‘’Je suis désolée, Savannah. – Le traitement ne fonctionne pas, ton corps ne répond pas positivement. – Je sais… Je suis désolée… - Je peux te référer à un centre de repos à Philadelphie… - Je comprends… - Il reste de l’espoir, tout n’es pas joué je vais continuer de me renseigner et d’appeler partout où je le peux. – Ta maladie est mal documentée, je ne veux pas te créer de faux espoirs. Qui sait si dans cinq mois ton corps décide de s’allier au traitement ? -Ne désespère pas. – Je ne te laisse pas tomber. ’’

De toute cette longue rencontre avec Elizabeth Spencers, la seule chose que je retenais était que mon corps ne répondait pas au traitement. Je me baladais avec un système immunitaire complètement à plat et c’était un putain de miracle si je n’étais pas tombée avant. Pour une fois que j’avais de la chance…

Ce n’était qu’une question de temps avant que je n’attrape un rhume carabiné ou qu’un bête surmenage ait raison de moi. Elizabeth, bien plus confiante que moi, ne baissait pas les bras et restait certaine que tout pouvait encore se produire, qu’une combinaison chanceuse ferait en sorte que mes dix années d’espérance de vie réduite à un compte à rebours qui égrainait mes dernières semaines, ne soit stoppé in extremis. Elle y croyait tellement que je n’avais pas eu la force de lui dire de cesser de se casser le cul pour moi. Il y avait longtemps que j’avais accepté mon destin et que, quelque pars au fond de moi, je le savais que je ne les vivrais jamais, ces dix années.

Je devais vivre ma vie à fond, tout de suite, maintenant !

Je devais secouer les mecs pour que l’on se botte le cul en studio et qu’on le termine ce putain d’album ! Je voulais vivre un ultime concert, au Hollywood Bowl, que ce soit plein à craquer et que depuis la scène, on voit le public à perte de vu. Je devais louer un avion pour y sauter en parachute ou grimper à bord d’une montgolfière pour contempler la ville du haut des airs pendant que le soleil se couchait. Je pourrais louer une voiture de course et faire un dernier tour de piste, littéralement !

Je voulais embrasser la vie, ce qu’il m’en restait et ce que je lèguerais. J’irais rejoindre Peyton, beaucoup plus tôt que prévu mais comme on dit que rien n’arrive jamais pour rien, je préférais m’en réjouir plutôt que de me laisser sombrer.  Puis qui sait ? Peut-être que je prendrai des semaines voire des mois et peut-être même finalement des années avant de vider complètement ma jauge d’énergie et que je déjouerais le pronostique que même mon médecin ne voulait pas valider trop précocement.

- C’est pas ce qu’on espérait.

C’est ce que je dis à Cash en entrant dans sa chambre.

Mains dans mes poches, je refusais de craquer même si, de devoir le dire à haute voix à Cash donnait une dimension surréaliste à quelque chose d’aussi abstrait que la mort l’était. Je haussais simplement des épaules en bousculant du bout du pied, une chaussette abandonnée sur le plancher de la chambre de celui qui serait vraisemblablement, le dernier homme dans ma vie.

J’étais stressé et c’était quelque chose qui ne m’arrivait pas souvent. Mais le pire, c’était que ce stress me donnait envie de reprendre une bonne dose d’héroïne. Si je tenais, c’était uniquement parce que Savannah avait besoin de moi dans un état valable. Mais d’un autre côté, je ressentais l’envie de reprendre ma peau de shaman… Parce qu’un shaman connait la mort et pouvait accompagner les âmes jusque dans l’au-delà et ne jamais les perdre.

Je secouai brusquement la tête.

Pourquoi je pensais à ça ? Savannah était simplement chez le médecin pour une visite de contrôle, non ? Ces dix ans, on les avait. C’était long, dix ans ! Presque la moitié de la vie que j’avais vécue jusqu’ici !

Mais je savais pas… Je ressentais que quelque chose n’allait pas.

Peut-être parce que ces dernier temps, Savannah était vraiment fatiguée… J’avais l’impression que la myriade de médicaments qu’elle prenait ne lui faisait pas du bien. Elle était pâle, s’endormait en plein milieu d’une journée ou était complètement à côté de ses pompes, encore plus que moi.

Alors j’attendais son retour en espérant être rassuré. Qu’elle me dise que le traitement marchait et marcherait encore quelques années.

Mais quand elle entra dans ma chambre… Quand je vis son regard, je compris.

Je n’avais pas besoin d’un dessin.

C’est pas ce qu’on espérait.

Je restai interdit quelques secondes, le temps qu’elle pénètre complètement dans la chambre, refermant la porte derrière elle.

-Combien de temps ?

Combien de temps il nous restait ? Et qu’est-ce qu’elle voulait faire de ce temps ? A sa tête, je voyais bien que les choses ne se comptaient pas en année.

J’avais la gorge et le ventre noué. J’avais déjà perdu Gaïana, d’une overdose, ici même… Est-ce que ma chambre allait encore être le théâtre de l’envol d’une âme ?

J’allais en faire des cauchemars, pour finir. Mais là, tout de suite, je rêvais éveillé. Je m’imaginais tenant la main de Savannah qui, allongée sur mon lit, rendait son dernier souffle qui montait vers le plafond comme de la fumée de cigarette avant de disparaître.

Définitivement.

Je me levai de mon lit et allai prendre le visage de Savannah entre mes mains.

-Si tu veux bien de moi, je t’aiderai à réaliser tes derniers rêves.

Combien de temps était ce que voulu savoir Cash quand je lui eu annoncé que les nouvelles n’étaient pas celle que nous espérions. Mais à la question de mon beau ténébreux, il n’y avait pas vraiment de réponse. Mes dix années étaient réduites à quelques pages de calendrier, tout au plus. Je haussais des épaules puis je m’asseyais sur son lit courbant le dot pour prendre ma tête entre mes deux mains. Elle me faisait soudainement mal, trop de chose à digérer et canaliser, peut-être bien.

- À partir de maintenant, ce sera un jour à la fois.

Tout ce que je vivrais à partir de maintenant pouvait être potentiellement ma dernière fois. Chaque fois que Cash et moi ferions l’amour pourrait être la dernière. Chaque fois que j’irais manger un cheeseburger. Hier, nous étions aller mettre nos pieds dans l’océan et je ne sentais pas avoir profiter assez de cette expérience. Peut-être que je ne le referai plus jamais. Il y avait tant de chose qui allaient et venaient dans ma tête, toutes avec un parfum de regret.

Il disait que, si je voulais bien de lui, il voulait m’aider à réaliser mes derniers rêves. Ils étaient nombreux, tous un peu foufous, à mon image. Mais s’il n’y en avait qu’un, un seul vraiment important qui me tenait à cœur et auquel je devais m’accrocher de toute mes forces, c’était le moment où jamais pour le réaliser.

- Burning  Fire doit va ce putain d’album, même si je dois y passer mes dernières forces. Et toi… Tu as une tournée qui se pointe le bout du nez.

Il n’y avait rien de plus important que la musique, notre médium, ce qui nous tenait encore debout et c’était encore plus vrai que depuis que nous ne touchions plus à la drogue. La musique avait prit toute la place, je ne voyais pas comment je pouvais finir ma vie autrement que par et avec elle.

Et avec Cash.

- Le temps s’égrène entre mes doigts comme le sable du sablier. Si je reste là à le regarder s’écouler, je vais devenir folle… encore plus folle.

Euterpe se levait contre la parois de son terrarium, lentement, suavement, sa langue frétillante allait à la rencontre du néant. Je le fixais sans le regarder. J’étais perdue tout en me sentant bien en scelle sur un train allant à vive allure.

- Je n’ai pas choisis ma mort, mais je peux choisir comment l’allais l’embrasser. Je vais la regarder bien en face, solide et l’accueillir comme une vieille amie.

C’est ce que je voulais.

Si je devais mettre un x sur chaque journée du calendrier ne sachant jamais s’il y en aurait un suivant, je voulait faire de chacune de mes journées une épopée fantasmagorique avec une trame sonore qui déchire tout.

- Je vais sonner les mecs et on va se botter le cul ! Nous allons secouer Los Angeles et la faire vibrer comme jamais !

Savannah allait mourir. On le savait… D’ailleurs, tout le monde allait mourir. Sauf qu’elle vivrait cette expérience un peu prématurément et pas de la plus douce des façons. On commençait à parler un peu plus du SIDA à la télévision et j’avais vu des gens atteints en fin de vie. Ce n’était pas beau à voir, toute cette souffrance.

Je priais tous mes dieux païens, tous mes totems, les suppliant que s’ils devaient vraiment m’enlever Savannah, ils le fassent proprement. Qu’elle n’ait pas à souffrir. Qu’elle parte tranquillement, dans son sommeil…

Et qui sait, peut-être qu’un jour, on se retrouverait de l’autre côté, dans le Désert où je croisais encore de temps en temps Gaïana, quand j’arrivais à y aller sans l’aide de la drogue.

Un jour à la fois.

Je hochai la tête et pris la main de Savannah et que je déposai sur ma cuisse, nos doigts entrelacés.

Je n’étais pas bon avec les mots… Pas bon du tout. C’était Billy qui savait les manier. Je résistai à prendre ma guitare pour lui jouer une longue complainte qui aurait traduit mon sentiment du moment.

Et ce sentiment était qu’elle me manquait déjà.

Savannah était plus forte que moi. Elle voulait rentabiliser le temps qu’il lui restait à vivre et de la meilleure des façons : en sortant un album avec The Burning Fire. Et elle me rappela que moi, j’avais une tournée qui se profilait.

-Ok… Howard ne pourra pas te refuser ça. Je suis sûr qu’il s’y mettra.

Deuil après deuil, le pauvre. Il avait pas fini d’être triste.

-Mais moi… La tournée… Si tu travailles sur l’album, tu devras rester ici. Je…

Je soufflai sur ma mèche de cheveux qui cachait mes yeux pour capter son regard.

-Je ne veux pas partir en sachant qu’à tout moment, la Mort peut venir te faucher…

Je soupirai…

-Mon amante jalouse… La Mort…

Je pinçai les lèvres, la gorge nouée. Est-ce que chacun de mes véritables amours seront condamnés ?

-Moi, je peux attendre… Mon sursis n’est pas aussi court que le tien. Et je t’ai fait une promesse. Je serai là jusqu’à la fin.

Savannah, elle, comptait bien lui tenir tête, à cette Mort imminente. Je souris.

-Tu m’as toujours impressionné. Et je t’admire, Savannah.

Je portai sa main à mes lèvres et l’embrassai.

-Réveille le feu de The Burning Fire, Sav… Et fait un dernier coup d’éclat. Que personne ne t’oublie.

Les Nouvelles étaient loin d’être celles que j’espérais. Je savais que l balance ne penchait pas en ma faveur mais je n’aurais jamais pensé qu’on aurait retiré aussi vite de mon plateau, les quelques grains d’espoir qu’il me restait. La mort en tant que tel ne me faisait pas peur, après tout, nous allions tous y passer un jour où l’autre. C’était plutôt l’idée qu’elle allait me faucher inopinément, dans la fleur de l’âge alors qu’il me semblait avoir tout encore un tas de truc à accomplir.

Je m’étais assise sur le lit de Cash et il avait prit ma main dans la sienne, pour entrelacer nos doigts. Son contact me fit du bien, comme s’il créait ou du moins qu’il s’efforçait de créer un lien me rattachant à la vie et que tant que je tiendrais sa main, rien ne pourrait m’arriver. Il n’avait pas ce pouvoir mais l’image était belle et y croire me fit du bien.

La façon dont je voulais passer mes derniers actes sur terre avant que je tombe définitivement le rideau était toute simple. Je voulais offrir un dernier album avec The Burning Fire, avoir le sentiment que ma tâche était en quelque chose accomplie. Cash croyait qu’Howard ne pouvait pas me refuser ça, c’est ce que je pensais aussi. Au pire, je travaillerais comme une dingue sur mes lignes de basses et ils n’auraient qu’à superposer le tout ensuite… Non ! Nous allions le faire ensemble ou je ne m’appelais pas Savannah Prescott.

Quant à Cash, il ne devait pas se freiner de vivre sa propre vie parce que la mienne menaçait de s’arrêter à tout instant !

- Imagine que je gagne un sursis et que je reste encore deux ans. Cash…

De ma main libre, je caressais sa joue, je replaçais ses cheveux rebelles derrière son oreille et je le regardais avec toute la tendresse possible. De toute façon, The Lighetning était un truc hors de ma portée, Cash avait toujours été clair là-dessus et je m’étais toujours efforcée de respecter leur cercle sélect puisque j’étais tout à fait en accord avec leur philosophie de groupe et ce,  même si Billy m'avait fait l’invitation de venir de temps en temps.

- On ne sait pas quand elle viendra me faucher, Cash. Je ne me sens pas le droit de te garder ici auprès de moi. Billy m’a invité à venir vous rejoindre. J’en trouverai la force, je le ferai. Puis tu pourras revenir de temps en temps. Ça ne sert à rien de tout annulé, au cas où.

Cash disait qu’il pouvait attendre et qu’il entendait bien respecter une promesse qu’il m’avait fait, d’être à mes côtés jusqu’à la fin. Je l’embrassais doucement, ne trouvant pas de mots pouvant rivaliser avec un engagement aussi fort. Si je pouvais lui promettre que je tiendrais bon jusqu’à son retour, je le ferais, sans hésiter ! Je n’étais malheureusement pas en mesure de pouvoir le faire même si je comptais bien tenir tête à la mort jusqu’au bout. Elle gagnerait la guerre mais pas si facilement.

Cash m’encourageait à tenir tête à la mort en faisant un dernier coup d’éclat avec The Burning Fire question que personne ne m’oublie et je comptais bien y parvenir. Je n’avais pas vécue tout ce que j’avais vécu pour m’éteindre comme une petite étincelle.

- Tu verras que je ne suis pas prête à baisser les bras et que vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi !

Savannah voulait faire un dernier album avec The Burning Fire… ça revenait certainement à l’épuiser et à rendre sa mort encore plus imminente mais j’étais un artiste moi-même et je comprenais son envie. Sinon, elle allait faire quoi ? Attendre la mort en se reposant devant la télé ? ça n’aurait aucun sens !

Faire un album en avait un.

Et elle ne voulait pas que je reporte notre tournée pour elle. Et elle avait raison. Si elle vivait encore deux ans ? C’était un délai que The Lightening ne pouvait pas se permettre ! Les fans nous attendaient !

Je soupirai.

-Tu as raison… On partira en tournée comme prévu.

Je passai ma langue sur mes lèvres.

-Mais si tu te sens sur le point de trépasser… Rappelle-moi… Parce que je veux être là quand tu partiras.

Je voulais accompagner son âme jusque dans le royaume des morts. Je me voyais mal la laisser affronter ça toute seul. Oh ! Elle avait certainement de la famille et des amis, elle avait son propre groupe. Mais moi, je lui avais fait une promesse que je comptais bien tenir.

A la voir aux petits soins avec moi, à dégager les cheveux de mon visage, on aurait dit que c’était moi qui allait mourir… Elle était vraiment courageuse, Savannah.

Elle disait qu’elle aurait la force de venir sur notre tournée, pour quelques dates. Billy le lui avait autorisé.

-Il faudra que tu viennes sur les plus beaux endroits alors.

Pour qu’elle profite une dernière fois de ce que la notoriété apportait : les voyages et les découvertes.

Je l’encourageai dans ses projets et elle semblait déterminée, clamant qu’on avait pas fini d’entendre parler d’elle et ça me fit rigoler. Pas par moquerie mais… de la voir si proche de la Mort et si…. Vivante…

Ça devait être ça qu’on appelait le dernier boost d’énergie.

J’approchai mon visage du sien été l’embrassai tendrement.

Que dire de plus ? La voie était tracée. Plus qu’à la suivre.

Jusqu’à la Fin.