Je ne voulais pas que cette rencontre soit placée sous le signe de BSC. Je voulais qu’Howard se sente aujourd’hui, avec moi, comme avec un ami et pas comme son manager. Je ne lui avais pas donné rendez-vous au Green Goat pour rien. Loin de Downtown. Loin d’Hollywood. Loin de Beverly Hills. Ici, nous étions à la source de tout ce qui faisait Howard Stone.

L’Eastside…

Un petit pub irlandais sans prétention, tenu par un couple déjà âgé d’immigrés irlandais.

Je voulais qu’Howard se sente à l’aise. Et qu’il se sente libre de me parler, de vider son sac. Je ne serais pas là pour juger, pas là pour guider. Pas dans un premier temps.

Dans un premier temps, je voulais écouter. Vraiment écouter.

C’était, je pensais, la base pour qu’Howard prenne en main sa propre guérison. Et je ne parlais pas là seulement de son addiction à l’alcool. Il y avait tout le reste : son deuil, le fait de se retrouver tout seul, l’Afrique, David… Toutes ces responsabilités qui étaient tombées d’un coup sur l’un des esprits les plus libres que je connaissais…

Et que je retrouvais chaque jour dans Jesse… Ce qui à la fois m’impressionnait… Et me faisait un peu peur. Howard avait une carrière qui imposait le respect… Mais… Il y avait à côté tous les excès, tous les dangers… Que le père adoptif que j’étais redoutait pour son enfant.

L’enfant d’Howard.

Sachant que le batteur allait être en retard, je commandai une pinte de Guinness que je commençai à siroter lentement, tout en regardant par la fenêtre qui m’offrait une vue sur la lumière du soleil couchant qui déclinait sur L.A.

Quand Howard franchit la porte du pub, je lui fis signe, pour qu’il vienne me rejoindre. C’était la première fois que je le voyais depuis son retour à L.A. après sa mésaventure avec ma pauvre Olivia, pour qui je m’étais fortement inquiété aussi, en Afrique.

Quand il arriva à ma hauteur, je me levai, laissant ma pinte sur la table.

Et mon premier réflexe fut de le prendre dans mes bras et de le serrer contre moi.

-Howard… Je suis heureux de te revoir.

Je l’écartai de moi, lui souris, puis l’invitai d’un geste à prendre place en face de moi.

-Commande ce que tu veux.

De la vodka, s’il le voulait. Un pas à la fois. Je pris une gorgée de ma bière avant de la reposer sur le sous-verre en carton.

Je le regardai alors dans les yeux.

-Est-ce que quelqu’un a pris le temps de t’écouter, ces derniers temps ? Juste de t’écouter. Parce que je suis là pour ça.

J’avais eu des nouvelles de Jack et il voulait m’voir. Pas un rendez- vous d’affaire, visiblement, vu que c’était au cœur même de l’Eastside que Perry m’avait demandé de venir. Dans un p’tit pub Irlandais. J’savais pas trop ce qu’il me voulait pas que j’avais pas vraiment demandé quand il m’a contacté.

Mais j’avais accepté pour la simple et bonne raison que, dans mon p’tit studio, dans ma cave, j’arrivais tout simplement rien à sortir. Pourtant, Dieu sait que ce que David sort est tout simplement magique. Mais c’est comme si mes mots à moi n’arrivaient pas à sortir de la bonne façon. Ni les rythme que j’tapais sur la batterie… Et encore moins les notes que j’chantais de temps à autre. C’était comme si j’manquais de conviction. Comme si quelque chose, en moi, ne fonctionnait plus. J’pensais que c’était simplement à cause de la fatigue suite à ce qu’il s’était passé en Afrique mais plus les jours passait et plus j’commençais à douter que ça ne soit que ça.

J’avais juste plus envie de rien… Sauf dormir… Ça j’le faisais souvent. Enfin… Quand mes enfants m’le permettaient.

J’avais démarré en retard vers le Green Goat… En fait, j’avais pas vraiment vu l’heure. J’savais pas qui avait inventé l’heure mais ça devait être un emmerdeur fini. Au point où il s’est dit que ça devrait être une foutue bonne idée d’emmerder le monde entier. Et sur le chemin, j’spéculais dans ma tête sur ce dont Jack allait vouloir me parler et mes réflexions finirent à une seule et unique hypothèse : la désintox’.

C’était ça l’sujet de notre dernière conversation. Et j’supposais que Jack allait en reparler… Sans doute d’une autre façon que la dernière fois. Sauf que j’étais pas plus déterminé à y entrer maintenant que l’autre fois. Ça m’semblait un défi trop grand.

Puis, j’en avais pas nécessairement envie… Pour être honnête, j’avais envie de rien. Sauf p’t-être de rester au lit avec Livia et ne plus penser à rien.

J’arrivai au Green Goat et, une fois à l’intérieur, j’repérai Jack. J’m’approchai de lui et il se leva me serrant spontanément dans ses bras. Je m’attendais pas du tout à ce geste. Jack était parfois un rien trop protocolaire. Pas au point de Timmy mais tout de même du genre sérieux. Alors, ça m’surpris si bien que j’eus pas vraiment le temps de lui rendre cet élan d’affection.

Il disait être heureux de me voir. J’hochai de la tête.

-Salut, Jack…

J’m’installai face à lui et il déclara que j’pouvais commander ce que j’voulais. J’haussai des épaules.

-Une vodka.

Original, non ? Mais ça lui donnait une p’tit indication où en étaient mes intentions et sur où j’en étais… En gros, nulle part.

J’laissai Jack commander ma vodka.

J’relevai un p’tit peu la tête quand j’sentis son regard sur moi. Il demanda alors si quelqu’un avait pris le temps de m’écouter dernièrement. Juste m’écouter… Il disait être là pour ça. Je m’attendais pas à ça, en fait. Je m’attendais plutôt à ce que ça soit lui qui parle… Qu’il me demande si j’avais fait mon choix pour la désintox’… Ou s’il me demande si j’comptais faire un album bientôt.

Est-ce que quelqu’un m’avait écouté ses derniers temps ?

J’avais vu qui ses derniers temps ? Livia et David… J’savais qu’ils étaient là pour m’écouter mais, j’savais aussi qu’ils avaient leurs propres problèmes… Livia devait se remettre et avait ses propres questionnements… David est schizophrène… Et… A vrai dire avant que Jack ne me dise aussi franchement que je pouvais parler, j’pensais pas réellement avoir de problème. Mais son intonation, le cadre, la manière dont il avait préparé ce rendez-vous et le regard qu’il posait sur moi fit, d’un coup, exploser une sorte de mur. Celui qu’il y avait entre ma tête et mon cœur.

La vodka arriva… J’regardais mon verre mais j’y touchai pas.

J’aurais voulu jouer la carte de la nonchalance. Celle que j’balançais à tout l’monde depuis que j’étais né. Mais ma gorge se serra d’un coup… J’me mordis la lèvre pour ne pas craquer. Et après avoir ravalé ma salive pour pas craquer complètement, j’me mis à parler d’une voix rauque.

-J’sais plus faire musique… J’joue mais plus rien ne sort comme il faut… Plus rien du tout. C’est comme si j’avais plus la moindre idée de ce que j’ai envie de dire. Comme si j’ressentais plus rien du tout. Pourtant, j’ai des choses à dire c’est juste que…

J’repris ma respiration toujours dans l’espoir de ne pas chialer.

-Que… J’sais pas… J’ai plus envie de rien faire…

Ma voix tremblait… Et j’comprenais pas pourquoi j’craquais là et maintenant. Pourquoi j’faisais ça devant Jack. Sûrement parce que, avant de me remettre à jouer, ces derniers jours, j’avais toujours l’espoir que la musique guérisse tout. Et que ce n’est que maintenant que j’me rendais compte que, en plus de ne pas me guérir, j’remarque que je n’avais même plus de passion pour l’unique passion que j’avais toujours eue. Et c’est ça qui faisait mal. La musique c’est ce que j’sais faire le mieux. C’est ça qui me faisait vivre. C’est ça qui m’rendrais heureux. Mais si même ça ne me rendait plus heureux alors qu’est-ce que j’allais faire ?

-J’ai toujours vécu pour ça… C’est ma vie, la musique. C’est la seule chose que j’fais bien… Et j’y arrive plus…

Dire tout haut ce constat m’donnait l’impression de me faire plus de mal que de bien.

Je n’avais pas pu me retenir de le prendre dans mes bras et je l’avais senti surpris. Normal, ce n’était pas vraiment dans mes habitudes de montrer vraiment mes émotions, surtout dans un endroit public comme le Green Goat. Mais mon geste avait été sincère et spontané. Et Howard avait fini par me le rendre.

Il me demanda de lui commander une vodka, ce que je fis sans aucun jugement dans la voix. Un pas à la fois et je savais pertinemment que ce n’était pas maintenant, avec les squelettes que Howard se trainait, qu’il allait arrêter l’alcool.

Limite, ce serait dangereux.

J’entrai directement dans le vif du sujet. Ou plutôt, dans la manière dont je voulais que cette conversation tourne.

J’avais décidé de mettre toujours jugement de côté, juste pour écouter Howard. Je savais qu’il n’était pas seul. Il avait ses enfants et il avait David qui vivaient chez lui. Mais tant les enfants que David étaient des personnes qu’il avait, pour ainsi dire, à charge.

Et je savais que les responsabilités n’étaient pas le fort d’Howard. C’était ce qui avait amené ma sœur à avorter quand elle était tombée enceinte de lui. Peyton, elle, avait cru en le batteur et lui avait donné deux enfants.

Mais il ne s’était certainement pas attendu à être veuf si tôt.

Tout ça, était beaucoup trop. Même moi, qui était quelqu’un de terre à terre et d’organisé, j’aurais tourné cinglé si je m’étais retrouvé à sa place.

Et sa mésaventure en Afrique ne devait rien avoir arrangé.

Sa vodka arriva. Il n’y toucha pas.

Je vis alors son regard ciller et quand il se mit à parler, je sentais que chaque mot devait se frayer un passage de force à travers sa gorge.

Ce fut là que je me rendis compte qu’Howard était au fond du trou.

Il disait ne plus savoir faire de musique. Il avait des choses à dire, mais n’arrivait pas à les dire.

Il était désemparé, pour ne pas dire désespéré. Car la musique, c’était sa vie. S’il ne savait plus en faire, il perdait tout.

Je le regardai dans les yeux, compatissant.

-Il faut te laisser le temps de guérir. Tu sais… Les gens ont tendance à dire qu’il faut aller de l’avant. Je dirais que dans ton cas, il faut que tu te poses, que tu regardes un peu en arrière le chemin parcouru, tant le bon que le mauvais, et que tu fasses le point.

Je lui souris.

-Tu sais que tu as encore des choses à dire. C’est que tout n’est pas perdu. Dis-moi comment tu te sens, par rapport à tout ça. Dis-moi comment c’est, dans ta tête et dans tes tripes.

J’pensais pas vraiment que Jack voulait m’voir pour simplement m’écouter parler. J’veux dire… Il l’avait jamais fait avant et j’pensais pas qu’il était du genre à jouer les confidents. Pourtant, c’est simplement avec cette intention là qu’il m’avait attiré ici en plein cœur du quartier qui m’avait vu naitre. Comme s’il avait pensé que d’être ici m’permettrait de me sentir chez moi.

Moi qui était, depuis longtemps, à cheval entre deux mondes.

Et, si avant d’le voir, j’pensais rien avoir d’intéressant à dire hormis de raconter mon périple en Afrique, le château de cartes que j’avais dans la tête s’écroula complètement. C’était les derniers jours qui m’avaient miné le moral alors que j’essayais désespérément de jouer de la musique.

La musique, c’était ma vie. C’était ce que j’faisais de mieux. C’était ce qui m’faisait réellement vibrer. Même une méga fête ne me m’amusait pas autant qu’une soirée à jouer sur scène. Mais là… J’y arrivais plus. Plus rien ne sortait. Et ça ne m’était jamais arrivé. Quand j’vais mal, d’habitude, j’sors, justement, de meilleurs texte, de meilleurs rythmes, de meilleures paroles…

Mais là, c’est l’vide total.

C’est ça que j’confiais à Jack alors qu’il pouvait certainement sentir à quel point ça m’désespérait.

Il rétorqua que j’devais me laisser l’temps de guérir. J’soupirais. C’est ce que j’avais dit à Livia… Mais ce que j’avais compris de mes derniers mois c’est que la vie laissait pas vraiment l’temps pour ça. On dirait plutôt qu’elle cherchait à m’enfoncer jusqu’à-ce que j’renonce complètement. Comme si j’avais fait quelque chose de mal et que j’devais payer. P’t-être que j’payais pour tout ce que la vie m’avait donné en 1975 ? P’t-être… J’commençais à y croire. Comme si sortir de l’Eastside demandait une contrepartie.

C’était p’t-être débile de penser comme ça. Mais l’fait est que j’avais plus les idées claires… Ou bien que mes idées étaient trop claires, j’sais pas.

Jack disait que j’devais me poser et regarder en arrière le chemin parcourus. J’étais pas sûr de vouloir ça… J’dis rien laissant Jack continuer de parler et m’dire que si j’avais encore des choses à dire c’est que tout n’est pas perdu.

P’t-être bien…

Quant à savoir comment c’était dans ma tête. J’haussai des épaules ma voix toujours légèrement bloqué par la boule que j’avais dans la gorge.

-Rien… C’est bien ça l’problème. J’ressens rien… Comme si on m’avait volé mon âme… Comme si j’m’étais tellement fait tapé dessus que j’ressens même plus la douleur…

Pourtant, Dieu sait que j’devrais ressentir quelque chose. Au moins le bonheur d’être en vie. J’devrais aussi profiter de ce que j’ressentais pour Livia. Autrefois, j’me serais totalement enfoncé dans cette relation. J’l’aurais vécu à fond quitte à aller trop vite. Mais là, j’sais pas… C’est comme si j’avais peur de faire une erreur. Ou qu’il arrive la même chose à Livia que ce qui était arrivé à Peyton.

-Et si j’regarde en arrière, Jack… Tout ce que j’vois c’est un foutu cauchemar… J’me suis fait agressé par un psychopathe… Ma femme est morte… J’ai deux enfants que j’aurais jamais voulu élevé seul… Les parents de Peyton cherchent à m’les enlever… J’ai vu l’cadavre de deux foutus pilotes… J’ai passé des jours à m’demander si j’allais finir par étouffer… J’ai crevé de trouille que Livia s’fasse tué… J’veux pas regarder en arrière, Jack… Mais quand j’regarde devant, j’vois rien… Si… Juste des morts en plus. Au moins un…

Savannah allait mourir plus tôt que prévus. C’était clair et net. Et j’avais pas envie de revivre un deuil.

Ma voix était brisée par le chagrin.

-J’sais que j’ai des gens autour de moi… J’sais que j’pourrais commencer plein de projets. Mais quand j’me lève le matin, tout ce que j’veux c’est m’rendormir… Y’a même un jour où j’ai pensé que j’aurais dû crever dans s’crash…

Une pensée que j’avais réussi à surmonter en m’disant que plein de gens auraient été triste si ça était arrivé. David… Livia… Mes enfants… Et tous mes autres amis. J’savais que j’pouvais pas penser comme ça pour eux. Et j'lançai d'un coup:

-J'déteste le Howard que j'suis devenu.

Le père de famille avec des responsabilités. Celui qui s'est fait porte parole des faibles. Celui qui s'est engagé dans un combat perdu d'avance contre Reed. Tout ce qui me restait de l'ancien Howard c'était celui qui a décidé d'coucher avec Livia même si elle était marié et qui a céder à ses impulsions et ses sentiments. En gros, celui qui se fichait de tout.

Je laissai donc parler Howard, en oubliant complètement la Guinness qui était devant moi. Rien que le ton de sa voix, brisé, incertain, me donne une bonne indication d’où en était le batteur. Les choses avaient été trop loin. La malchance s’était acharnée sur lui. Il n’en pouvait plus.

Il était tout simplement à bout.

Tellement à bout qu’il affirmait ne plus rien ressentir. C’était un peu paradoxal parce que je voyais bien qu’il était sur le point de fondre en larmes. Mais je pensais voir ce qu’il voulait dire, même si je n’avais jamais été dans un état comparable.

Il en avait trop vu, trop vécu… Et en si peu de temps !

J’ouvris la bouche, malheureux de le voir brisé.

-Je crois que je vois ce que tu veux dire… Même si je peux à peine imaginer ce que c’est. Tu as besoin de ton âme pour composer… Et si cette âme n’est plus là…

Je lui proposai de s’arrêter, juste deux minutes… Et de regarder en arrière. Il le fit, récapitulant tout ce qui lui était tombé dessus. Et c’était vrai qu’énuméré comme ça, les choses semblaient insurmontables.

Je me rendais compte, seulement maintenant, que le Howard que je connaissais, qui n’en avait rien à foutre de rien, était probablement juste une façade… Une armure, une protection, un blindage qui cachait un cœur tendre et plein de sensibilité…

Mais n’était-ce pas évident, Jack ? N’as-tu pas voulu voir que le Howard nonchalant, juste parce que c’était facile ? Probablement.

Pourtant, j’aurais dû le réaliser avant… On est pas un artiste de la trempe d’Howard Stone sans âme, sans sensibilité.

-C’est trop, Howard. C’est beaucoup trop pour un seul homme. Tu ne dois pas t’en vouloir de toucher le fond.

Et je pensais bien que beaucoup de gens, même ceux qui étaient les plus proches d’Howard, avaient longtemps pensé que rien ne pouvait le toucher.

C’était faux. Je l’apprenais aujourd’hui.

J’avais peur, maintenant, de ne pas trouver les bons mots. Qui étais-je pour pouvoir prétendre le relever, le remotiver.

Howard n’était pas totalement à terre, cependant. Il avait des projets, des idées, mais n’arrivait pas à les mettre en œuvre. Parce que ce qu’il voulait, c’était dormir.

Je réalisai à nouveau la présence de ma pinte et en bus un coup.

-Peut-être que… Que tu devrais le faire. Dormir. Tu as l’air exténué, Howard. Peut-être que tu devrais accepter ce que ton corps et ta tête te demande de faire.

Il était tellement désespéré qu’il en aurait même préféré crever dans le crash.

-Je vois… J’imagine qu’à un moment donné, c’est tellement trop qu’on veut que tout s’arrête. C’est sûrement une réaction logique, dans un sens.

Il disait détester le Howard qu’il était devenu.

-Quel Howard penses-tu être devenu ? C’est peut-être juste… une nouvelle facette… Quelque chose qu’il te faut encore apprivoiser et apprendre à connaître ?

Comme Jack m’avait fait ouvrir les vannes, j’faisais tout mon possible pour essayer de lui expliqué ce que j’ressentais. C’est comme si j’étais entré dans un trou noir duquel j’pouvais pas sortir et qui aurait avalé mon âme et, en même temps, toute forme d’inspiration. Il disait comprendre ce que j’voulais dire même s’il disait ne pas pouvoir imaginer ce que c’était.

J’avais plus d’âme…

-Si elle est plus là, j’peux plus rien faire… J’veux plus rien faire…

Quant à regarder en arrière c’était plus pénible qu’autre chose. Les dernières mois avaient été une descente aux enfers et j’savais pas très bien pourquoi j’avais mérité tout ça. Parce que j’avais trompé Peyton après m’être marié ? Et Peyton avait payé pour avoir fait pareil en même temps ? Est-ce que c’était not’ prix à payé pour avoir trahi les liens sacrés du mariage ? Si c’était le cas, j’trouvais ça cher payé.

J’avais tout énuméré et Jack rétorqua que c’était trop pour un seul homme. Que j’devais pas m’en vouloir de toucher le fond. Sauf que, mon problème c’est que j’avais l’habitude de sortir du fond en faisant de la musique et que, là, ça ne fonctionnait plus. J’savais pas m’relever… Comme si j’étais vraiment trop amoché que pour pouvoir me remettre sur mes pieds. J’tentais toujours de ne pas pleurer.

-Le problème c’est pas vraiment de toucher l’fond mais d’en sortir… J’y arrive pas, Jack…

Ma voix tremblait… J’arrivais même pas à soulever mon verre de vodka pour en vider l’contenu. J’voulais simplement dormir… C’est tout… Dormir et m’réveiller des siècles plus tard avec tous mes problèmes loin derrière. Jack déclara que c’est p’t-être ce que j’devrais faire… Dormir… C’était ce que j’avais voulu après le cash. Dormir… Avec Livia, plus précisément. J’aurais p’t-être dû faire ça au lieu de reporter la chose. Si j’l’avais pas encore fait c’est simplement parce que j’avais pas voulu laisser David et mes enfants seuls, encore une fois. Cette foutue responsabilité.

-P’t-être bien que j’devrais… T’as raison… J’me suis promis en Afrique que c’est ce que j’ferais en rentrant… Mais… Apparemment, j’arrive même pas à ternir les promesses que j’me fais à moi-même.

C’est désespérant. Aussi désespérant que les moments où j’pensais que j’aurais voulu y rester dans ce cash. Ce genre de pensée m’effrayaient. J’avais jamais pensé comme ça avant… Jamais. Et l’avouer à Jack n’arrangeait pas vraiment la boule que j’avais dans la gorge. J’avais peur qu’il m’envoie au Hollywood Mental Health Center, pour la cause… Mais il le fit pas. Il trouvait simplement que c’était une réaction logique. J’déglutis.

-Mais effrayante…

Mais logique, oui… Parce que j’détestais le Howard que j’étais devenu. J’me reconnaissais pas moi-même. Jack semblait pas avoir vu cet Howard que j’pouvais pas encaisser. Il disait que c’était p’t-être une partie de moi que j’devais encore apprivoiser.

J’hochai négativement de la tête. J’ai jamais été comme ça. Ça peut pas être une partie de moi. Et si ça l’est et bien, j’l’aime pas !

-Celui qui s’en fiche pas de ses responsabilités. Celui qui joue aux grands défenseurs des basses classes face à des gens comme Reed alors qu’il sait bien que le meilleur moyen d’emmerder Reed c’est d’être le Howard nonchalant qui vient investir son monde à lui. J’aime pas cet Howard qui ne se fiche plus de tout. J’veux pas être ce Howard-là… Il me fatigue.

Une larme coula le long de ma joue. Je fermai les yeux les frottant avant de les rouvrir.

-Si c’est une partie de moi et ben, j’la déteste !

Lançais ça avec une certaine colère avant de soupirer.

-Tout est arrivé trop vite… Le mariage… Les enfants… Deux, en plus… Puis, y’a David… Mes parents… Ceux de Peyton. Ma colère contre Reed… J’sais pas gérer tout ça.

Et ma voix se brisa quand j’finis par lancer :

-J’préférais ma vie d’avant…

Avant quoi ? J’savais même pas le dire… J’savais pas quand tout m’avait complètement échappé.

La voix cassée, Howard répéta que son âme n’était plus là et qu’il n’arrivait plus à rien  faire. J’espérais que pouvoir le verbaliser allait l’aider… Parce que je n’étais pas vraiment formé pour lui donner les conseils adéquats. J’avais dit que j’étais là pour l’écouter et c’était ce que je faisais. Mais je me sentais comme la responsabilité, ayant toutes ces informations, de devoir lui tendre la main pour l’aider.

Mais comment ?

Que dire ? Que faire ? Quels étaient les bons mots ?

Il disait que le problème, ce n’était pas de toucher le fond, mais d’en sortir. J’eus un pauvre sourire.

-Avec le temps, peut-être.

Il avait envie de dormir. Et je trouvai juste à lui dire de le faire. Peut-être que c’était de ça qu’il avait besoin. Une bonne cure de sommeil, histoire d’assimiler tout ce qui s’était passé ces derniers moi pour lui. Histoire de récupérer l’énergie nécessaire pour avancer.

-Après cette rencontre, tu devrais essayer d’aller dormir… Pas deux heures, hein. Au moins huit heures d’affilée… Rester tranquille, te regarder des films. Parce que tu as le droit le plus strict de te sentir mal. Tu as le droit de pleurer.

Je souris.

-Quand tu te seras laissé ce droit d’être malheureux un temps, peut-être qu’à un moment, tu pourras passer à autre chose.

Il avait, un peu, voulu y rester, dans le crash d’avion… C’était une pensée un peu logique pour quelqu’un qui était au bout du rouleau. Howard la trouvait effrayante.

-C’est vrai. Mais je pense que beaucoup de gens ont ce genre de pensée quand ça ne va pas. Comme je te le dit, il faut l’accepter. Ça ne veut pas pour autant dire que tu es suicidaire, Howard. A mon humble avis, c’est juste un signe qu’il faut calmer le jeu, ralentir, relâcher la pression.

Il affirma alors détester le Howard qu’il était devenu. Et je lui demandai de me le décrire. Pas que je ne voyais pas un peu où il voulait en venir… J’avais plus ou moins compris, mais je voulais qu’il parle. Qu’il dise tout haut ce qu’il avait sur le cœur en espérant que ce soit libérateur.

Il voulait retrouver le Howard nonchalant, qui n’était pas criblé de responsabilités comme ses enfants, David… Et aussi son combat contre Reed…

Je soupirai et passai une main sur mon visage, mon cœur se serrant de voir une larme couler sur la joue d’Howard.

-Tu sais que tu es entouré. Tu n’es pas seul. Tu peux alléger tes responsabilités… Je peux trouver un endroit, même temporairement, pour David. Tes amis seront sûrement ravis de s’occuper de temps en temps de Pénélope et Phénix, si tu leur demandes. Quant à Reed, sincèrement, il n’ne vaut pas la peine.

Je me mordis la lèvre.

-Mais par contre… Ta vie d’avant… Je ne pense pas que tu la retrouveras. Comme tu le dis, beaucoup de choses se sont passées et rien qu’avec tes enfants, ça va être compliqué.

Je le regardai dans les yeux.

-Mais une chose ne changera pas, à mon avis : tu es né pour la musique. Ça reviendra. N’aies pas peur.

Avec le temps… P’t-être… C’est ce que tout l’monde disait. C’est ce que j’avais dit à Livia. Mais le temps que le temps fasse son effet, c’était difficilement supportable.

Surtout que tout ce que j’avais envie de faire, c’était dormir et pas aller de l’avant. Jack me conseilla d’le faire. Simplement rentrer chez moi et dormir 8h. Le soucis ce sont les cauchemars… P’t-être que j’devrais aller chez Livia et dormir 8h. Histoire d’avoir quelqu’un pour comprendre ses cauchemars. Elle savait ce qu’on avait vécu en Afrique. Elle savait ce que c’était d’être malmené par Ward. J’aurais p’t-être simplement dû faire ce que j’avais eu envie de faire après que l’avion se soit crashé : dormir avec Livia…

J’soupirai.

-J’ai déjà tellement pleuré pour Peyton que j’suis à sec… Et le plus difficile quand j’veux dormir c’est que j’sais que j’vais cauchemarder. Ça fait des mois que j’cauchemarde… Ça fait des mois que j’ai ce foutu acouphène qui me pourri la vie…

Alors dormir, j’en avais envie mais c’était pas si simple…

Jack disait que j’devais m’laisser le temps d’être malheureux. J’hochai de la tête. P’t-être bien qu’il avait raison.

-P’t-être…

J’expliquai que j’avais voulu y rester dans le crash. Cette pensée m’envahissait parfois et ça m’effrayait. Jack me disait que tout ce qu’il fallait faire c’était d’accepter cette pensée. Il disait que ça voulait sûrement dire que j’devais calmer le jeu. J’soupirai. Il m’donnait les conseils que j’avais donné à Livia. J’baissai les yeux hochant de la tête comme toute réponse. Encore fallait-il que j’sache comment relâcher la pression… J’avais même pas remarqué que j’me foutais la pression. J’me fous la pression ?

J’avais parlé, aussi, de l’autre Howard. Celui que j’étais devenu et que j’aimais pas. Celui qui avait bien trop de responsabilités. Un tas de responsabilités qui lui étaient tombées dessus comme ça. Celui qui avait décidé de mener un combat perdu d’avance contre Reed…

Rien que de parler de lui, ça m’tuait. Parce que j’avais l’impression qu’il n’y avait plus de retour en arrière possible. Même si Jack disait que j’pourrais me délester de quelques responsabilités. J’hochai négativement de la tête.

-J’peux pas faire ça à David… J’peux pas l’abandonner. Il va croire qu’il est un poids alors que, ces derniers temps, c’est moi l’poids. Et mes enfants… J’peux pas montrer au parents de Peyton qu’ils ont raison en les envoyant tout l’temps à gauche et à droite. Ils risquent de me les prendre définitivement… J’veux pas qu’ils vivent ce que Peyton à vécu…

Et pour Reed, j’soupirai.

-T’as p’t-être raison pour Reed… Mais depuis qu’il est passé à l’hosto me voir, j’suis complètement révolté chaque fois que j’le vois. C’est plus fort que moi.

Et j’fermai les yeux quand Jack déclara que j’retrouvais, par contre, jamais ma vie d’avant.

-J’sais…

C’est ce que j’soufflai.

-J’pensais pas que les choses tourneraient comme ça… J’pensais pas me retrouver seul avec deux enfants. J’suis pas fait pour élever des enfants…

Plein de gens disaient que j’en étais capable… Mais j’pense qu’ils disent ça pour me faire plaisir car c’est les mêmes gens qui m’disent que j’sais pas conduire une voiture… Si j’suis trop inconscient pour conduire une voiture en quoi j’suis qualifié pour élever des enfants ? Ils se fichent de moi.

Jack déclara alors que j’étais né pour la musique. L’était persuadé que ça reviendra. J’soupirai avant de boire d’une traite l’entièreté de mon verre de vodka. J’repris, ensuite, la parole :

-J’espère que tu as raison… Parce que si j’y arrive plus, j’sais pas ce que j’vais devenir…

J’passai une main sur mon visage avant de soupirer.

-En plus David est super motivé pour faire de la musique et… J’sais que j’peux pas faire trop attendre The Burning Fire. C’est pas la joie de ce côté-là non plus… Savannah n’est pas en forme à cause de sa maladie et y’a s’connard de Zack qui arrête pas de se plaindre. Qu’est-ce que je hais ce type. Mais j’peux pas abandonner ce groupe… Sans The Burning Fire, j’serais en train d’me droguer dans une ruelle de l’Eastside à l’heure qu’il est…

C’était clair et net que c’est ce qui se serait passé si Amon ne m’avait jamais repéré.

J’essayais au mieux, si pas de conseiller, de rassurer Howard. J’essayais de lui faire comprendre qu’il avait le droit de se sentir mal au vu de tout ce qui lui était arrivé en un an, voire plus. Je ne voulais pas juger, je ne voulais pas le voir pour ça.

Je voulais qu’il sache qu’il n’était pas seul, c’était surtout ça.

Je lui dis que c’était ok de pleurer, de vouloir dormir, qu’il devrait le faire. Mais il avait déjà trop pleuré, disait-il… Quant à dormir… Encore fallait-il dealer avec les cauchemars. Il y avait son acouphène aussi, auquel personne ne pouvait rien faire.

Je le regardai et soupirai. Pas parce qu’il me désespérait, ce n’était pas le cas… mais parce que c’était seulement maintenant que je me rendais compte du poids qu’Howard devait ressentir sur ses épaules.

-Je n’imaginais pas que tout ça allait si loin… Pourquoi tu n’as rien dit à personne, Howard ? Tu n’étais pas obligé d’encaisser ça tout seul.

J’étais sûr que s’il en avait parlé à des gens de son entourage, comme par exemple Hank North, il aurait eu un peu de soutien… Peut-être un soutien maladroit comme je l’avais moi-même fait il n’y avait pas longtemps d’ici… mais une forme de soutien quand même.

Je lui proposai de s’aménager du temps… De placer David quelque part, qu’il fasse garder ses enfants quelques temps. Mais Howard me montra qu’il avait, désormais, un sacré sens des responsabilités, et ce bien malgré lui. Il ne voulait pas abandonner son ami et tenait à ce que ses beaux-parents sachent qu’il voulait être partie intégrante de l’éducation de ses enfants et qu’il ne voulait pas qu’on les lui prenne.

-Je vois… Tu vois, tout ça, c’est tout à ton honneur, Howard. Tu veux bien faire… Tu ne veux abandonner personne. Mais dans tout ça, je pense qu’il ne faut pas t’oublier. Pas te perdre.

Ce qui était bien plus facile à dire qu’à faire. J’en avais conscience.

Quant à Reed… La simple présence du magnat de BSC avait l’art de foutre le batteur hors de lui. J’avais la même sensation, vis-à-vis de mon patron. Je savais des choses sur lui que je ne pouvais révéler… Je savais exactement d’où provenaient Jesse et Alvaro. Et ça me révoltait. Est-ce que je pensais à quitter BSC pour autant ?

Non, parce que Reed me tenait par les couilles. J’avais peur que si je quittais BSC, Reed s’en prenne, d’une façon ou d’une autre, aux enfants ou à Brooke.

-Moi aussi, il me révolte. C’est peut-être lâche, mais j’ai trop peur pour ma famille que pour me dresser contre lui. Je n’ai pas les armes pour.

J’avais des informations, bien sûr… Mais quelles preuves ? Et si je faisais ça, je mettais ma famille en danger, alors non.

Pour ce qui était de retrouver sa vie d’avant… J’avais bien peur qu’Howard ne puisse jamais revenir en arrière. Et lui en avait conscience. Il disait ne pas être fait pour élever des enfants. Pas tout seul.

-Personne ne s’attendait à ce qui est arrivé à Peyton… Mais tu verras, tu t’en sortiras, avec tes enfants. Il ne faut pas chercher à être le père parfait. Personne ne le peut. Je ne le peux pas non plus malgré que j’essaye de mon mieux.

Je lui souris, même s’il avala sa vodka cul sec.

-Tes enfants, un jour, se rendront compte de tout ce que tu as fait pour eux… Même si ce n’était pas toujours de la bonne façon.

Il disait aussi ne plus savoir faire de la musique, mais il le voulait pourtant de tout son cœur. Avec Fireworks et The Burning Fire. Je fis la moue, réfléchissant.

-Tu sais quoi ? Je pense qu’on sous-estime David. Pourquoi vous n’échangeriez pas un peu vos rôles ? Laisse-toi porter par ton claviériste. Surfe sur ses notes. Laisse-le t’en imprégner… au début, sans vouloir t’y impliquer toi-même. Et je suis persuadé qu’à un moment, tu auras le déclic.

Dormir n’était pas simple depuis que j’avais été agressé par Ward. Parce que ça avait été traumatisant mais, aussi, parce que ça m’avait laissé avec un acouphène. Deux choses qui rends le sommeil carrément compliqué… Et Jack disait qu’il n’imaginait pas que ça avait été si loin. Il se demandait pourquoi j’avais gardé ça pour moi. J’pris un air triste.

-J’l’ai pas gardé pour moi… J’en avais parlé à Peyton… Mais…

L’est morte… J’secouai la tête avant de réussir à trouver mes mots.

-Elle avait commencé à m’aider là-dessus avant de mourir.

Elle avait cherché des médecins pour les acouphènes et elle me soutenait pour les cauchemars. Mais, elle est morte peu de temps après…

-Après sa mort, mes cauchemars, c’était pas vraiment mon soucis principal…

Y’a eu mes enfants… Puis, aussi, les foutus parents de Peyton et leurs foutus procès… J’avais pas vraiment eu l’temps de me concentrer sur le fait de dormir.

Maintenant j’pouvais… Mais j’avais bien du mal…

Jack disait que j’devrais me laisser du temps pour moi et m’délester de certaines responsabilités. De placer David… De faire garder mes enfants. Mais j’pouvais pas faire ça à David. J’pouvais pas, non plus, laisser la moindre petite munition aux parents de Peyton concernant Pen et Phénix. Jack disait que c’était tout à mon honneur… Il disait simplement de pas m’oublier là-dedans. J’soupirai.

-C’est pas si simple…

Rien n’était simple. Avant tout l’était mais ça n’était plus le cas.

Quant à Reed… Il me foutait hors de moi. C’était plus fort que moi. J’arrivais plus à faire abstraction de ça depuis l’jour où il était venu me voir à l’hôpital. C’est comme si, ce jour-là, il avait allumé quelque chose en moi. Jack affirma que le comportement de Reed le révoltait aussi mais qu’il avait peur pour sa famille. J’comprenais… J’savais que Reed pouvait aller très loin. J’soupirai.

-J’sais… Si j’avais pas mes enfants, j’te jure que j’aurais tout balancé. Absolument tout. Quitte à crever, tant pis.

J’en voulais pas à Jack de rien dire… Moi-même, j’osais pas dire la vérité. J’savais que ça allait se retourner contre moi et les gens que j’aimais…

J’mis en avant l’fait que j’m’attendais pas à me retrouver seul avec deux enfants. J’étais pas sûr de pouvoir les élever comme il faut… C’est un truc qu’on aurait dû faire à deux, avec Peyton… Mais le destin en avait décidé autrement. Et maintenant, j’savais pas du tout comment faire avec Pen et Phénix. J’les adorais… C’est pas ça l’soucis… Mais tu as beau aimer quelqu’un de tout son cœur, ça veut pas nécessairement dire que tu peux l’élever…

Moi, je m’en sentais pas capable…

Jack déclara que je m’en sortirais… Qu’il fallait pas chercher à être le père parfait. J’soupirai.

-Ça, j’le sais… Mais… M’en occuper pends du temps et… J’ai pas signé pour ça…

J’me rappelle que j’avais adoré devenir parrain d’Hope justement pour avoir les avantages sans les inconvénients. Être père, c’est différent. Et j’suis pas sûr d’être fait pour ça… Mais j’avais plus l’choix, maintenant.

Jack disait que, un jour, mes enfants se rendront compte de tout ce que j’ai fait pour eux. J’hochai d’la tête.

-J’espère que tu as raison…

Du reste, j’espérais aussi qu’il avait raison pour ce qui était de la musique. Mais Jack me conseilla de laisser la barre à David… D’me laisser porter par lui. De pas le sous-estimer. J’avais jamais été un vrai leader. Déjà pour The Burning Fire, j’avais pris cette place sur le tard et uniquement après la mort de Kayden. En gros, c’est par défaut que j’avais pris le lead… Pour Fireworks, ça avait été une nécessité vu la condition de David…

Mais vu ce qu’il a fait dernièrement alors que j’étais en Afrique, m’faisait dire que Jack avait sans doute raison.

-T’as raison… J’devrais faire ça. Le laisser m’guider. J’vais faire ça.

De toute façon, je n’avais pas la force de faire autrement.

-Il a fait des compositions quand j’étais porté disparu. Si j’arrive pas à écrire là-dessus, j’sais pas ce qu’il me faut. Ce qu’il a fait c’est très beau…

J’soupirai laissant la vodka agir mais l’était évident que j’étais loin d’en avoir bu assez. J’regardais Jack. J’tentai de changer de sujet pour éviter de chialer comme un môme.

-Et Jesse ? Il va comment ? Ça fait longtemps que j’l’ai plus vu…

Ses cauchemars et tout ce qui l’empêchait de dormir, Howard avait eu Peyton pour l’aider à trouver le sommeil… Un peu avant qu’elle ne meure. Je me mordis la lèvre. La mort de Peyton était un sujet horrible et je me doutais que ce n’était pas facile pour Howard d’en parler. Tout le monde avait été choqué par la nouvelle, à l’époque… Mais pour Howard… il avait perdu non seulement sa femme, mais sa complice pour bien des choses, si je comprenais bien.

Je n’aurais jamais imaginé que ça tournerait comme ça entre eux.

D’ailleurs, une fois Peyton au paradis des divas, Howard avait pensé que son sommeil était un problème mineur, par rapport au reste.

-Ah oui, ok, je vois.

Que pouvais-je lui conseiller ? Rien… Je n’étais pas dans son cas, j’étais très loin d’avoir vécu toutes les merdes qui étaient tombées sur le batteur. Alors qui étais-je pour parler ?

J’étais là pour écouter.

Le sujet Jimmy Reed me semblait être secondaire, par rapport au reste, mais il fallait aussi en parler… ou plutôt, parler du fait qu’on ne pouvait pas parler. Howard comprenais que je ne pouvais pas balancer Reed… Ni même démissionner. Là-dessus au moins, on pouvait tous les deux parler au même niveau.

Car on savait.

-Un jour, le karma rattrapera Reed… Ce n’est pas possible autrement.

Il ferait bien une erreur à un moment donné, non ?

J’étais donc face à ce que le batteur considérait comme « un nouveau Howard » qu’il détestait. Un Howard qui n’était plus libre comme l’air et qui n’avait plus le droit de se foutre de tout ou même de prétendre se foutre de tout. J’essayai de le rassurer sur sa paternité… Mais il réalisait que les enfants étaient très chronophages.

-Tout seul, oui… Mais peut-être qu’un jour, tu trouveras quelqu’un pour t’aider. La vie n’est pas finie, Howard.

Pour la musique… Et bien puisque David semblait motivé, pourquoi ne pas laisser les rênes au claviériste ? Peut-être même que David arrivera à tirer à la fois Fireworks et The Burning Fire vers le haut. Qu’il remotivera les troupes avec sa musique. Howard ajouta que David avait écrit de très belles choses.

-Alors faites-lui confiance. Je suis sûr qu’il peut y arriver. Et si vous avez besoin d’aide, de soutien, je serai toujours là.

Il soupira, je vis qu’il regardait son verre de vodka vide et je fis signe au patron du Green Goat, poliment, de lui en servir un autre. Je n’avais pas peur qu’il conduise bourré… Howard conduisait bourré depuis des années.

Il demanda alors comment allait Jesse et je souris.

-Il va très bien. J’ai dû planquer le L.A.People qui parlait du crash. Je ne voulais rien lui dire, pour ne pas qu’il s’inquiète, avant qu’on sache exactement ce qui vous était arrivé, à toi et Livia. Puis quand on a su que vous étiez blessés mais sauf, je lui ai raconté toute l’histoire.

Je le regardai dans les yeux.

-Tu lui manques… Tu sais que tu peux passer le voir quand tu veux. Tu es toujours le bienvenu à la maison.

De mes cauchemars, j’en avais parlé à Peyton. Mais Peyton n’était plus là et, depuis, c’est comme si plus rien n’avait la moindre saveur. Pourtant, not’ mariage a pas été des plus facile. On a eut des haut et des bas… Mais j’l’aimais quoi qu’il en soit et, c’est difficile à avouer mais, ça aurait été plus simple si on avait pas eu d’enfants. Parce qu’ils me rappelaient tout le temps ce que j’avais perdu… Même si, en soi, ça voulait dire qu’elle vivait toujours à travers eux.

J’avais parfois honte de penser comme ça.

Quant à Jimmy Reed, si je n’avais pas eu de proches, j’crois que j’aurais déjà tout balancer. Il y a quelques mois, je ne l’aurais pas fait mais, dans l’état que j’étais aujourd’hui, j’crois que j’me serais sacrifié pour mettre à mal le magnat de BSC. Sauf que j’avais des enfants… Et que j’pouvais tout simplement pas les abandonner. J’pouvais pas abandonner David, non plus… Quant à Jack, il avait, aussi, une famille. Personne pouvait rien faire parce que Reed savait qu’on avait bien trop à perdre.

C’était révoltant.

Jack déclara que, un jour, le karma le rattrapera. J’soupirai.

-J’espère…

J’me confiai alors sur « l’autre Howard ». L’Howard plein de responsabilités. Celui qui avait perdu toute liberté et qui cherchait à combattre des moulins à vent. J’détestais ce type. Pourtant, j’avais plus vraiment le choix que d’essayer d’être un rien responsable rien que parce que j’ai des enfants. Et j’devais avouer que de m’en occuper prenait du temps… Mais Jack disait que j’finirais par trouver quelqu’un pour m’aider avec eux. Ça m’fit penser à Livia… Mais le fait est que j’voulais pas me lancer dans une relation longue. J’avais déjà donné. Avec Livia, j’préférais profiter de chaque moment sans m’engager. Dans ma vie, j’avais pas vraiment eu de chance avec les engagement.

-P’t-être… Même si j’crois que, pour ce qui est des relations longue conventionnelle, j’ai déjà assez donné. J’crois que la vie me fait bien comprendre que c’est pas pour moi.

Jack tenta d’me rassurer pour la musique. Il déclara que j’devrais p’t-être me reposer sur David au lieu que ça soit lui qui se repose sur moi. J’crois que, si j’voulais avancer, je n’avais, de toute façon, pas l’choix. J’devais lui faire confiance. Me laisser porter par ses mélodies. C’est ce que j’dis, tout haut. Jack semblait sûr que l’claviériste pouvait y arriver et que, au pire, lui était là. J’hochai d’la tête.

-Ça coute rien d’essayer, t’façon. J’ai rien à perdre de laisser les rennes à David.

Avec moi, ça n’avancera pas t’façon alors autant déléguer.

Jack me recommanda de la vodka. C’était une preuve, sûrement, qu’il allait pas parler de désintox’. Ça tombait bien parce que j’avais pas la force de parler de ça. C’était un trop gros défi vu dans l’état dans lequel j’étais.

Et, comme la conversation n’avait strictement rien de facile pour moi, j’finis par en changer demandant des nouvelles de Jesse. Jack avoua que le p’tit allait bien et qu’il avait caché la nouvelle de ma disparition jusqu’à-ce qu’on me retrouve. J’hochai de la tête.

-Tu as bien fait… J’suis content qu’il ait pas eu à s’inquiéter, du coup.

Il disait que j’lui manquais… J’soupirai alors que ma vodka arriva. J’en bus la moitié avant de relever le regard sur Jack.

-J’veux pas qu’il me voit dans cet état. Mais… Il me manque aussi.

Et j’esquissai un sourire repensant à la fois où on avait démoli la voiture de Ben Masters.

-J’me rappelle quand on a vandalisé la voiture de Masters. T’étais furieux. On avait aussi vandalisé le portrait de Reed dans les studios. Ce genre de trucs me manquent.

Et ce souvenir me fit penser que, en fait, j’avais toujours combattu Reed… Que ça soit en mettant le feu à sa bagnole, en vandalisant son portrait avec le p’tit Jesse ou, justement, en me rapprochant de sa fille… Et même si beaucoup de choses étaient très mal, j’savais que ça l’avait peut-être fait plus chier que ce que je faisais de façon publique. Parce que, dès que tout ça est public, je lui donne des munitions pour contre-attaquer…

Mais l’étincelle de révolution, ce n’était pas le nouveau Howard qui l’avait.

J’achevai mon second vers de vodka, mon regard se faisant plus déterminé.

-J’irais voir Jesse… Après avoir dormi. J’sais exactement où j’arriverais à pouvoir dormir un peu sans devoir me soucier du reste. Et après, j’me concentrerais sur la musique avec David. J’crois que j’ai pas mal de choses à dire… Faut que j’sorte tout ça d’ma tête, c’est l’seul moyen.

Je n’en avais jamais connu d’autres…

Howard n’aimait pas ce qu’il était devenu. J’essayais de relativiser les choses, tout en ne le laissant pas perdre de vue qu’avec ses enfants, quelque part, il n’avait plus le choix. Il devait trouver un juste milieu… ou s’habituer à ce nouvel Howard. Ça n’allait pas être simple. Howard avait toujours été un électron libre et il se retrouvait maintenant coincé.

Je lui affirmai qu’il trouverait peut-être quelqu’un avec qui vivre tout ça. Quelqu’un à qui se confier, avec qui partager…

Il déclara alors ne plus vouloir de relation longue et conventionnelle. Je pouvais le comprendre, vu la douleur de la perte de Peyton… Se remettre avec quelqu’un signifiait courir le risque d’à nouveau perdre quelqu’un de très cher.

Mais je souris.

-Je ne parle pas spécialement d’une relation amoureuse. Il peut s’agir d’un ami, de la famille.

Je ne parlais bien sûr pas de ses parents avec qui il avait une relation conflictuelle, mais sa petite sœur, par exemple, Mackenzie, qui avait elle aussi un enfant maintenant… Peut-être pourrait-elle soutenir son frère ? D’autant qu’ils habitaient l’un à côté de l’autre.

Pour ce qui était de la musique, je pensais qu’il était grand temps de donner à David la place qui lui revenait. Bon, il y avait un ou deux ans de ça, je n’aurais pas conseillé ça à Howard parce que David était encore particulièrement instable et fraîchement sorti de l’hôpital psychiatrique… Mais maintenant ? Certes, il avait ses bons et ses mauvais jours. Mais…

-Tu n’as rien à perdre. Et David a tout à gagner. Je pense qu’il en est capable et ce sera bon pour sa propre confiance.

Je sentais à la voix d’Howard que cette conversation était dure pour lui. Mais je la pensais nécessaire. D’ailleurs, il devait le penser aussi parce qu’il ne m’envoyait pas sur les roses. Il affrontait ça avec un grand courage, je trouvais.

Alors on parla de Jesse. Je lui avuai que j’avais caché à son fils biologique la nouvelle de sa disparition. Heureusement, Howard et Olivia avaient été retrouvé et tout était bien qui finissait… relativement bien… Parce que j’imaginais bien que les deux artistes seraient marqués à vie.

Je dis à Howard qu’il était le bienvenu chez nous en tout temps… Mais Howard ne voulait pas que le petit le voit comme ça.

-Ok… Quand tu seras prêt. Notre porte t’est toujours ouverte.

Il évoqua alors quelques souvenirs qu’il avait avec Jesse et j’eus un petit rire quand il se rappela qu’il m’avait mis hors de moi en vandalisant la voiture de Ben Masters… Tout ça lui manquait.

-Je veux bien te croire… Tu vis avec Jesse une relation idéale pour toi…

Je souris…

-Et c’est à moi de ramasser derrière vous.

Howard vida à moitié son nouveau verre de vodka. Puis, il ne vint à la conclusion de cette conversation. Il allait aller voir Jesse, il allait dormir puis il allait se remettre à la musique. Je souris.

-Je te fais confiance. Tu vas t’en sortir, je le sais. Un dernier verre et on s’en va ?