Dernièrement, je rêvais et mes rêves revenaient tous au même. En gros, je tentais de m’échapper de quelque chose d’invisible mais de très féroce qui tentait de m’attraper pour me tuer. Une nuit, j’avais rêvé que je courrais dans la jungle et que des lianes vivantes enserraient mes chevilles pour me faire tomber et je finissais complètement étouffée par la végétation. Une autre nuit, je courrais dans un corridor interminable, frappant à toutes les portes pour demander de l’aide. Parfois, des ombre terrifiantes passaient derrières les fenêtres des portes closes ou des cris terrifiant s’en échappaient. Je me réveillais avant d’être parvenue à trouver la porte de sortie. Une fois encore, ma fuite se passait sur un navire. Je passais de pont en pont, pieds nues dans le froid, glissant sur le bois recouvert d’embrume. Je finissais toujours contre une rambarde avec aucun autre choix que de sauter dans la mer agitée.

Cette nuit n’échappa pas à la règle des rêves étrange alors que je me trouvais dans une salle comble, au travers de gens venus assister à un concert de The Burning Fire. Sur la scène, Howard, Nathan, David et Zack étaient là et m’attendaient mais je ne parvenais pas à me frayer un chemin au travers la foule pour les rejoindre. J’avais beau crier, jouer du coude, bousculer, rien n’y faisait et je restais au fond de la salle alors que les gens commençaient à huer mon groupe qui se décomposait littéralement sous mes yeux.

Chaque fois, je me réveillais en sursaut et en sueur et chaque fois, je réveillais la maisonnée de Cash au complet avec mes hurlements. Sa mère et sa grand-mère devaient commencer à en avoir marre de moi, je pouvais le comprendre ! Je me tapais moi-même sur les nerfs ! J’avais beau me répéter chaque nuit avant d’aller au lit que ce qui se passait dans ma tête n’était rien de réel, que je ne devais pas me laisser impressionner par des images, mes cauchemars avaient tout de même le dessus sur moi.

Cette nuit fut pire que les autres.

Peut-être parce que mon groupe était impliqué dans mon cauchemar. Ça venait chercher une corde très sensible et reflétait une crainte que je n’osais pas formuler de vive voix. Depuis que j’avais cette étiquette de sidéenne collée sur le front, je nourrissais bien malgré moi une peur plus grande que la peur elle-même. Je me sentais responsable de la destinée des gens près de moi. Cash, Howard, David, Nathan et même Zack risquaient d’être contaminés même si je faisais vraiment très attention et qu’Elizabeth Spencer se montrait vraiment rassurante quant aux risques.

Il demeurait toujours un risque.

Et des nuits comme cette nuit, je me disais que j’aurais dû plier bagage et m’en aller sur une ile déserte pour attendre la mort comme une vieille amie.

Je soupirais en regardant Cash d’un air désolé. Il avait l’oreille imprimé sur son visage, mon beau Shaman qui avait fait un virage drastique à ses habitudes de vie. À cause de qui ? À cause de moi, celle par qui le chaos entre en saccageant tout sur son passage.

- C’était mon groupe… Je suis désolée.

Le cadran n’indiquait que deux heures du matin. Fut une époque pas si lointaine où je faisais encore la fête à cette heure-là et non pas des cauchemars ! Je me redressais dans le lit pour prendre ma bouteille d’eau. Je ne buvais plus que dans des bouteilles en plastique. Je craignais d’échapper un verre et de me couper, vous imaginez combien j’étais devenue craintive ? Je bus une longue gorgée avant de redéposer ma bouteille sur le sol près du lit puis je passais ma main sur mon front et mon cou.

- Il fait chaud dans la pièce ? Ou bien je fais de la fièvre ? Cash ? Est-ce que je fais de la fièvre ?

Il me semblait que ma gorge me grattait un peu et que hier, j’avais été vite fatiguée après avoir été au studio avec les mecs.

@ Billy Lighter

Ce que je vivais aurait détruit Billy…

Mais pas moi.

Savannah, ma jolie muse et moi, on vivait sur le fil du rasoir… On savait que chaque fois qu’on faisait l’amour, on prenait un grand risque, même si maintenant, on se protégeait plutôt deux fois qu’une… Et je faisais en sorte que l’étape quelque peu artificielle d’enfiler la capote, voire deux, soit un jeu érotique, quelque chose de sensuel, qui faisait partie des préliminaires.

Howard était revenu temporairement pour enregistrer avec The Burning Fire et donc, Savannah savait se changer un peu les idées en studio… La musique était le meilleur des médicaments… Et elle comme moi, on ne se sentait vraiment pleins et entiers que quand on faisait de la musique.

Mais dès qu’elle revenait à la maison, où ma mère et ma grand-mère s’étaient habituées à sa présence et en venaient même à l’apprécier, ses angoisses revenaient… Elle avait peur de se couper alors elle buvait dans des petites bouteilles d’eau en plastique… Elle avait même peur de ses règles au point d’en pleurer de trouille… Heureusement, j’avais été là pour la consoler.

Ma mère, voyant que j’avais entamé ma relation la plus longue avec une femme, s’était mise à rêver à des petits-enfants… Mais je lui avais tout de suite dit que ce serait impossible… Et je lui avais parlé de la maladie de Savannah… Elle avait dit alors, dépitée, qu’elle prierait pour elle à l’église.

Moi, je faisais des offrandes à mes dieux, même s’ils me semblaient lointains maintenant que j’étais sobre et en plein enregistrement moi aussi… Le Roi Serpent était encore absent de son Désert, mais c’était pour la bonne cause… Pour deux bonnes causes… Billy et Savannah.

Les nuits de Savannah étaient agitées, elle ne cessait de faire des cauchemars malgré que ma grand-mère, avant de dormir, lui faisait respirer des infusions de diverses plantes sensées la calmer et lui apporter un sommeil réparateur.

Il était deux heures du matin quand elle commença à s’agiter… Elle était trempée de sueur et je ne savais pas si c’était ça ou le fait qu’elle bougeait et gémissait qui m’avait réveillé. Je la secouai doucement, cherchant à la sauver du monde des cauchemars dans lequel elle avait encore plongé à pieds joints.

Je réussis à la réveiller et elle avait le souffle court, son corps trempé de sueur et quand elle posa les yeux sur moi dans l’obscurité de la chambre, elle me regarda d’un air extrêmement désolé mais je secouai la tête avant qu’elle ait pu dire quoi que ce soit. Elle n’avait pas à être désolée, c’était moi qui avais choisi d’être son ange-gardien.

Elle m’avoua que son cauchemar concernait son groupe et je passai une main dans ses cheveux mouillés de sueur.

-Je comprends… J’ai parfois de grosse angoisse au sujet de The Lightening aussi et ce sont mes pires cauchemars…

Je la caressai doucement, mais elle ne retrouvait pas son calme. Elle me regarda l’air paniqué en demandant si elle avait de la fièvre. Je posai ma main sur son front.

-C’est difficile à dire, il fait chaud aussi dans la pièce… Notre mère L.A. adore nous faire suer.

Je pris sa main…

-Shh… Tu veux que j’aille chercher le thermomètre pour être sûr ?

Je lui parlais d’une voix calme, avec une infinie gentillesse… J’avais toujours pensé être l’amant de la Mort… Et je ne l’avais jamais été autant qu’aujourd’hui… Car ma muse, à terme, était condamnée.

@ Billy Lighter

Je suivais à la lettre toutes les recommandations d’Élizabeth Spencer. Je prenais religieusement tous les comprimés que je devais prendre quotidiennement, je surveillais les signes de mon corps et je m’octroyais de longues pauses même lorsque je me sentais encore pleine d’énergie et Cash et moi étions aux aguets à chacune de nos relations sexuelles tant et si bien que nous étions parvenus à nous créer des jeux pour intégrer le condom dans nos ébats sans modérer nos pulsions.

Chassez le naturel, il revient au galop !

Le dramatique de ma nouvelle existence me rattrapait jusque dans mon sommeil. Dernièrement, pas une nuit se passait sans que je ne me réveille en hurlant, certaine que la fatalité venait de frapper. Cash, patient, m’écoutait et me réconfortait jusqu’à ce que je me rendorme dans ses bras.

J’avais essayé la méditation et les infusions de plantes pour me calmer avant de dormir et chasser le mauvais œil mais rien n’y faisait. C’était un cercle vicieux dans lequel je mettais doucement mais surement les pieds. Si je ne dormais pas bien la nuit, je serais fatiguée le jour et si j’étais épuisée, je devenais vulnérable aux infections. J’allais devoir demander à Elizabeth Spencer d’ajouter un nouveau comprimé à mon cocktail quotidien. Quelques somnifère aideraient certainement à calmer mes nuits agitées.

Cette nuit fut la pire.

Mon groupe s’était décomposé sous mon regard impuissant, devant une foule en colère qui nous huait hargneusement. Je n’étais pas une adepte de l’interprétation des rêves mais j’y voyais là un message claire. Ma maladie retardait le groupe et risquait de sombrer par ma faute.

Cash comprenait bien l’ampleur de mon cauchemar puisque lui aussi nourrissait parfois de vive angoisse avec The Lightening. J’adorais cette façon qu’il avait de passer sa main dans mes cheveux. Il arrivait à m’apaiser jusqu’à ce que je crée une nouvelle raison de paniquer.

J’étais en sueur.

Était-ce la chaleur ambiante ou une montée fiévreuse ? Je devais savoir sinon j’aurais une nouvelle raison de ne pas fermer l’œil de la nuit. Cash proposa d’aller chercher un thermomètre pour que l’on vérifie. Si un jour on m’avait dit que Cash et moi serions éveillés à deux heures du matin pour autre chose que pour faire l’amour ou la fête, je ne l’aurais jamais cru.

- Oui, s’il-te-plait.

J’attendis qu’il revienne avec le petit tube de verre gradué et je m’installais dans le lit, le dos droit avant de mettre le thermomètre sous ma langue.  Il n’y avait pas trois mois de ça, je ne savais même pas lire ma température. Même que je pense que je n’avais jamais pris ma température avant qu’on ne me diagnostique le SIDA.

Il fallait attendre quelques minutes avant que ce soit suffisant pour avoir capté la température de mon corps et quand ce fut fait, je regardais sur le thermomètre pour voir où le mercure avait cesser sa course.

- 38degrés. C’est un de plus que la normal.

Un tout petit degré à la con au-dessus de la température normale du corps. Je me palpais la gorge et tout me semblait normal. Pas de ganglions enflés, pas de douleur. J’inspirais profondément avant d’expirer tout aussi doucement.

- Je me sens bien. Il fait chaud alors, mon corps réagit probablement à la température ambiante. Ça ne veut pas dire que je couvre quelque chose, hein ?

Quand est-ce que je devais m’inquiéter et quand est-ce que je devais me convaincre que c’était la normalité ? La ligne était mince entre les deux, et plus encore à deux heures du matin !

@ Billy Lighter

Savannah était inquiète pour son groupe. Malgré que le Dr. Spencer lui donnait encore une bonne décennie à vivre, elle ne cessait d’en voir la fin, quand la maladie prendrait le dessus, quand elle serait trop faible pour enregistrer ou monter sur scène.

Par-dessus tout, elle avait peur des infections et maladies en tout genre. Logique, quand on savait ce qu’était le SIDA, ce que m’avait expliqué le Dr. Spencer pour que je puisse accompagner au mieux ma muse jusqu’à la fin.

J’étais là pour elle et, aussi bizarre que ça puisse paraître quand on s’appelle Cash Izbel, je n’avais plus envie de sauter sur tout ce qui bougeait. Savannah était devenue un satellite naturel dans mon univers, quand Billy Lighter en était le soleil autour duquel je tournais.

Le SIDA était une maladie insidieuse, vicieuse autant qu’elle était mortelle à terme. Mais si on faisait bien attention, on pourrait peut-être continuer à vivre 15 ans ensemble, qui sait ?

En tout cas, ma décision était prise : sauf ce qu’il me faudrait pour vivre, la plus grosse partie de mes gain sur le prochain album de The Lightening, qui avançait bien, je reverserais tout à la recherche contre cette maladie monstrueuse et je lui ferais par là le plus gros « fuck ! » que je pourrais lui faire.

Mais en attendant, il fallait que je m’occupe de Savannah.

Elle était en sueur à cause de son cauchemar mais avait eu peur d’avoir contracté une fièvre… C’était peut-être une peur irrationnelle mais loin de moi l’idée de minimiser les symptômes que pourrait ressentir Savannah. C’était elle qui était dans son corps, elle qui sentais les choses et si, pour la rassurer, il ne me faudrait que lui apporter un thermomètre, ainsi soit-il.

J’allais donc chercher le petit outil… Jamais j’aurais su où il se trouvait si Savannah n’avait pas été malade. Mais j’avais demandé à ma mère de me faire une petite visite guidée de l’armoire à pharmacie dès notre retour de chez le Dr. Spencer. Je voulais savoir, pour prendre soin de Sav.

Je revins et me glissai à nouveau dans le lit, mon lit d’adolescent, juste assez grand pour une personne et dans lequel nous étions obligé de nous coller, pour notre plus grand plaisir.

Elle mit le thermomètre dans sa bouche et j’attendis avec presque autant d’angoisse qu’elle tandis que mes serpents glissaient lentement dans leur terrarium comme si eux aussi voulaient savoir. Comme s’ils ressentaient notre peur continue.

Le verdict tomba… 38°C…

Je fis la moue.

-Donne-moi ça…

Je pris le thermomètre en main, le secouai un peu puis le mis sous ma propre langue. J’attendis quelques minutes puis vérifiai les graduations…

-38 aussi…

Je me levai pour ouvrir une fenêtre et faire rentrer un peu d’air dans la chambre pour la refroidir.

-C’est qu’il fait trop chaud dans la pièce…

Je repris la bouteille d’eau de Savannah et la lui tendis.

-Tiens, bois un peu encore…

Puis je me remis au lit et l’enlaçai…

-Ça ne veut pas forcément dire que tu as chopé quelque chose. Mais si tu as vraiment peur, maman peut sonner au Dr. Spencer demain pour prendre un rendez-vous et vérifier. Je viendrai avec toi si c’est le matin… L’après-midi on enregistre avec The Lightening.

Et c’était le seul endroit où Savannah ne pouvait pas me suivre…

-Si ce n’est que tu as chaud et peur pour ton groupe, tu te sens bien ? Physiquement parlant ?

@ Billy Lighter

Vivre avec une peur constante au ventre était devenu mon lot quotidien. Je ne pourrais jamais vraiment être sereine et détacher en craignant sans cesse que ne sonne mon dernier chronomètre. Pour combien de tour était-il remonté ? Nul ne le savait, seul mon corps, transformé en baromètre vivant, était mon guide. Je devais l’écouter, être constamment à l’affût des moindres changements, anticiper les risques, prévoir l’imprévisible.

Pour une femme comme moi qui avait toujours vécus au hasard, qui détestait les attaches et les obligations, aussi bien dire que je ne contrôlais plus rien de ma propre vie. Je m’y étais résignée, je pouvais l’accepter mais il me fallait tout de même du temps pour cesser de stresser avant d’avoir une bonne raison de stresser.

Mes cauchemars n’aidaient pas. Je devais me reposer et bien dormir toutes mes nuits pour éviter de m’épuiser mais voilà que la peur plus que rationnel de ma mort prochaine hantait mon sommeil de manière intrusive. À ce rythme, j’allais avoir besoin d’intraveineuse de caféine avant longtemps.

J’étais désolée d’avoir réveillé Cash et possiblement sa mère et sa grand-mère. Et puis j’avais tellement chaud ! Si je devais faire de la fièvre, ce serait la consécration suprême de mon malheur nocturne ! Cash, tout en douceur et bienveillance, alla chercher le thermomètre pour que je puisse déterminer si tout cela n’était que dans ma tête ou bien réel.

Le mercure grimpa lentement et termina sa course sur 38 degrés et je regardais Cash sans savoir si je devais paniquer ou rester calme. Pour me rassurer, il plaça lui aussi le tube de verre sous sa langue et après une courte attente, déclara être lui aussi a 38 degrés et que par conséquent, ça ne pouvait être que la chaleur ambiante. Il se leva et ouvrit la fenêtre avant de revenir se blottir dans son petit lit avec moi et me tendre ma bouteille d’eau. J’en bus plusieurs gorgées avant de revisser le bouchon et de la lui redonner.

Cash ne pensait pas que j’avais forcément attrapé quelque chose mais que si j’étais réellement inquiète, sa mère pouvait passer un coup de fil demain chez le docteur. Je palpais ma gorge et j’inspirais profondément. Je me sentais bien, pas de mal, de picotement, de douleur. Juste une bouffée de chaleur qui avait une explication parfaitement logique.

- Non, je ne crois pas que ce soit nécessaire. Il faut que j’apprenne à me contrôler sinon je vais passer le reste de ma vie chez le médecin.

Cash disait pouvoir venir avec moi si le rendez-vous était le matin car l’après-midi, il enregistrait avec The Lightening et ça, c’était sacré ! Ça m’allait parfaitement bien, je ne voulais pas le contraindre à me servir pour la prochaine décennie. Je passais ma main délicatement sur sa joue avant de me laisser aller tout contre lui et de poser ma tête contre son torse.

- J’apprécie vraiment que tu sois là pour moi, je me sens moins seule. J’apprécie surtout que tu ne cesse pas de vivre pour t’occuper de moi.

Ça me tuerait bien plus vite que le SIDA lui-même de voir quelqu’un lâcher ces rêves pour prendre soin de moi. J’étais la seule responsable de mon état, il n’avait pas à payer le gros prix en plus du reste.

- Je crois que je vais quand même téléphoner au Docteur Spencer pour lui parler de mes cauchemars. Si je pourrais prendre des somnifères ou quelque chose du genre pour que mon sommeil soit moins perturbé, ce serait un grand pas vers l’avant.

@ Billy Lighter

Je regardais tendrement Savannah après avoir ouvert la fenêtre pour nous faire un peu d’air. L.A. avait un climat désertique et s’il pouvait faire étouffant en journée, les nuits étaient plus fraîches. Autant en profiter… D’autant qu’on avait tous les deux chaud comme nous l’indiqua le thermomètre… Un signe assez rassurant, ça voulait dire que Savannah ne faisait pas de fièvre.

Pendant que je jouais dans ses cheveux, Savannah palpa sa gorge… Et ça sembla la rassurer un peu. J’imaginais qu’elle n’avait donc pas mal…

C’était rassurant pour moi aussi… Je n’avais pas envie de perdre Savannah, de la voir dépérir petit à petit sous le coup de cette saloperie de maladie. J’avais déjà perdu Gaïana, la Reine des rues de L.A., d’une overdose, c’était hors de question que je perde Sav…

Pourtant, je ne pouvais rien faire contre le Destin.

Et celui de Savannah était scellé, même si on avait qu’une estimation du temps qui lui restait.

Je souris quand, après s’être assurée que sa gorge allait bien, elle affirma qu’aller chez le médecin n’était pas nécessaire. Qu’elle devait apprendre à se contrôler.

-Ça doit être dur… Moi aussi j’ai peur pour toi… Quand on est dehors et que quelqu’un éternue ou tousse à côté de toi, je ne supporte pas ça…

D’ailleurs, si un jour j’attrapais la grippe, je demanderais probablement à Savannah de retourner vivre chez elle le temps que ça passe.

On ne voulait aucun des deux prendre le risque de raccourcir son espérance de vie déjà bien courte.

Je m’allongeai sur le dos et elle posa sa tête contre mon torse… Je plongeai une main dans ses cheveux et fermai les yeux… Peut-être qu’on allait, après cette petite frayeur, réussir à s’endormir.

Mais avant, Savannah fit une déclaration qui fit bondir mon cœur.

-C’est normal que je sois là pour toi. Et puis, je t’ai prêté un serment, je ne peux pas le violer.

Je massais doucement son crâne, essayant de la détendre.

-Et non, tu ne m’empêches pas de vivre. Au contraire… De sentir la Mort si proche ça me fait réaliser qu’on est plus vivants que jamais…

Je redressai un peu la tête pour essayer de capter son regard.

-Je ne te l’ai pas encore dit mais, j’ai décidé qu’une bonne partie de mes gains sur l’album qu’on est en train d’enregistrer irait à la recherche contre le SIDA. Je veux mettre toutes les chances de notre côté.

Je lui souris puis laissai retomber ma tête.

Savannah voulait aller chez le Dr. Spencer quand même, mais pas pour une éventuelle maladie. Juste pour lui parler de ses cauchemars et peut-être qu’elle lui prescrive des somnifères.

Je regardai le plafond puis refermai les yeux.

-Si ça peut te permettre de passer de meilleures nuits alors ouais, ce serait bien. La fatigue, ce n’est pas bon pour toi non plus. Puis il faut que tu sois au top pour enregistrer avec The Burning Fire. Au fait, ça avance ? Votre album ?

@ Billy Lighter

La brise passante par la fenêtre que venait d’ouvrir Cash me faisait beaucoup de bien mais pas encore assez pour que je sois complètement sereine. Chaque seconde de ma vie ressemblait à un pas de plus dans un champ de mines. Je ne savais jamais quand l’une d’elles m’exploseraient en plein visage. Est-ce que je devais paniquer des trente-huit degré qu’indiquait le thermomètre alors même que Cash avait le même résultat ?

La réponse était autant oui que non et c’était ça qui me pesait le plus dans toute cette merde dans laquelle je pataugeais depuis quelques semaines. Il me faudrait beaucoup de temps pour comprendre tout ce qui se passait et ce qui ne se passait pas dans mon corps et d’accourir chez le médecin chaque fois que je ressentais une bouffée de chaleur devenait contreproductif. Pour Cash aussi, la situation n’avait rien d’évidente mais je n’avais jusqu’à maintenant jamais soupçonné qu’il avait développé une aversion pour les gens éternuant trop près de moi.

Quelque part, cette confidence était la chose la plus romantique qu’on avait pu me dire de toute ma vie de femme.

Je me laissais aller dans ses bras, allongés tous les deux dans son lit beaucoup trop étroit pour deux personnes mais qui me semblait tellement grand quand j’étais sous l’emprise d’un cauchemar. En écoutant le cœur de Cash battre contre mon oreille, je pouvais espérer me rendormir pour de bon cette fois. Il me faisait tant de bien, c’était vraiment trop con qu’il ait fallu que le SIDA éclabousse ma vie pour que j’en comprenne l’essentiel.  

Cash avait juré de prendre soin de moi et de me soutenir jusqu’à la fin, ce que j’appréciais vraiment beaucoup mais heureusement qu’il prenait tout de même le temps de vivre sa propre vie parce qu’autrement, je craignais que ma triste réalité ne finisse par nous tirer tous les deux vers le fond.

- Il faut souvent une fatalité pour apprécié ce que nous prenons pour acquis.

Combien de fois on m’avait dit ce genre de phrase et que j’avais rit en n’y croyant pas ou qu’à moitié. Je m’étais cru invincible en refusant d’entrer dans tous les moules qu’on me proposait. Cash avait encore tout le loisir de bâtir des rêves et c’était cette vitalité en lui qui me faisait m’accrocher aux fils de la mienne.

- Tu as fait ça ?

J’entrelaçais nos doigts d’une main avant de porter la sienne à mes lèvres et de l’embrasser. Si on aurait pu croire que Cash restait à mes côtés par pitié, il venait de me prouver, à sa manière qu’il tenait vraiment à moi. Offrir ses gains à la recherche pour le SIDA ne changerait pas le cours de mon existence mais aiderait bien d’autres gens comme moi dans un avenir peut-être pas si lointain. Il fallait espérer en tous les cas, que la médecine persiste et que grâce à des gens comme Cash et Elizabeth Spencer, les gens soient sensibilisés à ce nouveau fléau social.

Demain, j’irais demander à Elizabeth Spencer si je pouvais prendre des somnifères pour m’aider à mieux dormir. Oh, je savais que ça ne me protégerait pas des cauchemars mais si les heures que je dormais avant de sombrer dans les abîmes de ma paranoïa nocturne pouvaient être assez reposante pour ne plus trop souffrir de fatigue, ce serait un pas dans la bonne direction. Cash y voyait lui aussi des avantages ce qui suffisait à me convaincre que je prenais la bonne décision.

- Ça avance assez bien pour espérer l’avoir bientôt dans les bacs et donc, pleins de beaux projets à venir. J’ai hâte d’être à ce point occupée que je n’ai plus le temps à passer à trop penser.

Cash avait lui aussi du pain sur la planche de son côté ce qui voulait dire que nous allions être tous les deux bien occupés. C’était réjouissant de sentir la vie continuer de couler malgré tout autant pour lui que pour moi. Je l’embrassais tendrement en enroulant une mèche de ses cheveux bouclés autour de mon doigt. Je sentais la fatigue me gagner de nouveau, mieux valait ne pas lutter contre elle et en profiter.

@ Billy Lighter