On avait joué des heures ! On avait pas cessé de créer et une fois les ébauches de chansons faites, le perfectionnisme de Billy nous poussa à les jouer encore et encore, jusqu’à ce que la moindre note tape juste.

Ça faisait deux jours qu’on était en studios… Mais on était tellement dans notre monde qu’on avait même pas vu les roadies se relayer et d’autres groupes aller et venir des salles d’enregistrement bordant notre studio 4.

On avait joué, chanté et bu jusqu’à ne plus tenir debout à cause de l’ivresse et de la fatigue. Bientôt, soit Savannah allait quand même débarquer au studio malgré que je lui avais interdit de le faire, soit elle allait respecter sa parole et déclarer ma disparition.

J’avais vraiment disparu, dans un sens. Je n’étais plus dans le monde réel, plus à L.A., mais pas non plus dans mon Désert où j’étais le Roi Serpent.

Non, nous étions dans le monde de The Lightening, celui de Billy. Si je devais décrire ce monde, je dirais que c’est L.A., mais dans une autre dimension.. Quelque chose d’Apocalyptique où la ville serait gangrenée par une police omniprésente et violente et par des journalistes sans scrupule.

Une ville où être artiste signifierait être un hors-la-loi.

Pour finir, la fatigue mêlée à l’alcool eut raison de nous.

On se retrouva dans un coin du studio, tous endormis dans un enchevêtrement de corps torses nus et d’instruments encore accrochés à nous comme si Morphée nous avait pris en traitre en plein enregistrement.

Je ne savais pas combien de temps j’avais dormi quand, à moitié dans les vapes, j’ouvris les yeux.

Il me fallut plusieurs secondes pour me rappeler où j’étais et ce que je faisais. Les autres, dont la peau détonnait clairement avec la mienne, beaucoup plus foncée, respiraient lentement et profondément.

A mes pieds, appuyé sur mes jambes, Billy était là, réveillé, en mais comme en transe…

Je chuchotai pour ne pas réveiller les autres.

-Billy ?

Je me laissai glisser à terre, me libérant de ma guitare que je posai délicatement au sol, pour m’asseoir à côté de lui. Je frottai mes yeux. Mon haleine puait le Jack Daniel’s et le tabac froid.

Je m’allumai une cigarette, pour avoir en bouche le goût du tabac frais et pas celui d’un vieux cendrier.

-Je crois qu’on a presque terminé l’album…

Je souris à mon ami.

-Tu serais prêt à reprendre la route, après ?

@ Billy Lighter

Je ne comptais plus les heures qu’on avait passé dans ce studio. Mais je ne comptais pas en sortir tant que l’album ne serait pas parfaitement achevé. J’y étais entré avec cet objectif là et aucun autre.

De toute façon, j’étais mieux ici que dans ma villa qu’April hantait de sa dépression. La réclusion ne me convenait plus. Pas dans ces conditions et pas alors que les démons d’April semblaient bien s’entendre avec les miens alors mêmes qu’ils étaient totalement différents.

Il fallait plutôt que je sortes mes démons et les exorcisent à travers notre musique. Et c’est comme si le groupe en entier avait compris qu’on ne sortirait pas d’ici tant que mes démons n’auraient pas totalement quitté mon corps.

Je vivais chaque chanson faisant fit du temps qui passait et me nourrissant essentiellement de bières et d’alcool divers. Ça n’entachait, toutefois, pas ma voix ni ma performance. Parce que je voulais faire bien et ma volonté surpassait la fatigue de mon corps.

Les équipes qui nous entouraient se relayaient sans qu’on y prête attention. A cet instant, il n’y avait que nous et personne d’autre. On avait même pas besoin de parler pour savoir où on voulait aller pour que tout soit entièrement parfait.

Jusqu’à-ce qu’à un moment, la fatigue prenne le dessus et qu’on finisse par s’endormir. Un sommeil parasité par l’ivresse. En dormant, je pouvais réentendre toutes nos compositions et certains points à encore amélioré. Mon cerveau ne s’arrêtait jamais.

Absolument jamais.

Au point que j’en ouvris les yeux alors que j’étais appuyé contre les jambes de Cash. J’avais mal à la tête et j’étais nauséeux. Mes yeux étaient dans le vide alors que je continuais de réfléchir à nos chansons.

Puis, la voix de Cash me sortit de mes réflexion. Mon regard sortit du vide alors qu’il glissa à mes côtés. Il s’alluma une cigarette alors que je tournai mon regard vers lui.

Il disait qu’on avait presque terminé l’album.

J’hochai de la tête.

-Oui. Il y a encore des choses à améliorer… Mais il est presque terminé.

Ma voix était très grave parce qu’elle était légèrement endommagé par mon régime alimentaire depuis deux jour ainsi que la fatigue provoqué par le chant.

Finir un album m’angoissait toujours pour un tas de raisons. Déjà, parce que les choses n’étaient jamais assez parfaite à mon goût. Ensuite, parce que je savais que dès que l’album serait sorti, les fans en voudraient plus.

Ils en veulent toujours plus. Comme des vautours insatiables.

Et Cash aussi… Parce qu’il voulait partir après l’album. Partir en tournée.

Je frissonnai.

Je le lui avais promis.

Est-ce que j’étais prêt ? J’étais surtout prêt à fuir L.A. qui, pour l’instant, ne m’apportait absolument plus rien. J’avais envie de vivre à nouveau. Loin des démons d’April.

-Oui…

C’est ce que je soufflai en réponse à la question de Cash avant de plonger mon regard dans le sien.

-On va partir, Cash… Loin de L.A…. The Lightening mérite une tournée mondiale. Les médias nous croient mort. On va les prendre par surprise.

Il fallait se reconnecté au monde. C’est ce que je me suis dit après avoir entendu les dernières chansons de Livia. Mon nouveau coup de cœur. Je voulais la rencontrer.

Mais alors que je pensais à Livia, je ne pouvais m’empêcher de penser à Savannah.

-Tu seras loin de Savannah en tournée…

Sauf si elle venait mais je la savais malade et fragile.

@ Billy Lighter

Je souris à Billy, clope au bec, mes yeux cachés derrière mes cheveux en bataille. Je savais que pour mon ami, un album n’était jamais réellement terminé. Il y avait toujours des choses qui pouvaient être améliorées. Mais à un moment, je devais mettre le « holà » et clôturer le projet. Mais cette fois, il semblait quand même assez satisfait de ce qu’on avait fait.

-Tu sais, quelques petites imperfections, c’est ce qui caractérise un bon album. Certains accros deviennent légendaire parce que ça donne un plus à l’album.

Je tirai longuement sur ma cigarette.

-Un album trop lisse perd son âme. Or, notre âme, c’est tout ce que nous avons. Tout ce que nous pouvons offrir.

Je savais que ce concept n’était pas sécurisant pour Billy qui passait la plupart du temps caché dans sa villa. Moi aussi, je me cachais derrière mes cheveux, mes lunettes noires et mon chapeau haut-de-forme.

Je ne comprenais pas comment deux timides comme nous, qui ne nous sentions bien que dans nos mondes respectifs, avaient pu donner naissance à un public aussi violent… Car notre public était violent.

Malgré tout, je voulais retourner en tournée et communier avec ce public. Je ne voulais pas retourner entre les griffes avides de ma mère, cette pute de L.A., à ne savoir que faire, à tourner en rond, à penser à la deadline de Savannah.

Je sentis Billy frissonner contre mon bras, collé au sien, quand je lui parlai de tournée.

J’eus peur un instant qu’il me dise non… Qu’il m’annonce que nous ne serions plus, à l’avenir, qu’un groupe de studio. Je savais qu’il y en avait qui faisaient ça, mais ce n’était vraiment pas mon trip.

Mais Billy se reprit et avec détermination, déclara qu’il fallait faire revivre The Lightening et faire mentir tous les médias. Je lui souris. Un grand et beau sourire.

-Parfait ! C’est ce que je compte bien faire. On fera les meilleurs concerts de notre carrière !

Les autres bougèrent un peu en grognant, dérangés par le bruit de nos voix, mais ne se réveillèrent pas.

Je baissai un peu le ton pour répondre à Billy qui annonça que je serais loin de Sav’, en tournée.

-Oh, tu sais… Savannah a besoin d’air aussi. Elle enregistre avec The Burning Fire et fatigue vite. Je ne dis pas qu’elle ne nous rejoindra pas sur quelques dates, probablement les plus proches de L.A.

Je regardai Billy dans les yeux.

-Mais ça ne me fait pas peur. Elle ne va pas mourir demain et…

Je baissai les yeux.

-Elle n’a pas toujours besoin de moi qui ne peux la regarder sans penser à ce qui se passera peut-être dans 10 ans.

J’étais triste pour Savannah et sa condition… Mais j’avais aussi un peu une fascination morbide pour sa mort en sursis. Et ça, c’était Mal. Je le savais mais ne pouvais pas m’en empêcher.

-Et toi ? April ne viendra pas, hein ? Tu penses vraiment qu’elle est la bonne personne pour toi ? Quand je la vois, je vois aussi tous les démons qui lui collent aux basques.

Je pinçai les lèvres.

-Et ils te contaminent.

@ Billy Lighter

Je savais qu’il y avait des choses a améliorer dans mon album. Mais Cash disait que les imperfections rendait l’œuvre meilleure. Il n’avait pas tort sur ce point mais j’aimais que les choses rendent exactement comme dans ma tête. Ce qui est dans ma tête ne veut pas dire que c’est lisse. C’est simplement que j’ai vu les choses d’une certaine façon et que j’aimerais que les gens les entendent de cette façon-là.

-Ce que j’ai dans la tête n’est pas lisse Cash. Je veux simplement que les gens entende ce que j’entends. C’est tout.

Mais ce que Cash voulait par-dessus tout c’était des concerts. Hors de L.A.. Loin de L.A.. A travers le monde. Je lui avais promis il y a des mois. Et je savais qu’il sentait qu’on touchait au but. Car après avoir fait un album, il fallait le promouvoir. Et le seul moyen était une tournée.

J’avais frissonné parce que ça faisait tellement longtemps que je ne m’étais plus prêté à un tel exercice que ça me semblait être une épreuve complexe. Mais je ne pouvais pas me dégonflé et je rassemblai mon courage pour accepter ce que voulait Cash. Il ne fallait pas que The Lightening ne soit qu’un groupe studio parce que nos chansons studios sont sublimées en concert.

C’est ça qui fait notre légende.

Et j’en avais marre de passer pour un groupe fantôme comme j’en avais marrer d’être enfermé à L.A.. C’était pour la fuir que je m’étais reclus à Malibu… Mais avec le temps, je remarquai qu’elle arrivait à me torturer au-delà des enceintes de mes murs.

Cash était content. Il disait qu’on allait faire les meilleurs concerts. J’hochai de la tête.

-Oui. Il le faut.

Je ne prêtai pas attention aux mouvements des autres. Pour moi, à l’instant, il n’y avait que moi et Cash. Mais Cash, lui, baissa quand même le son quand je parlai de Savannah. Il disait qu’elle aussi avait besoin d’air. Qu’elle aussi avait un album à faire. J’hochai de la tête.

-Je vois… Si elle veut venir, elle est la bienvenue.

Cash n’avait pas peur de la quitté le temps d’une tournée… Il savait qu’elle n’allait pas mourir demain. Je frissonnai. Le spectre de la mort nous suivait toujours.

-Je sais…

Il m’avait expliqué qu’elle en avait pour au moins 10 ans. Une période longue sauf quand on sait que c’est le temps qu’il nous reste à vivre.

Il disait que Savannah n’avait pas besoin de lui a tout moment. Sans compter que chaque fois qu’il la voyait il pensait à la date d’échéance de la vie de Savannah.

-Il faut pourtant en profiter… Sans penser au reste.

Mais quand le sujet d’April vint sur le tapis, mon visage s’assombri subitement. Cash parlait des démons d’April alors que j’en avais aussi. Les démons d’April incitaient les miens. Ils les nourrissaient. J’hochai négativement de la tête.

-Les démons d’April ne me contaminent pas… Ils nourrissent les miens. Ils…

Je me contractai de stress et de rage. De rage envers cette situation dont je n’arrivais pas à sortir.

-Ils me font faire des choses que je regrettes… Alors est-ce qu’elle viendra en tournée ? Je n’en sais rien… Je sais que je l’aime. C’est tout. Est-ce que je peux lui en vouloir d’avoir des démons alors même que je ne sais pas me débarrasser des miens ?

Mon visage était toujours sombre.

-A la villa, on s’évite… Je l’évite. Si je ne l’évite pas tout explose.

J’explose.

@ Billy Lighter

Billy voulait que les gens entendent ce que lui entendait dans sa tête. C’était ça qui était si terriblement difficile à rendre dans cette dure réalité. Je connaissais aussi cette sensation, sauf que contrairement au chanteur, j’étais résigné à ce que la magie du Désert et les riffs que j’entendais là-bas y restent.

Je laissai tomber ma tête en arrière sur l’enchevêtrement de corps qu’était devenu The Lightening et soufflait une langoureuse bouffée de fumée que je regardai voleter jusqu’au plafond.

-Je sais, Billy… Mais nos mondes sont nos mondes. Et malheureusement, nous ne pouvons pas ouvrir entièrement les portes de la perception pour les autres… C’est à nos fans de faire le reste du chemin et de chercher par eux-mêmes la magie qui se cache derrière.

Et pour les aider un peu, rien ne valait mieux que des concerts ! Rien ne valait mieux que nos danses païennes et parfois vulgaires sur les grandes scènes montées par MTI. Les raodies, tant de petites fourmis qui travaillaient à ce qu’on puisse faire passer nos messages.

Car les chansons de Billy n’étaient jamais « juste des chansons » c’était bien plus que ça. Comme il le disait, c’était ce qu’il avait dans la tête. Ce qui devait absolument sortir. Comme le pus quand on crève un abcès.

Les démons de Billy avaient leurs propres voix dans sa tête… Ils lui chuchotaient quoi dire. Et parfois, Billy se rebellait contre eux et ça donnait des chansons aussi, encore plus fortes.

Les concerts étaient une épreuve, pour tous les deux. Billy avait peur des réactions que pouvait avoir le public. Souvent, il y avait des blessés, écrasés contre les barrières de sécurité. Parfois, il y avait des morts, comme à Saint Louis. Et tout ça était notre faute.

Parce que les démons réclamaient leur part d’âmes et de chair…

Mais Billy finit par hocher la tête, déterminé et non pas résigné.

Je souris. Puis il me parla de Savannah. Je ne comptais pas l’emporter partout avec moi, parce que The Lightening était notre affaire, celle de deux amis liés par quelque chose de mystique que les femmes, véritables déesses aux pouvoirs qui nous dépassaient, pouvaient tout foutre en l’air. Mais aussi parce que Savannah avait ses propres obligations ici, à L.A., sans compter qu’elle avait peur du moindre rhume, ce qui était normal dans sa condition.

Donc elle viendrait si elle le voulait, mais ce serait vraiment épisodique.

Billy affirma qu’elle était la bienvenue. Et ça voulait dire beaucoup.

-Merci Billy. Je lui dirai.

Je lui tendis ma cigarette pour la partager avec lui.

Je lui avouai ne plus pouvoir voir Sav’ sans penser à sa fin, mais Billy déclara qu’il fallait profiter de l’instant présent sans penser au reste.

-C’est dur… La Mort a toujours été mon amante. Mais plutôt que de s’en prendre à moi, jalouse, elle s’en prend aux femmes que j’aime. D’abord Gaïana, puis maintenant Savannah.

Je me mis alors à parler d’April. Billy et elle n’étaient pas comme Savannah et moi… C’était comme s’ils se bouffaient l’un l’autre, se tirant toujours plus bas vers les enfers.

Malgré tout, il l’aimait. Même si elle avait des démons…

Mais je levai un sourcil quand il affirma que chez lui, ils s’évitaient pour ne pas que tout explose.

-Je ne comprends pas. Enfin si, je sais que tu l’aimes. Mais… C’est comme…

Je soupirai…

-Comme moi et l’héroïne en fait…

@ Billy Lighter

Cash essayait de me faire comprendre qu’il était impossible de montrer au monde une photocopie de ce qu’on avait dans la tête. Il disait que le reste du chemin, c’est les fans qui devaient le faire. Je réfléchis quelques instants à cette perception des choses. Moi, je pensais que pour être totalement compris, il fallait montrer la vraie représentation de ce que je pensais. Sinon, les gens comprenaient mal. Et je souffrais d’être à ce point incompris.

-Peut-être bien. Ça n’empêche qu’il faut se rapproche au maximum de ce qu’on a dans la tête.

Et je savais que, peut-être, le meilleur moyen était de livrer ça en live. Je savais que c’était là que la magie opérait même si c’était un exercice à la fois difficile et angoissant. Si Cash allait sur scène sans angoisse comme s’il s’agissait de sa seconde maison, moi, ça me tuait à l’intérieur car je voulais que tout soit parfait.

Mais rien n’était parfait. Rien… Et j’avais du mal à encaisser cette réalité.

Mais j’acceptai. Pour The Lightening. Pour Cash. Et pour quitter L.A. pendant un long moment. Il le fallait. L.A. avait trouvé la faille dans mon mur et s’y était engouffrée pour me torturer.

Seulement, la tournée allait séparé Cash de Savannah. Je les savais proche et je la savais malade. Mais Cash disait qu’elle avait aussi besoin de souffler de temps en temps, loin de lui. Je déclarai que si elle voulait venir sur nos dates, elle le pouvait ce qui semblait plaire à Cash.

Je pris la cigarette qu’il me tendit et tirait dessus. Ça me détendit assez vite alors que de disait à Cash qu’il devait profité de son temps avec Savannah vu qu’il était compté. Lui, blâmait la mort, son amante. Je tiquai devant une tel constat.

-Alors peut-être que tu devrait ne plus être son amant… La Mort fait ce qu’elle veut de toute façon et elle aime nous torturer. Elle nous laisse en vie et tue ceux qu’on aime. Flirter avec elle c’est se tirer une balle dans le pieds.

J’avais déjà voulu mourir. Un bon nombre de fois et aussi loin que je me rappelle. Mais dès que je me prépare à le faire, une nouveau feu se met à brûler en moi. C’est les montagnes russes… Et il y a des jours où je suis fatigué de ça.

Sans compter que tout ça m’empêchait d’aimer April comme il se devait. Nos démons semblaient plus fort que notre amour. Je savais qu’April avait besoin d’aide mais j’étais incapable de lui en fournir. Pas comme il le fallait, en tout cas. Ce qui faisait que soit mes démons se déchainaient, soit je l’évitais. Je ne cachai pas tout ça à Cash.

Cash, lui, disait que j’aimais April comme lui aimait l’héroïne. J’hochai négativement de la tête.

-Non. Je ne suis pas accro à April. Elle ne me fait pas mal… C’est moi qui me fait mal à cause de ce que son état me fait faire. Je me fais mal. Je lui fais mal. Ce n’est pas ma faute. C’est celle de nos démons.

Je fixai Cash droit dans les yeux lui tendant à nouveau la cigarette.

-Je ne peux pas l’aider. Elle ne peut pas m’aider. Mais je ne peux pas la quitter. Je n’y arrive pas. Je l’aime.

Et je savais que dans tous les cas tout ça ne pouvait que finir mal. Je le savais au fond de moi quand j’avais assez de lucidité pour m’en rendre compte comme aujourd’hui.

-Quand mes démons prennent le dessus, ça fait mal. Tu l’a déjà vu. Ils détruisent tout. Ils détruisent April bien plus qu’ils ne me détruisent. C’est leur nouvelle victime.

Et tout ce que je pouvais faire c’était m’en excuser.

@ Billy Lighter

Je savais que Billy détestait être incompris. Nous étions très clairs dans nos chansons mais malgré ça, les pires individus qui composaient notre public avaient tendance à détourner nos œuvres à des fins politiques ou juste pour casser. Il fallait dire qu’on ne montrait pas vraiment l’exemple non plus… Moi, je me droguais, les autres buvaient à mort et on avait tendance nous-mêmes à saccager nos chambres d’hôtel, par exemple.

Par contestation ? Non… Parce qu’on était sous influence. Quant à Billy, il était perpétuellement en colère.

Billy disait qu’il fallait que nos chansons reflètent au maximum ce qu’on avait dans la tête.

Je hochai la mienne.

-Ouais… T’as raison… Notre public a besoin d’être guidé… Mais sommes-nous les bons guides pour eux.

Je haussai les épaules.

-Après tout, on est aussi paumés qu’eux… Et on a pas toutes les réponses.

Malgré tout, on était bien décidés à retourner en tournée. J’avais hâte de faire chanter ma guitare quant à Billy, il pourrait mettre des annotations aux chansons en faisant des petits discours que, malheureusement, le public n’écouterait qu’à moitié, réclamant les chansons à corps et à cri.

Puis il y avait Savannah.

Je lui parlai d’elle, et de la Mort. Billy disait que je ne devrais plus être l’amant de la Mort… Qu’elle n’aimait que nous torturer en tuant ceux qu’on aimait et nous laissait en vie.

Il disait que flirter avec elle, c’était se tirer une balle dans le pied.

Je repris la cigarette délicatement d’entre les doigts de Billy et tirai dessus en hochant négativement la tête, mes boucles noires flottant autour de ma tête.

-Je n’ai pas choisi la Mort comme amante, comme je n’ai pas choisi Los Angeles comme Mère. Ce sont elles qui m’ont choisi.

Je lui demandai, en gros, comment ça se passait pour lui et April. Vus de l’extérieur, ils me faisaient penser à la relation que j’avais avec l’héroïne… Mais Billy disait que c’était faux. Il prenait toutes les responsabilités pour lui. Elle disait qu’elle ne lui faisait pas de mal.

Je fronçai le nez.

-Regarde-toi dans un miroir et tu verras qu’elle te fait du mal. Elle ne le fait peut-être pas exprès et tu ne t’en rends peut-être pas compte. Mais accro ou pas, tu es gravement atteint.

Il disait que c’était la faute des démons et qu’ils détruisaient April bien plus que lui. J’écrasai le mégit de cigarette dans un des nombreux cendriers du studio puis en rallumai une, pensif.

-Pars en tournée et laisse-la derrière, au moins pour un temps. Vous verrez alors si vous vous sentez plus mal ou moins bien. Si c’est pire ou si c’est mieux.

Je souris à Billy et lui posai la main sur l’épaule.

-Tu dis que tu l’aimes… Mais est-ce qu’elle t’aime en retour ou est-ce qu’elle trouve sa seule nourriture en toi ?

Ouais… Parce qu’April avait un gros problème avec la bouffe.

@ Billy Lighter

Cash disait que notre public avait besoin d’un guide. J’hochai de la tête avant que mes lèvres ne se pincent quand il ajouta qu’il n’était pas sûr qu’on soit le bon guide. J’haussai des épaules. Je pensais l’être… Mais est-ce que je l’étais vraiment ? Peut-être pas. Cash mettait le doute là-dessus.

-Je n’en sais rien…

Il disait qu’on avait pas toutes les réponses. C’était vrai. Mais on avait notre expérience.

-Mais chacun à des réponses sur certaines choses.

Restait qu’on irait tout de même en tournée en tant que guide. Car c’est ce qu’on faisait chaque fois. Même si ça risquait chaque fois de tourner en chaos violent. Je devais me préparer à ça. On devait se préparer à ça.

Et Cash allait devoir se préparer à se séparer de Savannah par moment. Cette conversation nous amena à parler de la mort. Son amante, il disait. Moi, je lui conseillais de quitter la Mort… Mais il disait qu’il n’avait pas choisi. Je le fixai droit dans les yeux.

-On ne peut pas choisir ses parents mais on peut choisir ses amantes, Cash…

J’avais choisi April, personnellement. J’étais responsable de ce qui nous arrivait. En partie, tout du moins. Mais je l’avais aimé avant d’apprendre qu’elle avait tant de démons qui venaient s’additionner aux miens. Les démons d’April étaient vicieux et poussaient les miens à faire du mal à la femme que j’aimais.

Et je m’en voulais… Même si Cash disait qu’April me faisait quand même du mal. Je savais que Cash n’aimait pas April et que jamais il ne pourrait voir les choses autrement que dans le sens qu’April est le monstre dans l’histoire.

Le monstre ce sont mes démons. Pas elle.

-Cash… Même sans April, je souffre. Tu le sais… Avant elle, les choses n’étaient pas mieux. Ce qui me tue, c’est qu’en plus de moi quelqu’un d’autre souffre. Pourtant, je ne peux pas vivre sans elle.

J’étais dans une impasse. Voilà ce qu’il y avait. Et je savais que je n’en sortirais que quand l’un de nous craquera. Elle ou moi.

Tout ça ne pouvait pas finir bien.

Alors, Cash me disait de partir. J’hochai de la tête devant son idée.

-Oui. Je crois que c’est le mieux. Mais si elle me manque, je la ferais venir.

Cash se demandait si April m’aimait en retour. Encore une fois, il la voyait comme celle qui me tuait alors que les choses étaient plus complexes. Cash n’arrivera jamais à voir la chose de mon point de vue parce qu’il est aveuglé par la haine qu’il avait envers April. Je le fixai.

-Si elle ne m’aimait pas, elle ne resterait pas. Si ce n’est pas l’amour qu’est-ce qui la retiendrait ? Rien…

Personne ne resterait dans ces conditions. Mais April restait. Je supposais, donc, qu’elle m’aimait.

-Mais tu as raison… Il faut partir. Il faut partir vite. La route sera peut-être notre alliée cette fois.

Il fallait l’espérer.

@ Billy Lighter

Cette conversation que nous avions était typique de The Lightening. Nous essayions de nous entraider, mais toujours, l’un était à côté de la plaque de l’autre. Ce qui faisait que chacun cherchait à se justifier. C’était comme un dialogue de sourds.

Billy disait que chacun avait ses réponses sur certaines choses.

Je ne savais plus s’il parlait de notre public, ou de nous. Deux façons de penser différentes, deux visions du monde différentes… Seule la musique nous réunissait.

Je tirai doucement sur ma clope, mais ne dit rien.

On parla de nos femmes, qu’elles soient réelles ou mystiques, comme la Mort pour moi. J’essayai d’expliquer à Billy que je ne pouvais pas me séparer de la jalouse faucheuse, même si je le voulais. Et il répliqua qu’on ne choisissait pas ses parents, mais bien ses amantes.

Je le regardai en fronçant les sourcils.

-Tu pars alors du principe que l’amour se commande. Ce n’est pas vrai.

Je soufflai la fumée par mon nez.

-Parce que si c’était le cas, tu pourrais te libérer d’April.

April, justement, fut au centre de notre conversation ensuite. Il était vrai que je n’aimais pas April. Parce que contrairement à Savannah, qui était une déesse forte et courageuse, April me donnait l’impression d’être un gibier pétrifié par les phares d’une voiture à longueur de temps. Une petite chose bien trop fragile pour pouvoir faire partie de l’univers de The Lightening, que ce soit de près ou de loin.

Mais le pire, c’était qu’elle bloquait Billy. Qu’elle le faisait souffrir. Mais Billy, comme s’il avait lu dans mes pensées, affirma qu’il souffrait même sans April. Je savais que c’était vrai parce que je l’avais connu avant toutes les femmes qu’il avait eu. Ce qui l’emmerdait maintenant, c’était de faire souffrir quelqu’un d’autre avec lui.

-Elle aussi souffre bien toute seule, je pense. Mais toi, tu as une force en toi, celle qui te permet de t’exprimer dans tes chansons ! April, elle, n’est rien qu’un être faible qui ne trouvera la paix que dans la mort.

Je le regardai dans les yeux.

-Toi, tu as encore un Destin à assumer. Avant de pouvoir te reposer.

Je lui souris.

-Mais si la voir de temps en temps sur la tournée peut te faire plaisir, alors ainsi soit-il. Mais je ne la veux pas dans mes pattes. Qu’elle aille trainer ses démons ailleurs.

Je questionnai tout de même Billy sur l’amour qu’April pouvait lui porter. Lui était sûr qu’elle restait avec lui par amour. Moi, je n’en étais pas sûr alors à sa question rhétorique, je répondis quand même :

-Elle reste parce qu’elle veut t’entraîner avec elle dans son Enfer. C’est tout.

Savannah, bien que mourante, n’était pas du tout comme ça. Au contraire. Elle voulait vivre à fond le temps que ça durerait, faire autant de musique que son état le lui permettait et surtout, me laisser libre d’en faire de même.

On se rejoignait tout de même sur un point, Billy et moi. Il fallait partir.

Alors je me levai, souriant, et lui tendis la main.

-Alors viens, nous avons un album à finir.

@ Billy Lighter