Je venais de passer au maquillage et auprès du costumier. Mon costume était plus simple que celui que j’avais pour Keeping Our Lands mais on ne devait pas illustrer la même époque. Nous étions quelques siècles plus loin dans le futur.

Aujourd’hui, tout allait se dérouler en studio… Et c’était assez impressionnant comme décor, parce que la plupart de l’action devait se dérouler sur un bateau où Victor devait jouer le capitaine.

J’avais hâte de revoir Victor. Ou plutôt, que lui me voie. Parce que chaque fois qu’il posait les yeux sur moi, je pouvais sentir sa peur… Il s’était passé quelque chose la première fois qu’on s’était rencontrés, qu’on s’était parlé. Quelque chose d’intangible, mais qui était bien là.

Quelque part, j’étais sûr que Victor sentais au fond de lui que j’avais essayé de le tuer. Ou plutôt, que j’avais espéré qu’il se tue en voiture.

Il le savait.

Mais il n’avait aucune preuve parce que vu de l’extérieur, je l’avais juste aidé à retrouver sa bagnole.

J’étais donc habillé plutôt simplement. Rasé de près comme le voulait l’époque, un manteau de laine long et une casquette plus que retro.

Pénétrant dans le décor qui représentait la cabine du capitaine, je vis Victor. Je n’eus aucun mal à le reconnaître malgré qu’on lui avait rajouté des cheveux pour qu’ils soient longs et coiffés en queue de cheval…

Je ne l’avais pas vu souvent, mais suffisamment pour reconnaître sa façon particulière de se tenir. Il était comme… un peu torché, avec une démarche bien à lui… Je me demandais d’ailleurs si ce n’était pas ça qui avait fait que Trevor avait vu en lui le capitaine idéal. Parce qu’il marchait constamment comme si le monde taguait comme un bateau.

Pourtant, je ne pensais pas qu’il soit alcoolique. Même s’il aimait bien boire des verres, j’avais vu ça au Rainbow.

Je m’approchai à pas de loup, exprès pour le surprendre.

Une fois à un pas seulement derrière lui, je murmurai.

-Salut, Vic…

Et quand il se tourna vers moi, je lui souris bien grand, comme un prédateur.

-Ou je devrais plutôt dire… Capitaine ?

Je penchai la tête sur le côté.

-Tu as l’air encore plus effrayé que d’habitude… Tu as le Diable aux fesses ou quoi ?

Ce Diable, j’espérais bien que c’était moi.

6h du mat ! C’est l’heure à laquelle j’ai dû me pointer aux studios de cinéma ! Putain de 6h du matin ! Trevor Price m’avait convoqué à cette heure-là parce qu’il a dit, je cite : « la séances de coiffure et de maquillage va prendre du temps ». Mais je ne m’attendais pas à ce que ça prenne une putain d’éternité. Rien que pour faire ma coiffure, ça avait pris 50 ans ! Et comme j’étais irritable à souhait, je peux vous dire que les maquilleuses et autres coiffeuses en ont pris pour leur grade.

Ouais ! J’étais très irritable. Je dormais peu depuis que Jimmy Reed m’avait parlé de Vito Pastore. J’en venais même à dormir avec un foutu flingue sur ma table de nuit ce qui alarmait fortement Carrie. Le manque de sommeil me rendait malade au point que j’en vomissais presque chacun des repas que je mangeais. Elle pensait que c’était le stress du film qui me rendait à ce point paranoïaque… Je crois que, au fond, elle pensait que j’avais fusionné avec mon personnage.

Mais non ! J’avais simplement peur de me faire zigouillé par un mafieux fou furieux ! Chose que je ne lui avais pas dite sinon, j’aurais dû lui raconter toute l’histoire ce qui aurait provoqué quelques complications.

Une fois que je fus prêt, je m’étais regardé dans le miroir. Mes cheveux long et attachés changeaient complètement mon visage et le maquillage me vieillissait tout comme il faisait ressortir mes tâches de rousseurs. La cicatrice sur la joue, elle, montrait que mon personnage n’avait clairement pas eu la même vie que moi…

Quoi que, d’ici quelque chose, je lui ressemblerais peut-être vraiment… Pas que j’ai pas confiance en Reed mais… Ok, je crève de trouille, je dois bien l’avouer.

Je m’étais déplacé dans le décor. Celui qui représentait la cabine du capitaine. Aujourd’hui, j’avais essentiellement des scènes avec River Moriarty. Riley ne commençait pas encore aujourd’hui quant à Kate Julian, Trevor a simplement décidé de ne jamais me dire quand elle se pointera ou non. Il n’a pas voulu me le dire ce matin. Sûrement parce que, depuis que j’ai lu le script, je ne cesse de lui rabâcher les oreilles en lui demande de supprimer la scène de sexe entre moi et Kate. Je pensais que ça allait être avec Riley mais non ! Non, c’est Kate que mon personnage se tape !

Putain, ma vie est un enfer !

Je regardais vers les caméras. On allait pas commencer tout de suite parce qu’on préparait encore la technique et les figurants. Heureusement parce que je n’étais pas forcément près à revoir River Moriarty. Ce type avait le don de me foutre mal à l’aise.

Et j’étais déjà assez tourmenté comme ça !

-Salut Vic.

Je sursautai face à ce murmure si proche de moi. Je me retournai d’un coup pour voir la face de ce foutu cinglé de Moriarty et son sourire de taré ! Putain, il pourra pas venir me saluer autrement celui-là.

Je tentai de reprendre contenance mais c’est d’un voix peu assuré que je lançai :

-Salut River…

Ouais ! C’est ça ! Appelle-moi capitaine ! C’est ce que je suis, bordel ! Et je vais emmerder ton personnage jusqu’à ce que… Bah le personnage de River se venge et me tue. Putain de foutu scénario !

Il me trouvait plus effrayé que d’habitude ce qui me fit tiquer.

-Je ne suis pas effrayé… Je ne le suis pas d’habitude, non plus. Tu te fais des idées sur mon compte. J’essaye juste de m’imprégner de l’ambiance de ce foutu film.

Je repris totalement contenance en affichant un petit sourire en coin.

-Les scène d’aujourd’hui, c’est plutôt moi qui vais te faire vivre un calvaire, d’ailleurs. Au fait, Trevor t’a dit si Kate sera de la partie aujourd’hui ? Il ne veut pas me dire si elle tourne aujourd’hui ou non. Putain, qu’est-ce que j’espère qu’elle s’est tuée pendant la nuit et qu’on devra la remplacer par quelqu’un de plus sexy.

J’aimais déplacer le sujet !

Le décor de la cabine du capitaine était vraiment bien foutu… Je ne savais pas où Price avait trouvé l’argent pour ce film mais plus je voyais les choses, le maquilles, le décor, etc., plus je me disais qu’il y avait moyen de faire un bon film. Un film qui me remettrait sur les rails… Un film qui rappellerait au monde que j’étais un acteur et pas un fou évadé de l’asile.

Je retrouvai Victor Hunter dans ce décor légèrement sombre, déjà éclairé par les chandelles, prêtes pour nos premières scènes. Mon personnage allait en prendre plein la tronche par le capitaine que jouait Victor. Mais ce ne serait que pour mieux le zigouiller à la fin.

C’était le karma.

Victor me salua d’une voix peu assurée, légèrement chevrotante, ce qui me fit sourire plus largement encore, mes yeux bleus de glace brillant dans la faible lumière.

Il avait l’air d’un cerf paralysé par les phares d’une voiture.

Je pouvais sentir sa peur. Instinctivement. C’était une sorte de pouvoir que j’avais et je m’enivrais des peurs des autres. C’était, en quelque sorte, mon alcool à moi…

Quelque chose n’allait pas, cependant. Il y avait quelque chose dans les yeux bleu nuit de Victor qui me faisait dire que s’il avait peur, ce n’était pas uniquement de moi ou de mon entrée en scène. Non, il y avait quelque chose d’autre, de plus profond…

Et à la fois, de plus concret.

Cependant, Victor nia avoir peur… je me décalai un peu sur la droite et m’appuyai sur un tonneau de bois, souriant toujours.

Il disait que je me faisais des idées, qu’il essayait de s’imprégner de l’ambiance du film.

-Oh… je vois… Tu t’essayes au method acting ?

J’appuyai mo regard dans le sien.

-Mais ton personnage n’est pas censé avoir peur, au contraire. Tu dois être sûr de toi, cruel, te croire intouchable et immortel.

Je pris une grande inspiration par le nez, flairant l’air autour de moi.

-Ça sent la trouille. Je connais l’odeur de la peur mieux que n’importe qui.

Victor esquiva, disant que j’allais subir un calvaire… Enfin… Mon personnage. Puis il demanda si je savais si Kate Julian tournait aujourd’hui.

Je haussai les épaules.

-Je sais qu’elle viendra faire quelques scènes en fin de journée. Mais on sera déjà partis.

Je fis la moue, un peu déçu.

-Ce n’est quand même pas d’elle que tu as peur ?

Il souhaitait sa mort, en tout cas.

-Pourquoi lui vouloir tous les malheurs du monde ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?

River Moriarty… Sincèrement, c’était la dernière personne que j’aurais voulu voir aujourd’hui. Mais le fait est que je n’avais pas le choix étant donné que cet abruti de Trevor avait décidé d’en faire le personnage masculin principal ! Putain, si j’avais su j’aurais cherché quelqu’un d’autre pour obtenir un peu plus de célébrité !

Moriarty m’avait fait sursauté. En même temps, il était venu par derrière moi sans faire le moindre foutu bruit ! Nul besoin de réfléchir pour se douter qu’il l’avait fait exprès. Ce type avait un grain. C’était évident. Et son petit passage à l’hôpital psychiatrique ressemblait de moins en moins à un coup monté à mesure où je connaissais mieux River.

Je niai avoir peur. Et quand bien même j’aurais eu peur, ce n’était pas de lui mais de ce foutu Vito Pastore, qui, contrairement à River, était le genre à tuer les gens qu’il n’aimait pas ! River se demanda alors si je m’essayais au method acting.

-Ouais ! Voilà ! C’est ça…

Sauf que mon personnage n’était pas censé avoir peur. Il était censé inspirer la peur. Je plissai des yeux le fixant alors qu’il semblait vouloir prouver que j’avais bel et bien peur. Il disait que ça sentait la trouille et qu’il connaissait l’odeur de la peur mieux que quiconque. Putain ! Faites-le enfermer !

-Tu sais qu’on ne tourne pas Keeping Our Lands, hein ! On dirait que tu es coincé dans ton ancien rôle. C’est un nouveau film, ici. T’es au courant ? Puis, la peur n’a pas d’odeur, c’est une foutue émotion. Tu as fumé ?

Je décidai d’habilement (ou pas) changer de sujet en demandant à River s’il savait si Kate Julian allait se pointer aujourd’hui. Apparemment, elle ne venait qu’en fin de journée et on ne la croisera pas. C’était déjà ça ! Au moins, je n’aurais pas à me coltiner River ET Kate. Putain de malheur que ça serait !

River se demanda si c’était de Kate que j’avais peur. Je le fixai avec un air outré.

-Je n’ai pas peur de Kate ! Je n’ai peur de rien, ok ?!

Mais j’avais trop parlé alors River posait des questions… Pourquoi est-ce que tu veux la mort de Kate, Vic ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait, Vic ? Putain, ferme-là, minus !

-Parce qu’elle est détestable, tiens ! On voit que tu n’es pas un habitué de la jet-set, toi. Je connais Kate depuis des années. C’était la meilleure amie de ma sœur. Elle ne m’a rien fait personnellement mais elle adore rabaisser les autres ce qui est fatiguant. Elle risque de te rabaisser aussi surtout que tu es un nain alors elle ne va pas te rater.

River était plus petit que moi. En plus il était un peu trapu ce qui me rendait encore plus petit. S’il n’avait pas des yeux de serial killer, il ne payerait pas de mine.


Je soupirai d’un façon un peu théâtrale.

-Je ne comprends pas pourquoi Trevor a décidé d’engager cette vieille peau pour son film. Médiatiquement, elle est mort, la Kate depuis que son fils l’a cafté à la police. J’ai l’impression que Trevor veut redorer le blason d’ancienne star irrécupérable… Enfin, sauf pour moi. Moi, c’est mon premier film. Mais toi et Kate… Il a sûrement voulu faire des économies de budgets en vous engageant.

Je ne voyais que ça !

Apparemment fâché d’avoir été surpris et effrayé, Victor déclara qu’il faisait bien du method acting. Mais sur un ton qui indiquait tout le contraire, ce qui me fit ricaner. Je lui avouai que je pouvais sentir sa peur. Sans compter que ça se voyait qu’il avait blêmi sous son maquillage.

Il prétendait que j’étais coincé dans le rôle de Kraken, dans Keeping Our Lands. je haussai les épaules.

-C’est mon fond de commerce. C’est ça que les gens veulent voir. C’est pour ça que Trevor m’a choisi.

Même si le rôle que j’avais à jouer était bien plus subtil que ceux que j’avais joué jusqu’ici. Cela me donnait l’occasion de montrer un peu autre chose. De cacher un peu plus cette noirceur que j’avais en moi.

Je souris quand Victor affirma que la peur n’avait pas d’odeur. Il demandait si j’avais fumé.

-Je ne fume et ne bois jamais. Et la peur a une odeur. Tu n’es juste pas habitué à la sentir, bien au chaud dans ton cocon de la jet-set.

Parce que si Victor n’était pas en soi une célébrité, il en faisait partie. C’était l’inverse de moi, en fait, qui était une célébrité mais n’avait pas mes entrées dans la jet-set parce que je ne la cherchais pas. J’avais un comportement beaucoup trop antisocial pour ça.

Il demanda si on verrait Kate Julian aujourd’hui… Avait-il peur de Kate ? Il se fâcha encore, affirmant qu’il n’avait peur de rien.

Je pris un air innocent.

-Ne t’emballe pas, alors. Il n’y a pas de raison.

Mais j’avais déjà bien compris que Victor était le genre de gars qui n’a aucune contrôle sur ses émotions. Aucun.

Il prétendait qu’il n’aimait pas Kate parce qu’elle aimait rabaisser les autres. Tout en me traitant de nain au passage.

-Toi aussi tu rabaisses les autres, apparemment. Je ne m’emballe pas pour autant. Mais effectivement, je ne connais pas bien Kate Julian. Mais plus j’en entends parler, plus j’ai hâte de la rencontrer.

Elle avait battu Julian Hughes et potentiellement Hank North. Je voulais savoir qui était cette femme qui avait réduit Hank North en une loque humaine incapable de se défendre en justice, parce que c’était du grand art !

Victor soupira et sembla réfléchir tout haut, blâmant Trevor de nous avoir choisis, Kate et moi.

Je ricanai.

-On était moins chers, c’est tout… Toi non plus, tu n’étais pas cher. Tu vois, tu nous rabaisses encore.

Je le regardai dans les yeux.

-Te croirais-tu supérieur à nous parce que ta vie est lisse, sans accro ?

Je ricanai jaune quand River déclara que Kraken était son fond de commerce. C’est clair qu’il était surtout connu pour ça. Et c’est sûrement là-dessus que Trevor s’est basé pour l’engager. A moins que ça ne soit simplement pour le manque d’acteurs valables disponible.

-Mouais… Mais n’oublie pas que ce rôle est quand même très différent et que si tu fais du Kraken, ça risque de lasser les gens.

Ouais ! Qu’il m’écoute ! Je suis expert en cinéma ! Je suis expert en art tout court, d’ailleurs, je suis un Hunter. J’ai ça dans le sang.

Il disait que je sentais la peur. Ce type était spécial et j’avais l’impression qu’il ne le faisait pas expert. Qu’il était simplement comme ça. Le genre de type complètement barré. Et croyez-moi, en ça aussi je m’y connaissais… Je suis avocat et j’en défends des gens pas clair. Et River ressemblait quelque peu à certains de mes pensionnaires de Saint-Quentin. Mais il insista disant que la peur avait bel et bien une odeur. Ça m’arracha un frisson surtout quand il affirma ne pas fumer, ni ne pas boire… Je me méfie toujours des gens de ce type… Soit c’est des saints, soit c’est des cinglés. Et je n’aimais ni l’un, ni l’autre. Je ricanai à nouveau à sa remarque sur la jet-set.

-On voit que tu ne connais pas la jet-set si tu penses que c’est un cocon douillet. La jet-set est une zone de guerre où il faut se battre pour garder sa place. Mais qu’en sais-tu, hein ? Tu n’en fais pas partie.

River était un acteur connu mais il ne faisait pas partie de la jet-set. Je ne l’avais jamais vu à une seule fête. Je savais qu’il avait des amis dans le business mais ça ne signifiait pas qu’il avait sa place au sein de la jet-set. Son cousin l’avait, lui, alors que ce n’est qu’un journaliste. Mais Axel Moriarty savait se lier aux gens… Sûrement parce que c’est un foutu gosse de politicien.

J’en vins à Kate pour changer de conversation. J’aimais qu’on parle de moi… Mais avec River, je préférais éviter le sujet. Je redoutais sans doute que la conversation ne glisse sur le foutu soir de notre première rencontre.

Je clamai ne pas avoir peur de Kate et c’est sur un ton presque innocent qu’il me disait de ne pas m’emballer. Je le foudroyai du regard.

-Tu me cherches ! Donc, j’ai bien une raison de m’emballer.

Le fait est que Vito Pastore me foutait à cran et que, quand j’étais à cran, je ne gérais rien. Absolument rien. Et j’expliquai, relativement plus calmement, pourquoi je n’aimais pas Kate. Sauf que River déclara que, moi aussi, je rabaissais les gens ce qui me fit rouler des yeux. Il ajouta qu’il avait hâte de rencontrer Kate.

-Tu risques de regretter cette pensée…

Bien que si lui et Kate se mettaient à s’entretuer, ça pourrait, finalement, être un tournage plutôt plaisant.

J’ajoutai que si River et Kate avait été choisi par Trevor c’est sans doute pour une question de budget. River ne le nia pas mais il me renvoya ma médecine. Je ricanai.

-Je ne suis pas cher parce que je ne suis même pas acteur. Mais toi et Kate, vous l’êtes. C’est vous les looser dans cette histoire. Et je ne rabaisse personne, j’énonce des faits.

Il se demandait si je me croyais supérieur parce que ma vie est lisse et sans accro. Non mais, sérieux, c’est quoi cette conversation ? Où ce foutu Moriarty veut en venir ? Je fronçai les sourcils.

-Tu ne sais rien de ma vie, Moriarty. Personne n’a de vie sans accro. Et, tu sais quoi ? Je fais partie de ceux qui pensent que tu aurais dû rester dans ce foutu hôpital psychiatrique. Suffit de voir les question que tu poses et la façon dont tu regardes les gens pour voir qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez toi. Et crois-moi, je m’y connais en cinglé… J’en défends tous les jours.

J’esquissai un sourire en coin essayant de reprendre contenance. Je n’avais aucune envie de montrer à River le malaise qu’il me foutait.

-La seule chose que je me demande c’est si c’est Kate qui va te manger ou toi qui va la manger. Tu crois que je devrais venir avec du popcorn les autres jours pour vous voir vous entretuer ?

Là, Victor avait raison. Je devais faire attention parce que le rôle que je devais jouer aujourd’hui n’était pas Kraken. Je n’avais pas vraiment du « jouer » quand j’avais eu ce rôle dans Keeping Our Lands… Et ce rôle-ci, bien que dans un film à petit budget (comparé à la série médiévale), était bien écrit, plus subtil.

-Tu as raison. Mais je pense savoir le talent suffisant pour gérer.

Je haussai les épaules.

-Et là, maintenant, tout de suite… Je ne suis pas en train de jouer… Ni à Kraken ni à autre chose… Je suis juste… moi-même.

Et tant pis si ça ne lui plaisait pas. Je savais que mon regard dérangeait… Mais je n’en pouvais rien. J’aimais trop mettre les gens dans la situation où était Victor maintenant. Une situation où ils ne savaient pas si je faisais du method acting ou si j’étais vraiment comme ça…

Victor me regardait de haut en bas en frissonnant. Mais il se reprit un peu quand je lui parlai de la jet-set. C’était effectivement un monde que je connaissais peu, voire mal. Je n’y avais jamais été invité. Mon cousin, Axel, si. Il fallait être comme lui pour avoir ses entrées. Savoir parler de tout et de rien, utiliser les informations comme arme.

Victor confirma que la jet-set était une zone de guerre.

Je ricanai.

-Et c’est moi qui suis cinglé.

Une bande de riches qui se cherchaient des noises parce qu’ils s’ennuyaient, est-ce que ce n’était pas un peu fou ? Ou juste pathétique, peut-être.

-J’ai choisi de ne pas faire partie de ce monde-là. Mais je pourrais. Nathan Williams pourrait m’y faire entrer.

Plus on parlait, plus Victor était sur les nerfs pour une raison qui me réjouissait au plus haut point : c’était moi. Je le mettais hors de lui parce qu’il ne voulait pas montrer qu’il crevait de trouille. Et le mieux, c’était qu’il ne pouvait probablement pas mettre le doigt sur ce qui lui faisait vraiment peur. C’était une réaction chimique. La même qui fait paniquer tout un troupeau de gazelles quand elles sentent l’odeur du lion tout près.

Mais apparemment, je n’étais pas le seul prédateur en lice. Kate Julian semblait en être une aussi aux yeux de Victor.

Je rigolai.

-Mais non, je ne te cherche pas. Je cherche juste à te cerner… A te comprendre.

Il disait que je regretterais de me réjouir de rencontrer la terrifiante Kate Julian.

-On verra bien.

Si ça se trouvait, on allait bien s’entendre. En attendant, ce que Victor reprochait à Kate, il le faisait bien tout seul. On aurait dit qu’il me rabaissait avec l’énergie qu’un naufragé met à s’accrocher à une bouée de sauvetage. Mais il se défendit en disant qu’il ne faisait qu’énoncer les faits.

-Nous verrons bien qui est le loser une fois le tournage commencé.

Victor continua de s’énerver alors que je restais parfaitement calme. Il affirma être de ceux qui pensaient que j’avais bel et bien ma place à l’hôpital psychiatrique. Je penchai légèrement la tête sur le côté.

-Mais toi non plus, tu ne me connais pas, Victor.

C’était vrai. On s’était vus brièvement, trois fois. Et c’était seulement maintenant qu’on allait vraiment avoir l’occasion d’apprendre à se connaître. Il se demanda qui de Kate ou moi allait manger l’autre.

-Les loups ne se dévorent pas les uns les autres, Victor. Ils chassent en meute.

-Ah vous êtes là !

Je me retournai et souris à Trevor Price qui venait de faire son apparition.

-Tout est prêt pour une première prise, vous venez ?

Je me détournai de Victor, et suivis notre réalisateur.

Moriarty pensait bien avoir le talent pour gérer. A vrai dire, s’il voulait remettre sa carrière sur les rails, il avait un peu intérêt, en fait, le nain. S’il faisait du Kraken, pas sûr que ça plaise au public qui verra en lui un acteur incapable de jouer d’autres rôles que celui pour lequel il a atteint le rang de star.

Il ajouta que, pour l’instant, il ne jouait pas… Qu’il était vraiment lui-même. Je ricanai.

-Waw… Pas étonnant que ta famille t’a fait enfermé, alors…

Parce qu’il avait un grain. Il était dérangeant. Rien que son regard montrait qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond chez lui.

Je compris bien vite que River Moriarty n’avait aucune idée de comment était la vie dans la jet-set. Il y avait une place gratuite mais il ne l’avait pas prise. Tout l’inverse de moi qui me l’était créée. Alors, je déclarai que la jet-set n’avait rien d’un petit cocon où on pouvait vivre en sécurité. C’était plutôt tout le contraire. River jugea alors qu’il n’était pas si cinglé après que je lui ai donné un aperçu de la jet-set. Il ajouta avoir choisi de ne pas en faire partie mais disait qu’il pourrait très bien s’y faire une place à travers Nathan Williams. Il parlait de Jerry The Kid, j’imagine… Le seul à avoir défendu River dans les journaux avec cet abruti de Robin North.

-Jerry The Kid ne s’est que rarement pointé à une fête de la jet-set. Il ne connait pas plus cet endroit que toi. Tu auras plus de chance avec ton pote, North.

Cette conversation n’avait rien pour me plaire. River rendait cette journée encore plus pénible. Pourtant, Dieu sait que Pastore me suffisait pour le moment. Je n’avais encore eu aucun échos de comme quoi Reed en avait terminé avec lui… Et j’avais peur qu’un tueur à gage ne sorte de n’importe où pour me descendre.

Du coup, je m’emballais encore plus facile que d’habitude. River jouait les innocent clamant qu’il cherchait juste à me comprendre. Je ricanai mais ne dis rien alors qu’il était pressé de rencontrer cette folle cinglée de Kate Julian.

Je finis par évoquer quelques faits par rapport à l’engagement de Kate et River sur ce film. Pour moi c’était une question de budget mais River ne se laissa pas faire clamant qu’on verra bien qui sera le looser une fois le tournage commencé.

-Ouais ! On verra !

Je comptais bien montrer que j’étais meilleur que ce petit sociopathe de merde. Et j’enchainai en disant que River ne me connaissait pas. Sauf qu’il me renvoya ma médecin. Je le fixai droit dans les yeux. Je commençais à le connaitre. Et une chose était claire : je ne le sentais pas.

Je tentais alors de reprendre totalement contenance attendant avec impatience que Kate et River finisse par se bouffer l’un et l’autre. Ça serait bien drôle à regarder, tiens, ça… Sauf que River répliqua à ça disant que les loups chassaient en meute et se battait rarement l’un contre l’autre.

Je frissonnai, me figeant… Cette simple phrase venait de me foutre la nausée. Comme si je venais de comprendre que ce tournage n’allait réellement pas être une partie de plaisir. Et j’étais sûr que Moriarty allait faire en sorte que ça ne le soit pas.

J’étais tellement figer qu’il me fallut le temps de comprendre que Trevor nous appelait.

-Hey ! Victor… Tu t’amènes ?

Je sursautai avant de secouer la tête et de lancer :

-Ouais… Ouais, j’arrive…

Et je suivis Trevor avec des pieds de plomb et la boule au ventre.