J'avais pris ma fin de service à 22:00 et j'étais rentré directement chez moi. Tant qu'à faire, voir un peu mon petit frère serait pas de refus... Mais quand j'étais rentré à la maison, il n'y avait personne. A force de travailler, je ne savais même plus quel jour de la semaine on était. Si ça tombe, on était en plein Week-end et les petits donnaient peut-être un concert au Dizzy Warhol... J'avais soupiré et m'était affalé un instant dans le fauteuil...

Il n'y avait rien à la télé et j'aurais bien décapsulé une bonne bouteille de bière fraîche, mais tout seul, ça n'avait pas un super bon goût. En réalité, la chose la plus intelligente à faire aurait été pour moi d'aller dormir... Parce que demain, j'étais en repos, ok, mais après demain, c'était reparti pour une série de services de 12 heures...

Cependant, je n'étais pas un grand dormeur. Et puis, j'en avais un peu ras-le-cul que les seules personnes que je voyais sur une journée soient soit des collègues de travail, soit des délinquants ou des paumés de toute sorte... Disons que ça limitait un peu les conversations... Heureusement que, dans l'histoire, j'avais quand même mon binôme, Conrad, qui était plus un ami ou un frère qu'un collègue...

Seulement, venait alors toujours la même appréhension. Si je sortais de ma foutue baraque, j'allais quand même voir les paumés et les délinquants... Ce serait plus fort que moi... Et des collègues, peut-être que j'en croiserais aussi...

Je soupirai, laissant aller ma tête en arrière et me frottant le visage. C'était un foutu dilemme et en même temps, si je me laissais penser comme ça, je n'allais plus rien faire d'autre que travailler et me cloîtrer chez moi le reste du temps... Si c'était pas un superbe cercle vicieux, ça !

Bon... Le temps que tout ça fasse son chemin dans mon cerveau, je m'étais allumé une clope, pesant le pour et le contre. Sortir ou ne pas sortir, telle était la question. Les inconvénients m'avaient direct sauté aux yeux... Fallait que je pense aux avantages, qui me guideraient directement là où je me rendrais si, In Fine, je décidais de sortir de mon bunker.

Bonne raison de sortir numéro un : il y avait des chances que je retrouve mon petit frère, au Dizzy, par exemple. Et j'aurais peut-être, du même coup, l'occasion de pouvoir écouter un peu de leur musique.

Bonne raison de sortir numéro 2 : Si je me rendais au Dizzy, il y avait aussi des chances que je tombe sur Delfino. Contrairement à il y avait quelques années de ça, j'étais sûr qu'il serait content de me voir, et ce serait réciproque. Ce serait également l'occasion de savoir où il en était et s'il s'en sortait...

Bonne raison de sortir numéro 3 :..... Ça commençait à devenir difficile de trouver. Prendre l'air, ça comptait ? Respirer un peu l'air de L.A. sans avoir à être banché sur la fréquence radio du dispatching... J'en étais pas sûr. Me connaissant, je serais de toute façon sur mes putains de garde...

Ah... Dernière bonne raison : je n'avais rien à foutre dans cette baraque où il n'y avait personne hormis dormir... Et dormir signifiait passer une partie de la nuit à sursauter en essayant de m'endormir et l'autre à faire des putains de cauchemars.

Ok, je sors, c'est bon.

J'écrasai ma clope qui en était au filtre dans le cendrier plein sur la table basse du petit salon et me levai en m'étirant. J'avais mal aux jambes à force de faire des patrouilles pédestres ou de jouer avec l'embrayage de la bagnole de service. J'avais aussi mal dans le bas du dos à force de porter mon gilet pare-balle... C'était rien à côté du poids du matos qu'on se trimballait au Vietnam, mais j'étais un rien plus jeune, à l'époque. Et les conneries qu'on avait fait à l'époque en se croyant les plus forts, je les payais maintenant...

Après cette brève pause, j'avais donc enfiler ma veste que je venais presque d'enlever et était partit en prenant bien soin de verrouiller la porte derrière moi. On était dans l'Eastside, bon dieu de merde... Qui laisserait sa porte ouverte ?

Je montai dans ma voiture et démarrai. BleedingHeart, eux, prenaient le bus quand ils allaient jusqu'au Dizzy, portant chacun leurs instruments sur leur dos, sauf le batteur qui profitait de la batterie fournie par le club... De même que les autres profitaient des amplis qu'il y avait sur place. C'était des punks, ils étaient pas exigeant et aimaient le son crasse.

Je me stationnai sur le parking et verrouillai la bagnole comme j'avais verrouillé la maison, avant de me diriger vers l'ancienne station de métro qui avait été refaite en club punk/rock/glam. C'était un endroit où les néons colorés dominaient pour ce qui était de la décoration et où le créatures qui y déambulaient étaient difficile à décrire. Hommes ? Femmes ? Vieux ? Jeunes ? Rien n'était sûr. Mais je respectais totalement, parce que leur apparence était en soi, de l'art...

Par contre, moi, avec mes boots d'intervention que je ne quittais jamais, mon pantalon civil muni de poches latérales dans lesquelles je mettais mes clés et mon portefeuille, et ma vieille veste kaki sous ma veste en cuir tout aussi vieille, il était marqué vétéran sur mon front... Alors que mon regard, lui, disait clairement que j'étais flic...

Pas de chance, ce n'était pas BleedingHeart qui jouait ce soir. Aucune idée d'où étaient les petits, à moins qu'ils ne soient dans la foule, car il y avait du monde, et qu'ils étaient le prochain groupe à passer.

Je réussis à me faufiler jusqu'au comptoir où j'espérais au moins voir Delfino, mais ce n'était pas lui non plus. C'était une jeune femme blonde, au look collant tout à fait avec l'endroit, qui tenait le bar. Je lui commandai une bière, qu'elle me servit avec un sourire jusqu'aux oreilles et vraiment pas désagréable avant de courir vers d'autres clients.

Je bus quelques gorgées, mais en eut assez vite marre de la foule. J'avais besoin d'un peu d'air. Je pris donc mon verre avec moi et sorti pour aller fumer au calme, dehors. Même si rien n'interdisait de le faire à l'intérieur.

Je soupirai d'aise quand je fus enfin dehors. Je sortis une clope de mon paquet et la plantai entre mes lèvres. J'étais en train de l'allumer quand j'interrompis mon geste à cause d'un mouvement dans ma vision périphérique. Je regardai dans cette direction. R.A.S, ce n'était que la serveuse. Je repris donc mon geste où j'en étais et une fois ma clope allumée, m'adressai à elle.

-Y a du monde ce soir... Delfino Alvarez travaille pas ?

Tant qu'à faire d'avoir la serveuse sous la main pendant qu'elle faisait une pause, autant lui demander direct où je pouvais trouver Delfino. Je travaillais beaucoup et je n'avais plus vraiment l'occasion de voir le petit latino depuis qu'il avait arrêté de dealer... Et évidemment, j'avais beaucoup plus de plaisir à le voir maintenant qu'à travers les barreaux comme avant... La jeune femme, que j'avais fait sursauter sans le vouloir, s'adressa à moi, toujours souriante. Elle avait un charme naturel, certes, mais c'était ce visage jovial qui était surtout agréable. Le patron du Dizzy avait bien fait de l'engager, puisque c'était sa première soirée, il allait se faire du pognon rien que parce que les gens sauraient qu'on les servirait avec le sourire...

N'empêche qu'elle venait quand même de me bousiller ma bonne raison de sortir numéro 2 en m'annonçant l'absence de Delfino... Malgré tout, je gardai le léger sourire qu'elle avait fait apparaître sur mon visage rien qu'en me regardant. Elle avait une sorte de bonne humeur contagieuse.

-Bah, il doit avoir pris quelques jours de congé, il le mérite...

Ah... Tiens... Le mot « congé » était encore dans mon vocabulaire ? Faudrait que je l'applique à moi-même, un de ces quatre, histoire de voir quel effet ça faisait. Et ça ferait plaisir à Duncan et ses potes.

C'est un bon petit gars, tu verras quand t'auras l'occasion de bosser avec lui...

Elle m'avait tendu la main, se présentant avec un œil larmoyant à cause de la fumée de sa clope qui lui était revenue dans la figure, ce qui me fit rire, ma clope à moi bien coincée entre mes dents. Un retour de fumée, ça arrivait encore bien...

Je lui avais tendus la main à mon tour... Pour une fois que je pouvais serrer une petite main propre... Parce que souvent, les gens de la rue, poivrots, toxicomanes, fous, attirés par l'uniforme, venaient nous trouver, ne serait-ce que pour échanger quelques mots incohérents. Et souvent, ils voulaient nous serrer la main. Des fois, on le faisait, des fois pas... Tout dépendait du comportement de la personne envers nous (souvent une simple poignée de main et on évitait un tas de conneries), et de son état...

Mais là, rien ne m'empêchai de le faire. Déjà, j'étais en civil... Fallait pas que j'oublie ça. En civil et en repos...

Je serrai donc la petite main propre de la dénommée Sara.

-Jordan... Bienvenue à L.A.... Et bonne merde...

J'avais dit ça avec le sourire, soufflant une longue bouffée de fumée. Tout comme moi, elle n'avait pas l'accent de Los Angeles et je l'avais entendu direct, même si je n'arrivais pas à le situer. Et c'est avec une pointe d'humour que je dis :

-Voyons si tu vas zigouiller ma bonne raison de sortir numéro 1 : Est-ce que BleedingHeart est prévu au programme ce soir ? Mon frère est le chanteur et guitariste du groupe...

Elle ne connaissait peut-être pas le groupe, ni le programme d'ailleurs. Pour une première soirée de boulot, elle s'était certainement concentrée sur autre chose.