12 avril 1972 – 3h29
Banque HSBC, London, UK

Les crissements de pneus étaient couverts par le tumulte des sirènes des voitures de police. Allongé au milieu de la pièce sur des liasses de billets éparpillés, un jeune homme agitait ses bras comme les ailes d’un ange des neiges, le sourire aux lèvres sous son épaisse cagoule noire. Les pistolets chargés le braquèrent malgré l’étonnement et le blondinet éclata de rire. Sur son torse, un chat bicolore feula. Un geste du chef de la brigade donna l’ordre à ses troupes de le menotter. Son élan de bonheur parasite résonna encore longtemps dans l’obscure salle des coffres d’une banque londonienne tandis que le félin escalada le toit d’un immeuble.
Le lendemain, la presse locale titrait « Bart Barrow, illustre auteur de quatre braquages a été pris la main dans le sac. ».


12 avril 1972 – 4h57
Commissariat de Camden, London, UK

« Alors, précédentes condamnations : vol à l’étalage, vol à l’étalage, vol à l’étalage, bagarre, vol à l’étalage …. En fait t’as l’air sacrément mauvais comme voleur, c’est fou que t’ai réussi à braquer quatre banques avant qu’on te chope.
- Il va pas l’ouvrir ce petit con, tu perds ton temps.
- T’en penses quoi, Phil ?
- Franchement … Presque trop banal comme cas : mère hippie, toxico et groupie qui le trimballait de festivals en rave parties, père inconnu, scolarisation aléatoire …
- Ouais, il sera bien en taule, quoi, on a de la chance qu’il ait 18 ans. Et ça te fera une desintox gratuite.
- Affaire bouclée, trouve lui un commis d’office. »


19 avril 1976 – 10h02
Porte de la prison de Wandsworth, London, UK

Une silhouette menue chargée d’un lourd sac à dos s’élança en homme libre dans la jungle urbaine londonienne. Le jeune homme avait changé depuis la dernière fois qu’il avait franchi la lourde grille en fer du centre correctionnel, en sens inverse. Malgré son sourire angélique et son curieux regard enfantin, son visage s’était durci, se parsemant de quelques rides précocement ancrées sur sa peau pâle. Il grimpa dans un bus, puis un autre, observant avec émerveillement les immeubles se succéder à travers les vitres embuées. Son dernier autocar le déposa non loin d’un terrain vague qu’il gagna en quelques enjambées. A mains nues, il déterra un sachet plastique marqué par la boue et le temps. Il en extirpa des liasses de billets, des faux papiers, fit un signe d’adieu à un vieux van vert garé non loin et héla un taxi. Prochain arrêt : l’aéroport.


21 avril 1976 – 19h36
Bangkok, Thaïlande

L’européen poussa la porte d’une vieille bâtisse qui semblait abandonnée. A son entrée, des chiens maigres entassés dans des cages aboyèrent sans retenue. Ils avaient rarement de la visite. Il traversa l’allée sans un regard, vers des prisons de plus faibles envergures destinées aux chats, terrés au fond. Il s’accroupit, passa un doigt entre les barreaux. Un petit animal tigré dans les tons gris à l’œil éborgné se jeta sur lu en feulant. Il l’échangea à la vieille dame propriétaire du chenil contre une liasse complète de billets.

Peu d’européens eurent l’honneur d’être témoins de la montée en puissance du rock thaïlandais. Très peu sont même conscients de son existence. Celui qui se faisait maintenant appeler Clyde Baxter, et que son nouveau passeport attestait, avec son casier judicaire tout neuf et sa formation de régisseur acquise sur le terrain au cours de son adolescence la vécut pleinement. Il suivit bientôt les plus grands groupes locaux dans leur tournée nationale, gagna en maturité et se fit un nom et une réputation.


7 mars 1982 – 15h01
Marché de Bangkok, Thaïlande

Mew miaulait, en équilibre sur les épaules d’un homme blond, qui détonnait parmi la foule des badauds. Les étalages étaient riches en insectes séchés, prêts à consommer. Clyde se pencha pour laisser le petit animal prendre son indépendance au milieu de la foule. Celui-ci attrapa un criquet avant de sauter quelques mètres plus loin pour le déguster, tandis que le propriétaire de l’échoppe jurait dans sa langue natale. Un sourire se dessina sur les lèvres du musicien, qui se crispa en découvrant son protégé. Une mobylette l’avait heurté de plein fouet, en plein repas. L’assassin prit la fuite. Son cœur rata un battement et il s’agenouilla pour ramasser le corps sans vie, le regard noir.


8 mars 1982 – 7h26
Port de Bangkok, Thaïlande

La lame d’un poignard scintilla sous les lumières pâles de l’entrepôt 18. La silhouette noire cagoulée ne ralentit pas. Il s’avançait avec assurance jusqu’à la plateforme voisine, jusqu’au travailleur en gilet jaune et casque de chantier. La main se leva, la lame perça la peau, un cri sourd résonna. Le poignard rencontra à nouveau à plusieurs reprises le corps sans vie, avec acharnement, dans un bruit sourd. Une voix s’éleva avec stupeur, des cris, des jurons. Le tueur disparut couvert du sang de sa victime.

8 mars 1982 – 11h12
Aéroport de Bangkok, Thaïlande

« Et que dites-vous de Los Angeles ? Il y a un vol avec quelques sièges encore libres dans une demi-heure, vous avez tout juste le temps de passer les contrôles.
- Los Angeles ? Entendu.
- Parfait, monsieur … ?
- Baxter, Clyde Baxter.
- Voilà votre billet, Monsieur Baxter, bon voyage ! »  


10 mars 1982 – 8h05
Los Angeles, USA

Assis sur le toit d’un vieux van bleu fraîchement acheté, Clyde lécha ses doigts couverts d’une substance blanchâtre. Il attrapa dans ses bras son nouveau chaton, Bonnie, qu’il lança dans les airs malgré ses protestations. Quelques éclats de rire s’échappèrent de sa gorge et il se laissa tomber sur le dos, mains derrière la tête, fixant les étoiles avec le sourire aux lèvres.

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