Je savais que, dans ces cas-là, il fallait juste un peu de patience...

Mais là, ça commençait à devenir sérieusement long. Et plus ça durait, plus je m'inquiétais.

Cela faisait depuis la fin de la tournée que Billy Lighter vivait reclus dans sa villa de Malibu, léchant ses blessures faites par l'émeute. J'avais tablé sur deux mois avant que la rockstar ne me passe un coup de fil pour que je vienne chez lui, pour parler un peu et puis l'emmener au gauche ou à droite, ou, plus rituellement encore, pour aller à la recherche de Cash.

Mais cette fois, c'était plus long que d'habitude, et toujours pas de coup de téléphone de Billy. Je m'en rongeais les ongles alors que j'étais au « chômage technique »... Bien sûr, ce n'était pas un problème, je restais un employé de chez MTI et, du boulot pour The Lightening, il y en avait. Là n'était pas l'ennui.

L'ennui, c'était que je n'aimais pas que ça se prolonge comme ça. Nous ne parlions pas d'une réclusion due à un désaccord avec Cash, à des fans un peu trop collants ou à une interview trop éprouvante... Non. La cause de la réclusion était à la fois l'émeute et l'abandon de Billy par Savannah Osborne, sa petite amie, pour la deuxième fois.

Lenny pilait depuis le départ pour que j'aille faire un tour à Malibu... Mais je me tuais à lui dire qu'il fallait juste attendre, que Billy allait réapparaître... Mais malgré les rumeurs comme quoi Billy Lighter aurait été aperçu au Ginger et au centre commercial, le chanteur ne donnait pas de trace officielle de lui-même.

Et là, je commençais à partager l'inquiétude maladive du manager du groupe.

Le déclic se fit lorsque la psychiatre de Billy me passa un coup de fil. J'étais sur la liste des personnes à appeler en cas d'urgence, liste établie par Lighter lui-même.

Cash, lui, n'y figurait pas.

La psy m'expliqua qu'elle n'arrivait pas à grand chose avec Billy. Que le laisser seul n'était pas bon non plus.

En gros, qu'il avait besoin qu'on lui botte le cul.

Mais botter le cul, en parlant de Billy Lighter, n'était pas une manœuvre aussi simple qu'il n'y paraissait, dit comme ça...

Je devais subtilement lui botter le cul.

Pour trouver comment faire, il fallait que je parle à Billy.

Et je savais que la seule façon d'aider Billy, c'était de le reconnecter avec la partie la plus indisciplinée de lui-même.

Cash Izbel.

Je pris ma voiture dès que j'eus raccroché avec la psy, direction Malibu.

Arrivé à la villa, j'entrai avec ma clé et écarquillai les yeux.

L'endroit avait l'air totalement abandonné. La couche de poussière qui recouvrait tout le mobilier témoignait aisément que Billy devait avoir congédié sa femme de ménage, une jolie latina d'une quarantaine d'année.

Même le piano semblait ne pas avoir été touché depuis un bail.

Billy était en panne de création.

Et aucun doute qu'il devait en être de même pour le métis à Hollywood.

Je soupirai et progressai plus avant dans la villa. Arrivé à la chambre de Billy, je frappai à la porte.

-Billy. C'est Liam.

J'avais parlé sans crier, sans laisser transparaître mon stress. Et pourtant, j'avais très peur qu'il ne réponde pas. J'avais très peur de ce que j'allais découvrir derrière cette foutue porte.

Billy est bipolaire. Il est surprenant par définition dans le bon, comme dans le mauvais sens.

-Tu veux bien que j'entre?

Chaque mot dois être pesé, rien ne peut être prononcé à la légère.

@ Billy Lighter

Prostré dans ma chambre, je soufflais la fumée de cigarette. Je regardais mon sanctuaire. Un endroit magnifique. Un endroit calme et ordonné. Un endroit où je pouvais vivre en paix. Je ne voulais pas en sortir. Je ne pouvais pas en sortir.

*Tu ne peux pas sortir Billy. Dehors, il n’y a que la mort*

C’était vrai. L’émeute. Il y avait eu des morts. Je ne pouvais pas sortir. Je ne voulais plus de mort.

-Mais, comment vais-je trouver Cash ?

Ma voix rauque résonnait dans le sanctuaire. J’avais cherché Cash. Cash était au Dizzy. Cash était donc loin. Il était dans son monde. Il fuyait les morts. Je les fuyais aussi.

*Tu ne le trouveras jamais*

La voix avait raison. Je ne trouverais jamais Cash. Il était loin, il était déconnecté. Jamais je ne le retrouverais. Il s’était perdu alors que moi je devais rester dans le sanctuaire. C’était le seul endroit où mon âme pouvait encore vivre. Je ne voulais pas vivre ailleurs.


J’écrasai ma cigarette au sol et me levai regardant le sanctuaire. Les boites de Valium, Xanax et autre Lithium était tenu debout comme des petits-soldat formant un demi-cercle au milieu de la pièce. A l’extérieur du cercle, des bouteilles de vodka vides étaient alignées comme des petits soldats gardant une bâtisse. Elles me protégeaient de l’extérieur. A commencé par le reste de la chambre. Noir, sale et rempli de cadavre de canette, de boite de pizza, de magazines déchirés, d’objets inutiles. Mais dans le sanctuaire que j’étais en train de construire tout était droit et ordonné. Tout était bien.

Mais ce n’était pas fini.


Il y avait encore des boîtes anarchiquement posées dans la pièce. Je les rassemblai tout près du sanctuaire. J’entrai dans le cercle. J’en posai une… Puis une autre… Et une autre encore… Je devais fermer le cercle. Je devais combler les trous.

Je devais me protéger à jamais.

*Plus personne ne pourra nous faire du mal*

J’approuvai dans le vide. Chaque boite était minutieusement posée. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de boite. Mais, il y avait toujours une brèche dans le cercle.


Je regardais la brèche l’angoisse montant en moi. Je ne pouvais rien toucher d’autres que ces boites. Et il n’y avait plus de boite… Je me recroquevillais sur moi-même au milieu du cercle. Je couvrais tant bien que mal mes jambes avec ma chemise ouverte. Regardant le reste de la chambre. Les objets en dehors du cercle me menaçaient.


L’angoisse montait alors que la question restait sans réponse. Une angoisse insoutenable. Mon regard se posa sur mon 9MM qui était un peu plus loin dans la pièce. J’allais sortir de mon sanctuaire inachevé pour le prendre.

Mais j’entendis une voix derrière la porte. C’était Liam. Mon regard s’était levé vers la porte. Liam était là. Liam cherchait à rentrer d’une façon ou d’une autre. Venait-il pour garder le sanctuaire ? Venait-il m’apporter les dernières briques pour compléter la bâtisse comme l’avait fait ma psy ? Venait-il pour m’aider à attraper le 9MM ? Je ne savais pas.

Je voulais le savoir…

-Entre, Liam…

Ma voix était grave, enraillée, profonde mais teinté d’une angoisse perceptible.

Lyrics from Empty Spaces by Pink Floyd

@ Billy Lighter

Je n'ouvris la porte de la chambre du chanteur que quand ce dernier m'en donna la permission. Ce que je découvris derrière me laissa bouche bée. J'avais déjà vu Billy dans un sale état et je retrouvais ici certains symptômes (ou rituels?) que je l'avais déjà vu avoir. Mais jamais de façon aussi poussée.

En dehors du cercle construit avec ses boîtes de médicaments, des bouteilles de vodka vides montaient la garde telles des sentinelles. Ce cercle au centre duquel trônait le chanteur, semblait le protéger du chaos total, de la crasse, de la poussière et de l'obscurité qui avaient envahi le reste de la chambre.

Mon regard fit le tour de ce mur symbolique. J'arrivais à temps, je le savais : le cercle n'était pas fini, il n'était pas refermé.

Le monde venait de passer à deux doigts de perdre Billy Lighter. Mais ce dernier n'était pas encore sauvé. Si je merdais maintenant, si je prononçais le mauvais mot, Billy allait placer les dernières briques.

Et il serait définitivement perdu.

J'étais sous pression au point que je gardai le silence dans un premier temps. Je faisais le tour du cercle, doucement, la crasse craquant sous mes baskets. Je prenais bien soin de ne pas dépasser les limites imposées par Billy. Lui seul était le maître du jeu, lui seul pouvait me donner la clé pour venir le rejoindre.

Si je forçais le passage, ça le tuerait aussi sûrement que si je lui tirais une balle avait l'arme de poing sur laquelle mon regard venait de se poser. Celle-ci se trouvait en dehors du cercle, par terre et chargée. Hors de portée du chanteur, en plein chaos, sauf si celui-ci retrouvait un dernier sursaut de courage pour venir la chercher.

Je me penchai et, plutôt que de dire quoi que ce soit, de lui faire la morale, je pris l'arme et enlevai le chargeur que je mis dans ma poche et reposai l'arme à terre.

Puis, seulement après, je cherchai le regard de Billy, m'asseyant par terre, dans la saleté, hors des limites imposées par le chanteur, mais face au seul trou qui restait.

Jamais je n'avais vu Billy ressembler autant à Cash. Les symboles étaient différents, mais le concept était le même : deux mondes, une frontière poreuse et des produits chimiques pour passer de l'un à l'autre.

Je pris une inspiration. Attention, maintenant... Attention à ce que tu dis, Liam.

-C'est un beau mur, Billy... A quoi il sert?

@ Billy Lighter

Liam entra alors même que mon regard était braqué sur le mur de boîtes. Il m’en manquait et je ne pouvais finir le travail. Je devais le finir. Les voix le voulaient. Je le voulais. Il le fallait. Ainsi, il n’y aurait plus de morts.

Liam marchait à l’extérieur du mur. J’entendais ses pas sur le sol jonché de crasses. Je les entendais craquer. Ça résonnait. Parce que le mur n’était pas terminé. Quand il le serait, je n’entendrais plus rien.

Je cherchais du regard sur le sol les boîtes manquantes. Elles étaient la clé. Et je me demandais si Liam n’était pas venu pour m’aider à les trouver. Il ne disait rien, il ne faisait que marcher lentement à l’extérieur… Toujours à l’extérieur. Mon regard se posa subitement sur la main de Liam. Elle s’était saisit du 9MM. Il le tenait bien en main. Allait-il me le donner ? Fallait-il que je renonce au mur pour en finir ? Était-ce le seul moyen de me protéger ? De protéger les autres ? Non… Liam décréta silencieusement que non. Parce qu’il rendit l’arme inopérante en se saisissant du chargeur. Il le mit dans sa poche. Il avait, maintenant, pouvoir de vie et de mort sur moi. Et ça avait quelque chose de rassurant. Comme une pression en moins dû à un choix en moins. Une privation de liberté qui libérait.

Liam était donc pour le mur… Parce que la seule échappatoire que je voyais était le flingue ou le mur. Et Liam avait enlevé le flingue de l’équation.

Liam s’installa face à moi. Face au mur inachevé juste devant la porte. La porte grande ouverte qui menait à l’extérieur. La seule ouverte qu’il restait à colmater. Pour en finir complètement.

Liam ouvrit la bouche. Je posai sur lui un regard bleu-vert perdu mais intense. Il voulait savoir à quoi servait le mur.

-Il n’est pas fini.

Ma voix était profonde, presque caverneuse. Non, il manquait des pièces.

-Il protège.

Il était là pour protéger Liam. Il était là pour protéger Fender. Il était là pour protéger Sélène. Il était là pour protéger Evelyn. Seul Cash ne pouvait être protégé de lui. Parce que Cash était perdu.

-Cash est au Dizzy Warhol. Mais je ne peux pas y aller. Il ne sera pas protégé. Sélène a voulu m’y emmener mais je ne peux pas aller là-bas.

Mon discours n’avait qu’un sens bien défini et je le soutenais avec un ton ferme. Il n’était pas si dérangé que ça. Il était le fruit de la réclusion, de l’excès de médicament et de mon rapport avec Cash.

@ Billy Lighter

Une fois l'arme sécurisée et mon cul posé à terre, j'avais osé briser le lourd silence qui régnait dans la chambre de Billy Lighter.

-Je vois... Il manque des briques.

Je voulais savoir à quoi servait le mur de boîtes de médicaments. Il protégeait, selon Billy. Mais c'était vague comme réponse. Il protégeait qui et de quoi ?

De mon point de vue, le mur était là pour le protéger, de la crasse, des gens à l'extérieur. Et c'était pour ça que j'étais resté dehors, pour ne pas éclater la bulle dans laquelle s'était réfugié Billy.

Je ne savais pas quoi répondre. Et je ne voulais pas lui poser la question pour être sûr. Il fallait que j'avance doucement. Et ça prendrait le temps que ça prendrait. Si je devais rester ici toute la nuit, et ben je resterais là toute la nuit. La vue du flingue chargé et presque à portée de main avait suffi à me convaincre de ne pas laisser Billy seul avant que ça aille vraiment mieux.

Je laissai alors Billy parler. Il était le seul à pouvoir me donner de quoi avancer sans forcer et sans poser trop de questions. Je devais y aller à la déduction et, si possible, ne pas me planter dans les méandre de l'esprit du chanteur.

Il parla de Cash, probablement le nœud du problème. Billy annonça que Cash était au Dizzy Warhol et donc, hors de portée, qu'il ne serait pas protégé. Je n'avais aucune idée de qui était cette Sélène... Mais je n'étais pas encore sûr que ça avait une réelle importance.

L'information principale était : « Cash est au Dizzy Warhol et je ne peux pas l'atteindre, ni le protéger. » Ce qui pouvait se traduire par : « Cash a replongé dans la drogue et je ne peux pas l'en empêcher. »

Cash savait que Billy détestait les drogues, si ce n'était ses médicaments... Et donc, Cash restait hors de portée du chanteur lorsqu'il était complètement dépendant...

Je frottai mon visage d'une main. J'avais l'impression de devoir jouer une partie d'échec dont je ne connaissais que des rudiments de règles. Puis, je replongeai mon regard dans celui de Billy.

-Je suis sûr que Cash va bien. Mais j'irai vérifier, si tu veux.

Si Billy était dans cet état maintenant, je pouvais être sûr que Cash devait être dans un état semblable, sans être identique. Cash avait une autre façon de gérer cette sorte de « stress post traumatique », qui n'était pas moins dangereuse.

C'était comme s'ils étaient liés, même à distance, ils avaient l'air de sentir ce que vivait l'autre. Pourtant, c'était plus simple que ça : ils vivaient la même chose.

-Tu n'iras peut-être pas mieux quand tu auras mis toutes les briques...

J'essayais un maximum d'éviter de formuler des questions. Je voulais l'amener à voir certaines choses. Si je le faisais avec des questions, c'est lui qui allait me balader. Je voulais que ce soit l'inverse. Et je voulais que la prise de conscience vienne de lui.  

@ Billy Lighter

Le mur protégera quand il sera fini. Les briques manquantes étaient le dernier pas vers le calme, vers la paix. Je regardais le mur inachevé avec toujours cette angoisse latente. Elle montait doucement et insidieusement en moi.

Le mur fini protègera tout le monde. Il ne pourra pas protéger Cash. Cash était loin. Il n’était plus dans ce monde. Il avait décidé de le quitter après l’attaque du Midwest. Il y était parti pour fuir le combat qu’on devait faire ensemble.

Il m’avait abandonné. Comme Savannah et comme ma mère. En renonçant au monde réel pour le sien, il m’avait laissé seul face à mes démons. Il les a laissé me manger, me consumer.

Je relevai le regard sur Liam. Il était certain que Cash allait bien. Il allait aller vérifier.

-Tu ne le trouveras pas… Cash n’est plus ici…

Je pris un air profondément triste. Je tenais à Cash. Mais c’est lui qui a décidé de partir. Je n’y suis pour rien. Je ne suis pas coupable. Tout comme je n’étais pas coupable du départ de Savannah. Ni coupable du fait que ma mère ne m’aimait pas.

Mon regard fixa, à nouveau, le mur. Pourtant, les briques montraient que je l’étais. Alors, je devais l’être dans un sens.

La voix de Liam m’atteignit encore. Il signala que je n’irais peut-être pas mieux quand toutes les briques seront là. Je fermai les yeux avant de les rouvrir sur Liam. Le regard mouillé.

-Le lithium est mauvais. Mais je dois le prendre… La psy dit que ça ira mieux. Elle a raison. Le lithium protège. Le mur protège… Il protège Evy. Il protège Sélène… Il protège Fender… Il te protège. Il DOIT être terminé.

Je tressaillis. Et si Liam avait raison… Si je n’allais pas mieux après.

-Je serais protégé, non ? Je n’entendrais plus rien… Je ne verrai plus rien… Plus personne ne pourra m’atteindre.

J’interrogeais Liam du regard.

@ Billy Lighter

« Cash n'est plus ici... » La voix de Billy Lighter me donnait des frissons au point que les poils de mes avant-bras se dressaient sur ma peau. Billy sentait l'absence de Cash. Cela pouvait paraître tout à fait absurde, complètement délirant. Mais quand vous aurez passer autant de temps que moi coincé entre Cash Izbel et Billy Lighter, vous comprendrez qu'il y a beaucoup de choses, dans les capacités de l'esprit humain, qui nous échappent et restent inexpliquées. J'avais été témoin de beaucoup trop de choses, de ce lien presque télépathique entre le chanteur et le guitariste, pour être sceptique.

J'y croyais. Putain. Dur comme fer que j'y croyais.

Au point que j'en étais venu à penser que le jour où l'un des deux mourrait, l'autre le suivrait de près.

Ils n'étaient que deux facettes de la même entité. Une entité qui essayait désespérément de se reconstituer.

Je dis, d'un ton déterminé, sûr de moi :

-Cash va revenir. Cash revient toujours.

Cash n'abandonnera pas Billy et Billy n'abandonnera pas Cash. Parce que l'un ne peut exister sans l'autre.

A moins que ce ne soit la fin tant redoutée. The Lightening explosant et Cash et Billy prisonniers chacun de leurs propre angoisses.

Billy était profondément triste, en plus d'être perdu. Il se sentait abandonné. Ça avait commencé par Savannah, puis Cash avait disparu de la circulation sans un mot, sans un signe. Et si j'espérais que le mannequin ne reviendrait jamais pour faire une troisième fois ce sale coup au chanteur, j'espérais, pas contre, sincèrement, que le guitariste referait surface, troquant son totem de Shaman pour sa Gibson Les Paul.

J'avais dit à Billy que le mur n'était peut-être pas la solution. Mais lorsqu'il répondit à cette réflexion, je me rendis compte que je voyais les choses à l'envers. Billy ne voulait pas se protéger du monde extérieur. Il voulait protéger les autres, tout ceux qu'il aimait, de lui-même.

Je savais qu'Evy était sa sœur. Mais je ne savais pas qui était Sélène ou encore Fender.... Mais aucun doute que ces gens comptaient pour Billy. Selon lui, seul Cash ne serait pas protégé, parce qu'il était intouchable, inaccessible, sauf pour le chanteur lui-même.

Je me frottai les tempes. Entrer dans le mode de fonctionnement de The Lightening était un exercice difficile et éprouvant. Exercice que la psy de Billy évitait en le bourrant de Lithium. Même si je pouvais comprendre, quelque part.

-Le mur ne protégera personne de la peine de t'avoir perdu, Billy. Il ne me protégera pas...

S'il s'isolait, physiquement comme mentalement, autant dire que c'était une forme de mort. Ou comme si on l'avait jeté en prison sans aucun droit de visite.

-Personne ne pourra t'atteindre, c'est sûr. Si ce n'est toi-même...

Je serrai les dents. J'allais tenter quelque chose et j'espérais que ce n'était pas une énorme connerie.

-Et cette partie du Midwest qui te possède.

Dangereux, ça, Liam.

@ Billy Lighter

Cash n’était plus ici. Il avait décidé de nous quitter. Ça me rendait triste. Mais pouvais-je vraiment y faire quelque chose ? Je ne pouvais pas l’empêcher de faire un choix. Alors pouvait-on m’empêcher de placer les dernières briques ? Non, car le mur était vital.

Et Liam avait espoir que Cash revienne. Parce qu’il revenait toujours. Je le regardais le transperçant de mon regard. J’hochai négativement la tête. Cash ne reviendra pas cette fois. Je l’avais laissé disparaitre. Et maintenant, il était trop tard. Il était trop loin, enfoncé dans son monde.

Et je ne voulais pas que la même chose arrive à Evy… A Sélène… A Liam… A Fender… C’est pour ça que le mur était là. Pour protéger. Le mur était la solution ! Ou ne l’était-il pas ? Liam m’interrogea. Est-ce que j’allais aller mieux ? Liam me faisait douter.

Je voulais croire que oui. Je devais le croire.

Mais Liam n’était pas convaincu. Il disait que ça ne protégera personne de la peine de m’avoir perdu. Que ça ne protégera pas Liam. Je regardai le mur. Rester pour les autres… M’isoler en croyant les protéger… Je ne pouvais supporter la première solution… Ils ne pourraient supporter la seconde. Aucune n’était bonne… L’angoisse gagnait du terrain. Je ne savais que répondre. Je ne savais que choisir.

J’écoutai Liam. Il n’avait pas fini. Il disait que personne ne pourrait m’atteindre derrière le mur. Sauf moi et… Je relevai le regard sur Liam. Un regard intense, d’un vert plus prononcé à cause de la luminosité relative de la pièce. Une soudaine sueur froide me traversa le corps.

-William… ?

Ma voix était rauque, profonde, presque menaçante. Je ne l’avais pas laissé au Midwest. Il était revenu avec moi, parlant à travers la porte. Il me chuchotait à l’oreille.

*Tu ne peux pas m’abandonner*

Mais William était perdu. Depuis bien longtemps. On l’a coupé du monde, il a toujours eu peur. Est-ce que m’isoler était lâche ? Était-ce parce que William l’avait fait que je le faisais ?

-Il ne veut pas me lâcher…

L’angoisse revenait et je regardais Liam presque désemparé.

-Le lithium ne l’empêche pas de parler.

*Il faut achever le mur*

Je regardais le mur de boîte. Il protégeait les autres. Mais… Il ne me protégeait pas de la voix de William. Je bouchai mes oreilles ne sachant où mettre mon regard. Me recroquevillant encore plus.

-Je l’entends… Tout le temps… Il veut que je l’achève.

Il voulait m’enfermer avec lui. A l’intérieur du mur. Devais-je le faire ? Arrêtera-t-il de ma parler après ? Je ne savais pas.

-Je ne sais pas quoi faire, Liam… Aide-moi !

Mes yeux commençaient à se mouiller de sanglots. Mes muscles se contractaient d’angoisse.

@ Billy Lighter

Le regard vert de Billy me transperça, faisant se dresser les poils de mes avant-bras encore une fois. Mais pas seulement. L'entièreté de mon corps fut traversé par les vibrations qui émanaient de Billy. Un phénomène à nouveau extrêmement compliqué à expliquer. Cela n'avait rien de magique. Un regard et quelques mots suffisaient au chanteur de The Lightening pour faire cet effet. Pourquoi, à votre avis, était-il le frontman du groupe le plus en vue de Los Angeles ?

J'avais essayé l'argument Cash, rapidement contré par la rockstar, puis, celui comme quoi le mur qu'il était en train de construire ne protégerait personne de le perdre et de la tristesse que ça engendrerait... Et là, pas de réponse. C'était comme si je venais de mettre un coup de massue dans le mur, y faisant une marque, mais sans le faire réellement ciller. Mais je devais continuer dans cet ordre-là. Billy Lighter avait raison... Cash était trop loin, disparu, invisible, pour être assez solide pour m'aider dans ma manœuvre.

Alors que je n'étais déjà pas à l'aise, je continuai sur un chemin plus dangereux encore. Il me fallait réussir à utiliser le pire ennemi de Billy dans un but constructif alors que d'habitude, c'était ce qui provoquait son attitude autodestructrice.

Je devais utiliser le Midwest.

Je devais utiliser William.

♫

Et le mur vacilla enfin.

Malgré la peur que je voyais dans les yeux de Billy et sa voix cassée venant presque d'outre-tombe, comme s'il était possédé par son ancien lui, par William, comme s'ils étaient deux au lieu d'un seul, se disputant le corps du rouquin, je choisis de continuer. Mais la sueur froide coulait dans mon dos... J'avais entendu parler de cette histoire anglaise, sur le poltergeist d'Enfield... Et me trouver en face d'un phénomène semblable me foutait la trouille.

Je laissai d'abord parler Billy.

Je pris une grande inspiration sans vraiment le vouloir. J'avais besoin d'air, c'est tout. Et les paroles de Billy n'étaient pas pour me donner une impression rassurante de réalité, au contraire. J'avais l'impression de m'en éloigner de plus en plus...

William était là, William ne voulait pas le lâcher et le lithium ne pouvait rien contre.

Les yeux fixés dans les siens (ou dans les leurs), je murmurai.

-Je l'entends.

William voulait que Billy achève le mur. Et Billy voulait que je l'aide.

J'avais envie de m'approcher, de lui prendre les mains pour le rassurer. Et d'un autre côté, je crevais de trouille de faire péricliter la santé mentale de Billy en brisant ses limites. Ou que les objets se mettent à tournoyer dans la pièce au moment où j'allais le toucher.

Alors je restai immobile, les larmes de Billy coulant le long de ses joues.

Mais mon regard se fit intense.

-William n'est pas obligé de se taire...

Je déglutis.

-Et toi non plus... William aime la musique...

C'était en allumant la musique, en lui passant du Elvis, que j'avais fait passé sa dernière crise à Billy...

-Et tu aimes la musique.

Je haussai les épaules.

-Hurlez votre colère, vos peurs au monde. Faites ce que vous avez toujours su faire : chantez, ensemble.

Je tentais un dernier truc risqué.

-Et votre chant fera revenir Cash.

@ Billy Lighter

J’entendais William. Il me parlait. Il cherchait à ce que j’achève le mur. Il voulait m’y enfermer avec lui. Il disait que c’était mieux comme ça. Que tout s’arrangera quand tout sera terminé.

Je ne cessais de l’entendre lui et sa petite voix enfantine. Quelque chose entre la peur et l’innocence. Elle me tiraillait et m’exhortait à faire des choses. Elle m’avait exhorté à faire ce mur.

Et Liam l’entendais aussi. Je le regardais mettant mes mains sur mes tempes comme si je cherchais à ce que les paroles ne sorte pas de mon cerveau. Liam entendait William. C’était à cause de la fuite. Du trou dans le mur. Je regardais le trou avec un regard triste. Liam pouvait entendre le malheur de William… Et le malheur qu’était William.

Je voulais de l’aide. Liam devait me sauver. Il devait trouver une solution. Parce que je n’en avais plus. Mes mains sur mes tempes, je regardais Liam. Mes larmes coulaient toutes seules de désespoir. J’attendais un signe. J’attendais une réponse.

Et j’en obtins une. William pouvait parler… Doucement, mes mains virent se décoller de mes temps. William aimait la musique. J’approuvai doucement de la tête. Oui, William aimait la musique. Il chantait sous l’escalier. William aimait la musique, comme moi. J’approuvai encore une fois mes larmes s’arrêtant de couler. Je buvais les paroles de Liam. Je devais m’allier avec William. On devait chanter.

Ensemble.

On devait cracher notre colère. A deux, elle était grande cette colère. Parce que tout avait été injuste. Absolument tout. William souriait dans sa petite cellule et je souriais moi aussi à Liam. D’un sourire déterminé mais aussi, empli d’une colère sans borne. Colère que j’avais contre tous ceux qui nous avaient fait du mal. Une colère infinie et destructrice. Mon regard, lui aussi, avait changé. La tristesse et l’angoisse faisait maintenant place à de la détermination.


Et tout ça allait faire revenir Cash.

Je me levai d’un bond à l’intérieur du mur.

-Cash n’aura pas d’autre choix que de nous entendre.

Par ce que cette colère allait au-delà de cette réalité. Elle s’engouffrera dans les endroits les plus reculés de cet univers. Elle s’engouffrera dans le monde de Cash.

*Et il reviendra à nous. Et nous nous vengerons*

Je regardais Liam mon regard, plus froid que d’habitude était adoucis par un sourire angélique. Je passais par-dessus le mur sans toucher aucune boite. Sans égratigné sa surface.

-Nous devons faire des concerts, Liam. On doit sortir d’ici. Nous avons un clip à réaliser.

Les sons de dehors me revenaient. Ils étaient hostiles mais ils ne pourraient rien contre notre colère.

@ Billy Lighter

A défaut de pouvoir enfermer William dans une boîte et le jeter aux oubliettes comme aurait peut-être voulu le faire Billy, et pour éviter qu'il ne s'enferme lui-même pour endurer seul son enfance terrible qui le hantait encore aujourd'hui, il fallait faire sortir William. Il fallait le laisser s'exprimer car lui et Billy avaient encore pas mal de chose à arranger, à se pardonner l'un l'autre.

Et puis, il y avait cette rage contre le monde qui les avait malmenés, ce monde que Cash méprisait pour régner sur le sien propre. Il fallait que Billy, et William, expulsent tout ça. Essayer de se maîtriser ne servait à rien. C'était en train de le bouffer de l'intérieur.

Et comme le disait si bien Billy, Cash n'aurait pas d'autre choix que de les entendre... Et de revenir...

Je souris, un peu plus détendu.

-C'est ça...

Et Billy se leva d'un bond, alors qu'il avait semblé dépourvu d'énergie une seconde plus tôt. Je retins mon souffle et le chanteur passa par dessus le mur de boîtes de médicaments et les sentinelles qu'étaient les bouteilles d'alcool vides.

Le regard habituellement si plein d'émotions fortes et contradictoires de Billy Lighter était maintenant froid, déterminé et clair. Il n'avais plus qu'un objectif, qu'il énonça tout haut et ce fut à mon tour d'en avoir les larmes aux yeux à la fois de l'entendre prononcer ces mots, mais aussi et simplement de décompression car mes propres angoisses s'évanouissaient avec le regain d'énergie de Billy.

Je hochai la tête.

Oui, The Lightening avait un clip à réaliser. Le clip de Be Mine dont ils avaient déjà l'acteur principal qui jouerait, en quelque sorte, le rôle de Billy dans le clip. Car ce n'était pas qu'une chanson, c'était une tranche de vie, une tranche de vie qui incluait Savannah Osborne. Savannah Osborne pour laquelle le groupe devait encore trouver une actrice.

Et c'était à mon tour d'être un peu paumé... Je frottai mes yeux, les séchant.

Heu... Et on commence par quoi ?

@ Billy Lighter

Je passai au-delà du mur. William et moi devions retourner dehors. Nous devions réveiller Cash. Nous devions nous venger du Midwest qui avait tenté de nous détruire. De détruire tout le monde.

Mon cerveau était passé de la déprime, du désespoir à une détermination, un regain d’énergie. Prouvant à la face du monde l’inefficacité du lithium. C’est un regard froid qui toisa Liam dont les yeux étaient mouillés. William, au fond de mon être, riait d’un petit rire enfantin. Prêt à chanter. Prêt à sortir le clip. Prêt à ramener Cash dans le monde réel. Ce monde qui n’était ni pour lui, ni pour moi. Ce monde à qui on devait prouver qu’on vivait toujours.

Liam pleurait presque. Je n’avais pas envie de le voir pleurer. Mais ma phase actuelle n’incluait pas de pleurer à mon tour. J’étais tiré vers le haut par des forces invisibles qui disait que je devais revenir à la vie. Que je devais chanter à nouveau.

Liam demanda par quoi on devait commencer. Mon regard froid mais déterminé transperça mon seul soutien, mon garde du corps.

*Il faut leur montrer qu’on vit toujours*

-On va leur montrer que The Lightening est toujours en vie. On va leur faire un concert sur la plus grande scène de Los Angeles. Après, on trouvera une fille pour le clip.

Mon débit de parole était redevenu ce qu’il était avec l’attaque du Midwest. Un débit pas rapide avec, de temps en temps, un silence. Chaque mot était pesé. Mais ils avaient du poids de par ma voix grave et profonde.

-Il faut prévenir Cash. Il faut qu’il revienne pour faire ce concert.

Et je savais où était Cash.

-Cash est chez sa mère.

Cash était toujours chez sa mère.

@ Billy Lighter

Si, un peu plus tôt, la voix dédoublée de Billy m'avait fait frissonner d'angoisse et de terreur, la chair de poule qui naissait maintenant sur tout mon corps n'était due à aucun de ces deux sentiments. Maintenant que le chanteur de The Lightening était repassé de ce côté des vivants, c'était des frissons dus à la puissance dégagée par tout son être, et surtout par sa voix profonde et calme, que j'éprouvais.

Billy n'avait pas l'air d'être l'homme au bord du gouffre et à qui j'avais tendu la main quelques minutes à peine plus tôt. Il était à nouveau le frontman qui expose son corps à la folie de L.A., du haut d'une scène surplombant la foule.

Et je ne pensais pas avoir déjà vu pareil spectacle, à la fois impressionnant, terriblement terrifiant et émouvant.

Billy voulait faire un concert, Billy voulait faire un clip, Billy voulait céder à tous les rêves d'enfant et caprices de William et le pire, c'était que j'étais persuadé que s'il m'avait dit qu'il allait démarrer la troisième guerre mondiale, je l'aurais suivi, totalement aveuglé par son charsime.

Car tel était le pouvoir de Billy Lighter.

Je restais bouche bée, sans savoir quoi faire ou quoi dire, parce qu'il n'y avait rien à faire ou à dire. Juste suivre Billy.

Et Billy allait aller chercher Cash.

Car Billy avait toujours su où était Cash.

@ Billy Lighter