Combien de fois avais-je marché sur le trottoir en face de la maison de la maman de Cash, sans parvenir à traverser la rue et frapper à la porte. Déjà qu’il ne m’avait jamais refait signe de vie depuis la dernière fois que l’on s’était vu. J’avais fini par comprendre, ou plutôt par m’expliquer ce fait par la réaction qu’il avait eu quand je lui avais demandé de collaborer à mon album. Ça m’avait paru être une bonne idée, un trip de musicien rien de plus mais pour lui, ça avait semblé être une demande de trahison envers Billy et les autres membres de son groupe.

Bref, nous n’avions pas eu l’occasion d’en reparler, puisque lui comme moi n’avions pas chercher à se recontacter, je ne provoquais pas les évènements, je me laissais porter par mes pulsions et impulsions et elles ne m’avaient pas conduite vers lui.

Aujourd’hui, j’étais forcée de provoquer le destin, je ne pouvais plus attendre et espérer croiser Cash quelque part. Elizabeth Spencer m’avait prévenue que plus longtemps je tardais, pire ce serait. Et je ne pouvais pas jouer avec la vie de Cash par pêché d’orgueil.

Je me décidais donc à traverser la rue. Probablement que je regardais d’un côté comme de l’autre une bonne dizaine de fois avant de poser le pied sur l’asphalte et de me décider à avancer, comme si j’espérais qu’un taxi passe et m’amène au loin. Cash n’était peut-être pas là, non plus, je sonnerais et frapperais et personne viendrais répondre.

Mais sa maman ouvrit la porte et me laissa entrer en me disant que Cash était dans sa chambre, son antre sacré en communion avec Io et Euterpe. Je posais un premier pied sur la première marche de l’escalier et posais ma main sur la rampe. Mon cœur battait tellement fort que ça en venait étourdissant et je sursautais quand mon pied, sur la seconde marche, la fit craquer.

Ridicule.

Je me sentais ridicule à me sentir autant nerveuse. J’avais imaginé tous les scénarios possibles dans ma tête et j’étais prête à tous les affronter. Le pire qu’il pourrait arriver était qu’il me hurle dessus, qu’il me chasse de sa maison et de sa vie. C’était la réaction à laquelle je m’attendais le plus.

Il y avait cependant la possibilité que Cash soit celui qui m’est contaminé, ce n’était pas exclus, comme me l’avais dit Elizabeth, rien n’excluait cette hypothèse. Cash avait une vie autant trouble que la mienne. Le sexe et la drogue, c’était notre échappatoire.

- Salut.

Cash était là, sur son lit. Je me serais volontiers mise nue pour le rejoindre et oublier tout ce qui se passe dans ma tête depuis les derniers jours mais au lieu de ça, je devais me mettre l’âme à nue et m’ouvrir à lui sur ce que je vivais et lui dire qu’il devait lui aussi aller passer un test, pour s’assurer qu’il n’a rien ou…

Je préférais ne pas penser à ’’ou’’.

- Je devais te parler. J’ai un truc vraiment important et pas facile à te dire.

J’entrais dans sa chambre et je m’installer contre le bord de sa fenêtre, lui faisant face, mais n’osant pas croiser son regard. Je jouais plutôt nerveusement avec mes mains. Je détestais cette femme que j’étais depuis que je savais ce qui n’allait pas chez moi.

@ Billy Lighter

J’étais torse nu, allongé sur mon lit, les yeux rivés sur le terrarium d’Io et Euterpe. C’était comme si je communiquais avec elle, traçant des traits abstraits et invisibles sur la vitre du terrarium…

J’entendis la sonnette de la maison, mais je ne me doutais pas que c’était pour moi… Ma mère avait souvent la visite de ses amies et il en allait de même pour ma grand-mère…

Alors quand j’entendis des pas dans l’escalier, je sifflai doucement à l’attention de mes serpents.

-Vous croyez que c’est Billy ? Non… Non, ce n’est pas Billy.

Le pas n’était pas assez nerveux, mais il n’était pas déterminé non plus. Plutôt timide, hésitant.

-L’augure d’une mauvaise nouvelle les filles.

J’avais perdu mon sourire. Et quand la personne qui était venue me rendre visite de présenta sur le pas de ma porte, je me redressai sur mes coudes.

Et souris à Savannah… La belle Savannah que je n’avais pas vue depuis des lustres me semblait-il.

-Ssssssalut SSsavannah…

Elle entra dans la chambre et je la suivis des yeux, sans me lever de mon lit.

-Comment avance ton projet solo ? Bien j’espère… Mais si tu es là pour me demander encore ma participation, tu connais ma réponse…

Je souris.

-Et je ne crois pas que tu sois là pour le sexe non plus. Ton pas est trop hésitant… Et tu es toute pâle…

Je me levai de mon lit et elle me dit qu’elle avait quelque chose d’important et de pas facile à dire.

Je m’approchai d’elle, ventre contre ventre, et jouai avec une mèche de ses cheveux.

-Qu’est-ce qui peut tourmenter autant une femme forte comme toi, hein ?

@ Billy Lighter

Comment allait mon projet solo ? S’il savait combien en ce moment je n’en avais rien à foutre de cet album. Alors je haussais des épaules en m’appuyant contre le bord de la fenêtre en disant platement que je n’étais pas venu supplier sa collaboration.

- Il devrait sortir d’un jour à l’autre. Tu pourras l’écouter et me donner ton avis.

A moins que de juger de mon travail et d’en discuter avec moi soit aussi un pas de trop en dehors de son carré de sable.

Je ne m’étais jamais autant sentie nerveuse à ce point en voulant aborder un sujet. J’en jouais avec mes mains et j’évitais de le regarder dans les yeux, même quand il s’approcha de moi et qu’il pressa son corps contre le mien en évoquant la raison de ma présence ici. Effectivement, je n’étais pas là pour qu’on baise, même si maintenant qu’il était tout près de moi, j’avais des pulsions orgasmique qui transpiraient par tous les pores de ma peau.

- Il n’y a pas si longtemps, la pire chose que j’imaginais avoir à annoncer à un mec, c’était que je puisse être enceinte. Putain que ça me faisait angoisser chaque fois que j’avais du retard dans mes règles.

Je levais mes yeux embrumés pour le regarder et secouais légèrement la tête. Est-ce que j’allais arriver à lui parler ? Il le fallait bien, j’avais amorcé un truc, je ne pouvais pas le laisser en plan comme ça.

- C’est un peu con tu vois parce qu’aujourd’hui, j’aurais vraiment préféré te dire que j’étais enceinte de toi plutôt que ce que j’ai t’annoncer.

Un long soupire s’extirpa d’entre mes lèvres avant que je ne tousse légèrement pour m’éclaircir la gorge et, par le fait même, trouver la force de continuer. J’en tremblais tellement je redoutais sa réaction même si je l’avais visualisé des centaines de fois dans la tête.

- Je suis malade, Cash. Ça ne se guéri pas, je vais même en mourir et le pire là-dedans c’est que je t’ai peut-être infecté et tu n’en as pas encore…

Je détestais pleurer devant les gens et plus encore devant Cash. Puis je détestais encore plus quand mes larmes faisaient ma voix se coincer dans ma gorge et que plus un son n’en sorte, sauf pour ces horribles sanglots qui ne rimaient à rien. J’étais forte, je l’avais toujours été ! Pourquoi devais-je flancher maintenant que je me trouvais face à une fatalité que personne ne pouvait éviter de toute façon.

- Tu n’as peut-être pas développé de symptômes encore mais tu devrais aller voir un médecin qui pourra te faire passer les mêmes tests que moi. Elizabeth Spencer, qu’elle s’appelle.

Elizabeth Spencer avait été toute douce et gentille avec moi et je savais qu’elle pouvait être d’une grande écoute et d’une discrétion sans faille. C’était déjà la honte que de passer un test pour s’assurer de ne pas avoir attrapé la chaude pisse ou une merde dans le genre.

- Je ne sais pas d’où j’ai été infecté, ni depuis quand mais je sais que je le suis alors voilà. Je devais te prévenir, au moins que tu saches.

Ce qu’il allait faire de cette information lui appartenait. J’avais fait le bout de chemin qui m’incombait. Je pensais que de me libérer de ce poids je ferais du bien mais au contraire, je me sentais encore plus écrasée par ma triste réalité.

@ Billy Lighter

L’album de Savannah, son projet solo sur lequel elle avait voulu que je travaille… Ce que j’avais refusé par loyauté pour Billy, allait bientôt sortir… Je souris, la regardant de derrière mes boucles avant de réaliser l’aura noire qui l’entourait…

-Je l’écouterai et je te donnerai mon avis… Même si je ne suis personne pour critiquer l’art des autres.

Je me levai et m’approchai d’elle, ventre contre ventre, pour que mon énergie lumineuse fasse fuir ce que je voyais en elle… Pas tout à fait la même aura qu’April portait tout le temps sur elle et qui était malsaine. Ici, c’était de la peur et de la tristesse mêlée.

Je posai mon front contre le sien.

-Parle-moi, Savannah… Avec moi, tes secrets seront bien gardés…

Puis soudain, me vint à l’esprit qu’elle pouvait être enceinte, et mon cœur se mit à battre plus fort contre sa poitrine. Mais d’après ce qu’elle commença à dire, ce n’était pas ça.

C’était pire.

Mais qu’est-ce qu’il pouvait y avoir de pire ?

C’était tellement grave qu’elle n’arrivait pas à le dire. Ça restait comme bloqué dans sa gorge.

Puis ça se décoinça un peu. Elle dit qu’elle était malade. Je la pris par les bras et l’éloignai un peu de moi, sans lui faire mal, pour le regarder dans les yeux, mais elle fuyait mon regard.

-Malade ? Comme Howard Stone ? Tu vas en mourir ? Putain c’est quoi cette maladie ?

Je m’éloignai d’elle pour aller dans ma table de nuit et nous roulai un joint tandis que Savannah cherchait ses mots. Elle parlait d’un test que je devrais faire pour savoir si je n’étais pas mourant moi aussi.

Le joint roulé, je l’allumai avant de me rapprocher de Savannah et de lui tendre.

-Tiens, ça va te détendre.

Je la regardai dans les yeux.

-Ok, j’irai faire ce test… Mais c’est quoi cette maladie mortelle ? Et surtout...

Ma gorge se noua.

-Tu en as pour combien de temps avant de mourir ? Ce serait moi qui t’aurais infectée ?

@ Billy Lighter

Cash voulait bien écouter mon album et me donner son avis bien que, comme il le disait, il ne pouvait pas critiquer l’art d’autrui. J’espérais quand même qu’il me partage ses impressions. J’aurais aimé travailler avec lui sur certains morceaux mais j’avais passé par-dessus son refus en travaillant encore plus fort et ce n’était pas plus mal puisque j’étais satisfaite de ce que j’avais fait et c’était le plus important.

Malheureusement, je n’étais pas ici pour discuter musique. J’avais une nouvelle importante à annoncer à Cash et cela me pesait tellement de le faire que je ne savais même pas comment prendre la situation, par quel bout je devais commencer. Puis il ne m’aidait pas non plus à se coller à moi ! J’avais envie de lui, vraiment ! C’était ce qui me ferais le plus de bien, je me sentirais vivante parce qu’en ce moment, je me sentais éteinte à l’intérieur.

Lui annoncer être enceinte aurait été beaucoup plus facile que de lui dire ce qui m’amenait véritablement chez lui. Pourtant, il y avait peu de temps de ça, j’aurais cru être complètement désemparée si j’avais découvert être enceinte.

Cash promit d’être le gardien de mes secrets.

J’aurais été rassurée si le secret que je m’apprêtais à lui confier ne risquait pas de foutre ne l’air sa vie à lui aussi.  Je fini tout de même par lui avouer que j’étais malade, assez pour que ce soit inquiétant. Alors il se détacha un peu de moi sans briser l’étreinte, simplement pour que l’on se regarde mais je n’arrivais pas à le regarder dans les yeux.

- Non, ce n’est pas comme ce qu’a Howard. Ça ne se guérit pas, ce n’est pas bien connu encore mais oui, je vais en mourir.

Cash sembla soudainement tendu, ou était-ce moi qui n’arrivait plus à le décoder. Il alla rouler un joint et moi j’essuyais mes yeux avant qu’ils ne se mettent à couler sur mes joues.

- Merci.

Je pris le joint et en tirais quelques inspirations que je gardais dans mes poumons avant de les relâcher. Je pris le courage que l’herbe me procura pour lui dire que je ne savais pas d’où j’avais été infecté et que je l’avais peut-être contaminé, lui aussi et qu’il devrait aller passer le test pour en avoir le cœur net.

Je le regardais pour la première fois depuis que j’étais entrée dans sa chambre quand il demanda qu’elle était cette maladie, combien de temps il me restait et s’il était possible que ce soit lui qui m’ait infecté. Tant de questions sans réponse ! Alors je coinçais à nouveau le joint entre mes lèvres et en tirais encore quelques bouffées avant de lui répondre.

- Ça a un nom tellement long mais ils l’ont réduit à sida et ça ne se guérit pas. Ça s’attaque au système immunitaire et si je prends bien le traitement qu’on me conseil, je pourrais peut-être vivre une dizaine d’année. C’est pas si mal…

Une dizaine d’année pendant lesquelles mon états se détérioreraient graduellement jusqu’à ce que je devienne faible et bonne a rien. Ce n’était pas la mort que je craignais le plus, mais ce qui la précéderait.

- Si tu es infecté, il n’y aura pas de moyen de savoir si ça vient de moi ou si c’est toi qui m’a infecté. Il parait qu’il n’y a pas personne qui se dégrade de la même manière… C’est une saloperie que j’ai gagné à la loterie de la vie en échangeant une seringue ou en ne me protégeant pas en ayant des relations sexuelles.

Je l’expliquais aussi clairement que je le pouvais selon ce que la docteur Spencer m’avait elle-même expliqué mais comme elle m’avait répété que les informations concernant ce nouveau fléau humanitaire étaient trop peu recensées, elle n’avait pas beaucoup de piste à me donner.

- La docteure que j’ai vu m’a dit que si je suivais bien le traitement et que je faisais attention, je n’avais pas de raison de croire que je ne pourrais pas vivre une vie normale.

C’était rassurant, non ?

Non, ça ne l’était pas, pas quand on avait les deux pieds dedans et jusqu’au cou.

- En ce moment, je ne vis pas, Cash. Je survie. Ce qui est difficile à encaisser, ce n’est pas la maladie, mais le fait que j’ai pu hypothéquer ta vie. Si tu es malade à cause de moi, je ne me le pardonnerai pas.

@ Billy Lighter

Savannah n’allait pas bien… l’aura sombre qu’elle emportait avec elle était plus éloquente que tous les mots que j’aurais pu trouver. Elle allait mal, elle était triste. Dommage pour une créature comme elle, aux couleurs multicolores.

Mais là, elle était juste, éteinte.

Je lui demandai si elle était malade comme Howard… C’était déjà bien grave ce qu’avait le batteur et je savais que c’était à vie qu’il aurait ça mais aussi que s’il ne faisait pas attention à son mode de vie, ça pouvait très bien le tuer.

Et Savannah comme moi avions un train de vie à plus de 100  à l’heure !

Je nous roulai un joint avant de revenir vers Savannah qui tira dessus. Et je posai mes mains sur ses hanches, pour qu’elle sente que j’étais là, à son écoute.

Elle tira sur le joint plusieurs fois et j’inspirai bien fort la fumée qui finit par sortir de sa bouche. Elle parla d’un test, d’un docteur Spencer, d’un test que je devais aller passer chez le Dr Spencer pour savoir si elle ne m’avait pas refiler sa maladie.

-Et si c’est moi qui te l’avais refilé ? Putain, je m’en voudrais à mort !

Je finis par lui demander quelle était cette maladie et elle me regarda dans les yeux pour la première fois depuis qu’elle était entrée dans ma chambre.

Le SIDA…

C’était le SIDA… j’en avais entendu parler à la télé… Un prêtre disait que c’était la punition divine pour tous les homosexuels de ce monde. Une punition pour tous les suppôts de Satan et les fornicateurs sodomites.

-Mais… Mais je croyais que seuls les homosexuels l’attrapaient…

Je pris son visage entre mes mains. J’avais les larmes aux yeux.

-Je ne veux pas que tu meurs. Pas comme ça… Notre mantra c’est « live fast, die young »… mais c’est d’une mort lente que tu me parles.

Et pourtant, j’avais moins peur de l’avoir moi-même que de voir Savannah dépérir comme une fleur qui se fane.

-Une dizaine d’années… Tu vas souffrir beaucoup ? J’espère que non…

Elle me dit qu’il n’y aurait jamais aucun moyen de savoir qui avait infecté qui. Mais elle m’apprit aussi que ça pouvait venir du fait qu’elle avait échangé des seringues.

Je déglutis… L’héroïne pouvait donc m’avoir infecté aussi…

Je posai mon front contre celui de Savannah qui disait que si elle suivait bien son traitement, elle pourrait avoir une vie normale…

-Avec une échéance de dix ans…

Elle aussi disait que si j’étais malade à cause d’elle, elle ne se le pardonnerait pas.

-Shhh… Shhh…

Je la berçai contre moi…

-J’irai faire le test… Et quoi qu’il arrive, je te soutiendrai, jusqu’au bout.

Je pris le joint et tirai un grand coup dessus.

@ Billy Lighter

J’étais parvenu à lâcher le morceau et à nomme ce mal infâme qui m’accablait. C’était un bien petit mot pour de biens grands maux. J’aurais préféré lui annoncer une grossesse et hypothéquer les prochaines années de ma vie en les consacrant à un mini moi qui m’en ferait voir de toutes les couleurs plutôt que de voir s’égrainer les prochaines années en me demandant toujours si ce n’était pas la dernière.

- Et moi j’avais entendu dire que c’était une maladie du tiers-monde.

Comme quoi Elizabeth Spencer ne mentait pas quand elle disait que la désinformation au sujet de cette maladie était la principale raison de sa rapide propagation.

- C’est pour ça que tu dois passer le test, pour savoir.

Je n’aimais pas voir la tristesse et la peur dans le regard de Cash, c’était le reflet de mes propres émotions et ce n’était pas beau à voir. Néanmoins, la réaction de Cash m’apaisait, j’avais un allié dans cette tragique épopée, un support pour me reposer, un port pour m’encrer quand j’irais à la dérive.

- J’ai toujours cru que je ne mourrais pas très vieille mais je ne pensais pas mourir avant mon premier cheveux blanc.

En fait, depuis que je savais ce que j’avais, il y avait pleins de pensées comme celle-là qui parasitaient mon esprit. Il y avait tant de choses que je n’aurai pas fait, que j’aurais voulu faire, que je n’avais jamais songé faire.

Je plaçais mes mains sur les biceps de Cash et les lui caressais de haut en bas alors qu’il s’inquiétait de savoir si j’allais souffrir. Je n’avais pas la réponse à cette question, je ne pouvais lui répondre que d’un haussement d’épaule toujours en lui caressant les bras.

- Ouais mais moi je fais toujours à ma tête alors je pourrais bien surprendre le pronostique et  vivre encore vingt ans.

Après tout, nous ne savions pas comment la maladie évoluait et à quelle vitesse. Il n’y avait pas beaucoup de points de repères. C’était un peu comme dire que mon état allait servir à documenter Elizabeth Spencer sur la condition de sidéenne.

Ma main droite alla caresser doucement sa joue en lui confiant que si je l’avais infectée, je ne me le pardonnerais pas. Je me laissais aller contre lui alors qu’il me berçait et qu’il promit qu’il me soutiendrait, quoi qu’il advienne. Je ne lui en demandais pas tant mais de l’entendre me le dire me fis le plus grand bien.

- Je suis forte, je vais me relever et déjouer le pronostique ! Je me suis octroyée un moment pour absorber le choc de la nouvelle, j’ai fait la faites, je me suis étourdie bien assez. Il est temps que je me ressaisisse.

Puis mes doigts quittèrent sa joue pour s’enrouler dans ses magnifiques bouclettes.

- J’aimerais aller avec toi, si tu veux bien, à ton rendez-vous. J’ai encore beaucoup de questions. Je n’attends pas vraiment de réponse mais nous aurions les mêmes informations. Si tu veux, bien sûr.

S’il devait être infecté, nous allions devoir nous supporter et s’entraider. Et s’il y avait ce Dieu que tout le monde semble croire si bon et miséricordieux, il épargnerait Cash. Après tout, il venait d’avoir un assez gros avertissement de la vie pour qu’il prenne conscience que sa vie valait la peine d’être vécue.

@ Billy Lighter

Ce que Savannah venait de m’annoncer n’était pas rien. Et même si le spectre de la maladie planait sur moi aussi, c’était pour elle que je m’inquiétais ! Est-ce qu’elle allait souffrir ? Combien de temps lui restait-il à vivre ? Tant de questions sans réponse… Et comme Savannah me faisait part de ce qu’elle avait entendu sur cette maladie, soit que c’était une maladie du tiers-monde, on en savait très peu.

Et comme elle le disait, c’était pour ça que je devais faire le test.

-Je passerai le test.

Le joint passant encore nous alors que nous étions étroitement enlacés déliait nos langues et nos esprits. Nous pouvions exprimer tout haut nos inquiétudes et quelque part, d’avoir un interlocuteur pour en parler nous faisait du bien à tous les deux.

Et les mains de Savannah sur mes bras me faisaient frissonner. Mais je n’osais pas poser cette question cruciale : est-ce que nos corps pourraient encore se retrouver, ne serait-ce qu’une dernière fois ?

C’était une question à poser à cette Dr. Spencer.

Et Savannah m’exposa sa peur… Elle savait qu’elle mourrait jeune, comme je le savais moi aussi. Mon cœur m’avait déjà fait faux bond une fois, c’était dire. Mais elle ne pensait pas mourir avant son premier cheveu blanc… Je tirai sur le joint et vint souffler sensuellement la fumée dans sa bouche avant de susurrer :

-C’est le lot des gens comme nous… Je ne tarderai pas à te rejoindre, si tu devais quitter ce monde prématurément.

Si je continuais avec mon train de vie… Ou si j’étais infecté moi aussi parce cette immonde maladie réduite à ce mot horrible et sans aucun sens : SIDA.

Je pouffai de rire, une bouffée d’oxygène dans cette lourde conversation, quand Savannah affirma qu’elle était tellement bornée qu’elle était capable de vivre encore 20 ans. Je passai une main dans ses cheveux.

-Alors reste bornée et ne baisse jamais les bras.

Sa main passa sur ma joue et je lui rendis le joint. Elle disait qu’elle s’était morfondue assez et qu’il était temps qu’elle se ressaisisse.

-De toute façon, tu ne pourras pas mourir tant que tu n’auras pas offert au monde ton œuvre complète. C’est comme ça que ça marche. Tant que tu auras des choses à mettre au monde, tu vivras.

Elle demanda alors si elle pourrait m’accompagner chez le Dr. Spencer… Et je hochai la tête avec un sourire.

-Je suppose que je ne risque rien si je t’embrasse.

Et sans attendre sa réponse, c’est ce que je fis.  

@ Billy Lighter

J’étais soulagé de savoir que Cash irait faire un test de dépistage bien que l’attente de son résultat serait pesante et insoutenable. Il fallait espérer qu’il s’en sorte mieux que moi et que c que je vivais soit suffisant pour adopter un comportement un peu plus prudent.

Le joint aidait à me détendre mais mon niveau de stress des derniers jours avait été à ce point élevé qu’à peine quelques secondes après avoir soufflé ma fumée dans la bouche de Cash, les effets de dissipaient d’eux même. Il me faudrait du temps pour reprendre ma vie en main et cesser de laisser la maladie prendre le dessus sur mes émotions.

- Ne dis pas ça.. Cash. Qui d’autre que toi saura me faire vivre éternellement dans les mémoire, si tu devais me rejoindre ?

J’avais murmuré ma demande tout en continuant de lui caresser les bras. Ça devenait beaucoup trop triste comme conversation alors que nous devions plutôt nous relever ensemble et faire face à ce qui nous pendait au bout du nez. Je n’avais pas l’habitude de rester au sol bien longtemps et si cette fois je prenais du temps à me relever, ce n’était que pour être encore plus forte et déterminée à vivre tout ce que j’avais envie de vivre et quand je déciderais de le vivre.

- Je ne baisserai pas les bras.

Je riais doucement avec Cash. S’il y avait bien quelqu’un capable de foutre un bon coup de pied dans le fondement du destin, c’était moi ! Et avec lui pour me tenir la main, je ne pouvais pas échouer.

Je n’échouerais pas !

Cash philosophait sur mon espérance de vie intimement lié à ce que moi, Savannah, avait à offrir au monde. Que tant que j’aurais encore quelque chose à dire, je ne pourrais pas partir. Je trouvais ça beau et inspirant et j’étais vraiment tenté de le croire. Et puis de toute façon, tant qu’il y avait de la vie, il y avait de l’espoir, non ? Or, jusqu’à preuve du contraire, j’étais encore pleine de vie.

Mon beau Shaman accepta que je sois présente avec lui lors de son rendez-vous avec la Dr. Spencer. Si j’avais su ce qu’elle allait m’annoncer, quand j’étais aller la rencontrer pour mes résultats, j’aurais nettement demandé à quelqu’un de m’accompagner. La chute aurait peut-être été moins vertigineuse si j’avais eu quelqu’un pour me tenir la main. Et si Cash ne chutait pas, je voulais être la première à me réjouir pour lui.

Puis il m’embrassa.

Un baiser plein de passion, de tendresse et de désespoir. Un baiser qui me raccrocha un petit peu plus à la parois de la falaise. J’allais m’accrocher à tous ces petits moments, les vivres intensément. C’était mon nouveau mantra.

@ Billy Lighter