J'étais plutôt du genre excité aujourd'hui. Il y avait plusieurs raisons à ça : la première était qu'on venait de tourner une scène vraiment très amusante où mon personnage écorchait certaines partie du corps d'un seigneur qu'il retenait en otage. C'était pour ça que j'adorais jouer dans ce feuilleton. Parce que je pouvais faire des choses dont j'avais très très envie mais que malheureusement, la société ne me permettait pas de faire en vrai. Ou tout du moins, je n'avais pas encore trouvé le moyen de le faire sans me faire prendre. Et puis l'avantage, c'était que le type qui jouait mon otage était vraiment un très bon acteur et il arrivait à me faire vraiment croire que je lui faisais du mal. Et ça améliorait mon propre jeu.

Le deuxième raison, c'était que j'avais filé un pass pour les studios à un gars que j'avais rencontré au Rainbow quelques semaines plus tôt. J'avais pas eu besoin d'un dessin pour comprendre, même s'il ne le disait pas clairement, que je ne le laissais pas indifférent.

C'était un gars au regard bleu clair très triste. Un mec bourré de failles dans lesquelles je pourrait m'engouffrer, à court ou à long terme. Bref, c'était un type avec qui y avait moyen de s'amuser. Pour moi, il était classé, dans mon monde bien rangé, dans les faibles. Et les faibles étaient des jouets. Il ne parlait pas beaucoup, mais ce qu'il ressentait, je pouvais le sentir à des kilomètres. Enfin ça avait été le cas ce soir-là, au Rainbow. Et c'était pour ça que je l'avais abordé.

Je l'avais d'abord observé un bon moment, en buvant coca sur coca vu que je ne buvais jamais d'alcool. Il regardait autant les femmes que les hommes et son style androgyne laissait à penser qu'il les regardait vraiment. Et qu'il désirait autant les unes que les autres.

Et comme j'étais un gars curieux et que je n'avais encore jamais eu l'occasion de jouer avec ce genre de mec, je m'étais approché, l'avais salué, lui avait payé des verres d'alcool... Et on avait fait un peu connaissance. J'avais joué de tous les atouts que je me connaissais, lui laissant croire qu'il avait une chance. Parce qu'après tout, j'aimais être désiré et être le centre d'attention.

Et à la fin de cette soirée, je lui avais filé un pass, lui disant que s'il voulait assister à un tournage et continuer cette conversation, on pourrait le faire à Hollywood... Sur quoi, j'avais quitté le bar, mais je ne lui avait pas serré la main. Je lui avais fait la bise, sur la joue... Avant de m'en aller avec un clin d’œil.

Et le piège était mis en place.

La scène était maintenant terminée et j'allais m'affaler dans mon siège. J'avais marqué moi-même au marqueur indélébile un grand « RIVER 666» sur cette chaise. Et depuis, personne d'autre que moi n'avait osé poser son cul dessus. Je fermai les yeux et me repassai la scène pour y trouver quelque chose qui n'était pas parfait. Histoire de pouvoir la refaire encore une fois.

J'étais donc toujours habillé comme mon personnage devait l'être avec du cuir et des vêtements de laine noire. Je crevais de chaud, mais j'adorais quand même ces vêtements. Je n'avais gardé de moi-même, dans la vie réelle, que ma chaîne au bout de laquelle pendait mon crucifix d'argent inversé. Mais que j'avais dissimulé dans mes vêtements.

Et j'étais tranquillement entrain de réfléchir quand mon « otage » dans le film vint gentiment m'apporter un sandwich au bacon. Mon préféré. Je le remerciai d'un sourire puis il partit à la recherche de North. Quant à moi, je jetai un coup d’œil à l'horloge du studio. Devrait plus tarder maintenant, ma nouvelle proie.

Quand je vis entrer Thomas dans la salle de tournage, je l'accueillis avec un grand sourire, mais sans me lever pour autant. J'observai qu'alors que le jeune gars aux cheveux noirs s'avançait vers moi, les techniciens, ingénieurs du son, cameramen et autres n'avaient pas l'air de se rendre compte que ce mec venait de l'extérieur. Mais c'était vrai, à leur décharge, que Thomas aurait pu avoir le style pour jouer dans le film lui aussi, si on lui changeait de vêtements. Seuls les autres acteurs présents semblaient se poser la question sur qui était ce gars. Mais tous s'en désintéressèrent à la seconde où Thomas s'adressa à moi, comprenant qu'il s'agissait d'une simple visite ou d'un fan que j'aurais autorisé à entrer en lui filant un pass. Et comme son style ne dénotait pas vraiment du mien, tout sembla à nouveau normal.

J'avais quand même fini par me lever et, comme lorsque je l'avais quitté au Rainbow, je l'accueilli en l'embrassant sur la joue, à l'européenne. Ce n'était pas courant du tout aux States où on avait pour habitude, entre hommes, de se serrer la main. Mais personne autour de nous ne s'intéressait plus à nous.

-Salut Thomas, content que tu soit venu.

Je me rassis sur ma chaise et lui désignai celle qui appartenait à ma victime du jour. Heu... Dans le feuilleton, bien sûr. Soit dit en passant, j'adorais ce mec : il était tellement dans son rôle que je savais qu'il ne broncherait même pas quand il verrait que j'avais assis mon nouvel ami à sa place. Et Robin n'était pas là pour le défendre. Donc, j'avais carte blanche.

Une fois que Thomas fut installé, je m'adressai à lui, en me penchant vers lui, mais en regardant ce qui se passait sur le plateau où trônait toujours la potence en X où j'étais sensé attacher ma victime.

-T'es un lève tard, toi. T'as raté la meilleure scène d'aujourd'hui. Je te montrerai l'enregistrement plus tard, si tu veux.

Je remarquai que, contrairement au Rainbow, je n'avais pas besoin d'élever la voix pour parler, ce qui était très reposant. Je n'aimais pas gueuler pour me faire entendre. J'aimais avoir l'attention des gens bien fixée sur moi quand je leur parlais et je savais comment l'attirer. Mais dans les club, avec la musique à fond, ce n'était pas toujours facile de chasser.

Je posai alors mon regard bleu, froid, sur Thomas. Je voulais voir la moindre expression qui pourrait passer dans son regard, le moindre clignement d’œil qui trahirait quelque chose. Le plus petit tic. Je voulais le connaître à fond, devenir aussi proche de lui que possible sans avoir à lui donner ce qu'il voudrait. Et puis quand il m'ouvrirait clairement ses failles, quand il n'en pourrait plus de patienter, donner le coup de grâce. C'était de la torture psychologique même si intérieurement, je ne lui donnais pas de nom, puisque je trouvait ça normal. Ca ne pouvait être que normal puisque ça me procurait du plaisir.

Et si lui laissait passer quelque chose, ce n'était pas mon cas. Pas que je n'essayais pas de feinter par des sourires ou en changeant mécaniquement l'expression de mon regard, mais je ne ressentais rien hormis l'excitation du jeu. Et heureusement que j'étais plutôt bon acteur pour camoufler cette excitation. Si je lui laissais percevoir une certaine excitation, celle-ci devait lui paraître sexuelle, et pas autre chose.

-Une veste de costard... Tu dois crever de chaud autant que moi... Si t'as envie de l'enlever, je suis sûr que Stevie t'en voudras pas si tu la pose sur sa chaise. Et au fait, bienvenue à Hollywood. Ici, tu peux être qui tu veux.

Je souris et le fixai.

-Et tu veux être qui, Thomas ?