Cela faisait bien longtemps que Frances n’était pas venue dans le salon de la villa avec une lettre qu’elle n’avait osé ouvrir.
Ce fait même avait suffi à accélérer les battements de mon cœur, même si je n’en avais rien laissé paraître à ma secrétaire qui disparut bien vite dans son bureau.
Il y avait encore quelques mois de cela, aucun symptôme physique ne serait venu troubler le calme qui me caractérisait alors que j’étais seul, ce soir, dans le salon, un livre ouvert sur les genoux.
Mais les choses avaient bien changé, en quelques mois, pas vrai, Jimmy ?
J’ouvris la lettre et commençait à la lire, tout en récapitulant.
Tu restes toujours présent dans ma vie…Il y avait eu mon mensonge.
Une erreur que j’ai commise et t’as fait permis de me jeter hors de ta vie. « Fait permis » ? Ecrit sur un coup de tête sans relecture… Tu ne sais pas toi-même, Maritza… Tu ne sais pas et les mots s’entremêlent. Parce que tu n’as aucune idée de ce qui t’es arrivé ce jour-là. Tu as accepté la culpabilité dont je t’ai assaillie ce jour-là.
Tu crois toujours le mensonge.
Il y avait eu les pleurs, les cris…
Je t’implore. Je te supplie.Puis il y avait eu les photos… Puis Stone…
Protèges-laIl y avait eu cet échange de regard…
Regarde-la dans les yeux. Tu t’y reconnaîtras.Je me levai posant le livre dans le fauteuil que j’occupais, non sans regarder que la porte du bureau de Frances était bien fermée… Je me dirigeai vers la bibliothèque et en sortis un livre, pas bien épais… Une édition bon marché et abîmée de
Romeo y Julieta traduit en espagnole que j’avais achetée à un vieux latino de l’Eastside pour quelques dollars dans un vide-grenier… Un livre que j’avais lu lentement, soir après soir, au lit, avec un accent à couper au couteau qui faisait rire Maritza… Jamais plus de quelques pages à la fois car ça se terminait toujours de la même façon…
Je l’ouvris et en caressai la dernière page, étrangement épaisse…
Je revins vers mon fauteuil et m’y installai, repris le coupe-papier en argent dont je venais de me servir pour ouvrir la lettre de Maritza et décollai deux pages soigneusement collées ensemble depuis 1965.
J’en sortis une photo, la seule et unique photo de ce genre et dont Maritza elle-même n’avait pas connaissance. Je ne l’avais jamais laissée prendre une photo de nous ensemble, me contentant de la prendre, elle, en photo (j’en avais d’ailleurs collé plein son frigo), prétextant être suffisamment la proie des objectifs.
Puis, il y avait eu ce paparazzi que j’avais capté du coin de l’œil lors d’une balade dans l’Eastside alors que j’étais avec Maritza. Elle ne l’avait pas vu… Et je ne lui avais pas dit.
Mais j’avais racheté le cliché à prix d’or et l’avais caché ici.
Je pris la photo et la regardai longuement, les oreilles tendues vers le moindre signe d’un retour de Frances dans la pièce.
Puis je m’étais levé, avait pris un stylo et avait griffonné sur le cliché.
Cliché que j’avais glissé dans une enveloppe.
Enveloppe que j’avais postée moi-même, annonçant à Frances que j’allais faire un tour en voiture.
Et que je n’en avais pas pour longtemps.