-Putain, non, recommence, tu t’es encore gouré !

Je m’arrêtai de jouer devant la énième remarque de Ben Masters. Je m’étais encore trompé au même endroit que la fois précédente et la « patience » du batteur insupportable de Vicky commençait à s’étioler de plus en plus.

-Désolé…

C’est ce que je lançai me mordant légèrement la lèvre. Ouais… Ce passage est assez compliqué et je ne suis pas assez rapide pour passer d’un accord à un autre sans finir hors temps. Il faut dire que je n’avais qu’une petite formation de guitariste. Rien comparé à tout ceux qui travaillaient ici comme musicien de session.

Alors pourquoi Vicky m’avait engagé comme guitariste pour elle ? Pour garder un œil sur moi. C’était clair et net. La preuve, elle demandait, désormais, à ses musiciens de venir s’entrainer tous les jours ici même. Or, j’avais appris par Masters qu’avant, ils ne venaient pas aussi souvent. Juste pour enregistrer où préparer d’éventuels concert. Mais Vicky s’assurait ainsi que je n’avais pas replongé.

Sauf que ça ma présence et, surtout, mon incapacité à sortir correctement cette foutue chanson agaçait Masters. Mais pas que lui, le bassiste de session, Allen, n’avait pas apprécié que je remplace son pote, Larry. Et si l’opportunité que m’avait donné Vicky m’avait emballé d’un premier abord, je commençais à sérieusement pensé que, effectivement, je n’avais pas vraiment ma place ici.

Je savais où était ma place… Mais l’idée même de retenter ma chance à Hollywood me foutait les jetons.

-On recommence ?

Ben roula des yeux. Quant à Allen, il déposa carrément sa basse avant de lancer :

-Laisse tomber, Hugh. Va prendre une pause. Moi, je vais aller prendre l’air. Tu viens Ben ?

Il n’en fallut pas plus pour que Ben accepte et qu’ils s’en aillent alors que Ben, après avoir passé la porte, ne s’empêcha pas de dire que j’étais nul. Il savait sûrement très bien que je l’avais entendu. Je suis peut-être pas le meilleur guitariste du monde mais je ne suis pas sourd.

Et je ne pouvais pas nier que ça me touchait… Quand Vicky était là, Masters faisait quelques petites commentaire mais Allen, lui, se contentait de conseils. Quand elle n’était pas là, fort est de constater que même Allen se permet de dire le fond de sa pensée. Et, là, Vicky avait dû partir en urgence à Fairfax. Visiblement, Ian y faisait du grabuge. C’est ce que j’avais compris…

Je pourrais simplement rentrer chez moi… Enfin, chez Jessica Hill. Je squattais chez Hill parce que j’avais encore bien trop de dette que pour espérer pouvoir avoir ma propre baraque, pour le moment. C’est Vicky qui avait demandé à Jessica de m’héberger. Si elles étaient en froid avec Kate Julian, ça semblait plutôt rouler entre elles.

Alors que Ben et Allen s’en était allé (et n’allaient peut-être pas revenir…), je me remis à faire le même passage. Encore et encore… Me trompant à chaque fois. Sans remarquer qu’on pouvait entendre ce foutu désastre dans tout le couloir étant donné que la porte n’était pas entièrement fermée.

J’avais des nouvelles compositions à enregistrer. Depuis mon retour sur le devant de la scène, je n’avais aucun problème d’inspiration. C’était comme si pendant 11 ans, les chansons s’étaient accumulées en moi, mais était restées dormantes. Et là, maintenant, tout sortait ! J’étais très prolifique mais élaborer un album était un peu plus que juste faire des chansons à la chaîne.

En effet, j’aimais que mes album aient plus ou moins un thème, comme on le faisait du temps de The Army. Alors je devrais composer puis réunir les chansons qui avaient une cohérence plus tard.

Je comptais bien passer la journée aux studios pour faire ça.

Alors je m’étais rendu à San Fernando Valley. Il faisait relativement beau pour cette fin de mois de décembre et la nouvelle année approchait.

Quelles surprises allait nous réserver cette année nouvelle ? Je croisais les doigts pour que ce soient de bonnes surprises et que tout le monde reste en bonne santé… Et aussi, que je me tienne loin de l’alcool et de ses dérives.

Jusque-là, je tenais, d’autant que je n’avais vraiment pas à me plaindre de ma vie ! Que du contraire ! Mais l’alcoolisme était une maladie traitresse.

Je saluai la réceptionniste des studios chaleureusement, en lui souhaitant un joyeux noël en retard puis m’engouffrai dans les couloirs, ma guitare dans sa housse sur mon dos. Je voulais faire pas mal d’acoustique aujourd’hui.

Je croisai Ben Masters et Allen qui sortaient prendre l’air, leurs cigarettes déjà allumées. Cela voulait dire que Vicky devait être dans le coin ! Et si je n’avais aucune affinité avec Ben et Allen, que je saluai vaguement, j’étais un des grands amis de Victoria Hunter.

Alors je fis un détour pour passer devant son studio.

Je grimaçai en entendant les accords de guitare qui en sortaient. Je crus un instant que c’était mes appareils auditifs qui déconnaient (ce qui me faisait toujours un peu peur parce que sans ça, je ne pouvais pas entendre et donc encore moins jouer et chanter) et je les retirai quelques secondes de mes oreilles avant de les remettre…

Mais c’était de pire en pire.

La porte du studio de Vicky était ouverte… Je m’approchai et allai taper pour signaler ma présence mais…

-Hugh ? Hugh Crusher ?

Alors là, j’étais vraiment surpris ! Hugh avait été un très bon acteur avant que tout ne dégringole à cause de ses excès…

-Mais qu’est-ce que tu fais là ? C’est bon de te revoir !

Je levai un sourcil perplexe.

-Tu vas bien ? Je veux dire… Mieux ?

Deux accords… C’est quand même pas si compliqué ! Il semblerait que ça le soit, pour moi. Sans doute parce que jouer de la guitare n’est pas vraiment la chose à laquelle je me suis le plus entrainer dans ma vie. Je me baisais uniquement sur ce que j’avais appris lorsque j’étais adolescent. Et je devais bien avouer que j’étais loin du niveau de Larry, le pote d’Allen. Lui n’avait aucun mal pour passer d’un accord à l’autre.

Pourquoi j’avais dit « oui » à Vicky, encore ? Sans doute parce que je n’avais pas eu envie de la blesser. Elle essayait de m’aider, après tout. Et… Il est très difficile de dire non à Victoria Hunter. Surtout quand elle est inquiète pour vous.

Mais, désormais, je n’avais plus le choix. En signant ici, j’avais renoncer à mon contrat pour Rino. Il avait moyennement apprécié, d’ailleurs. On ne peut, décidément, pas faire plaisir à tout le monde. Je le savais, en plus. Mais je savais aussi que je pouvais sans doute plus compter sur Vicky que sur Rino.

Je sursautai quand j’entendis une voix à l’entrée du studio. J’arrêtai de jouer pour me tourner vers une tête que je connais très bien. Evan Kurtz.

-Evan ?

J’étais surpris de le voir. Enfin… Pas que ça soit surprenant. Il bossait ici, lui aussi. Mais ça faisait une éternité que je ne l’avais plus vu… Depuis 72, en fait. L’année où j’avais commencé à déconner et à faire ma petite descente aux enfers. Cette même année, Evan aussi avait disparu de la surface de la terre après qu’il soit devenu sourd et que BSC ait brisé le contrat de The Army. Mais avant tout ça, il faisait partie de mes amis tout comme les autres membres défunts de The Army.

Il avait remonté la pente, Evan, depuis… Il avait quelque peu changé depuis les temps de The Army. Ses cheveux étaient plus court et, comme tout le monde, il avait vieilli. Et ça lui allait plutôt bien.

Il se demandait ce que je faisais là mais semblait plutôt content de me voir. Je regardais autour de moi. Qu’est-ce que je faisais là encore ? Trèèèèèèès bonne question ça ! Je fis la moue avant de soupirer.

-Figure-toi que je me pose exactement la même question.

Puis, je souris d'un grand sourire sincère.

-Je suis content de te revoir aussi.

C’était dingue comme on pouvait souvent être plus facilement séparer par les aléas de la vie que par la distance. Parce que pendant plus de 10 ans, on était tous les deux à L.A. lui et moi… Mais on ne s’était plus vu parce qu’il était reclus quelque part et que, moi, j’errais ailleurs.

Il demanda si j’allais bien… Ou plutôt, si j’allais mieux. La question, était, donc plus vaste que prévu. J’haussai des épaules.

-Je suis vivant… J’imagine que c’est un « mieux ».

Je rigolai un peu comme si rire de ma situation passée pouvait me permettre de mieux l’encaisser. Ce n’était pas le cas mais bon.

-Je viens de sortir de désintox’. J’y suis resté quelques mois. C’était pas une partie de plaisir.

On l’entendait dans ma voix. J’avais toujours eu cette difficulté de cacher mes émotions. Il faut dire que quand je cache des trucs, ça à l’art de me détruire à petit feu alors à quoi bon ?

-Maintenant, je bosse pour Vicky comme guitariste. C’est elle qui me l’a proposé et on ne peut pas dire « non » à Vicky. Tout du moins, je n’ai jamais réussi à dire « non » à Vicky.

Ni à quiconque, d’ailleurs…

-Sauf que… Je ne suis pas très doué. Et ça commence à taper sur les nerfs d’Allen et Ben.

Je souris essayant de relativiser toute cette situation tellement ridicule.

-Et toi ? Tu vas bien ? Tu as un album sur le feu ? J’ai adoré le précédent, au fait. C’est l’un des meilleur que j’ai entendu cette année.

J’avais reconnu Hugh Crusher et il m’avait reconnu aussi. Quelque part, c’était rassurant. Ça voulait dire qu’on avait pas trop changé, ni trop vieilli, depuis 1972… Hugh avait toujours sur le visage quelque chose d’innocent qui lui donnait une gueule d’ange… Celle qui lui avait ouvert les portes d’Hollywood.

Seulement, Hugh était bien trop gentil pour survivre aisément dans la jet-set. Un peu comme moi, mais en pire. Parce que moi, j’usais de ma naïveté comme d’une armure.

-Ouais, c’est bien moi.

Je rigolai et m’avançai un peu dans le studio. Il avait une belle guitare, de qualité, mais d’après ce que j’avais entendu, il ne maîtrisait pas du tout cet instrument. Normal, c’était un acteur, pas un musicien.

Il se demandait lui aussi ce qu’il faisait là.

-Les studios de cinéma, c’est à San Fernando Valley…

J’avais dit ça sur le ton de l’humour. Mais n’empêche que j’aurais bien voulu revoir un film avec lui dedans. Parce que pour jouer un rôle, il était très bon.

Il était content de me voir aussi, ce que je pris comme une invitation à trainer un peu ici. Je vins m’asseoir sur un ampli, déposant ma guitare dans sa housse à côté de moi, pas loin de lui et chipotai machinalement à mes appareils auditifs. Je lui demandai s’il allait mieux et il répondit qu’il était vivant et qu’en gros, c’était déjà pas mal.

Je haussai un sourcil et sortis une cigarette avant de tendre mon paquet à Hugh.

-Ah… C’était à ce point-là ?... Je me demandais un peu ce que tu étais devenu…

Il m’expliqua qu’il venait de sortir de désintox’ et que ça avait été dur…

-Ouais, je connais ça… Je suis alcoolique. Me soigner est l’épreuve la plus dure que j’ai jamais vécue.

Il affirma travailler pour Victoria, ce que j’avais déjà deviné en le voyant là. Il n’avait pas su dire « non »… Je rigolai.

-T’as jamais su dire « no »n à personne.

C’était vrai. Hugh était ultra influençable. Il voulait toujours faire plaisir à tout le monde.

Seulement, voilà, il n’était pas très doué.

-J’ai entendu ça. Il te faut de l’entraînement. Rien qu’au son, je sens que tu es trop crispé sur les cordes.

Il me renvoya mes questions.

-Ouais, je vais très bien. Ma deuxième fille grandit et ouais, j’ai un album en court d’élaboration.

Je souris.

-Merci ! Mon dernier album n’a pas plu à tout le monde, donc je suis content de rencontrer des gens qui l’ont apprécié.

Je regardai sa guitare.

-Si tu veux, je peux t’apprendre à t’améliorer mais… T’es pas meilleur comme acteur ?

Je rigolai quand Evan déclara que les studios de cinéma étaient à San Fernando Valley. Evan avait toujours ce genre de réflexion et était toujours aussi doué en géographie. Comme quoi, on pouvait avoir changé, il y avait certaines choses qui ne changeaient pas.

-Ça tombe bien c’est précisément là où je suis. San Fernando Valley, c’est bien ici, non ?

S’il voulait me rendre le sourire c’était réussi. Je ne suis même pas sûr qu’il l’a fait exprès, le pauvre. Mais ça importe peu. C’est ça qui me faisait rire quand on était plus jeune et c’est toujours ça qui me fait rire aujourd’hui.

Evan s’installa sur l’ampli et je fis de même ma guitare toujours sur moi. J’avais l’impression que si je la déposais, j’allais perdre ce que j’avais réussi à faire jusqu’ici. C’était complètement débile comme impression… Pourtant, c’est bien pour ça que je ne l’avait pas déposée. Evan se sorti un cigarette et me tendit le paquet. J’en pris une non sans le remercier eu passage et l’allumer avec mon propre briquet juste après avoir explique que le fait que je sois en vie était déjà un mieux. Evan semblait surpris et déclara qu’il s’était demandé ce que j’étais devenu.

-Je ne saurais même pas dire ce que j’étais devenu. Mais ça m’a conduit à l’overdose, ça je l’ai bien senti passé.

Et à la désintox’… Une épreuve que je n’ai aucunement envie de revivre. Pour l’instant, rien que ça, ça me permettait de me tenir loin de toute drogue. Je ne savais pas combien de temps ça durera. Je savais que je devais tenir. Evan disait comprendre car il avait vécu la même chose avec son alcoolisme. J’hochai de la tête. J’avais lu ça dans la presse.

-Et tu as l’air de tenir… Tu as plutôt bonne mine.

Je souris un petit peu. Quelque part, c’était rassurant de voir qu’Evan avait réussi à tenir bon. Je me disais que je pourrais sans doute y arriver moi aussi. Surtout que l’alcool est plus facile à se procurer que la drogue.

Je déclarai travailler pour Victoria parce que Victoria me l’avait demandé et que je ne savais pas dire « non ». J’eus un petit rire désabusé quand Evan déclara que je ne savais dire « non » à personne. Un rire qui s’effaça bien vite alors que je lançai un :

-Ouais…

Pour confirmer cette triste vérité. Mais si j’avais dit « non » à Vicky, elle aurait trouvé autre chose pour m’avoir à l’œil. Quelque chose que je sais, peut-être, encore moins bien faire que guitariste. Et je ne pouvais pas réussir à dire deux fois « non » de suite…

J’affirmai ne pas être un bon guitariste ce qui tapait sur les nerfs de mes collègues, Victoria non comprise. Vicky, elle, disait que tout ce que je faisais était prometteur. Mouais… Je la croyais à moitié sur ce coup-là. Elle ne voulait simplement pas que je me décourage. Je la connaissais aussi bien qu’elle me connaissait.

Evan disait qu’il me fallait de l’entrainement. Il avait lui-même entendu ce qui me fit faire la moue.

-Je ne fais que ça… M’entrainer… Je viens tous les jours ici. Mais il faut un certain niveau pour faire certaine chanson.

Niveau que je n’avais définitivement pas… Alors pour éviter, quelque part, de parler de ça, je demandai des nouvelles à Evan. Il affirma que sa seconde fille grandissait. J’avais lu, en effet, que lui et l’animatrice radio, Sydney Grey, avaient eu un enfant. Je souris devant cette nouvelle tout comme la nouvelle d’un album en préparation.

-Tu ne chôme pas ! J’ai hâte de l’entendre. Et, félicitation pour ta fille. Sydney et toi faites un beau couple. J’ai vu les photos dans L.A.People.

Je l’avais félicité aussi pour son dernier album qui, pour moi, était l’un des meilleurs qu’il ait fait. Je savais qu’il avait eu des critiques mitigées mais moi, j’avais adoré. Il semblait plutôt content que quelqu’un l’ai apprécié. Je rigolai.

-Je ne comprends pas ceux qui n’ont pas aimé… Peut-être parce que les gens ont la fâcheuse tendance à ne pas aimer les messages positifs…

C’était typique… Moi, j’avais apprécié qu’Evan chante son bonheur.

Evan regarda ma guitare et déclara qu’il pouvait m’aider à m’améliorer. Il me faudrait des cours intensif, je pense… Mais la question qui fâche ne tarda pas à arriver. Est-ce que j’étais meilleur acteur ? Assurément, oui… Mais la simple idée de remettre les pieds sur un plateau en tant qu’acteur me foutait les jetons. Du coup, je baissai les yeux.

-Je l’étais en tout cas… Il y a plus de 10 ans… Le cinéma, c’était pour ça que je vivais. Et, ouais, ça me manque mais ça me fout aussi les jetons, alors… Les agents, les producteurs, le paparazzi… Je suis pas sûr d’avoir envie de dealer à nouveau avec tout ça. Ici, je ne dois dealer qu’avec Ben et Allen. Je peux survivre à ça.

Au moins en tant que guitariste médiocre, j’étais bien caché. Surtout que c’est Vicky qui sera sous le feu des projecteurs, pas moi.

-Puis, j’ai sûrement perdu la main… Ça fait 10 ans que je n’ai plus joué le moindre rôle. Même pas un petit. Donc… Oui, si tu veux m’apprendre à arrêter de casser les oreilles à Bon et Allen, je veux bien.

Je souris.

Je me frappai le front quand Hugh affirma que ça tombait bien parce qu’on était justement à San Fernando Valley. Je rouai des yeux puis rigolai avec lui.

-Putain, mais ouais, je suis con…

Et je le faisais pas exprès en plus.

J’avais déposé ma guitare, dans sa housse, à terre et m’étais assis sur un ampli, à côté de mon vieil ami. Je me demandais bien où il était passé pendant tout ce temps, même si j’en avais une petite idée pour l’avoir vécu. Cela dit, toute expérience était différente et Hugh et moi, si on s’appréciait beaucoup, on avait pas vraiment le même tempérament… Donc pas la même façon de réagir aux choses.

Si mon fléau était l’alcool, pour lui, c’était la drogue. Il avait fait une overdose. Et comme j’étais déjà hors circuit à ce moment-là, je ne l’avais pas lu dans L.A.People ou un autre torchon du genre parce que j’avais fui les magazines pendant 11 ans.  

-Je suis désolé de l’apprendre… Mais tu as l’air bien, là tout de suite.

Il avait toujours un petit côté déprimé, mais physiquement, ça avait l’air d’aller.

Il me renvoya mon compliment.

-Ouais, je tiens mais j’ai une famille qui me soutien beaucoup. J’ai eu un peu peur de replongé à la mort de mon père mais j’ai tenu. J’ai fait passer ça dans la musique.

Donc… Hugh était maintenant guitariste pour Vicky… Un job qu’elle lui avait donné pour qu’il ait quelque chose à faire et garder un œil sur lui, apparemment. Mais… Fallait se rendre à l’évidence, Hugh n’était pas un bon guitariste. Il savait jouer, mais il lui manquait clairement quelque chose.

Je tirai sur ma cigarette alors qu’il disait s’entraîner tous les jours.

-Je vais pas te mentir… La musique, tu l’as ou tu l’as pas. C’est surtout une question de feeling. Mais je ne veux pas te décourager.

C’était ce que je faisais, pourtant… Et je m’en voulais un peu d’être aussi franc, pour le coup.

On changea de conversation et je lui parlai de mon album en préparation. Il était impressionné.

-C’est surtout une tournée que j’aimerais bien refaire. Mais j’ai plus vingt ans et je me suis un peu détruit alors j’ai peur de ne pas tenir la distance.

C’était une véritable peur qui me tourmentait parfois la nuit.

-Et merci, Syd est vraiment une femme merveilleuse et Billie Blue est magnifique.

Hugh avait apparemment vraiment aimé mon dernier album et ne comprenait pas l’accueil mitigé qu’il avait eu. Je haussai les épaules.

-Je sais pas… mais je pouvais me le permettre alors je l’ai fait. Le prochain sera plus dans la veine de The Army alors je crois que les gens vont aimer.

Je proposai à Hugh de l’aider avec la guitare, mais je me demandais sincèrement pourquoi il ne se remettait pas à l’acting. Parce qu’il était vraiment bon, comme acteur.

-Tu sais… Hugh… J’ai passé 11 ans sans jouer une note. Mais j’étais fait pour la musique. Quand je m’y suis remis, tout s’est fait naturellement.

Mais ce n’était pas tant une question de talent qui faisait peur à mon ami… Mais bien tout ce qu’il y avait autour… Toutes les conséquences qu’un talent pouvait amener. A choisir, il préférait encore casser les oreilles des musiciens de Vicky que se confronter à ses anciens démons.

Je fis la moue puis me lançai.

-J’ai une question qui est très personnelle alors t’es pas obligé d’y répondre.

Je marquai une pause, cherchant ms mots.

-Est-ce que tu t’es accepté toi-même ? Parce que je pense que ça peut jouer beaucoup sur ce qui te fait peur.

Etre homosexuel dans le monde du cinéma, ce n’était pas facile. Je le savais. Et pour Hugh, ce n’était pas vraiment un secret, tout le monde le savait ou s’en doutait. Mais du coup, ça le grillait pour certains rôles…

Je rigolai devant la réaction d’Evan vis-à-vis de sa réflexion sur San Fernando Valley. Il déclara qu’il était con ce qui me fit rire de plus belle. Je savais qu’il ne l’avait pas fait exprès. Ce n’est pas forcément étonnant que Sniper et moi on soit ami. C’est un gars assez simple, loin de la superficialité de la jet-set. Des gens comme ça dans ce milieu, il y en a plus qu’on ne l’imagine. Il suffit de creuser un peu pour en trouver. J’en avais trouvé plusieurs à l’époque.

Alors qu’il m’avait demandé des nouvelles au sens large, j’avais parlé de mon overdose. Ce qui m’étonnait c’était que je ne l’avais pas faite plus tôt. Plus de 10 ans que je carburais aux drogues dures et ce n’est qu’il y a quelques mois que j’avais dépassé la limite. Pour cause, je ne l’avais même pas fait exprès. J’aurais essayé de le faire exprès que je me serais raté à coup sûr. Non… J’avais juste un peu trop abusé… Ou la drogue présente chez Kate Julian n’était pas d’aussi bonne qualité qu’elle ne le prétendait. Je n’en sais rien. Je n’en veux à personne de toute façon.

Sniper se disait désolé mais déclara que j’avais bonne mine ce qui me fit rire un peu.

-C’est l’avantage d’être latino, ça… On voit moins quand je suis blanc.

Mais c’était surtout un effet secondaire de la désintox’ plutôt que de l’overdose qui date déjà de juillet. Donc, oui, disons que j’ai plutôt bonne mine.

Evan, lui, était aussi passé par une période d’addiction. Lui, c’était l’alcool mais il était sobre depuis un moment maintenant. Il disait que sa famille aidait à ça et que, malgré la mort de son père, il avait tenu bon. La musique l’aidait à tenir aussi. Je pris un air désolé.

-Je suis désolé pour ton père. Je passais souvent à son magasin. Et je suis content de voir que tu arrives à tenir.

Sa famille. C’était ce qui le faisait tenir. Moi, j’avais Vicky. Parce que ça faisait longtemps que j’avais perdu ma famille de vue. Je n’osais pas vraiment reprendre contact. Pas tout de suite en tout cas. Pas avant d’être sûr que la drogue est bien derrière moi.

Parlant de Vicky, j’avais expliqué le pourquoi du comment j’étais devenu son guitariste. Je n’étais pas spécialement bon mais je déclarai m’entrainer tous les jours. Sauf que, d’après Evan, le talent, on l’a ou on l’a pas. Quelque part, je le savais… C’était un peu comme l’acting. Il affirma ne pas vouloir me décourager.

-Je sais… Quelque part, tu viens de dire tout haut ce que je pense depuis ce matin.

Parce que les premiers jours, j’avais bien voulu me voiler la face. Sauf qu’aujourd’hui, je n’y arrivais déjà plus. Mais je ne voulais pas décevoir Vicky.

Je finis par détourner la conversation sur Sniper qui avait parlé de son future album et de sa fille. Il ajouta qu’il aimerait surtout faire une tournée mais qu’il avait peur de ne pas tenir la distance. Je souris.

-Tu pourrais commencer par une tournée courte… Je n’y connais rien en business musical mais ça peut sûrement se faire, non ?

Ainsi, il pourra voir s’il sait tenir et augmenter petit à petit.

-Puis, tu n’as peut-être plus 20 ans mais tu n’es pas si vieux. C’est ce que Vicky me répète tout le temps et on a plus ou moins le même âge toi et moi.

Quant à sa femme et sa fille, il en était très fier et je pouvais entendre dans sa voix à quel point il les aimait ce qui me fit sourire. Pour ce qui était de son nouvel album, je l’avais beaucoup aimé mais il n’avait pas fait l’unanimité. Je pensais bien que c’était parce que les gens avaient la sale manie de ne pas aimer les messages positifs. Evan, lui, n’avait aucune réponse à ça. Il avait simplement pu se le permettre et l’avait fait. C’était un luxe que bien des artistes ne pouvaient se permettre. Il ajouta que son prochain album sera plus dans la veine de The Army. Je souris.

-Je pense même que les gens vont adorer.

C’est après qu’Evan se demanda pourquoi je n’essayais simplement pas de reconquérir Hollywood. Je n’étais plus passé devant la caméra depuis très longtemps. Je devais être rouillé même si Evan disait que quand on est fait pour ça, ça revient naturellement. Il parlait en connaissance de cause.

-Tu as peut-être raison… L’acting, ça me vient naturellement. Je sais que je pourrais peut-être arriver à faire une prestation correcte…

Mais, il y avait un « mais ». Et ce « mais » c’était la peur. Parce que jouer était une chose mais la vie à Hollywood ne se résumait pas à tourner des films. Il y avait tout ce qu’il y a autour. Si je revenais, j’allais, à nouveau, avoir les projecteurs braqués sur moi. Et je n’étais pas tellement certain de le vouloir. C’était tout ça qui m’avait fait disjoncté il y a plus de 10 ans et qui m’avait fait atomisé ma propre carrière. Parce que ne plus faire ce que les producteurs veulent et se droguer à mort revenait à une seule issue : un suicide médiatique. C’est ce que j’avais fait.

Bref, je déclarai préférer me terrer ici à désespérer Allen et Ben plutôt que de retourner à la conquête d’Hollywood. Même si jouer me manquait. Sauf que je ne m’attendis pas à ce qu’Evan me pose une question personnelle. Je le fixai ne disant rien attendant sa question. Mais quand il la posa, je finis par baisser les yeux avant de me lever pour déposer ma guitare sur son socle. Je tirai un coup sur ma cigarette avant de l’écraser dans un des cendriers qui trainait dans le studio.

Je finis par me rasseoir sur l’ampli non sans soupirer. Est-ce que je m’acceptais ? J’avais bien compris après tant d’année que je n’avais pas le choix. J’étais comme ça et ça ne changera pas. Donc, oui, je l’avais accepté.

-Ce que j’accepte n’est pas ce qu’Hollywood veut. Et il n’y a qu’Hollywood qui fait en sorte de fermer les yeux sur ce qui, apparemment, semblait évident pour bien des gens.

En gros, c’était moi le lâche. Parce que je pourrais le dire haut et fort. Si je le dis haut et fort, Hollywood le saura. Je serais sans doute libéré, quelque part. Mais je savais aussi que ça allait entrainer un tas de complication. Au niveau des rôles qui me seront proposé notamment mais pas que :

-J’ai vécu sans vraiment me cacher quand j’ai complètement dégringoler. La presse m’avait déjà oublié à ce moment-là. Quelque part, c’était salvateur… Mais je peux te dire que depuis un petit moment maintenant, vivre sans me cacher apporte son lot de problème. C’est dingue le nombre de gens qui peuvent me regarder de travers. Alors, je préfère être discret…

A nouveau, discret, je dirais. C’est le SIDA qui avait changé la donne. On en entendait de plus en plus parlé et les gens comme moi étaient montré du doigt. De quoi me faire rentrer, à nouveau, dans ma grotte.

-Tu vois pourquoi j’ai peur ? Si je reviens, je sais que je vais soit devoir encore jouer un rôle même dehors, soit devoir m’exposer totalement. Je ne suis prêt ni à l’un, ni à l’autre.

J’eus un pauvre sourire pour mon ami quand il déclara, avec une pointe de cynisme, que si je ne voyais pas qu’il était blanc, c’était parce qu’il était latino. Il avait quand même l’air d’aller pas trop mal, pour quelqu’un qui avait enchaîné overdose et désintox’.

Je comprenais ce par quoi il passait, même si je savais très bien que sa situation était bien plus compliquée que ne l’avait été la mienne. J’avais subi des deuils à répétition après être devenu sourd… Mais je n’avais aucun problème avec moi-même. J’étais un type simple, avec des désirs et des ambitions simples.

Je savais qu’il n’en allait pas de même pour Hugh.

Il me donna ses condoléances pour mon père. Il était, comme beaucoup, un habitué du magasin de disques du centre commercial.

Je tirai sur ma clope puis soufflai une bonne bouffée de fumée.

-Il est mort tranquillement, dans son sommeil, à un âge plus que respectable. C’était comme qui dirait « normal » qu’il s’en aille. Ça n’a rien eu à voir avec les morts de mes compagnons de The Army.

Ça, ça avait été traumatisant.

Pour ce qui était de sa musique… Je n’étais pas le genre à dire des choses que je ne pensais pas. Je fus donc franc avec lui : il n’était pas le meilleur guitariste du monde. Mais il ne le pris pas mal, disant que c’était ce qu’il pensait depuis qu’il était arrivé pour jouer aujourd’hui.

-Mais comme je te dis : je peux essayer de t’apprendre. Ça nous donnera une occasion de nous voir. Puis comme ça, tu rencontreras Syd et Billie Blue. Rassure-toi, Syd est une journaliste mais elle n’est pas du genre intrusive.

Je ne savais pas trop quels étaient les relations de Hugh avec les journalistes actuellement. Mais j’étais bien placé pour savoir que ce n’était pas facile quand on sortait à peine d’une addiction grave.

Hugh arriva à détourner la conversation. Il fallait dire que c’était facile de me distraire. On parla d’albums, de projets et de désir de tournée. Il affirmait que je pourrais faire une tournée courte.

-Ce serait pas mal. Genre, me limiter aux USA. Ce serait un bon test. Faut que je secoue Daniele pour ça. Je suis nul pour me trouver des dates et des lieux tout seul.

Hugh me rappela qu’il avait plus ou moins le même âge que moi. Je rigolai et lui donnai un coup de coude amical.

-Ouais mais t’es latino… ça se voit moins.

Syd disait que j’étais toujours très bien conservé, mais n’empêche… Je sentais aussi dans mon corps le résultat des excès que j’avais fait étant jeune. Ça ne se voyait peut-être pas, mais c’était bien là.

Quant à mon désir de faire un album plus proche de ce que faisait The Army, Hugh était sûr que les gens allaient adorer.

-J’ai plein d’idées, plein de mélodie. C’est comme je te dis : quand tu as un talent, ça s’en va pas comme ça.

Et en parlant de talent, celui de Hugh était dans le domaine de l’acting. Mais il n’avait pas l’air de vouloir repartir à la conquête d’Hollywood et préférais se terrer derrière Victoria Hunter à faire quelque chose qu’il n’aimait pas forcément.

-Bien sûr que tu pourrais faire une super prestation !

Mais les choses étaient très compliquées… Parce que Hugh était différent. Parce que sa façon d’aimer était différente. Personnellement, je ne comprenais pas où était le problème. Pourquoi Hollywood rejetait ou camouflait l’homosexualité. Je trouvais ça vraiment débile.

Apparemment, Hugh ne s’était plus caché après avoir claqué la porte d’Hollywood pour se réfugier dans les drogues. Seulement, si la presse l’avait oublié et le laissait vivre comme il voulait, les gens le regardaient de travers…

Je soupirai et écrasai mon mégot à mon tour. Hugh s’était levé, lui, peut-être parce que cette conversation le rendait nerveux.

-Je comprends pas ça. T’as le droit d’aimer qui tu veux, non ? C’est à cause du SIDA ? Parce que Savannah Prescott, elle a le SIDA et elle est aussi homosexuelle que moi, hein…

Je passai ma langue sur mes lèvres.

-Je vois pourquoi tu as peur, ouais… C’est pas cool d’être montré du doigt.

Je pinçai les lèvres, puis lançai quand même.

-Mais… Christopher North fait des castings pour l’instant… Et il cherche des latinos pour son prochain film…

Le père d’Evan était mort de vieillesse, paisiblement. Une belle mort comme dirait beaucoup. Il avait bien plus mal vécu les morts inopinés des membres de The Army. Sherman, Nuts et Captain… Je les ai connu aussi mais, quand ils sont mort, j’étais déjà loin… Trop loin pour me rendre vraiment compte de la chose. Mais je pouvais imaginer à quel point ça avait dû être un enfer pour Sniper. Je soupirai.

-Il n’y a rien de pire que de perdre des amis de cette façon.

Je n’osais pas imaginer à quel point Evan avait dû se sentir seul. Pourtant, malgré tout, il avait trouvé la force de remonter la pente. Ça en demandait du courage.

On en vint très vite à mon talent pour la guitare. Ou, plutôt, mon absence de talent. Evan était prêt à m’aider et, de ça, je lui en était reconnaissant. Ce n’est pas Masters ou Allen qui allait m’aider. Quant à Vicky, elle non plus, la guitare n’était pas son instrument de prédilection. Mais Evan, lui, est un des meilleurs guitaristes du monde. Il savait ce qu’il disait. Il voulait même en profiter pour me présenter sa fille et sa petite amie en me rassurant sur cette dernière. Je fuyais les journalistes. C’est vrai… Mais j’avais confiance en Evan. Je souris.

-Je serais ravi de les rencontrer. J’aime beaucoup l’émission de Sydney.

Elle donnait un vent de fraicheur sur L.A.Rocks. Elle voyait toujours les choses positivement.

J’avais détourné la conversation sur ce que faisais Evan. Il avait très envie de partir en tournée mais ne semblait pas sûr de pouvoir tenir la longueur. Je lui conseillais de commencer par une petite tournée et il sembla plutôt emballé… Mais il lui fallait secouer Ricci. Ça me fit rigoler un peu.

-C’est son job… Sinon, à quoi bon avoir un manager ?

C’est comme les agents dans le cinéma. Même utilité. Bien que chaque agent ou manager était différent. Certains aimaient prendre le commission… D’autres croient vraiment en toi. Dans ma carrière j’ai eu affaire aux deux.

Je déclarai alors que Sniper n’était pas si vieux. Il avait à peu près mon âge. Mais il disait que ça se voyait moins parce que j’étais latino ce qui me fit rire.

-On vient de trouver, en dix minutes, plus d’avantage à être latino que je n’en ai trouvé en 40 ans de vie…

Parce qu’être latino immigré n’a pas toujours été une partie de plaisir.

Evan avait, en tout cas, plein d’idées pour les albums. Je souris assez content d’entendre qu’on aura encore l’occasion de pouvoir apprécier son talent.

Quant à moi, j’étais définitivement un meilleur acteur que guitariste. Evan était certain que j’aurais encore ma place à Hollywood mais ce n’est pas tant ça qui me faisait peur. C’était tout ce qu’Hollywood représentait. Toute la vie en dehors des plateaux de cinéma. Je voyais bien qu’il essayait de m’encourager. Mais la peur que j’avais de revivre tout ce que j’avais vécu me freinait. C’est sans doute parce que j’avais un peu trop parlé qu’Evan en vient à une question personnelle à laquelle je dûs rassembler mon courage pour répondre.

J’avais pu quelque part vivre comme j’étais une fois les projecteurs loin de moi mais il est certain que tout ça n’a rien de facile. Le regard des autres est tel que, désormais, je ne m’affichais pas vraiment préférant garder tout ça pour moi. Et Evan semblait absolument révolté par le fait que les gens montraient une communauté du doigts uniquement parce qu’ils sont mal renseignés sur un maladie mortelle. Je soupirai.

-Je sais tout ça… Mais les gens crèvent de trouille et ils préfèrent ne pas chercher plus loin. Et… J’avoue que je n’ai pas tellement la force de devoir me justifier ou éduquer les autres toutes les cinq minutes. J’ai pas les nerfs pour ça.

Déjà qu’il m’avait fallu une bonne dose de drogue pour, enfin, me libérer et pouvoir vivre tel que j’étais… Alors, je préférais rester discret ce qui me permettait de ne plus être montré du doigt. Evan comprenait, désormais, un peu mieux ma peur. J’hochai de la tête.

Sauf que… Evan me parla, d’un coup, d’un projet de Christopher North. Un projet de film où il cherchait des latinos. Je fixai Evan en silence. Je me tenais loin des annonces de casting justement pour ne pas être tenté et ne pas être rempli de regret. Sauf que, là, mon ami me mettait le casting de rêve devant le nez…

Je me levai à nouveau commençant à faire les cents pas dans le studio. Je me mordis la lèvre.

-Et Christopher North, le connaissant, sera prêt à me donner ma foutue chance parce que, malgré tout ce que je lui ai fait, il ne refusera pas…

Parce que j’avais déçu Christopher North. C’était en… 74 ? 75 ? Je ne saurais plus dire. Tous mes souvenirs de cette époque étaient flous. Il savait pour mes problèmes avec la drogue mais il avait voulu me donner ma chance pour me permettre de remonter la pente. A l’époque, j’avais accepté son opportunité sauf que… Le premier jour de tournage, je ne me suis pas pointé. Ni aux autres d’ailleurs. Christopher m’a viré. Je savais à quel point il était déçu. Mais je savais aussi qu’il n’était pas rancunier.

Est-ce que j’étais tenté ? Oui. Et pas un peu. Je soupirai.

-Mais qui dit film de Christopher North dit film qui concourra pour les Oscars… Ça veut dire des tapis rouges, la presse et tout le bordel. Je pourrais m’afficher sous un autre nom mais, soyons honnête, les gens vont me reconnaitre. Ils ne sont pas stupides. Et avec ça viendront les interviews et les questions du genre : « tu as fait quoi pendant 10 ans, Crusher ? ». Je ne suis pas certain d’avoir envie de répondre à cette question.

Parce qu’en 10 ans, j’avais fait un tas de trucs dont je n’étais pas fier. Je me laissais retomber sur l’ampli.

-Je ne sais pas quoi faire… Tu en sais plus sur ce film? Il a déjà des acteurs?

Je devais tenter le coup quand même ? Je n’en savais rien.

Je hochai simplement la tête pour confirmer qu’effectivement, perdre ses mais comme j’avais perdu les miens n’était pas facile. Il y avait de ça quelques années, je n’aurais même pas voulu en reparler. Mais j’étais désormais assez fort.

Mis à part ça, j’avais vraiment envie d’aider Hugh qui revenait de loin. J’avais eu des coups de pouces,  moi aussi, quand j’en avais eu besoin. Parce que ce n’était pas le genre de chose dont on se sort tout seul. Il faut être entouré, ne fusse que, parfois, pour avoir une épaule sur laquelle pleurer ou une oreille attentive.

Je lui proposai donc, sur un plan plus pragmatique mais qui englobait un soutien inconditionnel, de lui apprendre à jouer un peu mieux de la guitare. Ce qui me permettrait au passage de lui présenter ma famille. Il était partant et ne pouvait pas me faire de plus beau cadeau.

-Elle sera contente d’apprendre que tu aimes son émission.

Quant à mes projets, entre album et tournée, j’avais un peu l’embarras du choix. Mais je rigolai un peu quand Hugh affirma que c’était bel et bien le job de Lele de me trouver des dates et autres.

-Je sais ! Et il le sait aussi mais bon… Il s’occupe des petits jeunes… Livia et Roadtramp. Je peux pas lui en vouloir de me laisser me démerder un peu. Je suis grand assez…

Je rigolai encore.

-Mais très nul pour m’organiser des trucs.

Hugh ne me trouvait pas si vieux et me rappela qu’on avait qu’un an de différence en fait. Mais il trichait ! Les latinos vieillissent moins vite que les blonds aux yeux bleus ! J’eus le grand plaisir de l’entendre rire pour la première fois depuis des années.

-Hey ! La vie ne peux pas s’acharner toujours sur les mêmes.

Ma réflexion me fit sourire parce que je pensais à Jesse qui disait toujours, quand il lui arrivait une merde, que c’était la faute de la vie.

Avec tout ça, j’en vins à une question plus personnelle. Je savais pertinemment que c’était le genre de sujet que hugh aurait voulu éviter. Mais je savais aussi d’expérience que parler était parfois le meilleur des remèdes. Et il savait que j’étais son ami, qu’il pouvait tout me dire.

Ce qui faisait peur à Hugh, actuellement, c’était la mauvaise image que le SIDA donnait à la communauté homosexuelle. La peur. Les gens avaient peur. Et Hugh ne se sentait pas le courage d’éduquer les gens.

-C’est débile… Les gens sont cons, parfois… Mais…

Je lui souris gentiment.

-Comme tu dis, il faudrait éduquer les gens. Puis rassurer les jeunes homosexuels sur la chose. En réalité, je te verrais bien en défenseur de vos droits. Peut-être quand tu seras plus fort. Quand tu seras guéri…

Je pinçai les lèvres, réfléchissant plus avant.

-Quoi que… ça peut être dangereux aussi. Il y a des connards qui agressent les gays.

Je soupirai bruyamment.

-Pff je comprendrai jamais ça.

Il me sembla alors que je me devais de mettre Hugh au courant pour le film que Christopher North avait en projet. J’étais sûr que Hugh correspondrait parfaitement à ce qu’il recherchait. Direct, je sentis l’envie dans les yeux de mon ami. Il avait peur.

Mais il restait un putain de bon acteur !

-Je suis sûr qu’il ne refusera pas.

Il se leva et fit les cent pas. Je souriais parce que je savais que malgré sa peur, vivre de son art était ce qui ferait que Hugh s’en sortirait. Ce n’était pas en jouant à moitié de la guitare pour Vicky qu’il allait être heureux, ça, j’en étais sûr !

Hugh soupira puis sembla réfléchir tout haut. C’était clair qu’un film de North, ça promettait toujours. Mais il y aurait les promos et tout après et c’était ça que Hugh avait peur.

-Tu sais, après mes 11 ans d’enfer, j’avais aussi très peur de revenir pour les mêmes raisons. Parce qu’on allait me demander de raconter encore et encore mon histoire. De tout revivre. Il y a même un article que Sørensen a sorti et qui était pas très flatteur.

Je haussai les épaules.

-Mais maintenant, je me dis… Que pour faire ce que j’aime… C’est quand même pas cher payer.

Il se laissa retomber à côté de moi sur l’ampli. Mais je savais que je l’avais accroché, avec ce projet de film. Il voulait d’ailleurs ne savoir plus.

-Je sais qu’il y aura Hank North mais c’est pas vraiment une surprise. C’est un film sur l’immigration, si j’ai bien compris. Pour le reste, ça reste très secret.

Je souris quand Evan déclara que sa petite amie allait être contente d’apprendre que j’aimais son émission. J’étais certain qu’un tas de gens devait déjà lui avoir dit. Sydney Grey est une très bonne animatrice radio.

Quant à Evan, lui, il avait ses propres projets et semblait surtout vouloir retourner sur les routes. Mais il fallait, visiblement, que Ricci se bouge un peu pour ça parce qu’Evan ne se sentait pas capable de se chercher des dates tout seul. Sauf que Ricci semblait très occupé avec ses plus jeunes protégés. Mes lèvres se pincèrent. Encore un des aspects les moins agréables du business… Quand tu vieillis, ta valeur baisse. Je savais que Victoria commençait à sérieusement en souffrir. Elle ne le montrait pas mais je le sentais. Je sais, par exemple, qu’elle a été très attristée que Stone n’ai pas pensé à elle pour l’album hommage à Lola. Je le sais parce qu’elle en parle presque tous les jours.

Du coup, je soupirai au constat d’Evan alors qu’il déclara être nul pour s’organiser des trucs.

-Ricci sait que tu n’iras pas voir ailleurs… J’imagine que, du coup, il se dit peut-être qu’il peut te porter moins d’attention. Alors que les jeunes, eux, ils iront peut-être plus facilement voir ailleurs.

Ricci est un businessman, après tout. Mais il a tendance à savoir se faire aimer malgré tout. Je dois avouer que même en sachant que c’est un homme d’affaire, étant plus jeune, j’avais l’art de lui donner le bon Dieu sans confession…

Restait que si le business pensait qu’Evan était vieux, moi, je trouvais encore jeune et bien conservé. Si je disais le contraire, ça ne ferait que me condamné à la même chose vu qu’on avait plus ou moins le même âge. Sauf que j’étais latino et que, apparemment, ça se voyait moins. Ça me fit rire parce que, quelque part, ça voulait dire qu’être latino avait bien plus d’avantage qu’on ne pourrait le penser. Et à Evan de dire que la vie ne pouvait pas toujours s’acharner sur les mêmes. Ça me fit sourire un peu.

-C’est vrai…

Mais toutes ces conversations finit par nous amené sur un terrain où je n’aurais pas voulu aller. Je regrettais déjà de m’être trop épanché mais je ne m’attendais pas à ce qu’Evan arrive là… Lorsqu’on était plus jeune, je ne me rappelle pas qu’il ait une fois souligné ce que j’étais tout haut. Mais Evan avait changé. Il n’était plus le gamin leader de The Army. Il était plus mature…

Du coup, nous y voilà et j’avais parlé de ma peur… Mais aussi de celle des autres. Tout ça révoltait mon ami mais je me sentais véritablement impuissant face à la haine des autres ainsi qu’à leur ignorance. Je n’avais pas forcément la force d’affronter ça. Ainsi quand Evan me vit en défenseur des droits des homosexuels, je me sentis inévitablement exposé et remis face à mes nombreuses faiblesses. Non… Je ne m’en sentais aucunement capable. Et avant que je n’ouvre la bouche, Evan disait que ça pouvait être dangereux. Oui. Ça l’était, malheureusement. Et tout ça semblait profondément le désespérer.

-Pour rassurer les autres il faudrait déjà que je sois rassuré moi-même. Il faut quelqu’un avec un mental d’acier pour pouvoir parler pour tous les autres et pouvoir guider les autres.

Nul besoin d’ajouter que c’était l’inverse de ce que j’étais. Evan était bien assez intelligent pour faire ce constat. Je crois que même si j’étais guéri, je n’en resterais pas moins celui que je suis à la base. Même avant que je ne sombre dans la drogue, je n’avais pas réellement un mental d’acier. J’en suis totalement conscient.

Bref, je ne me sentais aucunement capable de mener le combat pour moi… Alors le faire pour les autres me semblait être un challenge impossible. Je crevais bien trop de trouille pour ça. Même cette conversation me retournai un peu l’estomac, c’est dire… Pourtant, c’est à un ami que je parlais. Un ami qui me voulait du bien.

Peut-être même trop de bien… Parce qu’il lança d’un coup que Christopher North était en train de faire un casting et qu’il cherchait des latinos. Si j’évitais de lire les offres de casting, c’est justement pour ne pas être tenté. Parce que si la vie d’Hollywood m’avait complètement détruit, être devant la caméra m’avait toujours procurer énormément de joie. C’était là que je me sentais le mieux. Mais je savais que je ne pouvais pas vivre ça sans le reste. Et si je savais que Christopher serait prêt à me pardonner, je savais que de revenir au-devant de la scène allait m’exposer complètement. Inévitablement, j’avais devoir expliquer ce que j’avais fait pendant 10 foutues années et je n’étais pas bien sûr d’y arriver.

Evan était passé par là. C’est ce qu’il expliqua. J’avais lu l’article de Sørensen peu avant qu’Evan ne se remettre sur les rails et il était clair que ça n’avait pas été très flatteur. Je soupirai.

-J’ai lu cet article. Sørensen a été ignoble… Je suis presque content d’avoir disparu de la vie public avant qu’il ne commence à bosser pour L.A.People…

Je n’étais vraiment pas sûr de vouloir vivre ça… Evan y avait survécu mais je savais que je n’étais pas Evan.

-Je ne suis vraiment pas sûr de vouloir même te raconter à toi ce que j’ai fait pendant 10 ans… Alors au reste de L.A..

Je devais avouer ne pas forcément être à l’aise avec l’idée. Mais… Evan disait qu’il trouvait que ce n’était pas cher payer tout ça par rapport à ce qu’il ressent quand il fait ce qu’il aime… Je soupirai…

-Pas cher payé ? Je n’en sais rien…

Après tout c’est bien à cause de tout ça que j’avais fini au fond du trou. Sauf que je savais aussi que je n’allais pas être heureux à jouer les pseudo guitariste.

Alors, j’allais faire quoi ?

Je n’en savais absolument rien du tout ! Maintenant qu’Evan m’avait parlé de ça, je ne pouvais faire que deux chose : me lancer au risque de retomber dans mes travers ou bien regretter. Parce qu’il était clair que si je ne me lançais pas j’allais être rongé par le regret. Surtout quand Evan déclara qu’Hank North était aussi au casting et que le scénario parlait d’immigration. Un thème qui, inévitablement, me touchait vu que je l’avais vécu. Je fermai les yeux avant de pousser au long soupire et de dire un peu rageusement.

-Raaah mais pourquoi tu m’as parlé de ça ?

J’aurais pu lui en vouloir mais le fait est que j’en suis incapable, alors… Je soupirai à nouveau.

-Il va falloir que j’y réfléchisse… Je peux pas me lancer sans réfléchir. Pas là-dedans. Faut que j’en parle à Vicky aussi.

Si j’ai le rôle, je ne peux quand même pas l’abandonner… Elle a viré Larry pour moi… Bien que je savais que rien ne m’empêchait de travailler pour Vicky en même temps que de jouer dans un film… Voilà ! J’essayais encore de faire plaisir à tout le monde.

Je soupirai à nouveau avant de faire la moue en regardant Evan.

-Je ne pense pas que je dois te remercier, hein…

Sauf que…

-Merci…

Quoi que je vais peut-être le regretter malgré tout. Je me relevai avant de prendre ma guitare.

-Faut peut-être que je m’y remette… Si Allen et Ben voient que je n’ai rien foutu pendant leur pause, ils vont encore plus m’en vouloir…

On parlait de nos passés, mais surtout, de nos avenirs. Je sentais bien que Hugh en était vraiment aux prémices d’un retour quel qu’il soit. Mais je doutais que ce soit en étant guitariste qu’il reviendrait à sa notoriété d’avant. Tout le problème était un peu là, pour lui : il n’était pas sûr de vouloir retourner à sa vie d’avant, à ce qui l’avait fait plonger.

Seulement, il était assez fort, et moi, assez dissipé, pour changer de conversation, pour mettre le projecteur sur moi plutôt que sur lui.

Alors je lui parlais de ce que je voulais faire, de ce qui me faisait envie. Un peu pour lui montrer que tout est possible, même quand on a touché le fond à un moment donné.

Seulement, j’avais mes (minuscules) problèmes aussi. Comme Daniele qui avait fort à faire avec Roadtramp et Livia. Hugh pensait que Daniele pouvait se le permettre parce qu’il savait que je n’irais pas voir ailleurs.

-C’est vrai… J’ai toujours été fidèle à Daniele et à BSC, je leur doit beaucoup.

Dont d’être là encore aujourd’hui et de pouvoir vivre de ce que j’aimais.

On rigola un peu en parlant comme si on avait 90 ans puis en se disant que finalement, on était pas si mal. Encore bien conservés malgré les années et les excès. Mais au rire succéda un certain malaise.

Je savais pertinemment que j’empruntais un chemin glissant. Mais j’étais l’ami de Hugh et en tant que tel, j’estimais qu’on pouvait tout se dire… Surtout si c’était dur. Parce que si ce n’est pas un ami qui fait ça, qui le fera ?

Je sentis son malaise… Mais il ne ferma pas tout à fait la porte à la conversation.

Je le voyais bien en défenseur de sa cause. Mais lui ne se sentait pas encore prêt et ne savais pas s’il le serait d’ailleurs un jour. Il ne pensait pas avoir le mental d’acier nécessaire pour ça.

-Ouais, je comprends… Ou presque… Parce que je n’ai aucune idée de ce que ça fait d’être différent.

J’avais toujours été un garçon des plus normaux. J’avais même la chance d’avoir du charme donc je n’avais jamais eu à me plaindre ou à cacher quelque chose… J’avais juste pas eu de bol à un moment donné… Puis le temps avait fait son ouvre et j’étais revenu d’entre les morts. J’avais la vie facile, en vrai.

Et si Sørensen avait fait les choux gras de mes mésaventures, ce que hugh avait lu et trouvait dégueulasse, je trouvais, personnellement, que tout ça n’était pas cher payé pour ma vie de privilégié.

Je comprenais fort bien que Hugh n’avait pas envie de raconter ce qu’il avait fait pendant ses dix ans de vache maigre. Et, d’un regard et d’un geste, je lui signifiai qu’il n’avait pas à le faire.

Cependant, s’il revenait sur le devant de la scène, ce serait inévitable. Je le savais, il le savait et tout le monde avec un peu de jugeote le savait.

Seulement, je ne résistai pas à l’envie de lui parler du projet de North. Parce que je savais que Hugh était bon. Parce que je savais que Christopher North l’appréciait en tant qu’acteur… Et aussi parce que le casting s’y prêtait et que ce n’était pas tous les jours que les latinos avaient cette chance !

Ça le fit cogiter. Direct. Et je sentais qu’en lui, ça bouillonnait. Un peu douloureusement, peut-être. Mais aucune guérison ne se fait sans douleur.

Je le regardais faire, souriant, attendant… Il ragea, demanda pourquoi je lui avais parlé de ça.

-Parce que c’est le rôle d’un ami de te pousser un peu. Mais comme en escalade, je t’assurerai. Je serai là. Je vais pas juste te lancer puis te laisser te démerder.

Et quand je disais ce genre de truc, je m’y tenais !

Il devait y réfléchir. Mais je savais que la graine était plantée. Et je savais qu’elle allait germer, tôt ou tard.

Je lui donnai une belle tape amicale sur l’épaule, en lui souriant quand il me remercia.

-Y a pas de quoi. Je te laisse. Un conseil : soit moins crispé sur tes cordes. Tes doigts seront plus souples et tu auras plus facile.

Sur quoi, je le laissai à ses réflexions.