Skirvin Hilton Hotel, Oklahoma City, 3 heures du matin.

On venait de donner notre premier véritable concert de la tournée. Notre réconciliation, à Billy et moi, au sujet de Savannah Osborne, la promesse de Billy de chevaucher le serpent avec moi, l'énergie dont nous avait remplis cette interview avec Axel Moriarty, tout ça nous avait mené à tout donné et à être soudé pour la première fois depuis un moment. Je me rappelais très bien de la dernière fois que ça s'était produit. C'était un Crazy Ginger où nous avions donné un concert surprise. Et là aussi, l'origine de ce concert exceptionnel avait été un journaliste, Amon Sørensen de L.A. People. Billy avait appelé les fans à l'étriper.

On n'avait pas été jusque-là, cette fois-ci, nous contentant de devenir plus crédible que n'importe quel journaliste. Faisant en sorte que le concert soit impeccable et donc imperméable à la critique.

Puis on avait fait un peu la fête dans les loges. Même Billy avait participé un moment avant de se retirer comme à son habitude avec Liam, son garde du corps. Puis on avait repris le chemin de l’hôtel en limousines appartenant à MTI. J'étais impatient de rentrer au Skirvin et de me retrouver seul dans ma chambre. Il fallait que j'entre en contact avec l'esprit. Depuis la première nuit passée là, je l'avais ressenti plusieurs fois, brièvement, mais pas une seule fois aussi fort que la première nuit.

C'est fumant tranquillement ma clope que je descendis de la limousine avec Michael et Ziggy. Billy avait sa propre limousine à part, ça faisait partie de sa liste de conditions pour la tournée. Et en rigolant, on entra dans le hall magistral de l'hôtel où c'est un Lenny Knowles avec un grand sourire qui nous attendait. Il y avait un autre gars avec lui. Un manager stagiaire ? Le pauvre, il avait pas de chance d'être tombé sur Lenny comme mentor... Même si Lenny était en « possession » de The Lightening qui était le plus grand groupe de L.A. pour le moment, ça restait quand même une bite. Le boulot, c'était nous qui le faisions et les idées, c'était Billy qui les avait. En gros, Lenny n'était qu'un agent de liaison entre nous et MTI.

Je passai à côté de Lenny sans faire attention au fait qu'il parlait. J'étais déjà ailleurs, chez moi, dans mon monde, tous les sens en éveil afin de ressentir la présence qu'il semblait que je soit le seul à ressentir. Ce n'est que quand notre manager m'attrapa par le bras que je dirigeai vaguement mon regard vers lui, bien caché derrière les boucles de mes cheveux.

-Cash... T'es avec nous ?

Je hochai la tête et souris, recrachant la fumée de ma cigarette en même temps.

-Ouais...

Lenny me demandait ça parce qu'il me connaissait. Il savait que je n'étais capable de concentration qu'avec une guitare dans les mains. J'étais naturellement comme ça, depuis tout petit. Mais la drogue que je prenais depuis des années, bien que depuis ma crise cardiaque, j'étais clean, n'arrangeait rien.

Il tendis la main afin que mon regard suive son mouvement, me désignant le gars qui m'accompagnait. Un gars blond, aux yeux bleus et vachement, vachement grand. Je levais mon regard vers lui, plongeant mes yeux noirs dans les sien, mes paupières lourdes.

Lenny parla.

-Lui, c'est Luke Werner. MTI pense qu'il est temps que tu aies un garde du corps. On ne sait jamais. Vos fans sont pas les plus calmes...

Je haussai les épaules. J'avais rien demandé, mais j'étais pas le genre à protester. Si ça pouvait faire plaisir à MTI, tant mieux pour eux. Je saluai le fameux Luke.

-Salut, meec. Moi c'est Caash...

Je souris. Billy adorait quand je parlais en allongeant les voyelles. Ça le faisait marrer et des fois, je le faisait sans le faire exprès. Je regardai autour de moi. Bah, tous les autres, ils étaient partis. Ils avaient probablement des groupies qui les attendaient.

Je m'adressai à mon nouveau garde du corps. Sa fonction ne signifiait pas encore grand chose pour moi. Juste un nouveau pote.

-Viens, j'ai du Jack Daniels en haut... Puis j'ai rendez-vous...

Ouais, tiens... On allait voir s'il avait l'esprit ouvert, ce gars-là... Quant à Lenny... Oh, je l'avais déjà oublié...

Le mec, j'avais déjà oublié son nom, mais je lui demanderai de me le rappeler quand j'en aurais besoin, avait dit qu'il était enchanté de me rencontrer et quand il m'avais tendu la main, j'avais mis quelques secondes avant de la lui serrer. Pas que j'avais pas envie, juste que j'étais un peu lent par moment et que je n'avais pas du tous les mêmes codes que la plupart des gens. Je lui avais donc serré la main, mais je n'avais ouvert la bouche que pour lui proposer de me suivre. Mais il faisait quand même ce qu'il voulait. S'il avait envie de se taper au bar, il avait qu'à aller au bar. J'étais Cash, pas MTI.

Mon nouveau « garde du corps » m'avait suivi jusqu'à ma chambre d'hôtel, acceptant mon invitation. On avait tout simplement laissé Lenny en plan. Enfin moi, j'avais as eu un regard en arrière pour le manager. Il était tard, ou tôt, c'est selon et mon esprit était accaparé par ce que je savais que recelait cet hôtel tout à fait particulier. Le fait que MTI m'ait mis quelqu'un pour me coller aux baskets ne m'effleurait pas vraiment. Pas pour le moment, du moins, parce que je ne m'en rendais pas encore vraiment compte.

Une fois dans ma chambre, le gars se mit à parler. Un vrai moulin à parole. J'espérais qu'il allait s'arrêter à un moment donner parce qu'il m'empêchait de m'évader de ce monde et je n'avais pas envie d'avoir de nouveau recours à l'héroïne pour fuir... La dernière fois m'avait pas si bien réussi... Je me contentai de prendre la bouteille de Jack Daniel's sur la table de nuit luxueuse et d'en prendre un grand coup pendant que l'autre parlait.

Il passait d'un sujet à un autre, sans transition, à une vitesse beaucoup trop grande pour moi. Je le regardais parler et tout ce que je compris finalement de son discours fut qu'il voulait faire connaissance. Je plantai alors mon regard noir dans ses yeux bleus. Je haussai les épaules et lui tendis la bouteille dans l'espoir qu'il se taise.

-Je suis Cash.

Je n'étais pas un bavard, contrairement à lui. J'étais Cash, juste Cash. Je me détournai de lui et me mis à me déshabiller.

-Tu parles, mais tu n'écoutes pas.

Je fus bientôt uniquement en pantalon, mais je ne m'arrêtai pas là, laissant mes vêtements tomber par terre. Je me retrouvai complètement sans être aucunement gêné par la présence du roadie de MTI. J'étais né comme ça, pourquoi j'aurais honte.

-Tu es de L.A. ? Il suffit d'écouter L.A.

Ouais, il suffisait d'écouter la ville. S'il avait appris à fermer son clapet et à être attentif à ce qui l'entourait, il saurait. Il connaîtrait Cash, mi-homme, mi-serpent, Cash le shaman. J'étais tout ça avant même d'être le guitariste de The Lightening.

Je regardai autour de moi, respirant profondément, m'imprégnant de mon environnement. Et je m'assis en tailleur sur mon grand lit, complètement nu. Je fermai les yeux, les mains posées sur mes genoux, les muscles détendus.

-Est-ce que tu sais seulement qui tu es et où tu es maintenant ?

Je m'étais mis nu pour une raison. La première fois que l'esprit de cet hôtel réputé hanté était venu me rendre visite, j'étais nu. Je comptais bien l'attirer encore une fois, revivre ce que j'avais vécu la veille de l'interview avec Axel Moriarty.

Je tendis la main vers mon garde du corps sans rouvrir les yeux. C'était la bouteille que je voulais. Mon ton avec lui n'avait en aucun cas été agressif. Au contraire, j'avais plutôt un ton très calme, trop calme. Et j'énonçais ce que je pensais n'être que des faits.  

Je rouvris les yeux quand mon garde du corps m'annonça qu'il y avait un malentendu et je le regardai avec un air interrogateur. Un malentendu ? Non, je l'entendais très bien, il était très simple à comprendre, ses questions étaient on ne pouvais plus superficielles... Le jeune gars ne faisait que gratter doucement la surface de la réalité, sans aller plus loin. Ce n'était pas lui qui était difficile à comprendre, c'était lui qui ne savait pas lire mes réponses à plusieurs niveaux, lire entre les lignes.

J'étais sûr et certain que ce mec était un bon gars, un gars gentil, né pour protéger. Et la communication entre nous n'allait pas être simple. Mais ça viendrait. Il devait juste apprendre, s'habituer. A force, il n'aurait plus le choix que de réfléchir un peu, parce que je n'allais jamais lui amener ses réponses sur un plateau. Il aurait toujours tout sous forme d'énigmes, de quêtes... Je ne le faisais pas exprès pour lui compliquer la tâche, mais parce que j'étais comme ça.

Je fixais ses yeux bleus en essayant de le comprendre. Pas de comprendre ses questions qui était faciles, mais de comprendre pourquoi il n'allait pas plus loin que ce qu'il pouvait voir. Je n'arrivais pas à croire que ces yeux bleus dans lesquels brillaient une certaine aptitude à l'intelligence restait coincé aux portes de la réalité.

Il disais que faire connaissance était pour lui savoir qui j'étais vraiment. Et de mon point de vue, j'avais déjà répondu à cette question. « Cash » était la réponse à cette question, parce qu'aucun autre mot ne pouvais me décrire. Billy aurait compris, lui. Billy aurait réussi à décoder cette réponse, à lire entre les lignes. Alors je tentai une autre réponse.

-Je suis le shaman. Je suis le serpent. Je suis le guitariste de The Lightening.

Ma face humaine, ma face animale et la langue que je parlais, celle que j'utilisais en cet instant n'étant qu'une langue de substitution dont j'étais obligé de me servir pour interagir avec les habitants de ce monde auquel je n'appartenais pas.

Je souris à mon garde du corps. MTI lui avait confié une mission à la con. Billy était fait pour les gardes du corps, parce que Billy avait peur. Moi, je n'avais pas peur.

Mes yeux se voilèrent de nouveau lorsque je réfléchis à la question la plus compliquée qu'avait posée le gars blond jusque-là... « Comment tu te comportes en générale avec les autres ? »... Encore une fois, la réponse, pour moi était « juste Cash »... Mais juste Cash ne convenait pas comme réponse à mon interlocuteur apparemment.

Après une longue réflexion, je secouai doucement la tête...

-Je ne sais pas...

Je ne savais pas parce que j'étais onduleux comme un serpent, parce que je pouvais être très gentil ou extrêmement méchant selon le feeling que je ressentais avec les personnes que je rencontrais. Et je pouvais revoir une même personne plusieurs fois sans que la situation évolue. Parce que je ne comptais que sur mon premier sentiment quand je rencontrais quelqu'un. Et c'était celui-là qui restait.

Pour ce qui était de Luke...

-Je n'ai pas un mauvais sentiment envers toi.

Et il n'y avait pas de raison à ça. C'était juste qu'il avait un visage gentil qui me revenait assez bien. Ses questions, je les aimais moins, mais c'était parce qu'il ne savait pas encore comment je fonctionnais et c'était pour ça que je devais me forcer à y répondre. Je rigolai un peu...

-Même si tu poses beaucoup de questions inutiles.

D'ailleurs, je n'avais pas fini de répondre à la liste de questions qu'il avait posées et que j'avais automatiquement mémorisée. La musique que j'aimais.

-J'aime la musique... La musique, je comprends...

Une guitare avait un langage à la fois plus brut et plus subtile que n'importe quel mot que les humains pouvaient prononcé. Là aussi, il y avait une lecture à plusieurs niveau. En fait, d'une certaine façon, quand je parlais avec ma langue, j'essayais de reproduire toutes les petites subtilité que j'aurais pu faire passer avec ma guitare.

Quant à ma boisson préférée, je ne prononçai aucun mot, me contentant de désigner du doigt la bouteille posée sur la table de nuit. Si je pouvais éviter de parler, je sautais sur l'occasion. J'avais déjà mal à la langue et à la gorge tellement Luke me faisait parler. Ah, voilà que son prénom me revenait.

Allez, plus qu'une question. Quand celle-ci me revint en tête, j'écarquillai les yeux et regardai Luke, surpris. Ça devait être bizarre pour lui parce que j'étais en train de décortiquer son bloc que questions, les prenant une par une. Mais du coup, mes réactions se faisaient à retardement.

-Incognito ? Pourquoi je voudrais passer incognito ?

Je savais que Billy le faisait, parfois. Qu'il se déguisait pour sortir. C'était pour être tranquille qu'il disait. Mouais... Non... L'avantage d'être Cash... C'était que tout le monde connaissait Cash. Et j'évitais donc les questions du genre de celles que posait Luke. Parce que ces réponses, les fans les connaissaient. Luke aurait dû s'adresser à nos fans. Les fans savaient mieux que moi.

Luke disait qu'il voulait qu'on s'entende bien. Je n'avais rien contre. Je n'avais rien fait contre. Mais dans sa voix, il transparaissait quelque chose, comme s'il était sur la défensive. J'étais comme Billy, je ressentais très fort les choses, je ressentais très fort ce que ressentaient les gens autour de moi. C'était pour ça que Billy et moi, ensemble, on était une véritable bombe à retardement, une bombe pleine d'émotions. Tant qu'on explosait que sur scène, ça allait, ça donnait des concerts formidables. Mais en dehors, ça pouvait être extrêmement dangereux, comme la fois où Billy avait bouté le feu à son appartement.

Luke disait aussi savoir qui il était et ce qu'il faisait ici. Je mis la partie de ma conscience qui était partie à la recherche de l'esprit qui hantait ces lieux en veille afin de me concentrer tout entier sur mon garde du corps. Et mon corps suivis le mouvement de mon esprit, changeant de position pour me retrouver, toujours en tailleur, mais face à Luke, mes yeux noirs scrutant l'océan de ses yeux bleus.

-Alors réponds à la question...

Je voulais lui montrer que ce qu'il m'avait demandé était bien plus compliqué que ce qu'il pouvait croire. Que définir qui on était ne se limitait pas seulement à un comportement envers les autres, en une musique ou une boisson préférée. Nous sommes bien plus que cela, chacun de nous. D'ailleurs, je me retrouvai de nouveau avec la bouteille de Jack Daniel's entre les mains et la portai à mes lèvres.

Mais avant de me répondre, de me dire qui il était, Luke me demanda pourquoi on était à Oklahoma City pour la tournée comme s'il y avait une raison transcendante à ça. En fait, Luke grattait là où il n'y avait pas lieu de gratter et ne le faisait pas là où il aurait dû le faire.

-On est à Oklahoma City parce que Lenny a décidé que la tournée passerait à Oklahoma City...

Je fronçai les sourcils alors qu'un frisson parcouru ma nuque. Non, Cash, là, c'était toi qui te goures et c'est Luke qui a raison. Il y a peut-être bien quelque chose d'autre qui a voulu qu'on passa à Oklahoma City et qu'on séjourne dans cet hôtel.

-Bien que tu as peut-être raison... Elle voulait peut-être de The Lightening ici.

Mon regard fini par se fixer à nouveau, les frissons qui avaient donné une chaire de poule clairement visible sur tout mon corps fini par disparaître. Luke m'avait aussi demandé si je ne lui faisais pas confiance... Je haussai les épaules avec un sourire qui soulignait que c'était une bien bête question.

-Tu viens d'arriver...

Puis, mon regard se fit plus insistant.

-Alors ? Qui es-tu?

Je ressentais très bien que le jeune homme n'était pas une menace. Au contraire, j'étais persuadé, alors que je me plongeais dans ses yeux bleus comme pour scruter son âme, qu'il était né pour protéger. Nous naissons tous avec une mission, disait ma grand-mère, et si certains se perdaient en chemin, d'autre savaient directement ce pour quoi ils étaient faits. Je regardais Luke des pieds à la tête, assis nu, sur mon lit. Même son corps avait été dessiné pour s'adapter à ce rôle de protecteur.

Mais malgré ça, la communication avait du mal à passer, comme s'il y avait de la friture sur la ligne. Il recevait un mot sur deux de ce que je disais et vice-versa. Je n'étais pas fort avec les mots, je n'avais jamais été doué pour parler, m'entendant en générale beaucoup mieux avec les animaux de mon voisinage qu'avec les autres enfants. Avec le temps, j'étais devenu un véritable sujet de fascination pour certains qui m'avaient approchés, apprivoisé, étaient devenus mes amis. Mais ça avait mis beaucoup de temps.

J'avais répondu à sa première question par l'ignorance. Qui étaient « les autres » ? Le groupe, les autres humains, Billy ? Les questions étaient non seulement mal posées mais aussi mal comprises. Et je sentais bien que le plus perdu des deux, dans cette histoire, c'était Luke. Mais je ne m'en faisais pas. Il allait passer pas mal de temps avec moi. Et alors il apprendrait à comprendre, ou il partirait.

J'avais penché la tête sur le côté avec un regard interrogateur. Pourquoi voulait-il que je me cache ? Pourquoi me conseillait-il de monter un mur entre moi et ceux qui aimaient notre musique ? Entre moi et les personnes qui me comprenaient quand je faisais parler ma guitare à ma place ? Je ne comprenais pas pourquoi je devrais le faire, pourquoi c'était mieux. Il me conseillait de me couper de mon seul lien avec ce monde, de ma mission.

Je le désignai de l'index.

-Tu es fait pour protéger.

Je me désignai ensuite du pouce dirigé vers mon torse nu.

-Je suis un lien entre ce monde et un autre, je suis fait pour élargir la vision des humains de ce monde.

Je haussai les épaules, laissant retomber ma main sur mon genoux.

-Je ne peux pas me couper de ceux qui écoutent.

Je ne suis pas Billy. Je suis l'autre partie, celle qui le complète. Celle qui ferait que si nous n'étions qu'un, nous serions un être parfait. Le ying et le yang, la terre et le ciel, le jour et la nuit. L'un ne peut-être sans l'autre.

Mes cheveux étaient retombés devant mes yeux, les dissimulant à mon interlocuteur. Derrière mes boucles, mes paupières étaient à moitié fermée à cause de la fatigue et des effets de l'alcool qui commençaient à se diffuser lentement dans mes veines.

-Je comprends ce que tu dois faire... Essaye de comprendre ce que je dois faire.

Il avait demandé ce qu'on faisait ici, à Oklahoma City. D'abord, j'avais trouvé la question superficielle encore une fois.

Puis ce frisson, long et agréable, avait parcouru ma peau. Elle nous voulait au Skirvin Hotel. Je souris quand Luke me demanda qui elle était. Je le regardai à nouveau dans les yeux, laissant toujours la présence de l'esprit caresser ma peau.

-Tu ne la sens pas ?

Non, il n'était qu'humain et comme tous les humains, il ne prenait pas le temps de s'ouvrir à ce qui l'entourait. Quant à qui il était, sa réponse ne fut pas plus satisfaisante que celle que je lui avais donnée. Mon sourire s'agrandit encore, je voyais en Luke, qui allait devoir me coller au basques, une sorte de disciple qui avait encore tout à apprendre. Je soulignai le fait qu'il ne m'avait pas plus éclairé que je ne l'avais fait avec lui, simplement en mettant côte à côte nos réponses respectives.

-Cash, le Shaman, le serpent, guitariste de The Lightening. Luke, de Los Angeles, garde du corps de Cash Izbel.

Je penchai à nouveau la tête sur le côté, mais d'un air amusé, cette fois.

Je repris la bouteille en main, la posant sur un de mes genoux avant de m'adresser à Luke.

-Luke... Si tu le veux, je te montrerai ce qu'est vivre avec The Lightening.

Après tout, il avait peut-être un prénom qui le prédestinait à être le disciple de quelqu'un...

-Ferme les yeux... Tu pourras peut-être sentir l'esprit qui vit dans cet hôtel.

Je portai la bouteille à mes lèvres et ingurgitai une longue gorgée d'alcool brûlant.  

Je savais que le plus grand problème de Luke, c'était qu'il ne voyait que ce qu'il voyait, sans chercher plus loin. Mais à force de vivre avec The Lightening, il finirait par changer, comme il allait peut-être changer certaines choses pour nous. Tout ça allait toujours dans les deux sens, même si on avait parfois du mal à l'admettre. Quand on est en contact avec quelque chose ou quelqu'un, l'un influe sur l'autre, qu'on le veuille ou pas. Un bel exemple était Billy et moi : j'avais absorbé une partie de lui comme il l'avait fait pour une partie de moi.

Il n'avait pas réagit, se contentant de me regarder d'un air surpris, quand je l'avais inviter à s'ouvrir un peu, voire à fermer les yeux, pour ressentir la présence de mon amante d'Oklahoma City. Il était donc encore plus fermé que je le croyais. Il avait ignoré cette présence, il m'avait ignoré, moi et ce que je lui proposais. Tout ça pour quoi ? Revenir à la surface des choses encore une fois. A sa fonction, bien qu'il disait ne pas faire que ça.

Et à des promesse aussi, celle d'essayer de me comprendre. Bien. Et bien on pouvait dire qu'il était mal parti, que la promesse à peine sortie de sa bouche n'était pas tenue.

A moi de m'adapter à lui alors. A moi de jouer dans le concret. A moi de lui montrer, comme moi, je le lui avait proposé, de lui montrer ce que c'était, vivre avec The Lightening. Et si ma méthode mystique ne lui convenait pas, j'allais employé le langage gras, indomptable de The Lightening.

Je soupirai et décroisai les jambe pour me lever de mon grand lit, mon sexe se balançant suivant mes mouvements. Dire que si j'avais été seul, je serais à l'heure qu'il était en pleine communion avec cet esprit... Au lieu de ça, je devais essayer de communiquer avec un humain. Et il n'y avait pas plus bouché que les humain.

-D'accord... Je parlerai ton langage alors. Du moins, j'essayerai...

Cependant, un léger sourire planait sur mes lèvres.

Luke voulait du concret ? Luke allait en avoir.

Je me dirigeai d'un pas nonchalant vers la fenêtre de a chambre que j'ouvris en grand. Puis je me tournai vers Luke qui était toujours assis sur sa chaise. Juste à côté de moi, sur un meuble bas de style ancien se trouvai une télévision à tubes cathodiques. Je débranchai le poste et, accélérant brusquement mes mouvements pour que Luke n'ait pas le temps de réagir, j'attrapai le poste à bout de bras et le balançai par la fenêtre, me penchant ensuite pour regarder le résultat avec un grand sourire. Le bruit de l'implosion résonna dans le parc vide en dessous de nous. J'aurais pu tuer quelqu'un si j'avais fait ça en pleine journée, mais je ne m'en rendais pas compte.

J'attrapai mon paquet de cigarette sur le meuble où reposait la télé quelques secondes plus tôt et en plantai une dans ma bouche avant de l'allumer en me tournant vers Luke.

-Bienvenue parmi The Lightening. Destruction et sautes d'humeur seront ton quotidien.

Je me retournai vers la fenêtre, me penchant. Le bruit de l'implosion avait évidemment réveillé d'autres résidents de l'hôtel qui, comme moi, passaient leurs têtes par les fenêtres pour comprendre ce qui se passait.

Moi, je continuais à sourire.

-Comment tu vas résoudre ce problème, garde du corps ?

Je m'éloignai de la fenêtre et retournai m'asseoir sur mon lit, fixant Luke.

Luke avait pris peur, Luke était furax... Puis Luke était partit. Il était parti certainement pour régler le problème. Je l'entendis vaguement parler aux autres personnes dans le couloir puis sa voix s'éloigna. J'étais à nouveau seul dans ma chambre et m'allongeai sur mon lit, fermant les yeux, oubliant ce Luke qui était loin d'avoir compris comment je marchais, et qui allait encore déchanter bien des fois au contact de The Lightening.

Il fonctionnait selon un ensemble de règles, de « fait pas ci – fait pas ça » et il voulait me protéger contre le monde. Mais pourquoi ? Devais-je le laisser me séparer de la seule chose qui valait vraiment le coup dans ce monde ? Devais-je le laisser m'éloigner de nos groupies, de nos fans, de tous les amusements que procurait une tournée ? Si c'était le cas, autant m'envoyer une dose fatale tout de suite.

Je fermai les yeux, les sens en alerte et j'entendais vaguement, de loin, Luke s'escrimer avec le problème que je lui avais créé. Je ne voyais pas pourquoi il se mettait en colère. Il avait l'air d'avoir tellement envie de faire ses preuves que je lui en avais donné une occasion. Ce dont il ne semblait pas se rendre compte c'était que là, oui, je l'avais fait exprès. Mais qu'en fait, au quotidien, on était quatre à provoquer ce genre de chose sans le vouloir, sur un coup de tête ou à cause de l'influence de la drogue que certains d'entre nous prenait.

Cette télé n'avait été qu'un avant-goût. Après tout, c'était lui qui avait demandé de faire connaissance, de lui montrer comment était la vie avec The Lightening. Qu'est-ce que j'aurais du faire à la place ? Comme Billy ? Faire des promesses que nous ne saurions jamais tenir ?

Luke finit par revenir dans la chambre et je m'étais redressé sur mon lit, souriant de le voir autant en état d'alerte. Il commença à m'engueuler comme si j'étais un gosse. Même mes parents ne m'avaient jamais engueulé. J'avais eu une éducation m'apprenant le respect, mais d'une façon douce et assez spéciale, basée sur des expérience personnelles et non sur des avertissements. Luke m'accusa de lui manquer de respect et annonça qu'il ne le tolérerait pas.

Et bien, s'il prenait tout personnellement, il n'allait pas tenir deux semaines avec nous.

-C'est n'est pas contre toi. Je n'ai rien contre toi. Je ne te connais pas.

J'allumai une nouvelle clope, prenant mon paquet qui avait fini je ne savais plus trop comment sur le lit.

-Tu m'as demandé de te montrer. Je t'ai montré.

Je soufflai la fumée en direction du garde du corps.

-Tu peux oublier tout ce que tu as appris, avec nous, Luke. Tu peux oublier les règles. C'est ce que je me tue à t'expliquer. Tu ne trouveras ici qu'un insatiable appétit pour la destruction.

Aucun doute que MTI n'avait pas été dans le détail sur ceux à qui le pauvre Luke aurait à faire. Non seulement concernant ce que je venais de dire, mais aussi sur le fait qu'on était à la fois tous semblable et différents, dans ce groupe. Billy n'était pas moi et vice-versa mais ensemble, sur scène, nous formions un tout d'une symbiose incroyable comparé au chaos que nous représentions en dehors.

Je regardai Luke dans les yeux.

-Tu ne trouveras pas les réponses que tu cherches auprès de moi ou de Billy.

Je tendis la main vers un interrupteur et nous plongeai dans le noir. Il était tard et j'avais encore des choses à faire, quelqu'un à voir.

-Tu veux un mentor, quelqu'un qui saura te répondre dans ta langue, vas voir Liam Taylor. Ou casse-toi.

Là-dessus, je m'allongeai sur mon lit à nouveau, laissant mon garde du corps à son apprentissage.