De toute les chansons qui étaient passées aujourd'hui, c’est sur cette celle-ci que mon cerveau marqua un temps d’arrêt, et là aussi ou je me mis à chantonner d’un air distrait, occupée à ouvrir les différentes factures qu'on venais de recevoir. Parfois, je me demandais même si la radio n’étais pas réglée par rapport à mes différents états d’esprits de la journée.. Oui, les heures commençaient à se faire longues. Et les clients passaient, sans réelles convictions d’achats.. Autant j’adorais mon métier, comme des fois j’avais envie de tout larguer pour un oui ou pour un non. Et là, en l’occurrence, j'étais complètement blasée.

Il étais 19 heures, et la boutique se faisait de plus en plus calme et de plus en plus vide. J’attendais d’encaisser les derniers clients pour aller mettre de l’ordre dans le magasin, puis pour aller m’accorder quelques secondes de répit. Une fois le magasin déserté par les derniers clients, j’en profitais pour aller m’asseoir derrière le comptoir, et pour négligemment poser mes pieds sur le comptoir. En espérant que personne n’allais se pointer au magasin d'une minute à l'autre. Sinon ça allais pas forcément nous faire de la bonne pub..Pour savourer ce moment de répit, je sortis une cigarette que je m'alluma sans tarder. Je laissait mon dos s'appuyer sur le dossier de la chaise, et ma tête balancer en arrière, en recrachant la fumée de ma cigarette tout en savourant le plaisir de la première taffe en fermant les yeux.

Malheureusement, ma trêve ne dura pas plus longtemps, puisque quelqu'un venait de passer le seuil de la porte. Je m'étais alors empressée de retirer mes pieds du comptoir et de me redresser pour pouvoir saluer la cliente qui venais d'entrer dans la boutique. Il s'agissait d'une fille qui passait de temps à autre à la boutique. Mais en revanche, je n'avais jamais eu l'occasion de faire connaissance avec cette dernière. Ce qui en soit était plutôt dommage, car chaque fois qu'elle me déposait ses vinyles sur le comptoir, je ne pouvais qu'approuver ses bons goûts en matières de musique.

Je continuais tranquillement à fumer ma cigarette tandis que je jetais de temps à autres un coup d'œil à la fille qui fouillait à son aise les différentes catégories musicales. Je la vis alors s'emparer d'un vinyle collector d'un groupe punk en vogue ces derniers temps à L.A. D'un air enjoué, je me permettais alors de lui lancer :

- C'est le meilleur groupe punk que j'ai jamais écouté ! Tu devrais y jeter un oeil.. enfin.. plutôt une oreille.. Ils sont nouveaux sur le marché, mais ça paie pas de mine !

C'est pas possible ça. J'étais incapable d'aborder quelqu'un sans m'y prendre maladroitement. J'étais irrécupérable.

Boom, boom, boom. Mon sang bat fort contre mes tempes. Je plisse les yeux sous la lumière électrique du néon du supermarché. Autour de moi, quelques clients parcourent les rayons d'un pas pressé, à la recherche du dernier produit bon marché qui complétera le tas de conneries qu'ils ont amassées dans leur cadis. Des odeurs de viande froide et de plastique viennent me chatouiller les narines, ce qui me donne la nausée. En fond sonore, une radio locale passe un horrible tube de cette année. Une voix féminine criarde qui me fait grimacer.

Que suis-je bien venue faire ici ? Comment me suis-je retrouvée dans ce supermarché ? C'est le blanc total.

J'erre quelques minutes entre les rayons, comme une âme perdue qui n'a ni route à suivre, ni but à poursuivre. Alors que j'arrive au rayon surgelés, des bribes de la journée me reviennent en tête. Une répétition chez les frères Keller. Elle a duré plusieurs heures. Jusqu'à 17 heures, quelque chose comme ça. Puis je revois les carcasses vides des bouteilles alignées sur la table du salon. Il me semble ensuite que je me suis enfermée dans ma chambre pendant environ une heure. C'est un terrible mal de tête qui m'a fait émerger de mon trou.

Ah. Voilà ce que je suis venue chercher : de l'aspirine pour ma tête.

Je quitte le rayon alimentaire pour me diriger vers le rayon pharmacie. Je m'adresse à une vendeuse qui me donne une petite boîte en carton blanc. Je fais marche-arrière pour aller me chercher une bouteille d'eau et je m'en vais payer tout ça.

Je sors ensuite du supermarché. Je me pose sur un banc pour avaler mon comprimé. Je fourre le reste de la boîte dans la poche de mon blouson défoncé. Je bois encore quelques gorgées d'eau puis je balance la bouteille dans une poubelle. Je poursuis ensuite mon chemin jusqu'au paradis. Heu oui, vous savez, le paradis de la musique.

Les yeux pas encore totalement en face des trous, je passe la porte de la boutique de disques du quartier. A peine entrée, je me sens tout de suite mieux : l'odeur des veilles pochettes en carton m'envahit les narines. Je suis chez moi. Je salue la jeune vendeuse assise derrière le comptoir, une belle blonde se consumant à ses lèvres. Je n'ai échangé que de simples politesses avec elle, pourtant il y a quelque chose chez elle qui fait que j'apprécie sa présence. Elle dégage une aura particulière et agréable. En fait, je crois qu'elle est tout simplement attachante.

Je parcours les rayons, passant devant des époques et des genres musicaux différents en quelques pas. Je m'arrête devant le rayon punk, mon préféré. Devant moi, trônant fièrement au premier rang, un vinyle attire mon attention. Une scène. Un homme et une guitare prête à se faire exploser. Des lettres roses et vertes. Et ces deux mots. London Calling. Étrange... J'ai l'impression d'avoir déjà vu cette pochette quelque part.

C'est la voix de la vendeuse qui, m'adressant la parole, me sort de ma rêverie. Enfin, il me semble que c'est à moi qu'elle parle vu qu'il n'y a personne d'autre dans la boutique. Je me retourne, le précieux vinyle entre mes mains.

- Tu parles des Clash hein ? Il paraît qu'ils sont vraiment pas mal. Je crois que j'ai écouté une ou deux chansons d'eux mais pas plus...

Je souris, amusée par l'attachante maladresse de mon interlocutrice. Oui, attachante est vraiment le mot. Je contourne un rayon pour venir me pointer devant comptoir derrière lequel la petite brune est toujours assise.

- Dis, ce serait possible de l'écouter ? J'aimerais vérifier s'il s'agit vraiment du meilleur groupe punk de tous les temps.

Je lui adresse un clin d'oeil, puis dépose le vinyle sur la table, en priant pour recevoir un appel de Londres. Je ne sais pas si ce genre de demande se fait. Mais il est déjà tard, la boutique est vide et puis la vendeuse est sympa. Alors autant essayer.

Elle connaissait les Clash. Cela ne faisait que confirmer l'idée que je me faisais d'elle. Cette fille avais vraiment de bons goûts.. et semblait avoir une culture musicale bien calée. J'allais peut-être enfin pouvoir parler de musique avec quelqu'un sans qu'il ne me regarde comme un alien ! Finalement, cette journée n'étais peut-être pas si horrible qu'elle n'en avais eu l'air jusque là.

- Alors tu devrais écouter celui-ci, c'est un vrai bijoux..

Ma maladresse ne sembla pas étonner la belle rousse. Et mieux encore, cela semblait même l'amuser. Tant mieux.. j'avais toujours eu du mal avec les gens psychorigides. Elle vint ensuite se poster juste devant moi, en me demandant si elle pouvais écouter le vinyle en question. Je lui adressais donc un petit sourire comme signe d'accord à sa demande, puis j'attrapais le vinyle de ma main libre, en laissant ma blonde se consumer au bord du cendrier.

- Tu oses mettre en doute mes dires ?

Je lui adressais alors un sourire mesquin avant de me retourner pour insérer le vinyle dans le lecteur qui se trouvait un peu en retrait du comptoir. Une fois retournée, je vint m'asseoir contre le comptoir auprès de la jeune femme qui étais restée debout. Je jetais un coup d'oeil à l'entrée du magasin, histoire de vérifier brièvement si personne n'arrivais. J'attrapais mon paquet de blondes pour l'ouvrir, glisser un bout de cigarette hors du paquet et tendre ce dernier à la jeune femme.

- T'as de la chance, y'a pas un chat ce soir ! J'm'appelle Liz, et toi ?

Demander son prénom à quelqu'un en lui tendant son paquet de cigarette ouvert. Bon ok, ça pouvais paraître étrange comme approche, c'est vrai. Mais pour moi, offrir une cigarette à quelqu'un revenait au même que d'échanger une poignée de main. De toute façon, j'avais jamais été très douée pour faire preuve d'ordinaire..

Je pivotais un instant pour aller chercher ma cigarette qui m'attendais depuis quelques secondes au bord du cendrier. J'en fis tomber les cendres puis j'inspirais quelques taffes, laissant le son crépitant et authentique du vinyle combler le vide qui s'était emparé de la pièce. Le silence ne me gênais absolument pas. D'autant plus qu'ici, le silence n'étais jamais vraiment complet vu que la musique tournait sans arrêt.

Mon visage s'illumine lorsque la jeune vendeuse accepte ma demande. Franchement, est-ce qu'il y a quelque chose de mieux que d'écouter de la bonne musique dans une super boutique en présence d'une personne sympa ? Je ne pense pas.

- Je ne mets pas en doute tes dires ma belle. Je mets en doute les dires de tout le monde, je lui réponds avec un clin d'oeil.

Je regarde ensuite la jolie brune se retourner pour aller placer le vinyle dans le lecteur. M'empêche, je suis contente d'être tombée sur une vendeuse aussi ouverte d'esprit. Il est clair qu'on trouve rarement de sales vieux conservateurs dans ce genre de boutique, mais je suis déjà tombée sur des vendeurs vraiment coincés. Ce soir, j'ai vraiment l'impression d'être avec une amie, à écouter de la bonne musique et à se partager des clopes. D'ailleurs, j'accepte avec plaisir celle que la vendeuse me propose.

- Merci !

Je plonge une main dans la poche de mon blouson en cuir et en sors mon briquet. J'allume ma blonde et remets le briquet à sa place. C'est à ce moment que les premiers riffs de l'album London Calling se font entendre.

- Hé ben, je suis une privilégiée ! Enchantée Liz, moi c'est Roxxy.

Je lui adresse un sourire sincère avant d'inspirer une grande bouffée de ma cigarette que j'expire lentement dans l'air du magasin. Liz retourne chercher sa blonde qui continuait de se consumer au bord du cendrier.
Pendant environ deux minutes, je ne dis plus rien. La musique retient toute mon attention. Je me contente simplement d'hocher la tête en rythme. Je laisse la voix particulière du chanteur guider mes pensées. Je me vois dans une Londres industrielle et misérable, au bord d'une rivière sale. « A nuclear error, but I have no fear. 'Cause London is drowning, and I live by the river. »

- Putain comme c'est bon !

Je m'exclame en redressant la tête. J'attrape la pochette de l'album et me mets à lire le verso. En effet, ils sont vraiment bons. Ils dégagent quelque chose de particulier. Je ne sais pas si c'est parce que je suis habituée à la musique américaine. En tout cas, les Clash ont un truc en plus. Peut-être est-ce le charme anglais qui fait son effet ? Ou peut-être que Liz a raison et qu'il s'agit vraiment du meilleur groupe punk de tous les temps ?

London Calling s'achève et Brand New Callidac débute sur des riffs endiablés. J'inspire à nouveau une bouffée de nicotine avant de venir tapoter ma cigarette contre le cendrier pour en faire tomber la cendre. Je m'accoude alors sur le comptoir, pile devant la petite brune.

- Dis, elle est à toi cette boutique ?

La rousse affirma qu'elle ne mettais pas en doute ce que j'avançais, mais plutôt l'avis des gens en général. En même temps.. qui se fierais-t-il totalement à l'avis d'un parfait inconnu sans d'abord vérifier par lui-même ? Personne.. je pense. Où peut-être quelqu'un de carrément insipide.. Mais j'avais franchement du mal à le concevoir.

- Tu as entièrement raison !

Celle-ci sembla emballée par mon offre. Ouf, soulagement.. car l'espace d'une seconde, je m'étais imaginée la scène si celle-ci avait été non fumeuse. J'aurais surement laissé un gros bide s'emparer de notre conversation, et je me serais surement sentie mal. Mais peu importe, c'étais apparemment pas d'actualité.

La rousse se présenta à son tour, en inspirant une grande bouffée de sa cigarette, tandis que les riffs et les paroles engagées de London Calling se faisaient entendre dans la boutique. Roxxy semblait complètement absorbée par la chanson. J'esquissait donc un petit sourire, ça me faisait plaisir de voir quelqu'un autant s'imprégner d'un morceau et le vivre à fond. J'éteignais ensuite ma cigarette que j'écrasa au fond du cendrier. J'entendis alors Roxxy adhérer à The Clash, et je la vis alors se jeter sur la pochette du vinyle, comme stupéfaite.

- Alors.. j'avais pas raison ?

J'étais bien installée, perchée sur le meuble ou trônait le lecteur en marche. Roxxy vint alors se poster devant moi, en s'accoudant au comptoir. Elle me demandais si la boutique m'appartenait. Je baissais alors mon regard au sol avant de lâcher un léger rire, tout en passant ma main dans ma nuque d'un air un peu confus.

- Des fois oui.. d'autres non.. Je partage la gestion de la boutique avec mon père.. enfin, je suis censée. Mais j'ai hérité d'un père tire-au-flanc, et qui préfère passer la plupart de son temps au Stryge plutôt que de s'occuper de sa boutique.. C'que je comprends d'un côté.. mais..

Je grimaçais avant de reposer mon regard sur la belle rousse, et de déclarer d'un air ravie.

- Mais du coup.. ouais, on peut considérer que c'est ma boutique ! Alors fais comme chez toi..

- Ouais, je dois avouer que sur ce coup, j'aurais dû te faire confiance. Sans rancune hein ?, je souris avant de reprendre une grosse bouffée de ma cigarette.

Liz a l'air un peu déstabilisée par ma question. J'espère que je n'ai pas fait de gaffe ou je ne sais quoi. Je la regarde avec un petit air soucieux alors qu'elle laisse échapper un petit rire nerveux. Elle m'explique alors que la boutique est théoriquement à son père, mais que ce dernier préfère passer son temps au Stryge plutôt qu'ici. Ok, je vois bien le genre.
Ma nouvelle amie continue en déclarant que la boutique est donc quasiment la sienne et que je peux faire comme chez moi. Un sourire amusé vient se dessiner sur mes lèvres avant que je ne reprenne une dernière grosse bouffée de tabac.

- N'empêche, il est fou ton père ! Si j'avais eu une boutique pareille, j'y aurais passé toutes mes journées ! D'un autre côté, je le comprends. Passer ses soirées au Stryge à se descendre des verres c'est la belle vie ça ! En plus, y'a toujours d'la bonne musique là-bas.

Je marque une pause pour venir écraser mon mégot dans le cendrier. Puis je relève la tête vers Liz. Cette nana dégage quelque chose de particulier. Vous savez, ce genre de personne qui vous inspire de la sympathie et de l'affection sans que vous sachiez très bien pourquoi. Quoi qu'il en soit, je suis contente de m'être rendue dans cette boutique ce soir. Et je crois d'ailleurs que je vais repartir avec le meilleur album punk sous le bras. Il faut absolument que je fasse écouter ça à Duncan et au reste du groupe. Ils vont adorer j'en suis sûre.

- Cool alors ! Je vais t'avouer un truc d'ailleurs. Je considère tous les magasins de disques comme ma deuxième maison.

Moi qui n'ai jamais été très à l'aise dans les lieux publics ou dans les endroits remplis de monde, je suis pourtant comme un poisson dans l'eau dans les boutiques de disques. Mais je sais très bien pourquoi. C'est grâce à la musique.

Tout le long de notre conversation, les Clash continuent de déverser leurs paroles enragées et leurs rythment entraînant dans le vieux lecteur. Une nouvelle chanson démarre et je sens que mes jambes ne tiennent plus en place. J'enlève mon blouson en cuir, que je pose sur le comptoir, juste devant Liz. Puis je ferme les yeux et je me mets à me balancer en rythme. Au bout d'un moment, je relève la tête vers mon amie. Je lève le bras dans sa direction, comme pour l'inviter à venir me rejoindre.

Roxxy affirmais que mes conseils s'étaient avérés véridiques. Ouf, j'étais pas disquaire pour rien ! Je savais cerner les goûts et les couleurs de chaque personnes qui franchissait le pas de la porte. Pour certains, rien qu'à en juger par leur tenue vestimentaire. C'est vrai que c'était un peu cliché.. mais parfois vrai. Par exemple, si je voyais un mec permanenté, crêpé et frangé de la tête aux pieds, j'allais plutôt pencher vers du glam que vers du grunge.. je préférais ne pas courir le risque de me faire laminer sur place. Ce soir j'avais vu juste. Le combo perfecto/creepers ne trompais jamais. J'esquissait donc un sourire, avant lâcher comme pour clore un accord :

- Sans rancune.

Je riais doucement, avant de fixer la rousse. Dans sa manière de s'exprimer, dans sa manière de se tenir, dans sa manière de s'habiller, de se comporter.. cette fille avait la classe. Contrairement à moi, elle semblais sure d'elle, ce que j'avais toujours envié aux gens en général. J'étais pas spécialement quelqu'un de réservée ou de timide, même au contraire.. mais simplement, j'avais l'art et la manière de m’embrouiller moi-même dans ce que je disais et j'étais extrêmement maladroite, je parlais souvent sans même réfléchir aux conséquences qu'auraient ce que je disait. Ce qui parfois me confrontait à perdre des personnes sans que je l'eusse souhaité.

J'avais rarement l'habitude de déballer la situation dans laquelle me laissais mon père. Mais je me sentais étrangement à l'aise avec elle, elle m'inspirais tout simplement confiance je pense. En tout cas elle semblait amusée par la situation. Et ne manqua pas de mentionner que mon père était fou de préférer passer ses journées au Stryge plutôt qu'ici, et que si elle avais une boutique comme celle-ci elle y passerais clairement la plupart de son temps. Mais avoua quand même que le Stryge c'était quand même un bout de paradis. Boire un coup dans un bar avec des gens cools avec un bon fond musical en plus, y'avais surement rien de mieux.

- Tu m'plais bien toi. Je t'embauche quand tu veux !

J'avais dit ça d'un ton enjoué et amusé. J'allais pas embaucher quelqu'un sur un coup de tête. Et puis d'autant plus que le titre d'employeur m'étais pas, pour le moment attitrée.

- La belle vie.. Ça tu l'as dit ! J'suis dingue de ce bar.. et de mon travail aussi.

Dans l'ensemble c'était plutôt un boulot plaisant. C'est clair qu'il devais y avoir franchement pire.. Enfin quand on est une personne dingue de musique comme moi, la question ne se pose pas. Rencontrer chaque jour de nouvelles têtes et partager sa passion pour la musique comme ce soir, ça n'avais pas de prix. Après lui avoir dit de faire comme chez elle, celle-ci me confia qu'elle considérais les magasins de musique comme sa deuxième maison. Un point de vue que je partageais totalement.

- La même en couleurs !

Alors que The Clash tournait dans le tourne disque, Roxxy retira alors son perfecto et commença à secouer ta tête au rythme de la musique. Je la regardais alors faire en faisant de même, ma tête suivant alors le tempo du morceau. Puis elle m'invita à descendre de mon perchoir, ce que je fis sans me poser de question, un sourire s'étant emparé de mes lèvres. La musique captant alors chacun de mes membres, me laissant ainsi bouger à mesure que la musique suivait son cours.

Suite à la remarque enjouée de mon amie, je me prends à rêver. Bien entendu, je sais qu'elle a dit ça pour blaguer, mais je dois avouer que ça me plairait de travailler dans une boutique comme celle-là. Et pas qu'un peu. Ce serait même le top. Passer ses journées entourée de bonne musique, à discuter avec des passionnés. Un putain de rêve ouais. Et ça me changerait de mes journées de répét' avec Duncan et les autres. Pas que cela me fasse chier, au contraire, j'adore répéter avec eux. Mais faudrait quand même que je pense à gagner sérieusement ma vie.

En fait, je pense que j'envie un peu Liz. Elle a un super boulot. Boulot qu'elle partage avec son père en même temps que sa passion pour la musique. Enfin, j'imagine. Mon père, il s'est cassé quand j'étais toute petite. Alors autant dire que c'est comme s'il n'avait jamais existé pour moi. Je ne peux pas dire qu'une présence paternelle me manque parce que j'en ai jamais eue en fait. Mais, parfois, j'essaie de m'imaginer à quoi il ressemble aujourd'hui. Je me demande s'il a une meilleure vie que la nôtre. Ou peut-être qu'il est en train de crever sous un pont comme une merde ? J'en sais rien.

- T'as d'la chance en tout cas. C'est rare de trouver un travail qui te convient vraiment. Alors faut pas que tu le lâches !, j'ajoute en souriant.

Tout comme moi, Liz se met à balancer sa tête en rythme. Elle accepte ensuite mon invitation et vient me rejoindre devant le comptoir. S'il y avait eu d'autres clients en ce moment dans la boutique, ils se seraient sûrement bien marrés devant le spectacle qu'on offrait. Deux petites nanas qui se déchaînent sur du punk, ça doit être assez plaisant à regarder j'imagine.
En tout cas, je sais que je garderai précieusement le souvenir de ce moment en mémoire. Car il représente mon premier souvenir d'une probable future et longue amitié avec Liz. Cela fait longtemps que je ne me suis pas sentie aussi bien en compagnie de quelqu'un. J'ai l'impression que tout est facile avec elle. Je n'ai pas besoin de faire semblant ou de prétendre être quelqu'un que je ne suis pas. Je n'ai pas honte de mes expressions un peu trop rudes ou de mon sale caractère. Je suis moi tout simplement. Et je sais que c'est rare, ce genre de sentiment.

La chanson des Clash s'achève sur une série de « Rudie can't fail ! » que je répète en coeur avec le chanteur. Quand les premières notes de la chanson suivante se font entendre, je m'immobilise et applaudis mon amie tout en riant de bon coeur.

- Ouah ! Ça fait du bien tout cas !

Puis je m'approche du comptoir et, dans un élan, je viens m'asseoir dessus, mes pieds pendant dans le vide. J'ai toujours un sourire scotché à mes lèvres. Je suis de bonne humeur, une putain de bonne humeur. Je regarde avec tendresse mon amie.

- Dis, je boirai bien une petite bière. T'en as ?

J'espère que oui. Mais au pire des cas, je pourrai toujours aller en acheter quelque part et les rapporter ici. Il doit bien y avoir un kiosque encore ouvert à cette heure-ci. Danser c'est sympa, mais ça donne soif quand même !

Suite à ma plaisanterie, je voyais le regard de Roxxy s'illuminer. Évidemment, j'aurais adoré qu'elle puisse bosser avec moi ! Ça m'aurais fait de la compagnie. Compagnie qui plus est, était loin d'être désagréable. Mais je n'étais malheureusement pas la seule décideuse.. Mais cela dit, je gardais tout de même Roxxy dans un coin de ma tête en cas de chasse. Elle ajouta même que j'avais de la chance d'avoir trouvé un boulot qui me plaisait, et qu'il ne faillais pas que je le lâche. Je souriais alors à ses dires.

- J'y compte bien ! Tu fais quoi dans la vie toi ?

Tandis que je balançais ma tête dans tout les sens et que je lâchais pression en dansant.. enfin, plutôt en sautant partout en balançant mes bras n'importe comment avec mon amie, je me rendis assez soudainement compte que la porte du magasin était encore ouverte, et que n'importe quel client aurais pu nous voir danser ainsi. Ce qui me fis marrer intérieurement, mais pour l'image "sérieuse" de la boîte c'était pas franchement génial. Quoiqu'il en soit, ça me faisait un bien fou de me lâcher ainsi, et j'imitais alors mon amie, en accompagnant Joe Strummer dans sa série de "Rudie can't fail", en hurlant presque.

Une fois la chanson achevée, mon amie se mit à applaudir notre magnifique performance, et vint alors se poser sur le comptoir, quant à moi, je continuais à me dandiner comme une abrutie finie sur la chanson, tandis qu'elle riais et qu'elle lâcha que ça faisais du bien. Je ne pouvais qu'approuver pour le coup.

- Carrément ouais ! Ça faisait un moment que je m'étais pas lâchée comme ça..

Je vint alors m'appuyer à mon tour contre le comptoir avant de souffler, les cheveux complètement en bordel, puis je relevais mon regard vers Roxxy à sa demande. Elle aussi avais soif, et je devais avouer qu'une bière aurais été la bienvenue. Ca crevais de se déchaîner comme ça sur du punk. J'esquissait alors un léger sourire en coin, avant de m'éloigner du comptoir en contournant celui-ci pour ouvrir la caisse et en sortir une clé, la clé de la réserve, je la levais alors devant moi en souriant à Roxxy d'un air amusé.

- Bien sur que j'en ai..

J'allais alors faire face à la porte pour l'ouvrir, et ainsi entrer dans la fameuse réserve. Je me pencha pour attraper un pack de bières au frais, puis je revint aux côtés de Roxxy, en déposant alors le pack près d'elle.

- Bienvenue au paradis !

J'ouvrais alors le pack en tendant une bière à ma nouvelle amie en lui adressant un léger clin d’œil, puis j'allais fermer la porte d'entrée de la boutique, en retournant l’écriteau, de façon à laisser le "Closed" bien visible et en évidence, même si la lumière encore présente dans la boutique nous trahissait quelques peu.. mais de toute façon, l'horaire de fermeture était passée, alors j'étais maintenant libre de faire ce que je voulais ici.

Je venais alors en trottinant jusqu'à Roxxy puis avec de l'élan je m’assis sur le comptoir, en attrapant une bière dans le pack, et en sortant mon briquet pour décapsuler cette dernière. Je levais alors ma bière à Roxxy, en cherchant un prétexte pour trinquer.

- A notre rencontre !

Puis je lui souriais, et je m'enfilais une bonne gorgée de ma bière.

J'ai demandé à Liz si elle a de la bière. Appuyée contre le comptoir, juste à côté de moi, elle relève la tête pour m'adresser un sourire malicieux. Elle ne dit toujours rien, me laissant en suspens. Je la regarde passer de l'autre côté du comptoir pour venir prendre une petite clé dans la caisse. Puis elle la lève fièrement en me disant que, bien sûr, elle a de la bière. Nickel ! Je lui adresse un grand sourire, le sourire d'un enfant qui vient de déballer son cadeau de Noël et qui a reçu exactement ce qu'il avait commandé. Bon, je ne recevais pas de la bière à Noël mais vous avez pigé l'truc quoi.

Liz disparaît un instant à travers une porte qui conduit probablement à une réserve ou un truc comme ça. Elle réapparaît très vite avec un pack de bières qu'elle vient déposer devant moi.

- J'suis même pas sûre qu'ils aient de la bière aussi fraîche au paradis !, je m'exclame en prenant la bière que me tend mon amie.

Cette dernière me quitte encore un instant pour aller retourner la petite pancarte sur la porte d'entrée qui indique à présent que la boutique est fermée. Très bonne initiative de sa part. Maintenant on est sûres de ne pas être dérangées et on peut déguster nos bières à l'aise, comme à la maison quoi.

Liz vient me rejoindre pour de bon sur le comptoir. Je l'imite et viens chercher mon briquet dans mon blouson pour décapsuler à mon tour ma bière. Un pote m'a appris à le faire avec les dents mais la dernière fois que j'ai essayé, j'ai raté mon coup et je me suis carrément ouvert la lèvre. Alors j'vais évité de faire la maligne devant Liz.

- A notre rencontre !, je lui réponds alors que nos deux bouteilles viennent se cogner dans un petit « kling ! » familier.

J'avale deux grosses gorgées de bière qui me remettent direct d'aplomb. En fond sonore, les Clash continuent toujours de déverser leurs riffs et leurs paroles démentes dans le lecteur. Mais mon attention est à présent entièrement fixée sur ma nouvelle amie, à qui je n'ai toujours pas répondu.

- Je fais pas grand chose dans la vie en fait. Avec des potes, on a un groupe de punk. Il s'appelle BleedingHeart. On pionce chez le grand frère de notre guitariste.

Dit comme ça, pas mal de personnes pourraient sûrement me qualifier de loseuse. Une nana de trente piges, toujours pas mariée, qui n'a même pas de vrai toit où dormir et qui squatte l'appartement d'un mec qu'elle connaît à peine. En fait, c'est pas si faux. Mais je me vois mal finir caissière juste pour gagner ma vie. J'veux réussir avec la musique. Et si c'est pas possible, je préfère encore crever sous un pont que me ranger bien gentiment dans les rangs. J'ai encore trop de choses à dire pour fermer ma gueule maintenant.

Mais j'pense qu'un boulot comme celui de Liz me plairait à fond. Parce que même si elle travaille comme vendeuse, elle est en contact permanent avec la musique. Et puis avoir sa petite boutique à soi, ça doit être kiffant quand même. Je préfère de loin venir dépenser mon argent dans un petit magasin indépendant que dans un grand centre-commercial qui ne connaît même pas un dixième des artistes qu'il vend.

- Si ça te tente, tu peux venir nous voir répéter une fois.

C'est un peu une excuse pour la revoir en fait. Mais j'avoue que ça me ferait bien rire de voir la tête des gars quand ils verront une nana aussi canon que Liz passer le pas de la porte. J'suis sûre qu'ils seront tout doux avec moi après tiens.

- T'as un papier et un stylo ? Je te passe l'adresse de l'appart' et le numéro de Jordan. C'est le frangin de mon guitariste. C'est le numéro où je serai la plus joignable je pense.

J'avais présenté ma clé en l'air d'un air de triomphe, comme si cette clé était la clé de toute une vie.. à peu de choses près c'était ça, faut bien avouer.. Mais c'est l'expression de Roxxy qui me fis rire. La Roxxy que je connaissais avait soudainement mutée en une enfant de 4 ans, qui venait de recevoir sa commande du père noël. Une fois avoir déposé le pack aux côtés de Roxxy, elle me répondis qu'elle n'était pas certaine qu'au paradis ils aient des bières aussi fraîches, je riais alors à sa remarque tout en lui offrant une bière. J'avais fermé la boutique pour de bon, et j'étais revenue prendre place aux côtés de mon amie, après avoir attrapé une bouteille pour moi-même, que je décapsulais avec mon briquet. J'avais appris à faire ça toute petite grâce aux acolytes de mon père alors que je le suivait en soirée. Ceux-ci pour se débarrasser de moi me collaient dans un coin, me tendaient un briquet, un pack de 24, et m'expliquaient brièvement comment faire levier avec mon pouce, la capsule de la bouteille et le briquet. Du coup je passais mes soirées à ouvrir des canettes pour les autres, au bout d'un moment je trouvais ça chiant.. mais finalement, ça s'était avéré plutôt formateur et utile, vu qu'aujourd'hui je le faisais assez régulièrement.

- J'suis même encore moins sûre qu'au paradis ils aient de la bière tu sais.. Enfin.. ça dépend de quelle vision on a du paradis !

Je venais alors trinquer à ma rencontre avec ma nouvelle amie, en buvant quelques goulées d'affilée. Puis je fermais les yeux, un sourire aux lèvres, la tête penchée en arrière, et ma bouteille pendant dans le vide malgré que retenue par mes deux mains. Je laissait l'air punk égayer ma soirée. Puis Roxxy repris alors la parole, et je riva de nouveau mon regard vers elle, en buvant une nouvelle gorgée de ma bière. Elle me racontais alors qu'elle avait un groupe punk avec des amis à elle et qu'elle dormais chez leur guitariste.

- Quoi ? Tu rigole ? C'est génial ça ! En plus BleedingHeart ça claque comme nom pour un groupe punk je trouve ! Tu chantes ou tu joues d'un instrument ?

Pas grand chose ? Pour moi c'était le rêve ça ! Etre musicienne, et puis devenir célèbre, et donner des concerts un peu partout.. Mais c'était pas tellement possible pour moi, j'avais essayé la guitare petite, mais rien n'y avais fait, j'étais nulle, et j'avais jamais retenté le coup, je savait peut-être chanter un tant soit peu juste, mais ça s'arrêtais là. Je me contentais alors de vendre la musique des autres aux gens, ça, c'était déjà plus à ma portée. Puis elle me proposais de venir les voir répéter, et là, mon regard s'illumina. L'idée de voir Roxxy jouer avec son groupe m'excitaient déjà. Et d'ailleurs, je répondais vivement à sa proposition.

- Ouaaais ! Ça me ferais super plaisir de vous entendre !

A présent elle me demandais si j'avais de quoi noter l'adresse de leur appartement.. évidemment, sans l'adresse.. je risquais pas d'aller très loin. Je me retournais alors pour attraper un stylo traînant sur le comptoir, et j'arrachais un petit bout de carton du pack de bières pour le poser sur ma cuisse et m'installer en position de prise de note, en prenant soin d'y inscrire le prénom de son ami Jordan.

- Ok ça marche, je suis prête !

Je suis un peu surprise mais surtout flattée par l'enthousiasme de Liz. C'est rare, les gens qui réagissent aussi positivement quand je raconte que le seul truc que je fais de ma vie, c'est cracher dans un micro toute la haine que je ressens pour ce monde. Je suis également ravie que le nom du groupe plaise autant à ma nouvelle amie. Je ne suis pas forcément très sensible aux compliments. Mais quand ils viennent d'une personne comme Liz, je ne peux que me sentir flattée.

- Je ne suis pas assez douée pour jouer d'un instrument, alors je me contente de chanter haha. Mais tu verras, Duncan mon guitariste gère comme un pro. Il est dément !

Malgré moi, je me laisse un peu emporter par tout cet enthousiasme que me transmet Liz. Étrangement, le fait de savoir qu'elle s'intéresse à mon groupe me motive et me donne envie de m'investir encore plus. N'empêche que ce serait trop génial d'avoir une fan comme Liz. Je nous imagine déjà, moi et les gars, à donner de petits concerts privés dans sa boutique. J'suis sûre que ça pourrait grave le faire en plus ! Ça ramènerait des clients et ça nous permettrait d'élargir un peu notre public. Ce n'est pas que je n'aime pas Jordan, nos potes et les voisins du bas, mais avoir un vrai public ce serait vraiment le top.

- Génial ! Tu viens nous voir quand tu veux en tout cas. Et même quand on répète pas, n'hésite pas à passer. Ça me fera du bien d'avoir un peu de compagnie féminine. Parce que les mecs et l'appart', je te dis pas..., je me pince le nez tout en grimaçant.

Ouais, c'est vraiment une putain de super journée au final. Et dire que j'aurais pu passer le reste de la journée enfermée chez moi... J'aurais manqué une occasion de rencontrer une fille super sympa ! Et une potentielle future fan en plus ! Pour une fois, j'ai eu de la chance.

Je me penche par-dessus l'épaule de mon amie et je m'applique à lui dicter lentement l'adresse de l'appartement à Jordan et son numéro de téléphone. J'ai rarement été aussi concentrée. La dernière chose que je voudrais, c'est me tromper dans l'adresse et que Liz atterrisse je ne sais où. Ma dictée terminée, je relis une fois l'adresse puis j'affiche un sourire enjoué.

- C'est parfait !

Je descends ensuite du comptoir pour aller arrêter le vinyle dans le lecteur. Ce n'est pas que les Clash m'ennuient, mais j'ai un super album à acheter moi. Je range délicatement le vinyle dans la fourre cartonnée puis je reviens me positionner devant mon amie. Je pose fièrement l'album sur le comptoir et me tourne vers elle.

- Bonsoir madame ! Je vais acheter cet album. Une amie m'a dit qu'il s'agissait du meilleur groupe punk de tous les temps. Et je dois avouer qu'elle avait bien raison ! ... C'est combien ?, j'ajoute toujours avec un grand sourire.

Je sais exactement la première chose que je vais faire en revenant à l'appart: faire écouter aux gars London Calling. Ils ne vont pas en croire leurs oreilles! Je suis sûre que Duncan va adorer les Clash. En même temps, connaissant ses goûts, cela ne m'étonnera pas. Je ne connais personne d'aussi passionné par la musique. Je parie même qu'il s'entendra à merveille avec Liz. Tiens, ça me fait penser qu'il faudra aussi que je lui parle de cette boutique. Il va adorer!

Complètement emballée par le nom du groupe de ma nouvelle amie, je lui demandais alors si elle jouais d'un instrument au sein de son groupe. Elle me répondis que non, car selon elle, elle n'était pas assez douée pour ça, alors elle se contentais de chanter. Se contentais seulement ? Je trouvais ça déjà énorme ! Et Roxxy devait surement l'avoir remarqué quant à mon expression conquise qui illuminais mon visage. J'avais toujours été fascinée par les musiciens. Et le rôle de chanteuse était à mon avis, l'un des rôles les plus difficiles à occuper au sein d'un groupe. Devoir assurer un show, communiquer avec le public, chanter juste, avoir l'image du groupe pesant sur ses propres épaules.. et tout pleins de trucs auxquels je ne pensais sans doute pas. J'étais donc émerveillée par le métier de ma nouvelle amie, et les mots peinèrent à sortir alors que j'avais l'air sur une autre planète au moment ou je lui répondis.

- Woaw.. chanteuse, carrément ? La classe !

Mais elle nous projetais déjà à notre prochain rendez-vous qui aurais lieu chez le frère de son guitariste, à sa répétition, où j'étais vivement conviée. Et elle me disait que son guitariste Duncan, lui, était un  dieu de la guitare. Tout sourire, je lui répondais enthousiaste.

- J'en doute pas une seconde ! Roxxy.. Duncan.. y'a pas que le nom de votre groupe qui déchire, décidément. J'ai hâte de vous entendre jouer !

Elle me proposais même de venir les voir n'importe quand, même s'ils ne répétaient pas. Et elle m'avouais qu'un peu de compagnie féminine ne lui ferait pas de mal, car parfois, elle en avait sa claque des garçons, et me le fis clairement comprendre grâce à une mimique raffinée pour les désigner. Je me mis alors à rire.

- Je passerais te sauver de temps à autres alors, compte sur moi !

Puis j'adressais un clin d’œil à la belle rousse. Je comprenais tout à fait ce qu'elle ressentais. Etant donné que je n'avais vécu qu'avec mon père jusqu'à aujourd'hui. Et encore aujourd'hui, j'avais du mal à me faire des amies filles. Mais Roxxy était différente, et rien que pour ça, je l'adorais déjà.

J'avais sorti de quoi prendre note de l'adresse de son ami Jordan, et une fois ma prise de notes terminée, je tendis le bout de carton vers Roxxy. Elle se pencha donc vers moi, et pris soin d'examiner une dernière fois avant de conclure d'un air enjoué, que c'était parfait. Je glissait alors le petit bout de carton dans la poche arrière de mon jean de peur de l'oublier et de le perdre. Roxxy s'était alors levée et avais retiré le disque du lecteur. Elle le rangea dans sa pochette, et revint s'approcher de moi. Je la regardais faire son affaire, tout en souriant. Elle déposa le vinyle sur le comptoir, et me salua comme si elle venait tout juste d'arriver à la boutique. Mais elle ajouta qu'il s'agissait du meilleur album punk de tout les temps, et que c'était une amie qui le lui avait conseillé. Je lâcha un léger rire, puis tout en me levant pour contourner le comptoir, je répondais à ma cliente, tout en attrapant le disque.

- Il est un peu tard Madame, j'ai déjà fermé..

J'affichais maintenant une mine désolée, tout en pinçant les lèvres. Mais je baissait mon regard vers le vinyle, et ne pu me contenir plus longtemps de sourire. J'enlevais alors le prix collé sur le devant de la pochette et relevais mon regard sur Roxxy, en continuant sur ma lancée.

- Une chance pour vous ! J'vais être obligée de vous l'offrir..

Concrètement BleedingHeart c'est quoi ? Un petit groupe de punk miteux qui carburent à la bière (tout le monde), aux clopes (certains) et à la musique (surtout). Notre vie en tant que groupe et amis se résument aux quelques mètres carrés qui servent d'appartement à Jordan. Les seuls vrais concerts qu'on a donnés, c'était dans des petits bars dans des coins paumés de la ville. Et on avait été payés en bières. On s'est toujours éclaté, là n'est pas la question. Mais, lorsqu'on a un groupe et qu'on y bien, on ne peut s'empêcher d'imaginer comment sera son futur. Aucune maison de disques ne nous a contactés (ce qui est compréhensible), aucune station radio ne diffuse l'un de nos morceaux (pour la simple et bonne raison qu'on en a aucun d'enregistré sur un support digne de ce nom). Mais pourtant j'aime ce groupe, je l'aime comme si c'était mon propre gosse. Pourtant, je suis la dernière de la bande, la petite nouvelle. Et je dois avouer qu'être la seule fille a quelque chose d'assez excitant. Et en même temps, c'est une assez grande responsabilité. Mais, pour l'instant, je n'ai pas vraiment eu l'occasion d'en montrer son importance.

Tout ça pour dire que, pour l'instant, on n'est pas prêt de faire la tête d'affiche d'un festival ou de remplir les stades de LA. Mais, en fait, je m'en fiche pas mal. Parce que j'ai devant les yeux notre première future fan officielle et je dois dire que c'est la meilleure qu'un groupe puisse rêver. En plus de la considérer en tant que fan, Liz est déjà une amie précieuse pour moi. Parce que partager sa passion pour la musique, de quelque manière que ce soit, est la raison qui fait que je suis toujours là (ça et Jordan, bien entendu...). Et en plus cette amie m'offre le meilleur album de punk de tous les temps, que demander de plus ?

- Whaaa, tu m'as fait peur tu sais !, je m'exclame mais je ne peux m'empêcher d'éclater de rire.

J'accepte religieusement le vinyle que Liz me tend et approche la pochette de mes lèvres. J'y dépose un doux baiser. « Merci les Clash. Grâce à votre album, j'ai gagné une super amie. London Calling me fera à tout jamais penser à ce jour où j'ai rencontré Liz. », je pense intensément. Oui je sais, je deviens un peu trop sentimentale.

- Heureusement que t'es quelqu'un de bien. Autrement, je serais probablement partie en courant avec l'album et tu m'en aurais voulu haha !

J'attrape mon blouson et je l'enfile. Je me tourne alors vers ma nouvelle amie, un grand sourire aux lèvres.

- Je mets les voiles ! En tout cas merci pour cette super soirée ! Merci pour la bière et pour l'album, aussi. Tu appelles et tu viens me voir quand tu veux. Je repasserai aussi très bientôt ici, parce que j'adore ta boutique !

London Calling sous le bras, je m'éloigne du comptoir et me dirige vers la porte d'entrée. Je me retourne une dernière fois pour lancer un clin d'oeil amical à ma nouvelle amie et je sors définitivement de la boutique. Une putain de bonne soirée, voilà comment j'appelle ça.