Aujourd’hui, j’avais donné rendez-vous à BleedingHeart aux studios BSC. Les choses sérieuses allaient commencer pour moi et ce tout nouveau groupe sous ma coupe. Je leur avais fait des promesses et je comptais bien les tenir et même, comme d’habitude, essayer d’aller au-delà de leurs attentes.

Dans un coin de ma tête, je n’oubliais pas non plus mon mariage à venir avec Brooke. Je travaillais beaucoup pour essayer d’engranger un max d’argent pour lui offrir une journée inoubliable. Parce que si j’étais peut-être parfois un peu rude avec elle, de par mon côté un peu conservateur qui, sans égaler celui de Jimmy Reed, faisait que j’aimais que ma femme ne s’implique pas dans mes affaires professionnelles, je l’aimais comme un fou.

Dans ma conception des choses, on avait le devoir de se soutenir et de s’encourager l’un l’autre, moi, en étant à l’écoute quand elle avait des choses à confier, que ce soit sur son travail ou en dehors, sans jamais interférer en lui disant ce qu’elle devrait faire. Jamais je n’oserais ! J’en attendais de même d’elle vis-à-vis de moi. C’était aussi simple que ça. Chacun sa place. C’était comme ça.

Bref, j’espérais que la signature de BleedingHeart allait nous rapporter à tous… Mais est-ce que le groupe punk voulait vraiment devenir commercial ? Ça restait à voir… En imaginant que la musique qu’ils faisaient était vraiment vendeuse… Ce dont je n’étais pas sûr.

Parce qu’ils restaient des artistes et, si, par exemple, Roadtramp n’était pas du tout dérangé d’être considéré comme un groupe commercial, je ne savais pas si BleedingHeart accepterait cette étiquette.

Ce serait l’occasion, aujourd’hui, de parler de tout ça tout en leur montrant leur nouveau terrain de jeu.

BSC offrait à ses groupes beaucoup de matériel de première qualité. J’étais fier de travailler pour cette maison de disque et j’espérais que Duncan et sa troupe se sentiraient ici comme des poissons dans l’eau.

Ils avaient, m’avaient-ils dit, un album presque complet, ce qui promettait une sortie très prochainement. J’avais hâte d’écouter tout ça, même si je savais qu’ils n’étaient pas très confiants vis-à-vis de ce qu’ils avaient produit.

Il faudrait que je les encourage et que, si l’album valait vraiment le coup, je les pousse à avoir confiance en eux et en leur musique. C’était mon rôle en tant que manager. Je n’étais pas qu’un gratte-papier, après tout.

Je me rendis à la réception au moment même où le groupe arrivait, j’allais à leur rencontre pour leur serrer la main.

-Bienvenue aux studios BSC ! Je suis content de vous voir !

Je souris à mon nouveau groupe.

-J’ai hâte de vous faire visiter, mais aussi d’écouter votre ébauche d’album. Je suis sûr que ça vaut le coup.

Aujourd’hui, c’était notre toute première fois aux studios de BSC. C’était un peu plus loin de chez moi que les studios de MTI mais faire les chemins ne m’ennuyaient pas. Je pourrais aller jusqu’au bout de la terre pour pouvoir faire de la musique dans de bonnes conditions.

On était parti ensemble avec Drake et Faith. Ils étaient, eux aussi, tout excité. Surtout Faith qui était totalement intenable. J’avais pas arrêté de blagué sur le fait que sa présence dans notre groupe révolutionnait un peu BSC vu que c’était une femme et que BSC était réputé pour ne pas engagé de femme artiste. Mais si j’avais bien compris, comme Faith n’était pas au premier plan, ça ne semblait pas emmerder le big boss de l’endroit, le misogyne Jimmy Reed. Quelque part, ça me faisait un peu rire.

Malgré l’excitation, j’étais tout de même un peu stressé. Jack allait être là pour nous faire visiter mais, certainement, pour voir ce qu’on avait en stock. On avait un album quasi complet, il suffisait de peaufiner certains titres. Mais si ça ne plaisait pas à Jack, il y avait de forte chance qu’il faudra revoir un peu tout et, à vrai dire, j’avais un peu peur de cette éventualité. Je ne connaissais pas encore bien Jack, après tout. Je ne savais pas à quel point il jugeait les prestations de ses protégés.

Faith n’avait cessé d’essayer de me rassurer. De notre groupe, c’était elle qui prenait les choses avec le plus de philosophie. Elle se disait que si Jack avait voulu nous faire signer c’est que ce qu’on faisait lui plaisait à la base. Elle n’avait pas tort, quelque part. Je devais avoir un peu plus confiance en notre talent bien que ces dernières années, j’avais eu toutes les raisons de perdre confiance.

On arriva aux studios un peu plus tard et on se dirigea vers l’entrée. Quand on entra dans le bâtiment, Jack était justement là à la réception. Mon cœur battait plus vite. J’avais l’impression que j’allais passer un examen…

Je lui souris tout de même alors qu’il nous salua. Je serrai sa main.

-Salut, Jack !

Il déclara avoir hâte de nous faire visiter mais, aussi, d’écouter notre ébauche d’album. Je souris.

-J’avoue qu’on est un peu stressé…

Fait intervint alors :

-Qu’il est un peu stressé ! Moi, ça va…

Elle rigola un peu et je fis de même.

-Elle a raison… C’est moi qui suis stressé. On est prêt à visiter. Au fait, ça ne dérange pas Jimmy Reed que Faith soit une femme ? Sinon, elle peut changer de nom et se couper les cheveux.

Je pouffai de rire et Faith fit de même alors que Drake, force tranquille de notre groupe, esquissa un sourire. On avait pas arrêter de déconner là-dessus alors il fallait que ça sorte devant Jack à un moment donné.

-Trêve de plaisanterie. On est prêt. C’est si différent de MTI ici ? Je veux dire au niveau de l’infrastructure et de l’organisation ?

Je sentis que Duncan était sous tension rien qu’en lui serrant la main. Je pouvais le comprendre, j’avais fait mes petites recherches sur BleedingHeart et leur histoire jusqu’ici. C’était un groupe qui avait percé tard, très tard. Ils avaient commencé dans le Nevada et étaient venus s’installer à Los Angeles plus tard. Ils avaient sorti un premier album qui avait rencontré un certain succès dans le monde des punks…

-Détends-toi. Imagine que nous sommes entre amis.

Je savais que ce ne serait pas un groupe grand public comme l’était Roadtramp, par exemple. Mais mon but n’était pas d’en faire quelque chose de commercial. J’aimais, en fait, ce qu’ils faisaient et je trouvais qu’ils méritaient de s’épanouir dans le monde de la musique et ce même si leur public restait uniquement composé de punks et d’adolescent en plein mal-être… Ah et aussi de quelques révolutionnaires.

Je comptais en faire une petite perle au sein de BSC. Quelque chose qu’on avait jamais vu.

Je souris à Faith qui, elle, disait ne pas être stressée.

-Voilà l’énergie qu’il faut ! C’est bien !

J’éclatai de rire à la question de Duncan concernant, justement, Faith.

-Apparemment, ni Jimmy Reed, ni sa secrétaire ne se sont vraiment penchés sur votre contrat. Et s’ils connaissent un minimum ce que vous faites, comme elle ne chante pas, ça ne saute pas aux yeux ni aux oreilles qu’il y a une femme parmi vous.

Je souris, malicieux.

-Je compte bien faire en sorte que d’ici à ce que Jimmy Reed se rende compte de ta présence, Faith, vous ayez fait du bon boulot et qu’il ne puisse plus faire machine arrière sans que l’opinion publique se pose de sérieuses questions.

Ils étaient prêts, je leur fis signe de me suivre et puis me mis à expliquer tout en me dirigeant vers le couloir où étaient alignés les différents studios.

-Je ne sais pas comment ça fonctionne chez MTI. Mais ici, vous pouvez téléphoner quand l’envie vous en prend pour réserver un studio. Il faudra aussi préciser le nombre de roadies, dont les ingénieurs du son, qu’il vous faut. Mais vous avez aussi la liberté de tout faire vous-mêmes si vous estimez que ce sera mieux fait.

Je souris.

-BSC laisse beaucoup de latitudes à ses groupes pour ce qui est de la création. Jimmy Reed a toujours eu pour ambition de mettre le meilleur matériel ainsi que les infrastructures de grande qualité pour ses groupes.

Je haussai les épaules.

-Après, c’est à vous de faire le boulot.

Et à Jimmy d’empocher les gains.

J’ouvris la porte d’un studio et les laissai passer devant.

-Voici à quoi ça ressemble.

Mon stress semblait palpable… Je crois que d’ajouter à Jack qu’on était stressé n’était pas tellement utile. Il l’avait déjà remarqué et essayer de me détendre en disant que je devais imaginer qu’on était entre ami.

-Tu as raison.

Faith, elle, affirma ne pas être stressée du tout. Normal, elle ne l’était jamais ! C’était un peu facile pour elle de dire ça. Jack approuvait l’attitude de la batteuse de notre groupe ce qui lui fit afficher un grand sourire. Toute cette bonne énergie me fit alors blagué sur Faith et le fait que c’était une femme. Ce qui semblait prohibé chez BSC. Enfin, tout du moins pour le statut d’artiste. Faith aurait pu postuler pour être secrétaire ou réceptionniste, par contre. Quoi que si elle aurait fait ça, ça aurait été un véritable désastre pour BSC vu le sens d’organisation de Faith.

Jack déclara que ni Reed, ni sa secrétaire n’avait regardé notre contrat et qu’ils n’avaient sans doute pas remarqué qu’il y avait une femme dans notre groupe. A vrai dire, je ne savais pas bien comment je devais prendre ça… Jimmy Reed avait-il si peu de considération pour les groupes qui viennent le rejoindre. Je fis la moue.

-Ah… Tu veux dire que s’il s’y était penché, il t’aurais refusé notre signature ?

Peut-être bien… Parce que Jack ajouta qu’il espérait bien que Faith devienne indispensable pour Reed avant que celui-ci ne se rende compte qu’elle était une femme. Je fis la moue. Mais c’est Faith qui répliqua.

-Je vais lui en mettre plein la vue au blondinet misogyne.

On était prêt à suivre Jack pour la visite. On se mit, donc, en marche et il se mit à nous expliquer comment réserver un studio. A vrai dire c’était à peu près le même système que chez MTI. Bien que ça semblait un rien moins strict. Quoi que, The Lightening, parfois abusait du système en rappelant des gens en pleine nuit. Ça énervait pas mal de roadies d’ailleurs.

-D’accord. Pour ça, ça ne change pas beaucoup de chez MTI.

Jack ajouta que BSC laissait beaucoup de place à la liberté de création ce qui me fit sourire. Il souligna aussi la qualité du matériel. Bien que pour le resta, ça sera à nous de faire le boulot. J’hochai de la tête.

-On fera de notre mieux pour ne décevoir personne.

Surtout nos fans, en fait. Je savais qu’ils espéraient qu’on sorte un nouvel album. Je n’aimais pas spécialement les faire attendre.

Il ouvrit la porte du studio et on s’y engouffra. Ça semblait un rien plus moderne que chez MTI mais, du reste, ça restait un studio. Je souris très satisfait par ce que je voyais.

-C’est très moderne ! Je crois qu’on se plaira bien ici. C’était assez grand. Ça ne m’étonne pas qu’Howard Stone ait décidé de signer ici avec Fireworks.

On fit le tour avant de passer de l’autre côté. Celui des platines. Je me tournais vers Jack et lui tendis une cassette.

-Tu veux entendre ce qu’on as déjà enregistré ? Pour te faire une idée du son de notre album… C’est ce qu’on a enregistré chez MTI.

Je le laissais mettre la cassette ayant le cœur qui battait à toute rompe… J’espérais qu’il allait aimer. Faith, elle, avait un grand sourire.




Quand la première chansons s’acheva, je ne pus m’empêcher de fixer mes lèvres pincées.

Je tentai de mettre le groupe le plus en confiance possible. Enfin, surtout Duncan. C’était lui qui avait l’air le plus stressé. Faith était complètement détendue et enthousiaste, quant à Drake, il semblait tout simplement curieux de voir ce que j’allais leur amener sur un plateau.

La question se posa vite, au sujet de Faith, justement. La réputation de BSC et de Jimmy Reed n’était plus à faire. Ils prenaient ça à l’humour, ce qui était plutôt bien. Il ne fallait pas se formaliser des bassesses de Jimmy Reed, cela n’en valait pas la peine. Quoi qu’en pense Howard qui, le pauvre, s’échinait à protester, ce qui revenait à se taper la tête contre un mur.

Duncan me demanda plus sérieusement si on m’aurait refusé la signature si le patron ou Frances s’était rendu compte que Faith faisait partie de BleedingHeart.

Je soupirai…

-Bien possible. Jimmy Reed est très à cheval là-dessus et je ne pense pas qu’il s’adoucisse avec l’âge. Ou alors, vous laisser signer est un coup stratégique pour faire taire les critiques à propos des discriminations envers les femmes.

Je retrouvai un petit sourire.

-Qu’il n’ait pas regardé ou que ce soit un de ses tour machiavélique, dans les deux cas, vous êtes gagnants puisque vous êtes quand même ici.

Ce qui était déplorable, dans un sens, c’était que Jimmy Reed ne connaissait pas du tout BleedingHeart… Sinon, il aurait su que Faith en faisait partie. Cependant, avec un seul album sorti en 1982, il fallait dire que le groupe n’était pas fort connu.

C’était à moi de jouer, à ce niveau-là.

De toute façon, Faith était prête à tout donner pour gagner sa place. Et elle avait raison ! C’était cette énergie-là qu’il leur fallait.

-Je compte sur toi, Faith. Je compte sur vous tous.

Et eux comptaient sur moi.

La visite commença et ce qu’ils voyaient semblait leur plaire. Même si le principe était apparemment similaire à celui de MTI. Duncan affirma qu’ils feraient de leur mieux pour ne décevoir personne. Je comprenais ce qui les bloquait. Ils voulaient absolument que leur musique soit parfaite.

Je souris au chanteur.

-Ne te mets pas la pression, Duncan. Le mieux est l’ennemi du bien.

On entra dans une salle d’enregistrement et Faith et Drake sifflèrent d’admiration. Quant à Duncan, il comprenait pourquoi Stone avait signé chez nous.

-Howard a surtout signé parce qu’il savait que personne chez BSC ne l’empêcherait d’écrire ses chansons comme il le voulait, de dire ce qu’il avait sur le cœur. Même si ses paroles visaient directement la direction même de BSC.

Je fis la moue.

-Je crois savoir que c’est moins apprécié chez MTI… Que les groupes sont parfois amenés à ses censurer eux-mêmes.

Puis il y avait David qui avait une trouille bleue de Timmy Evans parce qu’il l’avait fait enfermé en hôpital psychiatrique sans son consentement.

Duncan me tendis alors une cassette que je pris et retournai entre mes doigts, intrigué.

-Bien sûr que je veux entendre ça ! Asseyez-vous ! Prenez place, faites à votre aise.

J’enfournai la cassette dans le lecteur et la première chanson se mit à jouer. Je regardais Duncan. Il était complètement stressé ! Je pouvais le voir à ses lèvres pincée et à son pouls que je pouvais voir pulser dans sa carotide même de là où j’étais.

Mais cette chanson ! Cette chanson ! Une fois qu’elle s’acheva, j’appuyai sur « stop ».

-Heu… Vous êtes conscients que vous tenez probablement un tube ?

Je fis la moue quand Jack n’écarta pas la possibilité que Jimmy Reed aurait refusé notre signature s’il s’était rendu compte que Faith, notre batteuse, est une femme. Si je m’étais toujours gardé de juger les gens avant de les connaitre vraiment, il semblerait que ce que mes médias disent sur Reed n’est pas une exagération. Je devais dire que je n’appréciais pas vraiment ça. Faith était une très bonne batteuse… N’était-ce pas ça le principal ?

-Avoir tant de réticence à faire signer des femmes, c’est signe que quelque chose ne tourne pas rond chez ce type…

Jack disait que, quoi qu’il en soit, nous étions gagnant. C’est sûr… Mais je commençais un peu à comprendre Howard Stone du coup. Pas que je ne le comprenais pas avant mais, comme je le dis, je ne connaissais pas bien Jimmy Reed. Mais que Jack ne nie pas tout ce qui soit dit sur lui était un signe que Stone ne crachait pas sur lui pour rien.

-Oui. On va simplement faire comme s’il n’existait pas.

Je parlais de Reed, bien sûr.

Quant à Faith, elle comptait bien lui en mettre plein la vue pour prouver qu’elle est bien là et ça semblait vraiment plaire à Jack. Il disait compter sur nous.

-On fera notre maximum.

Ça c’était certain et Drake hocha de la tête en souriant pour montrer qu’il était sur la même longueur d’onde que tout le monde.

Jack nous fit alors visiter et on entra dans l’un des studios qui était, on devait l’avouer, au top de la modernité. Je déclarai qu’on allait faire en sorte de ne décevoir personne et Jack ajouta que je ne devais pas me mettre la pression. Je soupirai.

-C’est plus fort que moi.

En voyant les installations, je déclarai comprendre pourquoi Howard avait signé chez BSC pour Fireworks. Mais Jack disait que si Stone avait signé c’était surtout pour la liberté artistique. C’était le fort de chez BSC. Et ça même si Stone dirige ses paroles contre le patron de l’endroit. Je me tournai vers Jack quand il disait que ce n’était pas la même chose chez MTI, d’après les rumeurs.

-Timmy Evans nous laissait beaucoup de liberté. Disons que si un groupe perd de la popularité, MTI fera en sorte d’essayer de diriger son style pour qu’il puisse vendre à nouveau des albums…

C’est comme ça que j’avais vu les choses en tout cas. Nous, on a jamais dû rien changé à notre musique.

-Il parait aussi que Stone a signé ici pour emmerder Timmy… Ils ne s’entendent pas très bien.

Bref, il semblerait que Stone avait fait ça pour plusieurs raisons. Et quand il nous montra le côté où se trouvait la platine, je sortis la cassette qui contenait nos nouvelles chansons. Je voulais qu’il les écoute pour se donner une idée de ce qu’on avait enregistré. Il accepta d’écouter et je souris lui donnant la cassette.

Et quand la musique démarra, je ne pus m’empêcher d’appréhender la réaction de Jack. Je le regardais cherchant à décrypter ce qu’il en pensait sans y arriver.

Quant la chanson s’acheva, il fit « stop ». J’eus l’impression sur le moment qu’il en avait assez entendu et qu’il allait nous demander de modifier des choses mais, à la place, il déclara qu’on avait un tube.

Je le fixai mi-choqué, mi-agréablement surpris.

-Tu crois ?!

Drake esquissa un sourire un coin.

-Je te l’avais dit, Dunc…

Faith, elle, leva les bras en l’air.

-Youhou ! Merci, Monsieur Perry !

Je fixai Jack en souriant.

-On a des chansons de différents style mais celle-ci est ma préférée. On voulait parlé de choses qui nous tenait à cœur et la violence dans le monde en est une… Alors, tu pense vraiment que ça peut le faire ?

Je vis bien sur le visage de Duncan qu’apprendre que Jimmy Reed était bien à l’image de ce qu’on disait de lui dans les médias, mais aussi de ce que Stone dénonçait, ne lui plaisait pas vraiment. J’espérais, en étant franc avec le groupe, que celui-ci ne change pas d’avis quant à sa signature chez BSC.

Mais je me voyais mal leur mentir… De toute façon, si je l’avais fait, ils auraient quand même fini par se rendre compte que le patron pouvait parfois être un bel enculé. J’avais cru, à l’époque de la signature de Livia, que ça allait changer sa vision de la gent féminine.

Mais ça n’avait pas été le cas… Parce que Reed n’avait vu en Livia que le sang de son sang, la chair de sa chair et il pensait donc que c’était pour ça qu’elle était douée… Et non pour une autre raison.

Duncan, lui, pensait que l’aversion de Reed pour les femmes trahissait un problème plus profond.

-Probablement… Mais je ne suis pas psychologue. Le principal c’est que vous ayez la chance d’avoir l’occasion de faire vos preuves. Il faut en profiter !

Duncan accepta, à mon grand soulagement, de faire comme si Reed n’existait pas. Quant à Faith, elle avait bien compris qu’elle devait en mettre plein la vue à tout le monde et comptait bien le faire.

-Parfait !

Mais je ne voulais pas que Duncan en particulier se mette trop la pression. Je savais que ça pouvait freiner certains artistes. Il suffisait de prendre Billy Lighter comme exemple !

Duncan soupira, c’était plus fort que lui.

Je posai ma main sur son épaule.

-Ne t’inquiète pas. Je suis là aussi pour calmer le jeu si ça devient trop stressant. Et surtout, pour vous encourager. Je serai là chaque fois que vous aurez besoin de moi, ne fusse que pour avoir un avis extérieur sur ce que vous faites.

La visite se déroula doucement et ils semblaient satisfaits de ce qu’ils voyaient. Au point qu’ils comprenaient pourquoi Howard avait fait signer Fireworks chez BSC. J’expliquai ses raisons, mais la partie de l’histoire concernant un malaise entre le batteur et Timmy Evans n’avait pas échappé à Duncan.

-En effet, il y a cette raison-là aussi. Ni Howard, ni David ne font vraiment confiance à Timmy Evans et ils ont chacun leurs raisons.

Je souris.

-Vous non plus n’étiez pas très satisfaits du travail d’Evans. C’est pour ça que vous êtes là, non ?

On s’installa dans la salle de régie du studio et Duncan me confia son précieux sésame… On écouta la chanson qui me fit vibrer jusque dans mes tripes tellement elle était bonne. Et dès qu’elle fut finie, je n’écoutai pas plus avant ! Il fallait que je dise d’abord ce que je pensais de celle-ci ! Parce qu’elle était géniale ! Je la voyais déjà numéro un au box-office ! Pourquoi ?

Je n’en savais rien. Je le savais, c’était tout.

Drake et Faith accueillir ma « critique » avec enthousiasme…

-Appelez-moi Jack, je vous en prie.

Duncan, lui, souriait mais avait quand même l’air en état de choc quand il me raconta d’où leur était venue cette chanson. Ils y dénonçaient, et c’était bien clair, la violence dans le monde.

-Bien sûr que ça va le faire ! Duncan, ce sujet touche tout le monde ! Et votre mélodie est juste hyper efficace !

Je souris.

-J’ai bien fait de vous voler à Timmy Evans. Installez-vous dans le studio et jouez-moi la suivante… Histoire que vous puissiez tester le matériel et que j’aie une idée de ce que vous donnez en live.

J’étais persuadé que le soucis de Reed avec les femmes témoignait d’un problème plus grand. Jack ne savait pas vraiment se prononcer là-dessus. Mais il voyait notre chance de profiter du manque de connaissance de Reed ou de sa stratégie pour redorer son blason.

On s’en alla, alors, visiter les studios et Jack avait bien remarqué ma tension. Il disait être là aussi pour calmer le jeu si les choses deviennent trop stressantes. Mais je savais aussi que c’était à moi de savoir gérer mes propres émotions. Sauf que, contrairement à Drake qui savait largement se contrôler, pour moi, ça débordait souvent de partout.

Je souris à Jack.

-Merci.

Jamais ce genre de phrase ne serait sorti de la bouche de Timmy, c’est certain. Il était beaucoup plus distant… C’était un style. J’imagine que certains préfèrent ne pas trop se faire materner…

On avait parlé d’Howard qui avait choisi BSC pour son groupe, Fireworks. Et les raisons de son choix semblaient être multiples. Je savais qu’entre Timmy et Howard, ça n’avait jamais été le grand amour. Ce n’est un secret pour personne chez MTI, ça. Mais apparemment, David McAvoy ne faisait pas plus confiance à Evans. Jack avança que, nous non plus, on était pas satisfait du travail d’Evans. J’hochai de la tête.

-C’est vrai… Mais je pense que c’est une question de style. Certains aiment le style « Evans » d’autres non. Et si Howard a choisi BSC pour Fireworks, il n’a jamais cherché à ce que The Burning Fire change de manager. Comme quoi…

Mais dans The Burning Fire, il n’était pas le seul à décider bien que… Pour être honnête, il est l’un des derniers membres original avec David.

Bref… Les affaires de Stone regardaient Stone. Et je ne tardai pas à montrer à Jack ce qu’on avait enregistré pendant tout ce temps. J’étais stressé pendant toute l’écoute de la chanson mais quand Jack donna son verdique je fus à la fois choqué, heureux et soulagé.

Faith s’exclama alors que Jack déclara qu’il préférait être appelé Jack. Quant à moi, j’avais du mal à croire à ce que j’entendais.

Jack était sûr que ça allait marché parce que le sujet abordé touchait tout le monde. Je souris assez content de ce que j’entendais.

-Merci.

Il ne regrettait, donc, pas son choix de nous avoir fait signer et voulait, maintenant, qu’on montre notre talent en live. J’avais repris confiance alors je souris.

-D’accord ! On y va !

On retourna de l’autre côté prenant nos instruments respectifs. Moi la guitare, Drake la basse et Faith se plaça derrière la batterie.

On choisi notre chanson avant de nous accorder. Quand ce fut fait, on envoya la sauce alors que j’avais, un peu avant, mit le micro à ma taille.

Cette chanson, je l’avais écrite pour tout ceux qui avaient perdu quelqu’un de cher. Moi, j’avais pensé à Roxxy qui faisait partie de BleedingHeart… Je savais que si elle avait encore été là, notre groupe aurait eu une toute autre dimension.

On mit tout notre cœur dedans avant d’envoyer la dernière notre. Je relevai le regard cherchant à voir ce que pensais Jack de cette chanson si différente de la précédente.

Duncan semblait soulagé que je ne lui mette pas la pression. Je sentais instinctivement que le chanteur était à fleur de peau, que c’était son état normal, et qu’il avait constamment besoin de feedback sur tout ce qu’il faisait. C’était assez étonnant pour un punk, mais pas pour un artiste.

Je découvrais en Duncan un homme sensible, peu sûr de lui et qui avait envie de faire les choses bien.

Bref, il était tout à fait adapté à ma façon de manager les groupes. Une figure paternelle ne lui ferait pas de mal. Quant à Drake et Faith, ils semblaient plus indépendant et plus du genre à s’en foutre de ce que pouvaient penser les gens, mais ils n’en étaient pas moins sympathiques.

Tout en visitant les studios, on parla, justement, management et surtout de la façon de faire de Timmy Evans. J’avais déjà rencontré Evans en tête à tête, justement pour mettre au clair tout ce qui concernerait Fireworks, pour qu’on ne marche pas sur les plates-bandes l’un de l’autre. Ce n’était pas un homme sensible, Timmy Evans. C’était plutôt un homme froid et calculateur.

Est-ce que ça en faisait un mauvais manager ? Non. Pas du tout. Comme le disait si bien Duncan, c’était surtout une question de style. Et le chanteur pointa le faire que The Burning Fire était toujours sous la coupe du manager anglais.

-En effet… Mais pour The Burning Fire, Howard n’est pas le seul décideur. Cependant, je pense que ça n’a jamais été le but de Stone de retirer ce groupe de chez MTI… Ils sont, comme qui dirait, intimement liés.

The Burning Fire se fondait parfaitement dans le style de MTI…  Leurs paroles restaient dans les clous sans pour autant sembler formatées. C’était en générale des chansons plus légères. Rien à voir avec le côté provocateur et revendicateur de Fireworks.

Bref, avec tout ça, on en vint à écouter les productions de BleedingHeart. Et le groupe avait fait fort en me faisant écouter leur première chanson. Je me demandais comment elle n’était pas déjà sur un disque.

Ces trois-là n’avaient vraiment pas conscience de ce qu’ils avaient en main rien qu’avec cette chanson !

Après leur avoir dit tous mes compliments, je voulais en entendre plus… J’avais déjà aimé le premier album des petits punks. Mais celui-ci promettait d’être encore bien meilleur ! Je leur proposai donc de jouer live la prochaine chanson. Ils investirent le studio avec enthousiasme et ce qu’ils me proposèrent me cloua sur mon siège.

J’appuyai sur le bouton qui me permettait de communiquer avec leur partie du studio.

-Je n’ai jamais perdu quelqu’un de cher mais… en vous écoutant, j’ai un petit aperçu du mal que ça fait. Et pourtant, c’est tout en douceur. C’est beau, bravo !

Ma sœur, Natacha, était bien partie à l’autre bout du monde sans donner de nouvelles, mais je savais au plus profond de mes tripes qu’elle était vivante. Je n’avais donc jamais fait l’expérience de la mort d’un proche.

Je leur fit signe de revenir près de moi et quand ils furent là, je leur posai la question qui me brûlait les lèvres.

-Quelles sont vos inspirations ? Où est-ce que vous allez chercher tout ça ?

Concernant les choix de maisons de disques de Stone, et en ce qui concernait The Burning Fire, Jack nota que Stone n’était pas le seul décideur. Oui, c’est sûr… Et j’hochai de la tête pour confirmer. Mais Perry, qui connaissait Stone bien mieux que moi, souligna que l’intention de Stone n’est pas de quitter MTI entièrement.

-Peut-être bien… Je ne le connais pas assez pour le savoir.

Il faut dire que si The Burning Fire changeait de maison de disques, ça risquait de faire grand bruit. Et puis, ça déforcerait réellement le discours de Stone contre Jimmy Reed qui dirigeait BSC. Bien que je commençais un peu à comprendre ses griefs contre le patron de la boîte que je venais de rejoindre.

On avait fait écouter l’une de nos chansons à Jack et il en était satisfait ce qui provoqua chez moi un énorme soulagement. Il faut dire que ça faisait de mois voir même des années qu’on trimait. Alors entendre ça de la part d’un manager comme Jack était une très bonne nouvelle pour nous.

Ça me redonnait espoir.

Après ça, Jack voulait qu’on fasse une autre chanson mais en live, cette fois. La pression sera encore plus grande mais ses derniers compliments m’avaient redonné confiance.

On le fit donc donnant tout ce qu’on avait. La chanson était bien différente de la précédente mais j’aimais aborder des thèmes très différent sur un ton toujours relativement punk.

Quand ce fut terminé, je soufflai un peu me demandant ce que Jack allait penser de ça. On entendit sa voix à travers l’interphone et ce qu’il dit agrandi mon sourire. Il avait aimé aussi ce qui était encore plus rassurant.

Faith tapa dans ma main et on rejoignis Jack qui, une fois qu’on fut près de lui, demanda quelles étaient nos inspirations. C’était surtout moi qui écrivait les chansons même si les autres aimaient les remanier un peu de temps en temps.

-Au niveau des paroles, on s’inspire de notre vie… De ce qu’on voit et de ce qu’on entend. De toutes les injustices qu’on peut voir. Cette chanson, je l’ai écrite en pensant à Roxxy. C’était l’ancienne chanteuse de notre groupe mais elle est morte avant même qu’on ne sorte notre premier album. Elle s’est suicidée.

Je pris un air un peu grave à cette évocation. Je continuais alors :

-Quant à la guerre et tout ce qui touche à ça, c’est mon frère qui m’a inspiré. Il a fait le Vietnam… Encore aujourd’hui, il y pense toujours. Personne n’aurait dû participer à cette guerre. Ça a détruit des gens et des familles.

Mais il n’y avait pas que les paroles dont on tirait l’inspiration de quelque part. Il y a aussi la musique.

-Pour la musique, on s’inspire des groupes punk anglais qu’on adore. Faith, Drake et moi on se connait depuis des années et c’est cette passion pour le punk qui nous a uni.

Je souris à nouveau.

-Des injustices, il y en aura toujours… Alors, on ne risque pas d’être à court d’inspiration.

BleedingHeart avait très bien et beaucoup travaillé. Ça s’entendait dans chaque note. Moi qui avait toujours pensé que le punk était quelque chose de quasi chaque fois improvisé et dont le son importait peu qu’il soit dégueulasse ou pas, ce groupe cassait tous mes préjugés.

On pouvait faire du punk… comment dire ? Du punk réfléchi ? Je ne voyais pas comment appeler ça. Mais il était évident que Drake, Faith et Duncan tenait à faire de la haute qualité niveau musique. Et leurs paroles étaient hallucinantes ! Tellement pleine d’une émotion qui, elle, était brute de décoffrage.

Je me demandais bien pourquoi Evans n’avait pas prêté plus attention que ça à ce groupe… Je comprenais qu’il ait déjà pas mal de boulot rien qu’avec The Burning Fire, mais il s’était engagé auprès de Duncan et des autres, non ?

J’avais conscience que j’avais désormais entre les mains une véritable pierre précieuse et j’en venais à me dire que ce ne serait pas à BleedingHeart d’être à la hauteur de mes attentes, mais l’inverse.

Quand ils eurent termina la deuxième chanson, après quelques compliments, je les invitai à me rejoindre pour qu’ils me parlent de leurs inspirations, de leurs thèmes de prédilection. Et je ne fus pas déçu.

C’était l’avantage de prendre sous son aile un groupe qui n’était pas formés de jeunes gens tout juste sortis de l’école. Les membres de BleedingHeart avaient déjà un vécu, ils avaient de l’expérience. Le groupe en soit avait déjà été marqué au fer rouge par la disparition de leur ancienne chanteuse, Roxxy, que personne n’aurait eu l’occasion d’entendre avant qu’elle meure.

Puis il y avait la guerre, en particulier celle du Vietnam, qui avait chamboulé personnellement la vie de Duncan. Qui l’avait mis en rage et lui inspirait des chansons encore aujourd’hui.

-Je vois. Cela explique la profondeur de vos paroles.

Pour ce qui était des mélodies, leur inspiration venait de Grande-Bretagne, le berceau du punk.

Je hochai la tête et souris.

-Ça s’entend… Ce que vous faites est excellent. A mon tour de vous faire percer au grand jour.

Je regardai Duncan dans les yeux.

-Et pour de bon.

Quant à l’injustice… Celle que le groupe pensait inévitable… Je repensai à Jimmy Reed et à la tête qu’il ferait en se rendant compte qu’il y avait une deuxième femme artiste chez BSC.

-Et je ferai en sorte qu’au sein de BSC, vous ne subissiez pas d’injustice.