-Oh putain…

On était en standby au commissariat, l’occasion pour nous de mettre nos dossiers en ordre et rattraper notre retard dans les rapports. Pas grand-chose de bien grave… quelques excès de vitesse, des petits dealers pris en flag, des bagarres… Mais bon, fallait bien que ça se fasse.

Sauf que Conrad et moi, là, on allait être forcés de tout abandonner pour le genre de mission que je détestais…

L’annonce de mauvaise nouvelle.

S’il pouvait exister une mission vraiment horrible, c’était bien celle-là.

-Je vous demande à vous parce que je sais que vous avez déjà eu à faire à Finan Quinn.

Le chef avait raison, Conrad et moi connaissions Finan Quinn… enfin… nous connaissions l’ancien Finan Quinn, quand il était encore un petit dealer à la solde des Los Diablos. Mais c’était terminé, tout ça, maintenant. Quinn était désormais presque une star, le leader de The Warriors. A notre connaissance, il n’avait plus besoin de vendre de la drogue.

Je frottai mon visage à deux mains…

-Comment ça s’est passé ? Parce que c’est inévitablement la question que Quinn allait nous poser.

Le chef prit alors le temps de s’asseoir avec nous et de nous raconter toute la triste histoire qu’on allait devoir répéter à Finan… C’était une histoire aussi simple que tragique.

Une fois dans notre voiture de patrouille et en route pour l’adresse de Quinn, à Hollywood, j’entendis Conrad soupirer alors que je conduisais.

-Tu crois que c’est la fin de The Warriors, du coup ?

Je haussai les épaules, m’allumant une cigarette tout en roulant.

-Je ne sais pas. D’autres groupes ont survécu à ce genre de tragédie… The Burning Fire, par exemple…

Mais était-ce un bon exemple ? Parce qu’on avait plus entendu le groupe depuis un bail ! Et là, ils venaient encore de perdre un de leur membre en la personne de Savannah Prescott…

-Moi ce qui m’attriste le plus, c’est pour leurs enfants. Ma foi, pour le groupe, ce serait dommage. Mais des orphelins, c’est pire.

Je le savais, j’avais un orphelin de mère à la maison. Et ça n’arrangeait probablement pas son équilibre mental.

On arriva à l’adresse et je sonnai à la porte. Il était très tôt… 6 heures du matin… On était en fait à la fin de notre shift de nuit… C’était une horrible façon de terminer un shift.

Quand Finan Quinn vint nous ouvrir, je pris une grande inspiration et me lançai.

-Bonjour, Finan… Nous sommes là pour t’annoncer… que ton épouse, Tiffany Quinn… a été tuée dans un accident de voiture…

J’avais vécu la première soirée entre mec… Moi et Yoric uniquement. Je pense que depuis qu’il est né, je n’avais encore jamais passé une soirée avec lui en tête à tête.

Guillermo, lui, était parti dormir chez Jesse et Alvaro. Je plaignais un peu Jack Perry qui était, désormais, seul avec deux enfants… Il avait rompu avec Brooke qui s’en était retournée au Texas et qui avait renoncé à voir les enfants. C’est pour ça que j’avais hésité à laisser Guillermo aller là-bas mais tout le monde avait fini par me convaincre que ça allait remonter le morale autant de Jesse que d’Alvaro alors Tiff et moi on avait fini par accepté.

Tiff, justement… Elle aussi été en vadrouille. Elle était partie à un défilé de mode où la collection de Bailey North allait être mise à l’honneur. Elle sera là pour montrer les tenues féminines que Bailey avait réalisées pour notre groupe. J’aurais voulu aller voir mais il fallait quelqu’un pour veiller sur Yoric et j’étais ce quelqu’un. On avait pas encore trouvé la nounou parfaite… Il faut dire que Tiff avait bien du mal à être indulgente avec les candidats… Contrairement à moi qui voulait en trouver une le plus rapidement possible.

J’avais, donc, passé ma soirée avec mon fils. Bon… Il était encore petit et à 19h, il était déjà au lit ce qui faisait que j’avais, finalement, passé ma soirée seul devant la télévision à regarder des films. J’avais, ensuite, été dormir à pas moins de minuit. Je savais que Tiff ne devait pas rentrer avant le milieu de la nuit alors ça ne servait à rien que je l’attende.

Je m’étais endormi assez vite fatigué par une journée passée à m’occuper d’un bébé. C’était bien plus physique qu’on ne l’imaginais, d’ailleurs ! Quelque part, ça m’arrangeait parce que j’avais bien du mal à dormir depuis la mort de notre manager, Samantha… Elle avait été assassiné il y a quelques semaines… Je la savais liée à la mafia, bien sûr mais je pensais que, maintenant que tout ça été derrière elle, elle aurait pu être en sécurité. Ça n’avait pas été le cas… Ce genre de chose te suivent jusqu’à la fin de tes jours… J’avais été fortement touché par cette perte qui avait donné un sacré coup sur la tête à notre groupe. Malgré tout on comptait continuer avec MTI, si c’était possible.

Bref… Grâce à mon petit Yoric qui m’avait demandé toute mon attention, j’avais dormis comme un bébé jusqu’à-ce que la sonnette de l’appartement me réveille en sursaut.

Je secouai la tête avant de regarder mon réveil… 6h du matin… Je plissai des yeux remarquant que j’étais toujours seul dans mon lit signe que Tiff n’était pas rentré… Je savais qu’elle allait rentré tard… Mais pas aussi tard…

Et qui sonnait si tôt à ma foutue porte ? Tiff qui avait oublié ses clés ? Peut-être même si ce n’était pas vraiment son genre.

Je sortis de mon lit après avoir enfilé un t-shirt et j’ouvris la porte sur nul autre que Jordan Keller et Conard Greenly habillé d’une tenue que je n’aimais pas voir à ma porte.

Qu’est-ce qu’ils foutaient là ?

Ma première pensée ? Les Los Diablos… S’ils étaient là c’était en rapport avec les Los Diablos… J’avais quitté le gang mais, comme Samantha, je savais que ça allait me poursuivre toute ma vie.

Malgré cette pensée, je ne pus m’empêcher d’être surpris.

-Keller ? Greenly ?

Jordan me salua mais il avait sa tête des mauvais jours. Et pour cause, il me lança, que ma femme, Tiff, était décédée dans un accident de voiture.

Il y eut un silence.

Quoi ?

Non.

Je cauchemarde.

Il se trompe.

Ma voix trembla.

-Non… Tu te trompes… Elle est à un défilé là… Elle peut pas…

Je ne sus pas achever ma phrase tout ça me semblait irréel. Tiff… Morte ? Non. Elle était bel et bien partie en voiture. Elle devait prendre Bailey North et Sydney Grey au passage… Mais Tiff était toujours prudente. Ça ne pouvait pas être vrai.

-Tu dois te tromper, Keller… Tiff ne se serait jamais crashé… C’est pas possible.

Ma voix se brisait peu à peu à mesure où l’information atteignait son cerveau. J’ouvris plus grand la porte pour laisser entrer les deux policiers…

Je n’en revenais pas… Et si ma voix était brisée, je ne pleurais pas encore. J’étais trop sous le choc pour ça.

-Qu’est-ce qu’il s’est passé ?!

J’avais haussé un peu le temps en disant ça avant de fermer la porte derrière Conrad et Jordan.

Ça commençait toujours par un air étonné. Toujours. Les gens nous voyaient devant leur porte et s’étonnaient. Certains, comme des parents dont les gosses étaient sortis en voiture pour aller danser quelque part, comprenaient avant même qu’on ouvre la bouche et s’effondraient sur le pas de leur porte.

Pas Finan Quinn… Peut-être parce qu’il pensait qu’on venait le voir pour quelque chose en rapport avec ses antécédents. Bien que dans ce cas-là, on ne serait pas venu si tôt à moins de vouloir perquisitionner son domicile.

Alors je m’étais lancé, lui annonçant la triste nouvelle sans passer par quatre chemins.

Et là, à la surprise succéda l’incompréhension… Ce qui me faisait dire que Finan n’allait pas réaliser tout de suite. Peut-être même ne réaliserait-il pas avant d’avoir vu le corps de sa femme à la morgue bien qu’une identification n’était pas nécessaire vu qu’elle avait ses papiers sur elle.

Finan disait que je me trompais, que ce n’était pas possible.

Ok, le déni maintenant. C’était fou à quelle vitesse toutes ces émotions pouvaient se succéder… Je plaignais sincèrement Finan… J’avasi vécu le suicide de Roxane il y avait quelques années maintenant, et je me rappelais moi aussi être passé dans des montagnes russes.

Non, en fait, la montagne russe m’était carrément passée dessus.

J’allais demander pour entrer mais il finit par nous y invité, l’air complètement ailleurs. On entra tous les deux dans l’appartement. S’il devait s’effondrer, il valait mieux que ce soit dans l’intimité de son appartement. The Warriors n’avait encore qu’un seul album à son actif, ce qui ne voulait pas dire que des paparazzi ne trainaient pas dans le coin.

Il haussa le ton, demandant ce qu’il s’était passé, en refermant la porte derrière nous.

Je me tournai vers lui.

-Et si on allait s’asseoir ? Je te raconterai tout.

Une fois dans la cuisine, on s’assit tous les trois.

-Madame Quinn était effectivement bien à une défilé de mode. Elle, Bailey North et la journaliste Sydney Grey ont quitté les lieux ensemble, dans le véhicule de Tiffany…

Je soupirai mais tenait le regard de Finan.

-Sur la route entre Malibu et San Fernando Valley, elles ont quitté la route, on ne sait pas encore vraiment comment, si c’est une inattention de Tiffany ou si elles ont été frôlée par un chauffard… Toujours est-il qu’elles ont dévalé un ravin. Les trois femmes ont perdu la vie… Il était 3h du matin environs.

Je passai ma langue sur mes lèvres.

-C’est tout ce qu’on sait pour l’instant. Apparemment, elles sont mortes sur le coup et n’ont pas souffert.

Je ne réalisais pas… Absolument pas. Les mots qui venaient de sortir de la bouche de Keller n’arrivaient pas à être assimilé par mon cerveau. Pour moi, Keller était en train de dire tout à fait n’importe quoi. Ou alors j’étais encore dans mon lit en train de faire un cauchemar.

Ça ne pouvait pas être autre chose. Tiff ne pouvait pas être morte. Non. Pas maintenant. On a deux enfants… On a un groupe… On a toute la vie devant nous. Elle ne peut pas nous quitter comme ça. Pas aussi brutalement et pas comme ça !

Je me mis en pilote automatique laissant, sans rien dire, les deux policiers entrer. Comme si, au fond, je savais qu’ils disaient vrai et que ce n’était pas le genre de conversation à avoir sur le pas d’une porte. Je voulais savoir ce qu’il s’était passé. C’est ce que je dis une fois à l’intérieur la porte clause.

Jordan Keller voulait s’assoir. J’hochai de la tête toujours choqué et incapable de comprendre ce qu’il se passait. Machinalement j’emmenais notre trio dans la cuisine avant de prendre place sur une chaise. Les deux policiers firent de même.

Jordan se lança alors dans son récit. Un récit horrible où je ne perdais pas seulement Tiff mais, aussi, Bailey, que je connaissais aussi très bien. J’avais déjà perdu Samantha et Nell le mois dernier… C’est comme si L.A. avait décidé de me reprendre tout ce qu’elle m’avait donné. D’un seul coup. Comme ça.

Je fixai Keller d’un regard encore sous le choc quand il expliqua que la voiture de Tiffany avait quitté la route sans qu’ils sachent encore comment et avait dévalé un ravin tuant tout le monde sur le coup. Il affirma que personne n’avait souffert comme si ça pouvait, sur le coup, me procurer le moindre réconfort.

Le fait est que je venais de perdre la femme de ma vie et que rien, là, ne pourrait venir atténuer la douleur que je ressentais.

Une douleur qui finit par définitivement atteindre mon cerveau alors que je m’écroulai d’un seul coup, le visage dans mes mains à étouffer des sanglots qui étaient arrivés sans crier gare.

Pendant quelques secondes c’est la seule chose que je réussis à faire. Pleurer… Jusqu’à-ce que je me reprenne suffisamment pour réussir à articuler des mots.

-Toutes les trois… Mais… Je connaissais aussi Bailey… C’est une amie à moi. C’était… C’était son premier grand défilé. Tiff était son modèle pour la soirée. J’aurais…

J’aurais dû être là. J’avais failli être là. Si on avait mordu sur notre chique et engagé une nounou plus tôt, j’aurais pu être là. J’aurais conduit la voiture et, peut-être, les choses auraient été différentes.

-J’aurais dû être avec elle… J’aurais dû insister pour qu’on fasse garder Yoric… Putain ! C’est pas possible ça !

Je me levai commençant à faire les cents pas dans la cuisine les larmes coulant toujours sur mes joues.

-Je vais faire quoi ? On… Je peux pas vivre tout seul avec deux enfants. Je ne peux pas faire ça sans Tiff… Elle…

Je passai une main dans mes cheveux mes yeux embrumés de larmes.

-Comment je vais faire ? Comment je vais l’annoncer à Guillermo ?

Il avait déjà perdu une mère… J’allais devoir lui annoncer qu’il avait perdu la deuxième.

Finan nous avait fait entrer, ce qui était le mieux à faire. Il ne l’aurait pas fait de lui-même, je lui aurais demandé l’autorisation d’entrer pour pouvoir lui faire part des maigres détails que nous avions sur l’accident.

Le chanteur de The Warriors, accusant le coup, était comme un zombie. Il était dans ce moment où, comme le chat de Schrödinger, quelque chose peut être à la fois réel ou non.

Je lui proposai de s’asseoir et on prit tous place à la cuisine.

Et ce fut là que je lui racontai plus en détails ce qu’on savait, avec, pour conclusion, la maigre consolation comme quoi, dans l’accident, personne n’avait souffert. Tout le monde avait été tué sur le coup.

Un coup dur pour Finan qui, je le savais par la presse, avait perdu sa manager seulement quelques semaines plus tôt. A croire que L.A. s’acharnait sur le pauvre homme.

Tout le temps que je mis pour lui donner l’information, il me fixa… Comme s’il s’attendait à ce qu’à la fin, je lui annonce que tout ça n’était qu’une mauvaise blague. Malheureusement, ce n’était pas le cas. Ce n’était pas une blague. Trois femmes à la carrière montante nous avaient quittées cette nuit.

Là, il y eut un temps mort.

Puis FInan s’effondra enfin et quelque chose en moi se détendis… C’était horrible de voir un grand gaillard comme le chanteur s’effondrer, mais en même temps, j’aurais été inquiet de la quitter sans avoir eu plus de réaction qu’un regard fixe.

Au moins, ici, je savais qu’il avait enfin assimilé l’info et qu’il allait maintenant entrer dans un long et douloureux processus de deuil. Lent et douloureux, mais nécessaire.

Il n’avait pas perdu que sa femme dans l’accident, mais aussi une amie, Bailey North. Je savais que c’était elle qui confectionnait leurs costumes donc, fatalement, il y avait un lien.

-Je suis vraiment désolé, Finan.

C’était tout ce que je pouvais dire. Quoi d’autre ?

Il partit alors avec « J’aurais dû », « on aurait dû » qui auraient tout changé. Une réaction normale. Après le déni venait la culpabilité, la certitude que s’il avait été là, les choses auraient été différentes. Le truc, c’était que la réalité était telle. Les réalités alternatives n’existaient que dans Spaceship.

-Malheureusement, Finan, les choses sont telles qu’elles sont. Je ne peux imaginer ton chagrin et tout ce par quoi tu vas passer dans les mois et les années à venir. D’abord, il faut prendre le temps d’accepter l’inacceptable.

En fait, c’était faux, ce que je disais. Parce que j’avais quand même vécu le suicide de Roxane. Mais j’imaginais ça comme était très différent. Tiffany, Bailey et Sydney n’avaient aucune intention de mourir, que du contraire. Roxxy, elle, avait mis fin à ses jours volontairement et le fait que ça ait été son choix m’avait rendu le deuil plus facile. Parce que je savais qu’elle ne souffrait plus.

Il était perdu, maintenant, faisant les cent pas dans la pièce et pensant à ses enfants et notamment à ce qu’il allait dire au plus grand, Guillermo, qui était à l’anniversaire de Jesse en même temps que Grant…

-Des aides, tu peux en avoir… Ce que je te conseille de faire, c’est…

Je sortir de la poche latérale de mon pantalon une brochure que je lui tendis.

-C’est prendre contact avec le service d’aide aux victimes de la police. Eux te parleront de tout ça et si nécessaire, te conseilleront des professionnels pour vous aider, tous les trois, dans votre deuil.

Je fis la moue.

-Mais tu devras quand même l’annoncer toi-même à Guillermo, je pense. C’est mieux que cela vienne de son père que de n’importe qui d’autre.

J’essayai de capter son regard.

-Mais d’abord, tu vas respirer, d’accord ? Tu vas prendre le temps… Chercher les bons mots, même s’il n’y en a pas.

Le récit de Keller était glaçant. Je venais de perdre non seulement ma femme, mais aussi une amie proche. Je connaissais Bailey depuis mes années de Los Diablos quand elle aussi essayait de survivre dans l’Eastside. Finalement, ce n’est pas l’Eastside qui l’a tué mais un bête accident de voiture… Elle avait survécu à tellement de choses. C’était désolant.

Et j’avais craqué me mettant à pleurer comme un gosse. Je ne pleurais pas souvent mais là, le chagrin était trop grand.

Je tentai de me calmer un peu pour lancer que je connaissais aussi Bailey. Keller se disait désolé mais aucun mot ne pouvait, pour l’instant, atténuer la douleur. J’étais choqué encaissant, en l’espace d’un mois, quatre décès de personnes que je connaissais plus que bien. Dont ma femme… Celle avec qui j’avais prévu de vieillir. Avec qui j’avais deux enfants… Me dire qu’elle ne reviendra jamais été très difficile à entendre.

Keller disait qu’il ne pouvait pas imaginer mon chagrin. J’hochai de la tête confirmant sans savoir que, en réalité, il comprenait car il avait vécu aussi la mort de sa compagne il y a quelques années. Il disait qu’il n’osait pas imaginer par quoi j’allais passer dans les prochaines semaines et les prochains mois. Il disait que la première chose à faire était d’accepter l’inacceptable. Je lançai alors sur le ton de la colère et du désespoire.

-Comment veux-tu que j’accepte ça ? Tiff n’avait que 24 ans !

Je ne pouvais pas accepté qu’elle m’ait été enlevé de la sorte. Tout comme, il y a quelques années la mère d’Alvaro m’avait été enlevée de la même manière alors qu’on était en couple. Comme si le destin ne voulait pas que je puisse trouver le bonheur auprès d’une femme.

Je faisais les cents pas. Mon cerveau avait bien du mal à assimilé cette horrible nouvelle. Je ne savais pas quoi faire. Sans compter que j’allais devoir annoncer cette nouvelle à Guillermo Il avait déjà été orphelin deux fois… Le voilà orphelin pour une troisième fois. Il n’avait que 13 ans… C’était beaucoup trop pour un gamin de cet âge.

Keller disait que je pouvais avoir des aides. Il sortit alors une brochure de sa poche. Je me tournai vers lui arrêtant de faire les cents pas avant de prendre la brochure que je regardai sans réellement regarder. C’était pour les aides aux victimes de la police. Des gens qui pourront m’aider dans mon deuil et celui des enfants.

-Je ne sais pas s’ils pourront réellement m’aider. Ni les enfants… Accepter quelque chose comme ça, ce n’est pas possible.

C’était mon état d’esprit sur le coup. Parce que j’étais triste et en colère. Parce que je ne voyais pas d’issus à cette situation. Parce que, malgré tout, et comme Keller le disait si bien, j’allais quand même devoir, moi-même, annoncer la chose à Guillermo.

Je me laissai retomber sur ma chaise.

-Il est chez un ami… Il… Il ne rentre que dans l’après-midi… Il va être dévasté. S’il avait du mal à me considérer comme son père, il avait complètement adopté Tiff… Il a déjà été orphelin et père et de mère. Je ne sais pas comment il va réagir à ça.

Keller me disait de respirer mais c’était comme si la pièce était dépourvue de son air. Il disait que j’allais prendre le temps de chercher les bons mots. Je me fis alors cynique.

-Trouvez les mots… Comment ? Il n’y a pas dix milles façon d’annoncer ça. Peu importe comment je le lui dirais, il va être dévasté.

Je soupirai avant de faire signe à Keller de m’excuser. Il n’y pouvait rien lui. Il ne faisait que son job.

-Par chance, Yoric est encore tout petit mais…

Ma voix se brisa un peu.

-Ça veut dire qu’il n’aura jamais la chance de connaitre vraiment sa mère. Jamais… Il n’aura même pas de souvenir d’elle. Et… Je vais devoir les élever tout seul.

Est-ce que j’en aurais la force ? Là, pour l’instant, j’étais trop dévasté pour avoir la force pour quoi que ce soit.

Accepter l’inacceptable. Cela devait paraître impossible à Finan, comme il le dit s’ailleurs avec de la colère dans la voix. Je ne lui en voulais pas d’être en colère. Conrad comme moi savions que tout ce que dirait Finan n’était pas dirigé contre nous, mais bien contre ce foutu destin.

Il cracha que sa femme n’avait que 24 ans.

-C’est pour ça que c’est inacceptable.

Et pourtant, les faits étaient là, mais c’était beaucoup trop tôt pour Finan… Nous venions juste de lui annoncer la nouvelle.

A défaut de pouvoir l’aider moi-même (je n’étais pas qualifié pour ça, la psychologie n’avait jamais été mon fort), je lui proposai de prendre contact avec le service d’aide aux victimes. Ce serait bien pour lui et pour ses enfants. Il trouverait là des gens formés pour accompagner les gens dans leur deuil.

Mais évidemment, Finan n’y croyait pas, parce que sa tristesse, là tout de suite, lui semblait insurmontable.

J’eus un sourire compatissant.

-Je sais. Les gens pensent toujours que ce genre d’épreuve va être insurmontable et que personne, jamais, ne va pouvoir les libérer de leur chagrin… Mais je te garantis que ça aide.

Je le suivais des yeux alors qu’il faisait les cent pas dans la cuisine. Puis il finit par venir d’affaler sur la chaise en face de moi, nous remettant au même niveau. Il déclara alors que Guillermo, son fils adoptif, était chez un ami et qu’il ne rentrerait que dans l’après-midi.

-A mon humble avis, tu devrais profiter de ce laps de temps pour, d’abord, évacuer tout ce que tu as à évacuer. Pleurer autant que tu en as besoin, crier si l’envie t’en prend. Comme ça, quand Guillermo sera là, tu pourras le faire passer par le même chemin que toi.

Finan disait que le gosse était déjà plusieurs fois orphelin… C’était bien triste tout ça…

-Sincèrement, je ne sais pas quoi te dire. Ça va être dur, très dur, horrible même, je ne vais pas prétendre le contraire… Mais au moins, c’est con, mais vous affronterez ça ensemble.

Quant à trouver les mots… je soupirai.

-Alors là, je ne peux pas t’aider. Comme toi, je pense qu’il n’y a pas 36 façons d’annoncer quelque chose comme ça. Je serais toi, j’irais droit au but, comme quand on tire vite sur un pansement pour avoir moins mal. Seulement, dans ce cas-ci, ça ne fera pas moins mal et… je ne suis pas toi.

Son deuxième fils, lui, ne se rendrait peut-être pas vraiment compte de la disparition de sa mère. Mais Finan regrettait qu’il n’en ait aucun souvenir en grandissant.

-Tu as des photos… Peut-être encore des vêtements à elle qui portent son odeur ? Puis il y a votre album.  Il pourrait se faire une idée à partir de tout ça, sur qui était sa mère ?

J’avais mis les pieds dans le plat en parlant de l’album, mais je n’étais pas au fait que Yoric était sourd.

Je n’arrivais pas à accepter que ma femme soit morte de façon aussi inattendue que brutale à un âge où personne ne devrait mourir. Si bien que quand Jordan me proposa, gentiment, de faire appel à l’aide aux victimes, je me demandais bien en quoi ils pouvaient bien m’aider. Pour moi, ce n’était pas possible de se remettre de ça ! Mais Jordan, comprenant mon point de vue, déclara que ça aidait quand même. Je fermai d’un coup les yeux avant de les rouvrir.

-S’ils peuvent la ramener alors, oui, ils pourront m’aider !

C’était irrationnel ce que je disais mais c’était le chagrin qui parlait. Personne ne pourra ramener Tiff tout comme personne n’avait pu ramener ma mère et mon père. J’avais perdu beaucoup de gens au cours de ma vie mais, cette fois-ci, j’avais l’impression que le deuil allait être insurmontable.

Et, pour cause, cette fois, il y avait des enfants dans l’histoire. Guillermo et Yoric. C’était ça, aussi, qui était difficile. Devoir gérer mon deuil et le leur. Surtout celui de Guillermo qui était bien assez grand pour comprendre. Sans compter qu’il avait déjà perdu deux parents… Maintenant, j’allais devoir lui dire que sa mère adoptive était aussi décédée et je doutais qu’il sache facilement encaisser ça. Je ne savais pas comment j’allais m’y prendre pour lui dire. C’est ce que je déclarai tout haut à Keller et Greenly.

Keller me conseilla d’utiliser les quelques heures que j’avais devant moi pour évacuer… C’était trop peu pour pouvoir me défaire totalement du poids de la nouvelle et être suffisamment présent psychologiquement parlant que pour annoncer l’horrible nouvelle à Guillermo. Je soupirai.

-Ça ne va pas être facile. Je n’ai que quelques heures devant moi et je ne sais pas comment évacuer tout ça.

Keller ne savait pas trop quoi dire. Il disait que ça allait être dur mais avoua qu’on pourra, moi et les enfants, affronter ça ensemble. J’essuyai mes larmes du revers de mon bras.

-Ouais… Il faudra aussi que je l’annonce aux autres membres du groupe… Ça va aussi leur faire un choc mais… Ils m’aideront. Ils aideront Guillermo aussi… Ça je le sais mais…

Mais pour l’instant j’avais l’impression que le monde s’était arrêté et que je n’allais pas cesser de souffrir de la mort de Tiff. C’était dans cet état d’esprit que j’étais alors que j’affirmai, ensuite, ne pas savoir comment dire les choses à Guillermo. Keller n’avait pas de réponse à ça… Il n’y avait, pour lui, par dix milles façon de le dire. Que, dans tous les cas, ça allait être difficile.

-Je n’ai pas d’autres choix que d’aller droit au but. Guillermo n’est pas stupide. Si j’y mets la forme, il va vite se rendre compte que quelque chose ne va pas.

Je n’aurais pas besoin d’ouvrir la bouche pour qu’il le sache. Il verra, déjà, très vite que Tiff n’est pas là.

-Alors, le mieux est, en effet, de le dire tout de suite…

Sans détour.

Ce qui m’attristait, aussi, c’était que, si Yoric sera celui qui encaissera le plus facilement la nouvelle au vu de son jeune âge, je craignais que, au fil des années, il n’ait plus de souvenir de sa mère. Keller mit en avant les photos que j’avais de Tiff ou encore ses vêtements pour rappeler à Yoric qui elle était… Mais quand il parla de l’album, j’hochai négativement de la tête.

-Yoric est sourd… Il ne pourra jamais entendre la musique de sa mère même si… Les médecins disent qu’il entend à sa façon mais… C’est pas la même chose.

J’essuyai encore une fois mes larmes.

-Ouais… Les photos. Les vêtements… Il aura ça. Mais j’aurais voulu qu’il puisse grandir avec elle. J’ai perdu ma mère quand j’étais tout petit aussi… J’ai l’impression de refaire le même schéma…

Sauf que je devrais être plus fort que ne l’avait été mon père qui avait sombré dans l’alcool.

S’ils peuvent la ramener alors, oui, ils pourront m’aider !

Il n’y avait rien de plus irrationnel… Et pourtant, quand on était dans le cas de Finan, je pensais que quelque chose en nous pouvait y croire. Sincèrement. Parce que Finan encaissait l’information, mais n’était pas encore au point où il l’assimilait. Chacun finissait par prendre réellement conscience de la chose à sa façon… Certains, c’était en voyant le corps, ce que Finan pourrait faire s’il le voulait vraiment. D’autres, c’était en voyant le cercueil à l’enterrement descendre lentement dans la fosse… Pour d’autres encore, c’était plus tard, quand la solitude faisait sournoisement son entrée en scène.

Dans tous les cas, c’était dur.

-Finan… Est-ce que tu souhaiterais voir le corps ? Pour lui dire au revoir ?

Je ne le proposerais pas pour les enfants, parce que de mon humble avis, ce n’était pas la dernière image qu’ils devaient garder de leur mère. Mais peut-être que Finan, lui, en avait besoin, pour réaliser.

En plus, d’après ce que je savais, les filles dans la voiture étaient mortes du coup du lapin, donc elles n’étaient pas trop amochées… La voiture n’avait pas pris feu, elles n’étaient pas brûlées… C’était juste le choc qui les avait tuées.

Ce qui inquiétait aussi Finan, c’était la manière d’annoncer cela à son fils aîné, déjà plusieurs fois orphelin. Le garçon n’allait revenir de chez son ami que dans l’après-midi et je pensais que ça laissait le temps à Finan d’encaisser.

J’eus un regard compatissant.

-Non, je sais, ce ne sera pas facile, pas plus aujourd’hui que demain et dans dix ans, vous serez toujours tristes… Mais à un moment, il faut réagir et avancer… Peut-être pas tout de suite… Mais il le faudra.

Tout ce que je disais là, je le tirais de mon apprentissage sur le tas de l’annonce des mauvaises nouvelles et aussi d’une petite formation que le service d’aide aux victimes nous avaient donnée. Si je n’avais eu que ma pauvre maigre expérience, je m’en serais beaucoup moins bien tiré.

Alors, Finan parla de son groupe à qui il allait devoir aussi faire l’annonce. Mais je vis un bref éclat de lumière, la preuve que Finan allait s’en sortir, quand il affirma que les autres allaient l’aider.

-Très certainement. Surtout, il ne faut pas que vous restiez seuls avec votre chagrin, Guillermo et toi. Et si ça consiste à rester avec des amis, avec ton groupe ou à sortir… je sais pas, faire des activités avec tes enfants, par exemple…

Je souris.

-Ce ne sera pas pour autant que vous oublieriez Tiffany. Elle serait contente de voir que vous continuez à vivre, tu ne crois pas ?

Je posai ma main sur son genou.

-Mais je sais que pour l’instant, pour vous, la Terre a cessé de tourner. Elle se remettra en mouvement au moment voulu.

Seigneur… voilà que je faisais de la poésie maintenant.

Finan était bien d’accord avec moi sur le fait qu’il ne fallait pas tourner autour du pot avec Guillermo… le gosse était trop intelligent et se rendrait bien compte qu’il y avait un problème.

-Plus tu seras sincère avec lui, plus il considèrera que tu l’as traité à la hauteur de son intelligence. Et ça, je te le garantis. J’en ai un comme ça à la maison.

On ne la faisait pas à Grant…

Pour ce qui était du plus petit, Yoric. Finan était très triste qu’il perde le peu de souvenirs qu’il avait de sa mère. Alors je lui donnai quelques trucs… Des photos, des vêtements, permettraient à Yoric de se faire une idée de sa mère. Une idée peut-être idéalisée, mais c’était beaucoup mieux que rien.

Seulement, j’avais fait une gaffe en parlant de l’album parce que Yoric était sourd. J’échangeai un regard avec Conrad qui pinça les lèvres. Mais Finan n’avait pas l’air de m’en vouloir pour mon ignorance.

-Je suis désolé, je l’ignorais…

Que dire de plus ?

Ce que Finan regrettait surtout, c’était que Yoric ne puisse pas grandir avec sa mère. Que lui non plus n’avait pas connu la sienne et qu’il avait l’impression de faire le même schéma… Je le regardai droit dans les yeux.

-Hey… hey… Tu as quand même bien conscience que tu n’y es pour rien, hein ? Finan ?

J’avais vraiment beaucoup de mal à réaliser que je ne reverrai jamais Tiffany. Tout ce que je voulais c’était qu’elle revienne au point où je balançais quelques phrases insensées sur le fait de la ramener. C’était impossible mais mon cerveau n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’elle était morte.

Keller me proposa de voir le corps. Je déglutis. Je savais que je devais le voir. Rien que pour pouvoir la voir une dernière fois. Mais j’avais peur que ça ne fasse plus de mal que de bien que la dernière image que j’aurais d’elle soit son cadavre.

-Je… Je ne sais pas…

Je soupirai.

-Je pense que oui… Il faut que je la vois. Sinon, je vais le regretter.

Peut-être que je le regrettais aussi si je vais la voir mais… Moins que si je n’y vais pas. J’avais simplement peur de la retrouver dans un état horrible. Les accidents de voiture ce n’était pas beau à voir. Mais j’imaginais que si Keller me l’avait proposé c’était qu’il me croyait capable d’encaisser le choc.

Sans compter que l’épreuve la plus compliquée sera d’annoncer la nouvelle à Guillermo. Un enfant qui avait déjà vécu bien trop de choses. Des choses horribles dont la mort de, désormais, trois de ses parents. Il allait pensé que le sort s’acharnait sur lui aussi. Keller confirma que tout ça n’allait pas être facile et qu’on risquait d’être triste encore longtemps. Mais qu’il faudra avancer. J’hochai de la tête.

-Je sais… Rien que pour Yoric, il faudra avancer.

Il avait toute la vie devant lui et je ne voulais pas que sa vie soit vécue uniquement sous le prisme de la mort de sa mère. Du coup, je devais avancer pour lui. Mais ça n’allait pas être facile. Pour l’instant, l’épreuve semblait insurmontable.

J’allais aussi devoir l’annoncer à Ivar et Sigurd. Je savais que les deux allaient me soutenir mais je savais, aussi, qu’ils devraient vivre leur propre chagrin. Sauf que je savais aussi qu’ils pouvaient être ma force. Le groupe… La musique… C’est ce qui pouvait me faire avancer même si, inévitablement, ça allait me faire penser à Tiffany. Keller confirma qu’il ne fallait pas rester seul avec ce chagrin. Il parla d’activités à faire, notamment, avec les enfants.

-Pour l’instant, j’ai du mal à voir aussi loin que cet après-midi… Je… Il me faudra le temps.

Keller ajouta que Tiffany ne voudrait pas qu’on s’arrête de vivre. J’hochai de la tête.

-Je sais… Elle voudrait qu’on soit heureux même si… Elle n’aurait sans doute pas imaginé mourir aussi jeune.

Personne n’imaginait ça. A 24 ans, même alors que j’étais Los Diablos et que je pouvais me faire zigouiller à tout moment, je ne pensais pas que ça soit possible. Alors Tiffany encore moins.

Keller disait que la Terre s’était arrêté de tourner mais qu’elle finira par se remettre en mouvement. Je soupirai en hochant de la tête. Pour l’instant, j’avais du mal à imaginer ça.

Tout à l’heure, je devrais l’annoncer à Guillermo mais j’ignorais comment le faire. Je savais simplement que je n’allais pas devoir tourner autour du pot et le lui annoncer rapidement. Sinon, il allait se douter de quelque chose. Keller disait que le mieux était d’être sincère pour être à la hauteur de l’intelligence du petit. Il affirma en avoir un comme ça à la maison. Je savais qu’il parlait de Grant, le fils de Fleming.

-C’est ce qui arrive quand on a des gamins qui ont eu un début de vie pas commun… C’est le cas de Grant et Guillermo. Ils ont été obligé de grandir vite.

Tous les deux ont été orphelin très vite. Ça fait grandir. J’en sais quelque chose.

En ce qui concerne Yoric, Keller disait que je pourrais lui montrer des photos de sa mère pour garder ses souvenirs intact. Il parla aussi de l’album de The Warriors mais j’affirmai que Yoric était sourd. Keller ne le savait pas, bien sûr, alors je ne lui en voulais pas. Quand il s’excusa je lui fis signe que ce n’était rien d’un geste las.

Ce qui me tuait le plus c’est que Yoric devra grandir sans sa mère. Comme moi, en somme. C’était probablement l’une des pires chose qui pouvait arriver à un enfant. Keller déclara alors que ce n’était pas ma faute.

-Je sais… Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est comme une malédiction. Comme si les Quinn étaient destinés à ne pas avoir de mère pour les guider. C’est stupide mais c’est l’impression que ça me donne.

Je passai une main sur mon visage.

-Tout ce que je sais c’est que les prochains jours vont être un enfer. Le pire que j’ai vécu jusqu’ici.

Et j’en avais pourtant déjà vécu des choses horribles. Mais ça… Ça c’était pire que tout.

-Pourtant, je pensais en avoir vu de toutes les couleurs avec les Los Diablos… Mais on peut toujours trouver pire…

A ma question de savoir s’il voulait voir le corps de sa défunte épouse, Finan bafouilla d’abord qu’il ne savait pas. Ce n’était pas une décision facile à prendre. Il fallait, en gros, choisir entre pouvoir dire au revoir à la personne aimée au risque d’en garder le souvenir du cadavre… Ou éviter cet atroce image avec le regret de ne pas avoir vu la personne une dernière fois.

-D’accord… Tu as encore 24 heures pour prendre ta décision définitive à ce sujet. Rassure-toi, d’après ce qu’on sait, elle n’est pas… Heu…

Quel était le bon mot, pour ça… je n’en trouvai pas d’adéquat alors je dis simplement…

-C’est comme si elle dormait…

Je sortis une carte de ma poche que je donnai à Finan.

-Elle est à la morgue du Good Samaritan. Tu n’as qu’à les appeler quand tu seras prêt.

Les prochains jours, les prochains mois, peut-être même les prochaines années, allaient être dures. Très dures. Pour toute sa famille. Mais il faudrait malgré tout avancer, continuer à vivre. Finan en avait bien conscience.

-Ton jeune fils sera peut-être ta force. Mais je sais le genre d’homme que tu es aussi. Tu en as vu d’autres. Tu t’en sortiras.

Même si là tout de suite, il devait se dire que c’était impossible. D’ailleurs, il avoua ne pas voir plus loin que cet après-midi, au retour de Guillermo.

-Une chose à la fois. Un jour après l’autre.

Tiffany aurait certainement voulu qu’ils vivent heureux. Mais évidemment, comme le disait Finan, elle ne devait pas s’attendre à mourir si jeune.

-Personne ne peut imaginer une tragédie pareille.

Quant à l’annonce à Guillermo, je pensais bien que Finan, pour le coup, devait lui parler franchement, presque comme à un adulte, voire carrément comme à un adulte. J’avais Grant à la maison et je savais que Guillermo devait avoir une intelligence égale bien qu’un peu différente. Le deuil en tout cas, ils connaissaient. Evoquer Grant, me sembla-t-il me permis de me rapprocher un peu de Finan.

-A vous trois, vous allez vous en sortir. Ça te semble impossible maintenant, mais tu verras.

J’étais sûr qu’ils y arriveraient, j’avais confiance.

Ce qu’il regrettait particulièrement, c’était que son jeune fils Yoric n’ait pas de souvenir de sa mère. Qu’elle ne puisse pas lui apprendre à grandir et être là pour le guider. Finan pensait à une malédiction liée aux Quinn…

-Ce n’est pas stupide. Je connais ton parcours et je veux bien croire que tu te poses sérieusement la question.

Pour lui, cette épreuve était peut-être la pire de sa vie. Pire même que ce qu’il avait vécu avec les Los Diablos.

-Mais t’es un survivant, Finan. Tu en tireras toujours le meilleur. Ta musique, ton groupe, tes enfants. Tu n’es pas seul. Vous allez vivre cette souffrance ensemble. Et c’est ensemble que vous allez guérir, même si la mort de Tiffany laissera toujours une cicatrice indélébile.

Je lui souris, compatissant.

-Tu te sens qu’on s’en aille ? Qu’on te laisse seul ? Je pense que tu dois digérer. Mais si tu as besoin d’aide ou simplement de parler, n’oublie pas que le service d’aide aux victimes est là pour ça.

Je me levai, d’un même mouvement avec Conrad.

-Courage, Finan.

Keller m’avait proposé de voir le corps de Tiffany pour me faire à l’idée qu’elle n’était plus là. J’hésitais. D’un côté, je savais que je devais y aller et, d’un autre, je n’avais pas envie que la dernière image que j’avais de ma femme soit celle d’un cadavre. Keller disait que j’avais 24h pour de me décider. Il me rassura ensuite déclarant que c’était comme-ci Tiffany dormait.

-Sauf qu’elle est morte…

Et que ça allait se voir. J’ai déjà vu des cadavres… Je savais que ce n’était jamais beau à voir. Mais je devais le faire et je le savais. Alors quand Keller me dit qu’elle était à la morgue du Good Samaritan, j’hochai de la tête.

-D’accord… Je les appellerais.

Je savais que je devais avancer mais ça me paraissait compliqué. La seule chose pour laquelle je voulais avancer c’était les enfants. Dont Yoric qui allait avoir besoin de moi. Il n’avait, désormais, plus de mère… Je devais tout faire pour lui. Keller disait qu’il savait quel genre d’homme j’étais et me voyait m’en sortir. Je soupirai.

-Il le faudra…

Je n’avais pas le choix. Mais, pour l’instant, je n’arrivais plus du tout à me projeter dans l’avenir. Je ne voyais que cet après-midi quand je devrais annoncer la mort de Tiff à Guillermo. Keller me disait d’y aller un jour après l’autre…

Keller avait dit que Tiffany aurait voulu qu’on continue et qu’on vive heureux mais elle ne s’imaginait sans doute pas mourir si jeune. Personne n’imagine ça ! Keller confirma et je passai une main sur mon visage. Quand je pense qu’il y avait des gens horrible qui survivent à tout comme Ward Fleming alors que ma femme, Tiffany, si gentille, elle, avait le droit à une mort injuste et inattendue… Ce n’était pas normal… Pourtant, c’est ce qui arrivait.

Keller m’avait conseillé de parler franchement à Guillermo et de ne pas sous-estimer son intelligence. Il parlait en connaissance de cause parce qu’il élevait, lui-même, un gamin intelligent. Guillermo et Grant ne s’aimaient pas mais ils avaient, pourtant, pas mal de choses en commun.

Keller ajouta que, nous trois, on allait s’en sortir même si, pour l’instant, ça semblait impossible. Mais moi, je me croyais maudit. Je croyais toute ma lignée maudite. Mon fils, Yoric, tout comme moi, devra grandir sans mère. Keller ne minimisa pas ma pensée un peu superstitieuse. Il disait que c’était logique de croire à ça au vu de la situation.

-Je ne sais pas ce qu’on a mérité pour être maudit à ce point. Yoric n’a rien fait à personne. Il méritait d’avoir une mère pour le soutenir…

Maintenant, je devais affronter la pire épreuve de ma vie. Bien pire que tout ce que j’avais vu avant. Pourtant, j’en avais déjà vu des choses… Beaucoup de morts notamment dans les guerres de gangs. Mais aussi celle de mon père alors que je n’avais que 12 ans. Keller déclara que j’étais un survivant et que je n’étais pas seul. J’avais mon groupe, des amis, mes enfants… Je me rappelle que, quand mon père est mort, j’étais seul… Ici, ce n’était pas le cas.

-C’est vrai… Je ne suis pas seul. Mais ce n’est pas tant de ma tristesse que j’ai peur mais de celle des autres. Je déteste voir mes amis ou mes enfants tristes…

Même si, dans l’histoire, ça sera sûrement mon deuil et celui de Guillermo le plus dur. Je ne devais pas tant m’inquiéter du deuil de mes amis. Ils s’inquiéteront plus pour moi, très certainement.

Keller demanda s’il voulait qu’ils s’en aillent… Il disait que si je voulais parler, je pouvais contacter l’aide aux victimes. J’hochai de la tête.

-Oui… Vous pouvez y aller… Je… Je vais me préparer au retour de Guillermo… Yoric ne va pas tarder à se réveiller…

Ils se levèrent me souhaitant bon courage.

-Merci…

Je me levai pour les raccompagner à la porte avant de la refermer et de m’appuyer dessus toujours dévasté.

J’avais, maintenant, un long chemin à faire pour me remettre de ça et avancer.