1978. Ca faisait maintenant un petit moment qu’on avait signé ce foutu contrat avec MTI. Et qui disait contrat disait revenu… MTI nous payait et on continuait à faire comme on faisait avant : la tournée des bars et clubs de L.A. Les gens ici commençaient à nous connaitre. Rapidement, The Lightening se faisait un nom.

Personnellement rien n’avait vraiment changé. Malgré l’argent, aucun de nous n’avions vraiment pensé à emménager dans un baraque, chacun de notre côté. Non, on était resté dans ce minable entrepôt qui nous servait de baraque et de studio tout à la fois. L’argent était venu si vite et en si grande quantité. Cash le déboursait en alcool et en drogue. Il avait tellement besoin de sa dose de cocaïne… Quant à moi, j’utilisais mon argent pour acheter des trucs grandioses pour mes amis. J’avais acheté un serpent à Cash, j’achetais de l’alcool à tous les gens que je côtoyais (dont le nombre avait énormément augmenté à mesure que notre notoriété se faisait grandissante). Mais encore jamais l’idée d’une baraque m’était venue à l’esprit. Pourquoi ? Parce que je ne me rendais pas encore compte que l’argent que j’avais sur mon compte pourrait me servir à être investit à non à être dépensé…

Et puis l’argent n’avait pas changé grand-chose… Ah si, on avait maintenant plus de contrainte, MTI nous avais donné carte blanche pour notre premier album mais Lenny venait de temps en temps s’assurer que les choses avançaient. Et je lui disais à chaque fois : « A mon rythme… Ça avance à mon rythme… » Lenny s’en allait alors tout souriant, persuadé que « à mon rythme » signifiait « aussi vite que Lighter court sur scène ». Pauvre Lenny…

En fait, ça avançais sporadiquement. Je passais mes journées à dormir, faire un petit concert le soir et puis je faisais la fête jusqu’au matin. Comme on faisait avant en somme. D’ailleurs, aujourd’hui ne dérogeait pas à cette règle. Après notre concert, c’était porte ouverte à notre entrepôt. Tous les gens les plus infréquentables que L.A. s’entassaient dans notre vaste mais vétuste entrepôt. Il y avait des amis proches et moins proches, des membres d’autres groupes qui cherchaient à percer, des groupies de toutes sortes et aussi des gens que je ne connaissais même pas de vue.

On pouvait dire qu’il y avait de l’ambiance. Musique à fond, alcool, cris, rires, conversations, une grosse orgie aurait dit quelques mauvaises langues… En fait ils n’avaient pas vraiment tort… C’était une grosse orgie. Certains se saoulaient, certains baisaient, d’autres faisaient les deux. Je traversais l’entrepôt touchant quelques mots avec l’un ou l’autre. Mais rapidement, les conversations me lassaient. Je pris, au vol, un verre de vodka et allait m’installer dans un divan qui trainait là. De loin, je pouvais voir Cash accompagner de deux très jolies jeunes filles. L’air innocent de mon guitariste avait l’art de les attirés toutes.

Je soupirais et m’étendis dans le divan, buvant de temps à autre ma vodka. Pas que je n’aimais pas les fêtes, hein. Il n’y avait juste rien d’intéressant à faire. Beaucoup étaient bourré et beaucoup étaient déjà occupé avec l’un ou l’autre fille.

Je passai une main dans mes cheveux avant de regarder tous ces fêtards. Un petit groupe de jeunes filles discutaient et je pouvais entendre leur rire jusqu’ici. Je ne les lâchais pas du regard mais je ne pensais pas vraiment non plus. Surement des groupies… Ou alors des filles qui avaient profité du moment pour venir s’incruster…

Il arrivait souvent à Juliet de s'ennuyer à Los Angeles. Dans ces moments-là, elle s'occupait du mieux qu'elle pouvait, faisait du shopping, mais rien à faire, elle se morfondait de plus en plus. En dehors de tout ce qui concernait la musique, il n'y avait pas grand-chose à faire à L.A. Et puis, elle n'était pas vue d'un très bon œil, depuis son arrivée ici, et le fantôme de sa sœur, morte pendant le voyage, continuait de la hanter en rêve, la nuit. La jeune femme faisait ce qu'elle pouvait pour se remonter le moral, mais elle ne savait plus trop ce qu'elle était venue faire ici.

Elle avait appris, depuis un mois, comment s'y prendre à L.A. Elle avait appris de ses propres erreurs, construit un cercle d'amies autour d'elle, et tenté de grimper les échelons, mais elle ne comprenait pas encore toutes les subtilités du monde du rock. Ça commençait à venir, c'était déjà ça. Elle avait également compris qu'il valait mieux se présenter aux concerts de groupes qui montaient en notoriété, ça facilitait certaines choses.

Et Juliet avait suivi ces conseils. The Lightening, qui commençait à peine à être connu, semblait attirer la foule comme un aimant, la future groupie y compris. Et elle s'amusait tellement... Ça permettait de combler le vide que lui causait l'absence de sa sœur, du moins en partie. Après le concert, l'entrepôt était ouvert à tout le public, des gens les plus douteux aux personnes très raffinées, munies de leur sacro-saintes lunettes.

Juliet sourit, il y avait vraiment de l'ambiance. Enfin, si l'on peut dire... Certaines personnes s'amusaient plus que d'autres, disons. Mais elle restait seule, dans son coin, préférant jeter des coups d’œil un peu partout. Elle semblait chercher quelqu'un ou quelque chose, mais en fait, elle observai seulement les gens. Un peu comme dans ses habitudes.

Soudain, un détail attira son attention. Billy Lighter en personne était assis sur un divan, et il était seul, ce qui était plutôt insolite. Un groupe de jeune filles l'intercepta et elle dut passer quelques minutes à discuter avec elles, mais son regard était sans cesse attiré par le jeune homme, qui ne semblait pas vraiment faire attention à ce qui se passait autour de lui. Quand elle put enfin prendre congé de ses amies, elle se dirigea droit vers le chanteur, sans sourire ni exprimer quoi que ce soit. Elle s'assit à côté de lui avec une légèreté digne d'une feuille d'arbre et laissa son regard valser un peu partout. Elle demanda, sans le regarder :

- Alors... La célébrité, ça pèse ou non ?

Elle ne l'avait même pas salué et ne s'était pas présenté, mais ça n'était pas dans ses habitudes. Elle préférait être directe et franche, et puis l'opportunité était bonne.

Je regardais le groupe de jeune fille et je sirotais ma vodka. Est-ce que j’allais faire ça toute la nuit ? Boire de l’alcool et regarder les gens discuter ? Cela n’avait pas vraiment d’importance… Je pouvais rester silencieux pendant des heures tellement mes pensées m’accaparaient parfois. Et là je ne savais pas vraiment quoi faire ni quoi penser. Comme si mon esprit était en paix… Tout en ne l’étant pas forcément.

Mais alors que je pensais à la notion même de « penser ». Le groupe de filles que je regardais se dissout et l’un des filles, une jeune blonde, vint s’installer à côté de moi. Nerveusement, je portais mon verre de vodka à ma bouche afin d’en boire une gorgée. Cette fille, je ne la connaissais absolument pas. Mais, au moins, elle avait la décence de ne pas me calculer du regarde. Elle s’était mise à regarder les alentours comme je faisais quelques secondes auparavant. Moi je la regardais du coin d’œil. Oui, oui, je pourrais rester là sans lui parler… Je pouvais aisément faire ça… Mais pas elle, et elle me posa une question basique. Sans même se présenter. Mais bordel qu’est-ce qu’on en avait à foutre des présentations au fond… Et à sa question je haussais les épaules.

-La célébrité ? Je ne suis pas si célèbre… Seuls les fans de rock de L.A. nous connaissent. Et la plupart on les connaissait déjà avant…

Non je ne me sentais pas encore célèbre. La preuve étant que si ça m’était monté à l’esprit je n’habiterai plus dans cet entrepôt minable. Et même, j’étais persuadé que la célébrité n’allait pas me peser. Parce qu’adolescent, alors que je découvrais les joies du rock, je répétais à tout le monde que j’allais devenir une rockstar. Résultat tout le monde s’était foutu de ma gueule. En gros, devenir célèbre c’était un but… But que je n’avais pas encore l’impression d’avoir atteint…

J’achevai mon verre et le déposai au sol. Je sortis ensuite une cigarette sans même en proposer une à la jeune fille. En même temps, je ne la connaissais pas… Et je ne savais même pas si elle fumait. Soit, j’allumai ma cigarette et me retournai complètement vers la jeune fille. Mais toujours aucun sourire pour illuminer mon visage. Puis après tout elle ne souriait pas non plus...

-Quoi que… Je suis peut-être plus célèbre que je ne le pense. Après tout tu me connais et je ne te connais pas… Tu t’appelles ?

Je voulais mettre un nom sur ce joli visage. Juste pour savoir. Et puis plus je le faisais parler plus j’en apprendrai de ses intentions. Après tout je ne savais pas vraiment pourquoi elle était venue me parler. Si c’était pour une partie de baise, pour une conversation philosophique ou alors simplement pour faire connaissance. Dans les trois cas, j’étais plutôt libre…

-T’as vu le concert de ce soir ?

Une autre question, juste pour vérifier si elle suivait le groupe ou si elle aimait juste faire le fête.

Juliet croisa les bras, assise à quelques centimètres de Lighter. En fait, elle ne savait même pas pourquoi elle était venue lui parler. Ou, tout simplement, elle devait avoir besoin de compagnie, autre que les groupies qui ne cessaient d'agir comme des pimbêches. Non que la jeune fille n'en était pas une... Elle ne supportait juste pas quand on empruntait le même ton qu'elle.

Et elle était venue s'asseoir près de Billy, comme si c'était absolument normal, et elle lui avait posé une question qui était apparue comme ça, dans son esprit. Elle aurait pu demander autre chose, quelque chose dont personne ne connaissait la réponse, mais non, elle avait préféré parler d'autres choses. Ça pouvait paraître bizarre, mais Juliet était imprévisible. Même elle-même n'anticipait pas ses réactions.

- Ah oui ?

Elle ne broncha pas quand il sortit une cigarette, gardant un air poli et réservé. De toute façon, elle ne fumait pas – enfin, à une ou deux cigarettes près – et elle ne comptait pas s'y mettre vraiment. Elle supportait mal le tabac. Juliet était de nature fragile et sensible, alors il fallait la ménager.

- Dans certains cas, la modestie est une qualité, enchaîna-t-elle aussitôt. Mais dans le tien, je crois que c'est plutôt un défaut.

Elle esquissa un sourire qui se voulait gentil. Elle était quasi-certaine, de source presque sûre, que Billy ne réagirait pas si elle commençait à le séduire. Alors elle se contentait de lui parler comme quelqu'un d'absolument normal. Ce qu'elle était, en fait.

- Juliet. Juliet Peterson.

Elle sourit de nouveau, mais pas vraiment d'un sourire chaleureux, plutôt aimable, poli. La jeune femme laissa son regard glisser sur la scène qui s'offrait à ses yeux ; tous ces gens, venus pour The Lightening, qui mettaient un de ces boucan...

- Oui, je l'ai vu.

Elle ne fit aucun commentaire sur la soirée. Elle n'était pas venue pour juger ou critiquer, mais pour s'amuser, et aussi pour se sortir de l'ennui dans lequel elle s'était embourbée.

Cette fille était vraiment très proche de moi. Au fond, je ne savais pas si ça me dérangeait ou non… J’avais du mal à ma stabilisé sur un extrême… Et cette ambivalence me rendait un peu mal à l’aise. Parce que je ne savais ni quelle expression adopté, ni quel ton… Devais-je être extrêmement aimable ou extrêmement désagréable ? Bordel… Peut-être que j’étais, à l’instant, ce qu’on appelle un type « normal ». Mais est-ce que le fait de se poser ces questions-là me laissait-il encore le droit de mettre un pied dans cette catégorie ?

Bref, j’avais répondu à sa question sur la célébrité. Personnellement, je ne l’avais pas encore acquise et la jeune blonde semblait étonnée. Elle prenait ça pour un marque de modestie, qualité qui dans mon cas, pour elle, était un défaut. Je levai un sourcil. Pourquoi elle disait ça ? Est-ce que je devais dire au monde « je suis Billy Lighter, le mec le plus en vue de L.A. ? ». Non, la célébrité du groupe c’était Cash… Moi j’étais chanteur… Et je n’étais pas encore assez bon pour être célèbre. J’en étais persuadé au fond.

-Pourquoi un défaut ?

Et, alors qu’elle me parlait et se présenta, je jouais nerveusement avec ma cigarette tout en posant moi aussi des questions. Je détestais les blancs… Tout ça pour avoir comme informations qu’elle avait bien vu mon concert… A vrai dire, il y avait peu de chance qu’elle ne l’ai pas vu… Mais ce qui était bizarre, c’est qu’elle ne m’en donna aucune critique, ni positive, ni négative. Ce qui me rendait encore plus nerveux…

-Au moins tu n’es pas comme certains qui sont ici sans même connaitre les chansons du groupe… Ça arrive… Souvent… La plupart c’est la fête et l’alcool qui les intéressent…

Mais est-ce qu’on pouvait vraiment leur en vouloir ? Après tout beaucoup vivait uniquement pour faire la fête… C’était un mode de vie que je respectais tant qu’on me foutait royalement la paix…

Je jetais un coup d’œil vers Cash toujours très occupée avec deux filles. Les deux même que toute à l’heure. Je fis une petite moue avant de regarder Juliet.

-Tu ne viens pas de L.A…

Elle avait l’allure des gens d’ici… Mais son accent me faisait penser autrement. Et je n’arrivais pas à savoir d’où il venait ce fameux accent… Mon ton était toujours très neutre. Et, à force de jouer nerveusement avec ma cigarette, je finis par me bruler à la lâcher. Je fis une grimace.

-Merde…

Il n’y avait pas d’autres mots.

Juliet n'aimait pas vraiment les personnes qui poussaient toujours le bouchon plus loin, qui posaient trop de questions, et qui remettaient en cause ses propres paroles, même mystérieuses. Alors elle se contenta d'ignorer proprement la question de Billy, parce qu'elle jugeait qu'il pouvait très bien comprendre tout seul. Il aurait été un idiot s'il n'avait pas compris.

La jeune fille s'aperçut que Lighter jouait avec sa cigarette depuis un bon bout de temps, mais elle n'osa pas le prévenir qu'il risquait de s'en mordre les doigts. Elle avait autre chose à faire, de toute façon. Et même si elle se comportait de façon étrange, elle n'en restait pas moins Juliet Peterson, simple chômeuse. Pour l'instant.

Quand Billy remarqua que les gens venaient la plupart du temps pour faire la fête, la jeune femme éclata de rire. Comme s'ils avaient pu venir pour autre chose...

- Je crois que, en fait, tout le monde vient pour s'amuser. Bien sûr, il y a toujours des personnes plus fans que d'autres, mais, au fond, on cherche tous quelque chose de The Lightening.

Elle se tut. Elle ne comptait pas dire quoi, elle-même n'en savait rien. Soudain, l'observation de Billy la laissa pantoise. Étonnée qu'il ait remarqué que son accent était légèrement différent des Américains, elle laissa durer le suspense. Après un petit silence, elle déclara :

- Tout juste. Je suis britannique.

Ces simples mots voulaient tout dire. À la fois qu'elle venait d'Angleterre, mais aussi qu'elle avait quitté sa famille, ses amis, son foyer – pour une raison que Billy ignorait. Et tout ça était intriguant. C'était ce qu'elle voulait. Le jeune homme se brûla avec sa cigarette. Ça avait fini par arriver, et Juliet ne put s'empêcher de lâcher un petit rire, mais se reprit avec plus de sérieux en croisant le regard de Billy.

Elle n’avait pas répondu à ma question. Pire, elle l’avait ignoré royalement. Est-ce que cela me posais vraiment un problème qu’elle n’y ait pas répondu ? Ouais ! J’allais y réfléchir toute la nuit maintenant… Il fallait vraiment que je sache pourquoi il serait bien pour moi d’être moins modeste. J’avais toujours pensé que la vantardise tuait les groupes plus qu’elle ne les aidait.

Mes paroles étaient passées à autre chose même si mon esprit restait collé à cette réflexion sur la modestie. La blonde causait bien plus de problèmes à mon esprit qu’elle ne pourrait sans doute l’imaginer. Et c’est bien ça que trahissais mes gestes. Une nervosité énorme, totalement disproportionnée par rapport à la situation.

Et, alors que je déplorais le fait que certains ne viennent que pour la fête, Juliet, elle, disait que c’était normal. Que tout le monde était là pour ça même si certain étaient plus accro au groupe que d’autre. Faire la fête, se saouler, ouais c’était bien cool tout ça… Mais pourquoi venir alors qu’on ne connait même pas le groupe ? Je doutais que Juliet sache la réponse à cette question.

-Ouais… Mais je doute que ceux qui viennent ici sans nous connaitre cherchent quelque chose de nous… Sauf peut-être notre stock d’alcool…

Cette substance licite amenait la foule, amenait le sexe facile et provoquait des bagarres. Moi-même je me saoulais souvent. Parfois pour le fun, parfois parce que j’ai soif et qu’il n’y a que ça dans le frigo… Mais là, j’étais encore bien lucide et j’avais même remarqué l’accent étranger de Juliet. En fait, elle était britannique.

-Ah ! Vous les anglais vous avez un accent de snob…

Ce n’était pas une critique, c’était juste une constatation. J’étais sûr que le moins snob dans anglais avait quand même un accent snob… Ils parlaient tout le temps comme ça les anglais…

La conversation avançait et, malgré les apparences, ma nervosité était toujours bien présente. Si bien que je finis par me brûler avec ma cigarette. « Faut pas jouer avec le feu »… C’est ce que me répétait souvent… La télé… Ouais pas ma mère, la télé. La télé m’avait appris beaucoup de choses.

Soit, Juliet riait alors que j’écrasais la cigarette maintenant au sol.

-C’est pas drôle !

J’étais sérieux et avait dit ça d’une voix grave très calme avant de fusiller Juliet du regard qui avait, deux secondes avant, repris son air sérieux. Mon doigt me faisait mal mais pas de quoi appeler l’ambulance. Je me contentai de souffler vainement dessus sans arriver à faire partir la douleur.

-Donc, une anglaise groupie qui vient voir un concert d’un petit groupe de L.A…. La belle histoire… T’es venue pourquoi à L.A. ?

Curieux le Lighter ? Méfiant surtout.

Billy semblait en proie à un réel conflit intérieur ; Juliet l'avait pensé plus malin que ça. Il devait se demander ce qu'elle avait voulu dire par là, et peut-être, se torturer toute la nuit, qui sait ? Personne ne connaissait vraiment Billy Lighter. La jeune femme le laissa cogiter un instant, en songeant qu'elle surestimait trop les gens. Elle avait surestimé son père, et quand l'heure était venue de rembourser tout l'argent qu'il avait empruntait, il s'était retrouvé bien démuni. Idem pour sa sœur, qui n'avait pas survécu au voyage entre Londres et L.A... Cette pensée assombrit aussitôt son visage. Elle détestait repenser à son passé, parce qu'elle se sentait maudite. Toute sa vie durant, elle avait vécu avec l'espoir de voir un jour les choses de rétablir, mais ça n'était jamais arrivé ; et c'était pour ça qu'elle avait redémarré sa vie ailleurs, sans plus personne pour lui faire broyer du noir.

Toutefois, elle trouvait que Billy exagérait. Personne ne serait venu si The Lightening n'avait pas été connu, et Juliet doutait que la propagande dans les quartiers louches soient la cause de tout ce remue-ménage ; non, elle pensait plutôt que les gens étaient là pour s'amuser – mais n'était-ce pas le but d'un concert, justement ? Elle haussa les épaules à sa remarque, toujours inexpressive. Elle commençait fortement à se demander pourquoi elle l'avait interpellé, puisqu'ils semblaient avoir des idéaux bien différents. Mais ça valait toujours mieux que de discuter avec ces pimbêches prétentieuses – qui déteignaient d'ailleurs sur la personnalité de Juliet. Mais lorsque le jeune homme observa que les anglais avaient un accent de snob, elle se dit qu'il ne valait pas mieux non plus. Elle se redressa vivement, comme sur des ressorts. Elle était bien tentée de lui mettre une gifle.

- Ah oui ? Un accent de snob ? Tu as de la chance si je ne te colle pas un pain... Que dire des américains, alors ? Qu'ils sont trop familiers ?

Elle se rassit, vexée. Les anglais avaient toujours l'air orgueilleux, mais c'était seulement une apparence qu'ils se donnaient ; en réalité, ils étaient pour la plupart chaleureux et sympathique. Bien sûr, il y avait les 'vrais', snobs, ceux qui ne supportaient pas tout ce qui venait de la plèbe, et Juliet songeait qu'elle devait en faire partie. Et cette pensée lui déplaisait fortement.

Lighter se brûla alors avec sa cigarette, faisant ricaner la jeune femme. Non par méchanceté, mais parce qu'elle était certaine qu'il allait gaffer. Mais elle leva les yeux au ciel quand il protesta, un sourire amusé au bout des lèvres.

Lorsque Billy lui posa la question qu'elle redoutait tant, elle hésita, pour la première fois depuis le début de la conversation. La jeune femme doutait de la vraie raison qui l'avait poussée à fuir l'Angleterre pour s'installer ici, et elle n'était plus sûre de ses réels objectifs. Était-elle venue ici pour se tailler une place dans le monde du rock, qu'elle connaissait à peine ? Ou bien pour simplement redémarrer une nouvelle vie, loin de ses origines ? Elle n'aurait su le dire.

- Je... Je suis venue ici pour changer d'air, déclara-t-elle finalement.

Et ce n'était ni un mensonge, ni l'exacte vérité. Juliet avait maintenant perdu tout sourire, et avait adopté un air apathique. Surtout, qu'il ne s'aventure pas sur ce terrain, elle allait mordre.

Ma réflexion sur les accents des anglais avait choqué Juliet. Et, de ma vision bien arrêtée que les filles étaient très susceptibles, j’avais peu de satisfaction de l’avoir fait réagir. Parce que ça semblait tellement facile. Elle voulait m’en collé une. Et au fond je me disais : « Essaye ! ». Et tout ça se voyait dans mon non-verbal.

-Trop familier ? C’est bien ce que je dis… Les anglais sont des snobs… On n’est pas trop familier, on est juste normal.

Et pour moi tout ça avait une certaine logique. Mais, tout comme Juliet tout à l’heure ne voulait pas répondre à ma question, j’avais trouvé juste de ne pas me justifier sur ce que je venais de dire. Et je savais que je l’avais fortement vexée. Et là, je commençais à en être un rien satisfait.

Mais mes petites victoire fut de courte durée étant donné que ça ne contrebalançais pas assez le stress qui me prenait au corps. Je m’étais brûlé avec ma cigarette ce qui avait fait bien rire Juliet. Et son rire ne m’avait pas plu. Se foutait-elle de moi ? M’en fichait, elle n’avait pas le droit d’en rire. Mais même mes protestations n’enlevèrent pas le sourire de ses lèvres.

J’avais fini par reprendre mon sérieux (a considéré que je l’avais perdu) et je lui posais une question. Le genre de question bien chiante qui remue le passé. Le genre que si on me la pose je pars dans un monologue énorme. Et sa réponse hésitante me prouvait bien que j’avais touché un point sensible.

-Ouais c’est vrai que l’air est plus pur ici.

Il y avait tellement d’ironie dans ma phrase. Mais je savais que si je creusais le sujet, la petite Juliet allait probablement finir très mal à l’aise. Maintenant la question était : est-ce que j’ai envie de la voir mal à l’aise ou non ?

-T’es quand même devenue groupie… Pourquoi t’as choisi cette vocation ?

Une autre question bien chiante à répondre. Les raisons de pourquoi les filles devenaient des groupies pouvait être diverse.

-Alors ? Les thunes ? Le sexe ? La célébrité ? Le fun ? Tout ça en même temps ?

Je la regardais et on pouvait voir dans mon regard que je n’étais plus stressé. Que je voulais « jouer » un peu. Comme si la brulure (toujours douloureuse) m’avais radicalement fait changé d’humeur. Puis au fond, c’est peut-être le cas…

Juliet était en train de s'énerver, mais elle ne le montra pas. Billy voyait son monde bien différement du sien, et elle devait montrer un peu de compassion pour quelqu'un qui n'avait jamais quitté son pays natal. Elle le fixa comme un gamin idiot, avant de déclarer de sa voix la plus neutre possible :

- Eh bien, figure-toi que les anglais se trouvent tout aussi normaux.

Ce n'était qu'une question de point de vue. La jeune femme avait quitté l'Angleterre, certes, mais elle n'était pas prête à la critiquer. Elle passa un main dans ses cheveux en tentant néanmoins de ne pas se donner un air trop snob, mais elle ne pouvait s'empêcher de toiser Billy avec supériorité, ce qui l'agaça au plus haut point. Mais l'idée même de paraître inférieure au jeune homme la révulsait, et elle commençait un tantinet à regretter de l'avoir abordé.

La phrase suivante que le chanteur prononça, avec une certaine ironie, fut des plus vexantes. Mais Juliet ne se démonta pas et se contenta de hausser un sourcil avant de protester :

- Ce n'est pas ce que j'ai dit, ne déforme pas mes paroles comme ça. Mon passé est une affaire classée à présent. Point.

Elle ne voulait pas s'étendre sur le sujet, mais si elle avait pu, elle aurait bien mis un pain à Billy. Elle détestait cette lueur de fierté qui brillait dans son regard, et ses manières... d'américain, oh oui. La jeune femme écouta sa question sans broncher, et prit son temps pour répondre. La raison pour laquelle elle avait débarqué ici ? Maintenant qu'elle y pensait, elle ne savait plus trop. Pour oublier son passé désastreux ? Ou bien plus simple, pour profiter pleinement de la vie à L.A. ?

- Je dirai tout ça en même temps, peut-être. Je pourrais te poser la même question, tout est relatif. Quelles sont tes propres motivations, à toi ?

Elle le trouvait peut-être trop lisse à son goût. Trop humble. À croire qu'il faisait exprès... Mais elle était certaine que, dès qu'il aurait gagné encore un peu de notoriété, il se montrerait sous son vrai jour. Soit Juliet voyait le mal partout, soit elle avait toujours raison. Quoi qu'il en soit, elle se sentait mal à l'aise, bien qu'elle ne le montrât pas.

La différence entre les anglais et les américains n’étaient pas un sujet de conversation conseillé pour moi et Juliet. Je connaissais cette fille que depuis quelques minutes et, déjà, le courant ne passait pas. Est-ce que ça venait du faite que j’étais d’une humeur bizarre ? Ou alors est-ce que c’était parce que Juliet et moi on était très différents ? J’en savais rien, je préférais croire que c’était uniquement parce que Juliet était une fille et que les filles aimaient contredire tout le monde. Soit, une chose était sûr, sur le sujet de notre nationalité, on allait chacun rester sur nos positions alors je préférais hausser les épaules.

Le regard supérieur de la fille n’arrangeait rien à toute cette histoire. Elle me prenait de haut comme si elle avait fait des choses bien plus cool que moi. Et ce regard m’énervait au plus haut point. Et, comme pour combattre la supériorité qu’affichait la jeune fille, je m’étais mise à lui poser des questions sur ce qui l’avait amené ici, ne cessant de jouer de toute l’ironie dont je pouvais faire preuve. Et bien sûr, ça la vexa disant que je déformais ses paroles. Apparemment, elle ne voulait pas vraiment parler de son passé. Mais en avais-je vraiment quelque chose à faire ? Non, mais l’idée même qu’en parlé pourrait la rendre mal à l’aise m’avait traversé l’esprit. Je savais à quel point les paroles pouvaient être une arme mais je ne savais pas encore si j’étais capable de m’en servir contre cette fille que je connaissais à peine.

-Ok… Affaire classée.

Je remettrais peut-être le sujet sur la table plus tard. En attendant, j’avais changé de sujet (je pouvais changer de sujet aussi vite que je changeais d’humeur). Et les motivations qui l’avaient poussé à devenir groupie m’intéressaient mais aussi celles qui l’avaient amené à L.A. Je ne savais pas trop si les groupies me fascinaient ou me dépassais. C’était sûrement un peu les deux. J’avais énumérer quelques solutions et il semblait que pour Juliet ce soit le mélange de tout ça la raison. C’était si… Superficiel… Mais je pense que chacun l’es un peu au fond… Et pour être groupie il fallait sûrement l’être beaucoup. Etait-ce un défaut ? Bof… Je ne pense pas… Les gens superficiels sont souvent ambitieux et l’ambition n’était pas un défaut pour Billy Lighter.

Juliet me renvoya la question et je sortis une nouvelle cigarette. Il semblait que ma nervosité se soit évaporée mais j’avais besoin de ma petite dose. Je l’allumai avant de répondre.

-Devenir une rockstar. Voilà ma motivation. Et j’y arriverai.

J’en étais persuadé et je bossais pour ça. J’avais fait le trajet jusqu’ici et je ne voulais pas subir un échec et échoué à L.A. Parce que je n’avais pas d’autre choix.

-J’ai pas d’autre but.

Je fumais calmement et mon tempérament actuel dénotait totalement avec celui d’il y a quelques minutes.

-Alors, ton métier c’est de courir après le groupe en espérant pouvoir discuter avec des types célèbres ? Rien d’autre ?

J’avais une vision très réduite de ce que pouvait être une groupie. Peut-être parce que j’étais qu’un petit naïf de l’Indiana sans expérience des groupies…

Juliet soupira sans retenue, montrant bien que Billy l'exaspérait. Il voulait la prendre à ce jeu-là ? À d'autres ! Elle n'était pas si facile à embarrasser que ça. Sauf s'il s'aventurait sur le terrain glissant de son passé, auquel cas elle prendrait un ton détaché, et on en parle plus. Mais le jeune homme semblait bien s'amuser, ce qui était plutôt risible de sa part.

Mais elle avait aussi appris à se méfier des questions indiscrètes, aussi se mit-elle sur la défensive. Elle était prête à défendre bec et ongle sa patrie, enfin l'Angleterre quoi. La jeune femme trouvait Billy plutôt borné, étant donné que ça n'avait aucun sens de croire les britanniques snobs. Peut-être lui manquait-il une case, qui sait ? En tout cas, son raisonnement manquait de logique.

- Une rockstar ? Mais oui.

Son ton était cynique au possible. Non pas que Juliet ne le pense pas capable d'y parvenir, mais plutôt comme si elle songeait que Billy avait d'autres motivations. Pourtant, il semblait tellement sincère ! La jeune femme, se nature méfiante, plongea dans le doute, puis se ressaisit et prit un ton teinté d'ironie :

- Ah oui ? Quels objectifs honorables ! Admirable, surtout venant de Billy Lighter.

C'était un peu une sorte de vengeance, surtout que Juliet ne savait pas comment il réagirait. C'était censé le mettre en colère, mais le jeune homme pourrait très bien être seulement amusé. De toute façon, ça n'était que partie remise. L'insouciance de Billy la fit s'esclaffer. Non, vraiment, quel empoté !

- Oh, je vois. Pas vraiment, en fait. Du moins, c'est pas mon objectif. Peut-être celui des pimbêches que tu vois là-bas, mais pas le mien. Je n'en dirai pas plus.

Et elle était certaine, après ça, d'avoir attisé la curiosité de Lighter. Oh, il lui en fallait peu, mais quand on la cherchait, on la trouvait.

J’exaspérais cette fille. Ses nombreux soupirs me montrait bien à quel point je l’emmerdais. Bien, parfait ! C’était devenu mon but premier depuis quelques minutes. Comme si j’attendais impatiemment qu’elle me gifle pour me prouver que j’avais gagné cette guerre des nerfs. Mais je n’avais aucune idée d’où était les limites de cette Juliet, ni les miennes d’ailleurs…

Je ne lui avais pas caché que je voulais devenir rockstar. Et, autant Juliet restait évasive sur les questions qui la concernait, autant moi je répondais franchement et sans détour à chacune de ses questions. Parce que je ne voulais laisser planer aucun doute sur rien et ne rien laisser à interprétation. Mais répondre franchement me laissait sans armes face au cynisme de Juliet. Son petit « mais oui » voudrait-elle dire qu’elle pensait que j’en étais incapable ? Ou alors ça pouvait bien dire tout autre chose… J’avais froncé les sourcils alors qu’elle ajouta d’un ton totalement ironique que c’était admirable venant de moi.

-Va te faire f…

J’avais marmonné ça pour qu’elle ne comprenne pas un mot de ce que je venais de dire. Je n’avais même pas achevé ma phrase… Comme si je venais de comprendre que les filles étaient bien plus fortes à la guerre des mots que n’importe qu’elle garçon de cette planète.

-Toujours plus admirable que de venir d’Angleterre uniquement pour se bourrer la gueule dans un entrepôt miteux !

Ce n’était pas suffisent comme réplique et assez bas qui plus est… Mais ça prouvait bien que j’étais sur le point de péter un câble. Le fait qu’elle ait mis en doute mes ambitions m’avait blessé plus que je ne voulais le laisser croire. En tout cas, entre nous deux, s’en était fini des politesses… Du moins de mon côté.

Et, comme pour me rattraper, je lui avais posé une autre question. Une question qui est censé la vexé encore une fois… Mais raté, elle préféra rire et jouer le rôle de « la groupie pas comme les autres ». Le problème avec les groupies, c’est qu’elles croient toutes qu’elles ne sont pas comme les autres.

Je restais sans rien dire, les dents serrées alors que Juliet laissait le suspense quant à ses objectifs. Et ça c’était un peu la goutte qui fait déborder le vase… L’affront de trop… Elle osait garder le suspense et ne pas m’en dire plus juste pour que je la supplie de le dire. Je fumais une grosse bouffé la regardant ensuite avec un regard extrêmement ombrageux.

-Dit le moi !

Je n’avais pas haussé le ton, j’avais juste descendu ma voix loin de les graves. Comme si je ne lui laissais aucun choix. Et j’avais bien l’impression que si elle ne me répondait pas, elle allait déguster.