On était vendredi et j’étais crevé et content que tout doucement, le week-end arrive. J’avais trois scène à tourner aujourd’hui, ce qui faisait que je serais sur le plateau de Spaceship toute la journée, peut-être même jusque tard dans la soirée.

Mais j’aimais tellement ça ! Et puis en plus, on avait pas encore entendu parler de Maxwell… Bon, quelque chose en moi espérait qu’il allait abandonner les poursuites et laisser pisser… mais Enora, qui nous avait passé un sacré savon dimanche dernier, le lendemain de la fête surprise organisée pour l’occasion, m’avait bien dit de ne pas nourrir trop d’espoirs, que c’était juste que ces choses-là prenaient du temps.

Le fait était que je n’avais pas l’habitude de ces choses-là. Je n’avais jamais été poursuivi en justice… je ne connaissais ce monde que par les anecdotes que Victor se vantait d’avoir vécues aux repas de famille. Et comme il adorait s’écouter parler, il monopolisait en générale la parole, dans ces cas-là.

Bref… J’étais là, assis sur mon siège, attendant que ce soit mon tour de jouer ma scène et en profitant pour relire mon script. J’avais une bonne mémoire et ça m’avait super bien servi en tant « qu’acteur » jusque-là… Oui, parce que les gens avaient beau me dire que je gérais, je ne me considérais pas encore comme un acteur…

Peut-être parce que j’avais plus l’âme d’un manager… Je ne savais pas trop. Mais j’avais toujours l’impression d’avoir une étiquette « guest » sur le front.

J’étais donc en train de relire quand un technicien m’interpella.

-Brent ?

Je me retournai sur ma chaise et souris au jeune homme.

-Oui ? Qu’est-ce qu’il y a… ?

J’étais très sympa avec tout le staff de Spaceship, depuis Shran et Enora jusqu’aux bénévoles qui nous préparaient à manger et aux personnes d’entretien qui nettoyaient le studio après notre passage.

-Un coup de fil pour toi. C’est ton frère.

Je me levai de ma chaise, y laissai le script et me dirigeai vers le poste téléphonique, dans un couloir adjacent au studio. J’étais, évidemment, habillé et maquillé en Datalore. Mais je passais tellement d’heures sous cette forme que je ne le sentais même plus. Datalore était devenue une partie intégrante de moi-même.

Ce que je ne savais pas, c’était que je n’allais pas tarder à envier l’androïde de ne rien ressentir. Je pris le combiné du téléphone et, innocent que j’étais, lançai un enthousiaste.

-Don ! Comment ça va ? Tout roule ?

Pour moi, mon frère me sonnait juste pour avoir des nouvelles ou pour me passer un message en rapport avec MTI… Heu… en fait, c’était bien ça, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il allait me dire.

-Salut, Brent… Non… Non, tout ne roule pas… Eleanor…

Je sentais que la gorge de mon frère était serrée… Qu’il était sur le point de pleurer.

-Quoi, Eleanor ?! Crache le morceau, merde !

Mon cœur battait plus fort. Là, maintenant, je sentais que c’était la merde. Je savais qu’il y avait un gros problème.

-Elle est morte, Brent… Elle a chuté d’une falaise à Malibu…

Un accident… Un accident qui avait coûté la vie à la gamine que j’avais aidé pendant les quatre premières années de sa vie à défaut que son père, le même gars que j’avais à l’autre bout du film, était trop honteux pour reconnaître à l’époque.

-C’est pas vrai. Je ne te crois pas. Si c’est une blague, ce n’est pas drôle.

Mais je savais que ce n’était pas une blague. Et c’était ma gorge qui était serrée, maintenant.

-Dès que tu sais, Brent… Viens me rejoindre chez moi… Je tiens à faire quelque chose pour ses funérailles…

Je sentis alors une bouffée de colère… Comme quelque chose qui était censé chasser la tristesse… Mais ça ne marchait pas.

-Ah ben oui ! Il est presque temps que tu fasses quelque chose pour elle !

Et je raccrochai violemment. C’était méchant, c’était injustifié, ce que je venais de dire. Je savais que Don avait fait son mea culpa, je savais qu’il voulait se rapprocher de sa fille illégitime et l’inclure dans sa famille… C’était tard, mais il essayait quand même et il ne méritait pas ce que je venais de lui lâcher.

Soudain conscient de mon maquillage, je n’osai pas frotter les larmes qui commencèrent à couler timidement sur mes joues. Je me dirigeai, comme par réflexe, vers le plateau pour reprendre ma place… Mais quand je croisai le dresseur du chat de Datalore, avec l’animal dans les bras, je lui demandai si je pouvais le prendre.

Et quand je me rassis à ma place, le chat dans mes bras, je me mis à pleurer vraiment. Parce que ce que personne ne savait hormis Shran, pas même mon frère, c’était que je n’avais pas seulement perdu une artiste… Mais une petite protégée, ma nièce.

-Coupez ! Recommencez encore une fois…

C’était la quatrième fois que je faisais recommencer cette scène… Il faut dire que ça faisait quatre fois qu’un de mes acteurs se gourait dans le texte. C’était quand même pas si compliqué d’apprendre un texte, hein ? Bah, apparemment, si ! Il faut dire que mes deux guests stars du jour était arrivé, ce matin, un peu comme des touristes et au lieu de prendre les pauses pour apprendre leur texte, comme le faisait Brento à cet instant par exemple, ils avaient préféré taper la causette !

Enora était à côté de moi et semblait s’ennuyer comme un rat mort. Il faut dire que la semaine avait été particulièrement crevante ! J’avais passé ma semaine à me demander quand allait arrivé cette citation à comparaitre et elle n’était, finalement, jamais arrivée… Mais m’est d’avis que ça n’allait quand même pas tardé. Ajoutons à ça le fait qu’Enora me tire la tronche depuis dimanche et que j’avais fait travailler tout le monde plus… Ça n’aidait pas au repos tout ça…

Bref… Les deux reprirent et… Se plantèrent encore… Je roulai des yeux. Ils me tapent sur les nerfs ! Si jamais mes antennes pouvaient bouger à cet instant, je vous jure qu’elles seraient plaquées en arrière. A jouer comme ça ils me donnaient mal au crâne !

-Coupez ! Vous m’emmerder sérieusement ! Allez apprendre votre foutu texte ! J’ai pas de temps à prendre moi !

Je fis un geste pour qu’ils sortent hors de ma vue ce qu’ils firent. Je vis bien que ça ne leur plaisaient pas mais je m’en foutais. Ils ne seraient pas les premiers, ni les derniers acteurs qui me détestent ! J’avais largement l’habitude !

Je me levai de mon siège et allait rejoindre les techniciens pour leur donner quelques indications sur ce que je voulais niveau lumière parce que le plateau était tellement illuminé que j’en avais mal au crâne. Enora, qui m’avait suivi, intervint.

-La lumière est parfaite, Shran… Elle est au même niveau que d’habitude. Fiche-leur la paix, tu veux ?

Je fis la moue mais, au lieu de contrattaquer, j’ignorais Enora et dit aux techniciens de faire ce que je disais. Elle roula des yeux avant de soupirer. Elle aurait été moins crevé, elle aurait insisté mais ce n’était pas le cas.

J’allais retourner à ma place quand, d’un coup, Enora m’arrêta d’un seul coup par le bras. Je fronçais les sourcils et me tournait vers elle. Mais quand je vis que ce n’était pas moi qu’elle regardait mais ailleurs, je levai un sourcil.

-Brent pleurs…

C’est ce qu’elle souffla alors que la visage d’Enora était à la fois surpris et inquiet. Je me tournai d’un coup vers l’endroit qu’elle regardait. Brent était assis, le chat de Datalore contre lui et il pleurait. Ça se voyait même d’ici.

Brent pleurait alors qu’il allait bien tout à l’heure… Je restais deux secondes là à regarder vers Brent alors que mon cœur s’était mis à battre plus vite.

-Donne à tout le monde une heure de pause. Il faut que j’aille le voir. Que personne ne nous dérange, d’accord ?

C’est ce que je dis à Enora qui hocha de la tête alors que, moi, je me dirigeai vers Brent. Mon cœur battait très vite parce que, pour faire pleurer Brent, il fallait déjà que quelque chose de grave soit arrivé. Mon meilleur ami ne pleurait que très rarement. Bien moins que moi et, pourtant, je ne pleurais pas si souvent que ça non plus. Donc, c’était mauvais signe. Très mauvais signe. Surtout que c’était soudain. Alors je ne voyais rien d’autre qu’une très grosses mauvaises nouvelles…

Sur la distance qui me séparait de Brento et de sa tristesse, j’eus le temps de me faire des films. Était-ils arrivé quelque chose à Don ? A Julian ? A Carrie ? C’était les premières qui me virent en tête. La famille la plus proche de Brent.

Quand j’arrivais près de lui, je pris place sur la chaise à ses côtés. Je me tournai entièrement vers lui. Ses larmes faisaient des sillons d’un doré plus foncé sur son maquillage de Datalore. Mais là, ce n’était pas Datalore, qui ne pouvais rien ressentir, que j’avais face à moi mais Brent…

-Brento… Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui est arrivé ?

J’avais un peu peur d’entendre la réponse mais je devais l’entendre pour pouvoir soutenir mon meilleur ami. Il en avait besoin et je n’allais pas le lâcher sur ce coup-là.

Le chat de Datalore contre moi comme seul réconfort pour le moment, je caressais l’animal, enfouissant mon menton dans sa fourrure. Il se laissait faire, il ne bougeait pas sauf pour se frotter contre moi. Je n’avais pas remarqué que je pleurais quand même pas mal fort et que je me balançais d’avant en arrière comme si je cherchais, encore à mon âge, le doux balancement réconfortant qui se produit quand une mère berce son bébé.

Je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer Eleanor glisser et tomber dans le vide, le long d’une falaise à pic. Sauf que dans mes « vision », Eleanor n’avait pas 27 ans, mais 4…

C’était la petite fille d’antan que j’avais perdue, car je n’avais pas encore eu le temps d’apprendre à connaître la jeune femme qu’elle était devenue. Sa musique m’avait donné des pistes sur qui elle était, quelqu’un de particulièrement doux… Peu sûre d’elle, certes, mais qui ne voulait que du bien à tout le monde. Quelque chose qu’elle tenait de sa mère, Lucy.

Et elle était partie de la plus violente des façons.

Bon, ok, c’était un accident mais ça ne rendait pas la chose moins tragique.

Le chat miaula…

-Je sais, Spot… Je sais…

Et les larmes continuaient de couler, les sanglots de me faire légèrement tressauter sur ma chaise.

Pourtant, il allait falloir que je me calme, que je lève mon cul de là et que j’aille jouer… Mais avec tout ça, je n’avais même pas suivi ce qu’il s’était passé sur le plateau. Je ne réalisais pas que vu le jeu des guests du jour, j’avais encore bien le temps de pleurer toutes les larmes de mon corps.

Je ne voyais plus que la chute de la gamine.

Et mon seul réconfort était la chaleur de la fourrure douce de Spot.

Je n’entendis même pas Shran râler sur la lumière derrière moi… Je n’entendis pas Enora répliquer que c’était bon comme ça.

Je ne me rendis compte, en fait, de la présence de mon ami que lorsqu’il se plaça à mes côté et se tourna vers moi.

Je levai alors mes yeux sillonnés d’un or plus jaune que l’or blanc du maquillage sur ma peau… Et mes yeux jaunes de Datalore se fixèrent sur ceux, verts, de T’Kor… C’était ce que j’aimais à penser. Mais je me rendis compte que je ne pouvais pas me cacher derrière mon personnage car ce qui arrivait était bien réel.

Je réussi à sortir un pauvre sourire… Comme si je devais toujours sourire parce que les gens aimaient mon sourire… Mais mes larmes me trahissaient.

Je tentai quand même un trait d’humour.

-C’est mes lentilles… ça pique, c’est horrible…

Mais ça ne servait strictement à rien de mentir à Shran. Alors je pris une grande inspiration pour déclarer quelque chose que je n’arrivais pas encore vraiment à réaliser.

-Eleanor a eu un accident… Elle est décédée…

Je voulus frotter mes yeux mais me ravisait… Comme un réflexe professionnel mal placé.

-Je suis désolé. Il ne faut pas ralentir pour moi…. On a des scènes à tourner et moi, je chiale comme une madeleine.

Les deux incompétents d’acteurs, Enora, les lumières, mon perpétuel mal de crâne… Tout ça n’eut plus grande importance quand Enora me fit remarquer que Brent était en train de pleurer. Comme ça… Subitement… Sur nos plus de 20 ans d’amitié, je n’avais que rarement vu Brento en venir aux larmes. La pire fois étant, probablement, quand il a appris la mort de son frère, Geordi. Preuve que quelque chose de grave venait d’arriver et qu’il venait d’être mis au courant.

Je déclarai une pause d’une heure qu’Enora ne constata absolument pas. Ça aussi c’était rare… Hormis à midi, je ne donnais jamais une heure de pause.

Je m’avançai vers Brento et vint m’asseoir à ses côtés. Je m’étais tourné vers lui et c’est là qu’il posa son regard sur moi. Le maquillage qu’il avait sur le visage était en train d’être ruiné par les larmes qui coulaient le long de ses joues. Il tenait Spot tout contre lui comme réconfort à sa douleur.

Parce qu’il souffrait. Je le voyais.

Je demandai ce qu’il s’était passé mais Brent tenta une pirouette en déclarant d’une voix remplie de sanglot que c’était ses lentilles qui lui piquaient les yeux. Il savait, tout autant que moi, qu’il ne pourrait pas s’en sortir avec ça.

-Brent…

Je soufflai ça d’un ton compassant pour le pousser à se dévoiler un peu. Il savait qu’il pouvait tout me dire. Je n’avais même pas besoin de lui préciser.

Et il finit par se dévoiler. Il m’annonça alors qu’Eleanor Harris, sa petite protégée, est morte. J’entrouvris la bouche choqué par ce que je venais d’entendre. J’étais une des rares personnes à savoir que Brent avait, lors des premières années de vies d’Eleanor, soutenu autant la gamine que sa mère… Ce n’est que récemment qu’ils avaient renoués alors que Brent avait fait signé la jeune femme.

-Non…

Je soufflai ça n’arrivant pas à y croire. Eleanor était jeune. La vingtaine… Mourir si jeune était toujours dramatique mais je savais à quel point tout ça touchait Brento de près. Il l’avait plus connu enfant qu’adulte. Le choc devait être rude.

Je ne sus, sur le coup, rien dire d’autre. Mais quand Brento s’excusa de ralentir le tournage parce qu’il pleurait, je secouai la tête.

-Oublie ce foutu tournage, Brent… Tu as le droit de chialer. C’était ta nièce et ta protégée…

Ma gorge était légèrement noué mais je n’étais pas celui qui devait chialer. Je ne connaissais pas Eleanor. J ne l’avais même jamais vu. C’est surtout le choc et voir Brento dans cet état qui me nouait la gorge.

Je fis signe à Enora de mettre fin au tournage pour aujourd’hui. L’avantage avec Enora c’est que, pour certaine chose, on avait pas besoin de se parler pour communiquer. Brento ne pouvait, de toute façon, pas tourner dans ces conditions et moi, je ne pouvais pas le laisser dans cet état-là.

Mon meilleur ami passait bien avant mon tournage.

-Le tournage est terminé pour aujourd’hui… De toute façon, les deux autres n’arrivaient à rien…

Je regardais toujours Brent cherchant un rien mes mots. Je finis par les trouver.

-Je sais ce qu’elle représentait pour toi… Je… Je suis désolé. Je ne la connaissais pas mais ça avait l’air d’être quelqu’un de bien.

Je ne savais que ce que Brent m’en avait dit. Et quand je pensais à Eleanor, je m’imaginais une  petite fille de quatre ans ce qui rendait la chose pire. Je ne l’avais jamais vu à quatre ans mais je l’avais mainte fois imaginé avec les descriptions de Brent. Et ça même si j’avais vu des photos d’elle adulte dans des magazines après la sortie du premier album de Nelligan, récemment.

-Qu’est-ce qui est arrivé ? Qui t’as prévenu ?

Shran était venu me trouver. Moi qui avais voulu être discret, cachant mes larmes derrière la fourrure touffue de Spot, c’était raté. Mes sanglots étaient probablement trop fort, mon maquillage trop voyant, transformant les sillons de mes larmes en coulées d’or.

Mon meilleur ami voulait évidemment savoir ce qui m’arrivait parce que pleurer n’était vraiment pas dans mes habitudes. Je savais encaisser beaucoup avant de verser une larme. Mais là…

Là, c’était vraiment horrible…

Mais je ne voulais pas que ma tristesse ralentisse quoi que ce soit. Que mes états d’âme nous empêchent d’avancer. Alors, quand Shran me demanda ce qu’il y avait, je tentai une vaine pirouette en disant que c’était à cause de mes lentilles que mes larmes coulaient.

Comme si Shran était bête à ce point-là… En plus, je n’avais jamais eu de problème avec mes lentilles. De toute façon, ça se voyait que je chialais et que ce n’était pas une réaction allergique. On ne tressaute pas comme un vieux disque quand on a une réaction allergique ou quand on découpe des oignons.

Comme Shran n’était pas dupe, je lui dis, tout haut, qu’Eleanor était morte. Comme une part de moi-même ne réalisait pas encore vraiment que je ne la verrais plus jamais, c’était étrangement facile de le dire. Même si je pleurais. C’était une sensation vraiment bizarre.

Mon ami sembla ne pas en croire ses oreilles… Repartant dans un sanglot et dans les poils de Spot, j’articulai :

-Si…

Si, c’était vrai… Tout ça était vrai. Ça faisait tout doucement son petit bonhomme de chemin dans mon cerveau.

Mais je ne voulais pas ralentir le tournage. On avait beaucoup à faire aujourd’hui. Et je savais que Shran détestait être ralenti, quelle que soit la raison. Mais c’était sous-estimer largement son amitié. Alors quand il me dit d’oublier le tournage, j’eus un peu honte d’avoir pensé qu’il ferait passer ça avant moi. Il me dit même d’oublier le tournage.

Je pris une grande inspiration, caressant le chat, avant de soupirer.

-J’aurais voulu la connaître… apprendre à la connaître. Sa mère doit être dévastée.

Si moi je l’étais, alors je n’osais imaginer ce que c’était pour celle qui lui avait donné la vie. Même Don voulait, en payant les funérailles, faire la seule chose qu’il pouvait encore faire pour se rapprocher d’elle. C’était un peu tard, mais je savais, dans le fond, qu’il le faisait sans malice.

Shran fit alors un signe à Enora et je la vis hocher la tête avant de s’en aller. Moi aussi, je connaissais leur langage. Je savais que le tournage était fini pour aujourd’hui avant même qu’il ne me le dise. Je me forçai à pouffer un peu de rire… J’étais comme ça. Même dans les pires des moments, j’essayais de plaisanter, de paraître joyeux ou tout du moins, moins effondré que je n’en avais l’air.

-Qu’est-ce qui t’a pris d’inviter ces deux-là… ?

Mais Shran me ramena à la dure réalité. Et il avait raison de le faire. Cacher ma tristesse et mon incompréhension derrière mon éternel sourire n’allait pas m’aider à assimiler ça et à faire mon deuil correctement.

Il me donna donc, ses condoléances à sa façon.

-C’était une jeune femme très sympathique, qui pouvait vous faire tourner la soupe populaire de Saint-John comme si c’était naturel. Mais en dehors de ça, elle était peu sûre d’elle… Elle avait besoin d’être protégée et j’ai cru… j’ai cru que sa signature…

Je repartis en sanglots. J’avais voulu dire que sa signature avec moi m’aurait justement permis de la protéger, de lui apprendre à croire en ce qu’elle faisait et en ses projets. Mais c’était encore trop dur à dire.

Shran voulut savoir comment Eleanor, qui n’avait que 27 ans, avait pu passer l’arme à gauche, comme ça, sans prévenir…

-Elle a chuté d’une falaise à Malibu… Je n’en sais pas plus parce que… parce que c’est… Don vient de téléphoner pour me le dire et je n’ai rien trouvé de mieux à faire que de le rabrouer parce qu’il veut payer les funérailles et que je lui ai raccroché au nez en lui disant qu’il était presque temps qu’il fasse quelque chose pour elle…

Je soupirai, essayant de calmer mes sanglots pour parler plus facilement.

-J’ai fait le connard, en gros… Ce que je lui ai dit n’était pas juste.

Spot miaula et j’embrassai sa petite tête rousse.

La nouvelle que venait de me rapporter Brent était aussi choquante qu’inattendue. La jeune Eleanor Harris était morte. Sur le coup, je n’y croyais pas mais mon ami, dévasté, confirma l’horrible nouvelle tout en sanglotant comme je ne l’avais plus vu sangloter depuis longtemps.

Malgré ce qu’il venait d’apprendre et l’état dans lequel il était, Brent ne voulait pas ralentir le tournage. Pour moi, à cet instant, le tournage venait de passer complètement au second plan. Brento avait besoin de souffler, d’encaisser la nouvelle. Il n’était pas, du tout en état, de jouer un androïde… Il n’est en état pour rien, d’ailleurs.

Il affirma qu’il aurait voulu mieux connaitre Eleanor et que la mère de la jeune femme devait être dévastée. Aucun parent ne devrait avoir à enterrer son enfant. C’était, probablement, la pire des douleurs. Alors, oui, la mère d’Eleanor, dont Brent m’avait déjà plusieurs fois parlé, devait être dévastée.

-Ouais… Je n’ose même pas imaginé ce qu’elle ressent…

Je ne le saurais jamais. Je n’avais pas d’enfants. Mais je savais ce que c’était de perdre quelqu’un de cher. Je pouvais, donc, entrevoir ce qu’elle pouvait ressentir.

Et j’avais une boule dans la gorge de voir mon meilleur ami dans cet état. Brento était toujours souriant… Il en fallait beaucoup pour le mettre dans un tel état. C’est, donc, sans hésiter que je mis fin au tournage pour aujourd’hui en faisant un signe à Enora qui approuva et commença à faire passer la nouvelle pour que tout le monde rentre chez lui. Je déclarai à Brent que, de toute façon, mes deux guests star n’arrivaient strictement à rien.

Il pouffa de rire. Du moins, il se força à rire en me demandant ce qui m’avait pris d’inviter ces deux-là. J’affichai un très maigre sourire devant la tentative de Brent de paraitre joyeux.

-Erreur de casting… Ça m’arrive de plus en plus souvent. A croire qu’avec le temps, je deviens moins intransigeant.

Je devrais me ressaisir à ce niveau-là mais, pour l’instant, tout ça n’avait strictement aucune importance. Je comptais sur Enora pour dire aux deux autres de bien réviser leur texte pour la prochaine journée de tournage. Sinon, ils seront viré et tant pis pour le retard occasionnés.

Mais pour le moment, c’est sur Brent que je me centrai lui, disant, à ma façon que je compatissais. Je savais qu’Eleanor avait une place spéciale pour lui. C’était sa nièce dont il s’était occupée lorsqu’elle était enfant… J’avais aussi une nièce et je n’osais pas imaginé ce que je ressentirais s’il lui arrivait quelque chose et ça malgré que les choses n’étaient pas toujours simple entre Tarah et moi. Brent affirma qu’Eleanor était une jeune femme sympathique qui avait à cœur d’aider les plus démunis. Une jeune femme remplie de doute qui avait besoin d’être protégée. Un rôle que Brento aurait fait à la perfection. Et je savais que ce qu’il voulait dire c’est que cette signature aurait pu lui permettre de protéger Eleanor. Je déglutis ravalant la boule que j’avais dans la gorge. Dans ce moment-là, je devais être celui qui garde la tête froide.

-J’aurais voulu la rencontrer. Je suis sûr que tu l’aurais protégé comme il se doit. Tu l’as toujours fait et je suis sûr qu’elle le savait.

Je frottai le dos de mon ami qui était reparti dans des sanglots. Ce n’était pas facile de trouver les mots dans des moments pareils.

Je ne pus m’empêcher de demander comment ce drame était arrivé. On ne meurt pas à 27 ans paisiblement dans son sommeil… Ou très rarement en tout cas. Et quand j’appris que la gamine était tombée d’une falaise, je ne pus m’empêcher de secouer légèrement la tête. Elle avait glissé ? On l’avait poussé ? Elle s’est suicidée ? J’avais plein de questions mais Brent n’en savait rien car il avait raccroché au nez de Don qui avait affirmé vouloir payer les funérailles. Brent avait été là pour Eleanor alors que la jeune fille était encore enfant. Don, lui, avait décidé de ne rien faire avant aujourd’hui. Trop tard… Je comprenais la colère de Brent qui disait avoir réagit comme un connard.

-Tu n’as pas fait le connard… Tu as réagi sur le coup de l’émotion. Ton frère le sait. Il sait que tu ne le penses pas vraiment. T’es pas comme ça.

Je soupirai alors que Spot miaulait. Brento tenait le chat comme une bouée de sauvetage.

-Don culpabilise… C’est pour ça qu’il veut payer les funérailles. Il pensait sûrement avoir le temps de renouer avec sa fille. Mais ça n’a pas été le cas.

Car, d’après ce que je savais de Brent, c’est ce qu’il voulait faire. Il voulait se rapprocher d’elle. Rattraper le temps perdu. Même s’il savait que ça n’effacerait pas qu’il n’ait pas été là quand Eleanor en avait le plus besoin : durant son enfance.

Je frottai toujours le dos de mon ami.

-Je ne sais pas ce qui a conduit Eleanor à sa mort. Mais je savais que tu lui as apporté beaucoup. Que ça soit durant son enfance que maintenant. Tu as fais ce que ton frère n’a pas eu le courage de faire. Sa mort est tragique mais… Je suis là, ok ?

J’étais toujours là. Et je serais toujours là pour lui.

Eleanor était morte. Elle était morte et je ne la reverrai plus. Il fallait que je me fasse à l’idée… Je ne réalisais même pas ce que ça impliquait pour Nelligan… Parce que je réagissais, à l’instant, comme un oncle et pas comme un manager. C’était un peu oublier ce pauvre Shane, mais il fallait d’abord que je gère mon propre deuil avant de pouvoir aider les autres avec le leur… Un peu comme dans les avions, quand on vous explique qu’en cas de dépressurisation de la cabine, il faut d’abord veiller à mettre son propre masque à oxygène avant d’aider les autres à mettre le leur.

C’était pourtant à une autre personne que je pensais : Lucy, la mère d’Eleanor.

Shran et moi, on était d’accord pour dire qu’on n’osait pas imaginer ce qu’elle devait ressentir à l’instant.

Je secouai la tête.

-Il faudra que j’aille la voir… J’ai été là au début… Il me semble logique d’être là pour elle à la fin aussi.

Shran et Enora renvoyèrent silencieusement tout le monde et le studio commença à se vider. Certains passaient à côté de nous avec des regards interrogateurs. Car, effectivement, il n’y avait rien de normal à ce que ces deux-là donne subitement une journée de congé à tout le monde.

Mais personne ne posa la question. Les larmes, ça faisait fuir les gens.

Je tentai de retrouver le sourire en demandant à mon ami ce qui lui avait pris d’engager les deux guests du jour… Mais c’était un piètre essai, vu le maigre sourire de Shran. Je devais vraiment avoir une sale tête. Shran répondit qu’il avait l’impression d’être moins intransigeant.

-Ou alors, ils pensent qu’une fois le casting passé, ils peuvent de relâcher. C’est mal te connaître.

Mon chagrin et mes larmes revinrent au galop quand j’essayai de décrire au mieux à mon ami, qui n’avait même pas eu l’occasion de la rencontrer, qui était Eleanor. Shran était sûr que je l’aurais protégée correctement, et qu’elle le savait. Mais quelque chose me retournais l’estomac. Une angoisse que je ne réussis pas à exprimer avant que Shran ne me pose des questions sur les circonstances de la mort de la jeune femme.

Je lui dis donc qu’elle avait chuté d’une falaise à Malibu… Et que j’avais réagi comme un con au téléphone en rabrouant mon frère. Shran essaya de me rassurer en disant que je n’étais pas un connard, que c’était l’émotion… Et en justifiant ensuite pourquoi Don voulait payer les funérailles.

-Oui… Oui, je sais qu’il veut bien faire. S’ils avaient eu un peu plus de temps, qui sait ? J’aurais bien voulu qu’ils se rapprochent, mais Eleanor m’avait demandé de ne pas l’y pousser. De la laisser aller à son rythme.

Shran frottai maintenant mon dos, comme quand on aide un enfant à faire sortir ses sanglots. Ça me faisait du bien parce que je ne l’avais pas senti, mais je m’étais crispé en apprenant la nouvelle et j’avais mal aux côtes maintenant. J’avais la tête lourde aussi et me lever de ma chaise me semblait demander un effort surhumain.

Je croisai le regard de Shran quand il affirma qu’il était là, après quelques autres beaux compliments.

-Oui… je sais… Merci…

Puis mon regard bleu perça soudain son regard vert.

-Tu crois que c’est une chute accidentelle ? Don m’a dit au téléphone que c’était un accident.

Et mon estomac se tordit à nouveau d’angoisse.

-Et si elle s’était suicidée ? Si je n’avais pas vu qu’elle était en détresse ?

Maintenant c’était moi qui culpabilisais… Et mon cœur était en train d’accélérer la cadence à cette idée.

Enora, qui avait mis gentiment tout le monde dehors, nous rejoignis et elle posa sa main fraîche sur ma nuque brûlante…

-Merci, Enora… Merci à vous deux.

Je n’arrivais pas vraiment à imaginer ce que, à cet instant, la mère d’Eleanor devait ressentir. Je voyais dans quel état la mort de la jeune femme mettait Brent… Alors sa mère ? Elle doit vivre une véritable cauchemar… Perdre ainsi son enfant unique… Ça devait être la pire douleur qui soit.

Brent disait qu’il devra aller la voir. C’était logique, pour lui, d’être là auprès de Lucy à cet instant précis. J’hochai de la tête.

-Ouais… J’imagine qu’elle aura besoin de beaucoup de soutien. Savoir que tu es à ses côtés, ça l’aidera, j’en suis sûr.

Même si ça allait être une épreuve difficile que de voir une mère dévastée par le chagrin. Surtout que Brent appréciait énormément Lucy au point où, à l’époque, j’étais prêt à parier qu’ils allaient finir ensemble. Mais ça n’avait pas été le cas. Le fait est que Brent ne tombe pas aussi facilement amoureux que moi… Quoi que parfois, je me demande si je ne confonds pas amour véritable et coup de foudre passager… Je devrais chaque fois me poser cette question avant de passer la bague au doigt à quelqu’un…

J’avais décidé de terminer le tournage pour aujourd’hui. Je ne pouvais pas faire bosser Brent dans ses conditions et je ne pouvais pas le laisser rentrer chez lui tout seul dans cet état. Je préférais largement prendre du retard plutôt que de le laisser tomber dans un des moments difficiles de sa vie. J’étais un acharné du travail mais je savais aussi qu’il y avait des choses plus importante que ça. Et Brent faisait partie des choses les plus importantes pour moi.

Il tenta un trait d’humour. Il cherchait, je le sais, à cacher sa tristesse mais elle débordait de partout à travers ses larmes. Je déclarai, concernant mes deux guests stars du jour, que je me ramollissais avec le temps ce qui me faisait faire des erreurs de casting. Brento, lui, pensait bien que ces deux-là avaient tout donné au casting avant de se relâcher… Je soupirai.

-Peut-être… En tout cas, s’ils ne connaissent pas leur texte demain, je me ferais un plaisir de les virer…

Mais les sanglots de Brent étaient revenus au galop alors qu’il me décrivit qui était Eleanor. Une jeune femme qui avait à cœur d’aider les autres mais qui était, pourtant, si peu sûre d’elle. Je déclarai que j’aurais bien voulu la rencontrée… Elle était morte avant que je n’ai eu cette occasion. Un mort injuste dont Brent ne savait les origines. Accident ? Suicide ? Meurtre ? Il n’avait pas demandé à son frère préférant lui raccrocher au nez en lui faisant quelques reproches. Un geste qu’il regrettait déjà mais qui était compréhensible. Même s’il était clair que, en payant les funérailles d’Eleanor, Don cherchait juste à pouvoir faire quelque chose pour sa fille… Quelque chose qu’il aurait dû faire il y a bien longtemps, peut-être… Mais je pouvais comprendre le frère de Brent.

Mon meilleur ami confirma qu’il savait que son frère voulait bien faire et que, peut-être, avec le temps, Don se serait rapproché d’Eleanor… Ou l’inverse, plutôt, car c’était la jeune femme qui avait voulu y aller à petits pas.

-C’était ce qu’elle voulait… La pousser ne l’aurait pas rendue heureuse…

Et Brent avait respecté la volonté d’Eleanor. Il aurait pu la pousser mais il ne l’avait pas fait. Il avait bien fait, selon moi.

Je frottai le dos de Brent tout en lui disant que j’étais là. Ce n’était pas le premier deuil qu’on gérait l’un pour l’autre. Je l’avais aider quand Geordi est mort… Il m’avait aidé quand mon père à passé l’arme à gauche. C’était à nouveau à mon tour. Il me remercia et j’hochai de la tête.

Puis vint une question qui m’arracha un léger frisson d’effroi. Il se demanda si la chute était accidentelle. Don, visiblement, lui avait dit que c’était le cas mais il ne pouvait s’empêcher de penser qu’Eleanor s’était suicidée et qu’il n’avait pas vu sa détresse. Je le regardais droit dans les yeux cherchant mes mots avant de lancer :

-Don a dit que c’était un accident. Je pense qu’il n’aurait pas dit ça si c’était un suicide. Je ne connaissais pas Eleanor, Brent… Mais si jamais elle s’est suicidée, ça n’est pas de ta faute. Ces choses-là ne sont pas toujours visibles. Certaines personnes sont douées pour cacher qu’elles souffrent.

Je ne faisais pas partie de ces gens. Quand je souffrais, ça se voyait et pas qu’un peu. Mais certaines personnes souffrent en silence et même les plus proches de leurs proches n’y voient que du feu. Et je ne voulais pas que Brent culpabilise pour ça.

Enora arriva à ce moment là calant sa main dans la nuque de Brent. Ce dernier nous remercia tous les deux mais je savais qu’Enora ignorait encore ce qu’il s’était passé. Pour éviter à Brent de devoir encore une fois expliquer les choses, je levai la tête vers Enora.

-Eleanor Harris est décédée… Elle est tombé d’une falaise à Malibu.

Enora mis sa main libre devant sa bouche signe de son choc. Elle se reprit alors caressant la nuque de Brent.

-Je suis vraiment désolée, Brent… C’est vraiment horrible… Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là, d’accord ?

Venant d’Enora ce n’était pas des paroles en l’air. Je le savais d’expérience. Pourtant, Dieu sait qu’avec ce que je lui faisais voir parfois, elle aurait, depuis longtemps, pu laisser tomber tout ce qui avait un rapport avec moi.

Je fixai Brent.

-Tu veux qu’on retourne chez moi, tous les deux ? Tu n’as qu’à rester chez moi jusqu’à demain le temps de digérer tout ça…

Il pouvait même rester la semaine s’il voulait.

Plutôt que de pleurer, même si je n’arrivais à faire que ça pour l’instant, je pensais déjà à ce que je pourrais faire pour les autres et notamment la mère d’Eleanor, Lucy. Je savais  qu’elle n’accepterait pas que Don l’approche, à raison, probablement. Mais moi, si je pouvais être à ses côtés, peut-être que ça aiderait. En tout cas, Shran était d’accord avec l’idée.

-On pourra chialer ensemble… Peut-être que ça fera du bien.

Parce que s’il y avait quelque chose que je savais, c’était que dans ces cas-là, c’était inutile de jouer les durs. La tristesse, il fallait que ça sorte, sous quelque forme que ce soit. C’était le premier pas vers la guérison. Je l’avais déjà vécu avec la mort de Geordi.

Malgré tout, j’essayais de plaisanter, sans vraiment trop y croire… C’était plus pour montrer à Shran que mon état actuel n’était que passager. Ça allait aller, il ne me fallait qu’un peu de temps pour encaisser, assimiler et puis passer à autre chose.

Shran se voyait déjà virer les deux guests s’ils ne connaissaient pas leurs textes dès demain. Je hochai la tête...

…Puis me remis à pleurer. Non seulement pour Eleanor, mais aussi parce que je regrettais déjà ce que je venais de dire à mon frère, très méchamment, au téléphone. Je n’étais pas un méchant. Enfin, du moins, j’aimais le penser. Alors quand je dépassais cette limite, je m’en voulais toujours à mort, même si il y avait toujours une raison derrière. Il n’y avait aucune raison bonne assez pour faire preuve de méchanceté.

Du coup, ça nous amena à parler de la relation entre Eleanor et Don. Elle m’avait demandé de ne rien faire pour les rapprocher, de la laisser aller à son rythme et c’était ce que j’avais fait. Shran disait que la pousser ne l’aurait pas rendue heureuse.

-C’est vrai… Mais si j’avais su qu’elle allait mourir…

J’aurais fait quoi ? Hein ? T’aurais fait quoi, Brent ?

Je soupirai.

-Mais avec des « si »…

On pouvait mettre Paris en bouteille. Non, il ne fallait pas que je pense aux « si », il ne ferait qu’ouvrir la porte à tous les regrets que je pouvais avoir. Et c’était inutile.

Me vint alors l’horrible angoisse à l’idée que ce ne soit pas un accident mais un suicide. Auquel cas, j’aurais dû voir ! J’aurais dû voir que ça n’allait pas ! Mais Shran me rassura. Rien ne laissait penser que ce soit ça. Et même si ça l’était, les gens qui…

-Je sais… les gens qui veulent vraiment se suicider cachent bien leur jeu… Je ne pense pas qu’Eleanor souffrait…

Je l’aurais senti, sinon, non ?

On ne le saurait jamais.

Enora arriva et posa sa main sur ma nuque. Shran la mit brièvement au courant des événements. Et elle, comme Shran un peu plus tôt, m’assura être là pour cette mauvaise passe. Je lui souris, un sourire triste…

-Merci…

Spot, qui devait avoir senti que son soutien n’était plus nécessaire maintenant que j’avais deux béquilles pour me relever, sauta de mes genoux et s’étira avec l’allégresse détachée dont seuls les chats pouvaient faire preuve.

Shran me proposa d’aller chez lui… Je le regardai et souris plus grand à travers mes larmes.

-Ok… Ok oui, je veux bien venir chez toi… Mais avant, on va aller à la boucherie se chercher des kilos de viande… Et on va se faire un barbecue dans ton jardin, ok ?

Fallait que je me change les idées, que je voie que la vie ne s’arrêtait pas avec la mort d’Eleanor. Alors… Rien de tel que de s’amuser, malgré tout.