abord mes clés de voiture que j’attrapai au vol.
- Tu crèves de bol : ta Lotus a pas une gratte et ses quatre pneus. La vie est injuste.
Bon réalisateur, Stopher, mais très mauvais acteur et son sourire en coin trahissait à la fois le coup fourré et l’idée de génie. Je penchai la tête sur le côté, les sourcils froncés et attendant de voir la magouille… parce que magouille il y avait.
Dylan Turner entra à son tour et lui, c’est carrément un dictionnaire qu’il me laissa tomber sur les genoux alors que j’étais bouche bée de le voir là. Je baissai les yeux sur le véritable bouquin que j’avais sur les genoux. Mon frère reprit la parole :
- Tu vas nous mémoriser ça. Tu seras Kirk Silas dans le prochain film que je vais réaliser et qui sera produit par Dylan. Et c’est pas négociable.
Je regardai Dylan, puis Stopher, puis Grace, puis à nouveau Stopher.
-Je rêve ? C’est une blague ou quoi ?- Non. La blague, c’est cette saloperie dégueulasse et collante que tu as à l’annulaire, Hank. Si tu aimes vraiment cette fille, Bailey, qui qu’elle soit ou ait été, offre-lui au moins quelque chose de correct. Je t’emmène chez Baumann. Maintenant. Et c’est moi qui conduis. Pas négociable non plus.
Je me tournai vers Grace.
-Il a repris du LSD ?Elle ébouriffa mes cheveux en rigolant et en m’invitant à suivre mon frère. Je me levai donc du lit et Stopher passa un bras autour de mes épaules.
-Mais et pour Ricci ? Si je vais en taule, je pourrai ni me marier, ni tourner le film…Stopher me fit un clin d’œil.
- Je m’occupe de Ricci.